⁢v. Joseph Comblin et le thème de la paix

Si l’Ancien testament nous éclaire sur l’origine du mal et de la violence, il introduit aussi dans le monde, comme l’a montré le P. J. Comblin, trois idées fondamentales : « le thème de la paix perpétuelle, le thème d’universalité du salut et celui de la puissance de Dieu dans la faiblesse des hommes »[1]

Et tout d’abord, la paix biblique.

Le mot shalôm que nous avons traduit par « paix » est un concept large, « un terme vaste, ample, souple ; il peut désigner le terme de toutes les aspirations. (…) Le shalôm est toujours un peu comme un don, incertain mais espéré, (…) un état de grâce collectif.  »⁠[2] Don espéré et possible, il est par le fait même de nature religieuse. Il est décrit dans le Deutéronome sous forme de bénédictions⁠[3]. C’est « le pays qui ruisselle de lait et de miel »[4]. C’est la vie, une plénitude de vie !⁠[5] Ces bénédictions, cette vie, cette paix, Israël l’attend uniquement de Dieu et non de circonstances historiques favorables, d’une bonne politique ou d’un roi qui promet la paix en faisant la guerre⁠[6]. David, le guerrier, n’a pu bâtir le temple à cause du sang versé. C’est Salomon le pacifique qui le construira.⁠[7] Salomon est le type du roi soumis à la loi religieuse qui annonce le Roi à venir⁠[8].

Mais Dieu répétera-t-on fait la guerre ! Oui mais d’une manière toute différente des divinités orientales ou grecques. Celles-ci sont guerrières par essence alors que si l’on dit que « Yahweh est un guerrier »[9] c’est parce qu’il a libéré son peuple. De plus, si toute guerre du peuple devient guerre de la divinité, dans la Bible c’est Dieu qui détermine les guerres de son peuple et toute guerre ne reçoit pas son investiture : il y a les guerres de Yahweh qu’il mène pour réaliser son dessein contre ceux qui s’y opposent, les pécheurs⁠[10] et les guerres profanes, purement politiques. La guerre de Yahweh est comme un jugement, « un prélude non aux guerres historiques, même si celles-ci se prétendaient inspirées par Dieu - et toutes les guerres des États, nous le savons se prétendent telles, plus ou moins - mais au Jugement des nations à la fin du monde, tel qu’il est annoncé par le Nouveau Testament. Donc les guerres saintes de la Bible n’ont pas existé comme telles ; elles sont un sens révélé, prophétique, ajouté aux récits du passé d’Israël. »[11]

Seules ces guerres-jugements trouvent grâce aux yeux des prophètes qui condamnent les guerres profanes⁠[12] et dénoncent les faux prophètes qui annoncent les victoires profanes⁠[13]. De plus, ces guerres-jugements, guerres de Yahweh sont provisoires et exceptionnelles, elles appartiennent au temps de la préparation du peuple d’Israël.⁠[14] Et donc, une fois de plus, on peut affirmer que « la guerre n’est pas sainte, elle n’est pas une manifestation « spéciale » de la providence divine. On peut et on doit même dire que, non seulement le Nouveau, mais encore l’Ancien testament ont désacralisé la guerre. Ils lui ont précisément enlevé son caractère traditionnel d’opération divine en réservant ce caractère divin à quelques cas précis. Il n’y a plus rien de sacré, sinon l’économie du salut biblique. Dieu ne se révèle pas par la guerre. La guerre est seulement humaine, sauf quand elle est le jugement de Dieu sur les pécheurs. En fin de compte, il y aura seulement une seule guerre sainte : le jugement dernier. »[15]

Dieu n’est pas un guerrier. Le récit de la création en témoigne aussi. Alors que les mythes cosmogoniques nous montrent qu’au commencement était la guerre, que la création du monde se moule sur la création des États par la guerre, la Genèse révèle que Dieu, en toute liberté et par don, crée un monde en paix. Dieu n’a créé ni la mort, ni le mal, ni la guerre. Et il condamne les puissants orgueilleux et guerriers égyptien, assyrien⁠[16], babylonien⁠[17], romain, Gog et Magog⁠[18] : « par un simple jugement, Dieu fait la guerre à la guerre, il disperse comme d’un souffle la guerre qui était comme l’arme ultime du péché contre lui. »[19]

La paix promise par les prophètes et telle qu’ils la décrivent, paix du peuple élu et paix des nations, ne peut venir que de Dieu et de son Règne. C’est Dieu d’abord qu’il faut chercher et reconnaître, la paix viendra ensuite. Israël sera en paix avec ses puissants voisins quand ceux-ci reconnaîtront Yahweh⁠[20] et il en va de même pour toutes les nations⁠[21]. Dieu offre sa paix à Israël et, par Israël, à toutes les nations, non pas par leur soumission à Israël mais par l’écoute de l’instruction et de la parole dispensées à Jérusalem, préfiguration de l’Église. C’est dans la mesure où les hommes se convertissent au Dieu de paix que la paix se fera car « point de paix, a dit mon Dieu, pour les méchants ! »[22] La paix n’est pas une récompense qui vient de l’extérieur, elle est concomitante de la transformation radicale de l’homme immoral, pécheur et impie. C’est la condition sine qua non⁠[23] : que la loi du Seigneur vive dans le cœur de l’homme⁠[24] et Dieu le purifiera⁠[25]. La promesse vaut pour Israël et pour les nations : « Tous tes fils seront disciples du Seigneur, et grande sera la paix de tes fils. »[26] La justice -l’intégrité morale et religieuse- et la paix sont solidaires : « Le fruit de la justice sera la paix ; la justice produira le calme et la sécurité pour toujours »[27] ; « Fidélité et Vérité se sont rencontrées, elles ont embrassé Paix et Justice. »[28] Celui qui veut la paix doit avoir foi dans la paix de Dieu, et lui prêter patiemment ses forces.


