ii. Une ère nouvelle ?
La question est de savoir si la nouveauté chrétienne a changé, en tout ou en partie, peu ou prou, la perception et l’estimation du travail et du travailleur.
La plupart des auteurs estiment que l’irruption du message chrétien dans les cultures traditionnelles va opérer une révolution ou, du moins, un changement sensible dans les mentalités. C’est l’avis de P. Jaccard qui parle d’une « nouvelle orientation ». Ce n’est pas tout à fait l’avis de J. Leclercq qui n’hésite pas à écrire que « le christianisme n’a pas changé grand-chose à l’estime du travail »[1]. Même s’il ajoute qu’ »il a, par l’Église, doté le monde du grand bienfait d’une autorité spirituelle chargée de rappeler les règles de la vie morale et d’envisager toutes questions sous l’angle moral » et que cette Église « a constamment réagi contre l’exagération des divisions en classes sociales et le mépris des classes inférieures », il semble, par l’illustration qu’il donne, qu’il faut attendre Léon XIII pour trouver de telles prises de position.
M.-D. Chenu précise, rappelons-nous, qu’il n’y pas de philosophie du travail et plus exactement de morale du travail avant ce souverain pontife et qu’il faut attendre le milieu du XXe siècle pour que s’élabore une théologie du travail qui s’appuie sur saint Thomas.
Comment expliquer cette carence, comment expliquer que rien n’ait vraiment changé, au moins, « quant à l’estime du travail » ?
Deux forces qui se conjuguent bien vont freiner, sur les plans social, économique et politique, la puissance transformatrice que le message chrétien contenait et l’empêcher de donner sa pleine mesure : la tripartition fonctionnelle et la persistance d’un certain platonisme.