1. COMBLIN J., Théologie de la paix, Principes, Editions universitaires, 1960, p. 36.
2. Id., pp. 44-45.
3. Dt 7, 6-14 ; 28, 2-10.
4. Nb 14, 8.
5. Dt 30, 19.
6. Cf. Dt 17, 17 et surtout 1 S 8, 11.
7. 1 Ch 22, 7-10.
8. Is 9, 5-6 : « Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné. La souveraineté est sur ses épaules. On proclame son nom : « Merveilleux - Conseiller, Dieu - Fort, Père à jamais, Prince de la paix. » Il y aura une souveraineté étendue et une paix sans fin pour le trône de David et pour sa royauté, qu’il établira et affermira sur le droit et la justice dès maintenant et pour toujours - l’ardeur du Seigneur, le tout-puissant, fera cela. »
9. Ex 15, 3. Quant à l’expression « Yahweh Sabaoth », souvent traduite par « Dieu des armées » ou « Dieu des armées d’Israël », elle désigne plus vraisemblablement le « Dieu des armées célestes », le Dieu du « monde des cieux et des astres (…), le Dieu unique qui dispose de toutes les puissances de l’univers » (GUILLET Jacques in Vocabulaire de théologie biblique, Cerf, 2005).
10. Cf. Dt 9, 4-6.
11. COMBLIN J., op. cit., p. 69.
12. « Malheur ! Ils descendent en Égypte pour y chercher du secours. Ils s’en remettent à des chevaux, ils font confiance aux chars parce qu’ils sont nombreux, aux cavaliers parce qu’ils sont en force, mais ils n’ont pas un regard pour le Saint d’Israël, ils ne cherchent pas le Seigneur. Lui aussi, pourtant, il est habile : il peut faire venir le malheur. Il ne retire pas ce qu’il a dit. Il se dresse contre le parti des méchants et contre les malfaisants qu’on appelle au secours. » (Is 31, 1-2). Lire aussi Is 22, 8-14 ; Is 7.
13. Cf. Jr 6, 14.
14. On peut aussi citer les guerres que Yahweh mène contre son propre peuple lorsqu’il est infidèle en se servant des puissances ennemies : « Malheur à l’Assyrie, gourdin de ma colère ; ce bâton dans sa main, c’est mon indignation. Je l’envoie contre une nation impie, je le dépêche contre le peuple qui m’excède, pour y faire du butin et le mettre au pillage, pour le fouler aux pieds comme la boue des rues. » (Is 10, 5-6)
15. COMBLIN J., op. cit., p. 73. L’auteur précise que des textes comme le cantique de Débora (Jg 5) ou le cantique du passage de la mer Rouge (Ex 15) sont des textes « infiltrés » et « maintenus dans le corps du Livre sacré à cause de la coutume des historiens anciens de transcrire leurs sources sans les remanier, et de faire l’histoire par adjonction de documents, sans se soucier toujours de les corriger. » (Id., p. 66).
16. « Mais quand le seigneur aura achevé toute son œuvre sur la montagne de Sion et à Jérusalem, « j’interviendrai, dit-il, contre les prétentions orgueilleuses du roi d’Assyrie et contre l’éclat de son regard hautain, car il s’est dit : « C’est par la force de ma main que j’ai agi et par ma sagesse ; car je suis intelligent. J’ai supprimé les frontières des peuples et pillé leurs réserves. Comme un héros, j’ai fait descendre ceux qui siégeaient sur des trônes. (…) » »_ (Is 10, 12-13).
17. « Comment es-tu tombé du ciel, Astre brillant, Fils de l’Aurore ? Comment as-tu été précipité à terre, toi qui réduisais les nations, toi qui disais : « Je monterai dans les cieux, je hausserai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu, je siégerai sur la montagne de l’assemblée divine à l’extrême nord, je monterai au sommet des nuages, je serai comme le Très-Haut. » » (Is 14, 12-14).
18. Ez 38-39 et Ap 20, 8.
19. COMBLIN J., op. cit., p. 76.
20. Is 19, 19-24 : « Ce jour-là, il y aura un autel du Seigneur au cœur du pays d’Égypte et une stèle du Seigneur près de sa frontière. Ce sera un signe et un témoin pour le Seigneur, le tout-puissant, dans le pays d’Égypte : quand ils crieront vers le Seigneur à cause de ceux qui les oppriment, il leur enverra un sauveur qui les défendra et les délivrera. Le Seigneur se fera connaître des Égyptiens, et les Égyptiens, ce jour-là, connaîtront le Seigneur. Ils le serviront par des sacrifices et des offrandes, ils feront des vœux au Seigneur et ils les accompliront. Alors, si le seigneur a vigoureusement frappé les Égyptiens, il les guérira : ils reviendront au Seigneur qui les exaucera et les guérira.
   Ce jour-là, une chaussée ira d’Égypte en Assyrie. Les Assyriens viendront en Égypte, et les Égyptiens en Assyrie. Les Égyptiens adoreront avec les Assyriens.
   Ce jour-là, Israël viendra le troisième, avec l’Égypte et l’Assyrie. Telle sera la bénédiction que, dans le pays, prononcera le Seigneur, le tout-puissant : « Bénis soient l’Égypte, mon peuple, l’Assyrie, œuvre de mes mains, et Israël, mon patrimoine. » »
21. Is 2, 2-5 : « Il arrivera dans l’avenir que la montagne de la Maison du Seigneur sera établie au sommet des montagnes et dominera sur les collines. Toutes les nations y afflueront. Des peuples nombreux se mettront en marche et diront : « Venez, montons à la montagne du Seigneur, à la Maison du Dieu de Jacob. Il nous montrera ses chemins, et nous marcherons sur ses routes. » Oui, c’est de Sion que vient l’instruction et de Jérusalem la parole du Seigneur. Il sera juge entre les nations, l’arbitre de peuples nombreux. Martelant leurs épées, ils en feront des socs, de leurs lances, ils feront des serpes. On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre. Venez, maison de Jacob, marchons à la lumière du Seigneur. » 
22. Is 57, 21.
23. Jr 6, 14 : « Tous, petits et grands, sont âpres au gain. Tous, prophètes et prêtres, ont une conduite fausse. Ils ont bien vite fait de remédier au désastre de mon peuple, en disant « Tout va bien ! tout va bien ! » Et rien ne va. » Jérusalem traduit : « …​ en disant : Paix ! Paix ! » alors qu’il n’y a point de paix. ». Ou encore Jr 14, 11-16 : « Le Seigneur me dit « N’intercède pas en faveur de ce peuple, ne souhaite pas son bonheur ! S’ils jeûnent, je n’écoute pas leur plainte. S’ils me présentent holocaustes et offrandes, cela ne me plaît pas. C’est par l’épée, la famine et la peste que je vais les exterminer. » Je dis : « Ah ! Seigneur Dieu, mais les prophètes leur disent : Vous ne verrez pas l’épée, et la famine ne vous surprendra pas ; je vous donnerai en ce lieu une prospérité assurée . » Le Seigneur me répondit : « C’est faux ce que les prophètes prophétisent en mon nom ; je ne les ai pas envoyés, je ne leur ai rien demandé, je ne leur ai pas parlé. Fausses visions, vaticinations, mirages, trouvailles fantaisistes, tel est leur message prophétique ! » C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur : « Pour ce qui est des prophètes qui prophétisent en mon nom alors que je ne les ai pas envoyés : bien qu’ils prétendent que l’épée et la famine ne surprendront pas ce pays, c’est en fait par l’épée et la famine que ces prophètes disparaîtront. Et les gens à qui ils prophétisent joncheront les ruelles de Jérusalem à cause de la famine et de l’épée (…). »
24. Jr 31, 31-34 : « Des jours viennent -oracle du Seigneur- où je conclurai avec la communauté d’Israël -et la communauté de Juda - une nouvelle alliance. Elle sera différente de l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères quand je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte. Eux, ils ont rompu mon alliance ; mais moi, je reste le maître chez eux -oracle du Seigneur. Voici donc l’alliance que je conclurai avec la communauté d’Israël après ces jours-là -oracle du Seigneur : je déposerai mes directives au fond d’eux-mêmes, les inscrivant dans leur être ; je deviendrai Dieu pour eux, et eux, ils deviendront un peuple pour moi. Ils ne s’instruiront plus entre compagnons, entre frères, répétant : « Apprenez à connaître le Seigneur », car ils me connaîtront tous, petits et grands -oracle du Seigneur,. Je pardonne leur crime ; leur faute, je n’en parle plus. »
25. Ez 36, 25-28 : « Je ferai sur vous une aspersion d’eau pure et vous serez purs ; je vous purifierai de toutes vos impuretés et de toutes vos idoles. Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un esprit neuf ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre Esprit, je vous ferai marcher selon mes lois, garder et pratiquer mes coutumes. Vous habiterez le pays que j’ai donné à vos pères ; vous serez mon peuple et je serai votre Dieu. Je vous délivrerai de toutes vos souillures, j’appellerai le blé, je le ferai abonder, je ne vous imposerai plus la famine. Je ferai abonder le fruit de l’arbre, le produit des champs afin que vous n’ayez plus à supporter parmi les nations la honte d’avoir faim. »
26. Is 54, 13.
27. Is 32, 17.
28. Ps 85, 11.