⁢Chapitre 2 : La famille d’abord !

La famille est l’échelon le plus « inférieur », comme disait Pie XI, de la pyramide sociale mais il est l’élément le plus important, l’élément fondateur de la société, première société, antérieure à toutes les autres et à l’État.

Cette antériorité,  »absolue et radicale » se justifie simplement par le fait que « la procréation est le principe « génétique » de la société, et que l’éducation des enfants est le lieu primordial de transmission et de culture du tissu social, noyau essentiel de sa configuration structurelle »[1]. C’est pour cette raison, soit dit en passant, que la contraception « est un problème de société avant d’être une question de méthode de régulation des naissances »[2].

La procréation vraiment humaine, selon une différenciation sexuelle qui s’impose comme un fait, est l’expression de deux libertés qui ne se contentent pas de se rencontrer mais qui se donnent et qui, par la parole, « cette médiation spécifiquement humaine », redoublent « l’extase des corps » et reconnaissent « la portée intersubjective et donc généreuse tant de l’alliance entre l’homme et la femme que de l’engendrement des enfants »[3] et de leur éducation.

Cet engendrement crée l’état de filiation qui est un état « indisponible » dans la mesure où il ne s’invente pas mais se reçoit du don mutuel de l’homme et de la femme, de leur amour, dit-on, c’est-à-dire de leur volonté consciente d’inscrire le don dans la durée. Autrement dit, cet engendrement est le fruit de ce qu’on appelle le pacte conjugal ou, plus simplement, mariage. Celui-ci « n’est donc pas une création des pouvoirs publics, mais une institution naturelle et originelle qui leur est antérieure »[4] que le pouvoir doit reconnaître et protéger. Le juriste confirme: « l’engendrement des humains par un lien, humain lui aussi, se donne à lire non pas comme une option quelconque du sujet mais comme une norme qui institue le droit »[5].

C’est en fonction de cette antériorité que « les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants (…) Ils partagent leur mission éducative avec d’autres personnes et d’autres institutions, comme l’Église et l’État ; toutefois, cela doit toujours se faire suivant une juste application du principe de subsidiarité (…) Toutes les autres personnes qui prennent part au processus éducatif ne peuvent agir qu’au nom des parents, avec leur consentement et même, dans une certaine mesure, parce qu’elles en ont été chargées par eux »[6].

C’est pour cette raison aussi que la famille doit être reconnue, protégée et soutenue par la société qu’elle fonde. Même en dehors du christianisme, « déjà dans l’antiquité, comme le montrait Aristote, elle était reconnue comme l’institution sociale première et fondamentale, antérieure et supérieure à l’État (cf. Ethique à Nicomaque, VII, 12, 18), contribuant efficacement à la bonté de la société elle-même »[7].

Est-ce un hasard, une influence chrétienne universelle ou, plus simplement, plus vraisemblablement, un réalisme politique qui a poussé nombre de constitutions à travers le monde, à l’instar de la Déclaration universelle des droits de l’homme, à mentionner l’importance sociale essentielle de la famille⁠[8].

A condition de bien peser le sens du mot « humanité », on ne peut que souscrire, me semble-t-il, à cette affirmation forte de Jean Duchesne: « Que l’union de l’homme et de la femme donne des fruits et que les parents prennent soin longtemps de leurs enfants, c’est la condition de survie de l’humanité, ni plus ni moins »[9].


1. Conseil pontifical pour la Famille, Famille, mariage et « unions de fait », 21-11-2000, n°9 in D.C. n°2242, 18-2-2001, pp.160-178.
2. Cf. DEJOND Th., Contraception : problème de société, Nouvelle revue théologique, Janvier-février 1987.
3. DIJON X., Droit naturel, Tome I, Les questions du droit, PUF, 1998, pp. 177-178.
4. Conseil pontifical pour la famille, op. cit., n° 9.
5. DIJON X., op. cit., p. 196. L’auteur précise : « le corps précède le droit (…) pour opposer l’objectivité du sujet à toute entreprise arbitraire de disqualification. Il le précède une nouvelle fois en donnant d’emblée une forme au lien fondamental qui non seulement relie les humains entre eux mais qui, encore, les suscite à l’existence » (id.).
6. JEAN-PAUL II, Lettre aux familles, 1994, n°16.
7. Discours aux participants à la IIe Rencontre d’hommes politiques et de législateurs d’Europe, 23 octobre 1998, O.R., n°44, 3 novembre 1998, p. 4.
8. L’article 17 de la Déclaration universelle de 1948 déclare : « La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État ». Parmi les constitutions, à travers le monde, le Conseil pontifical pour la famille (op. cit., p. 167) relève, en Allemagne : « Le mariage et la famille ont droit à une protection spéciale dans l’organisation de l’État » (art. 6) ; en Espagne : « Les pouvoirs publics assurent la protection sociale, économique et juridique de la famille » (art. 39) ; en Irlande : « L’État reconnaît la famille comme le groupe naturel primordial et fondamental de la société et comme une institution morale dotée de droits inaliénables et imprescriptibles antérieurs à tout droit positif. En conséquence, l’État s’engage à protéger la constitution et l’autorité de la famille, fondement nécessaire de l’ordre social et élément indispensable au bien-être de la nation et de l’État » (art. 41) ; en Italie : « La République reconnaît les droits de la famille, en tant que société naturelle fondée sur le mariage » (art. 29) ; en Pologne : « Le mariage, c’est-à-dire l’union d’un homme et d’une femme, ainsi que la famille, la paternité et la maternité, doivent bénéficier d’une protection et de soins dans la République de Pologne » (art. 18) ; au Portugal : « La famille comme élément fondamental de la société, a droit à la protection de la société et de l’État et à la mise en place de toutes les conditions qui permettent la réalisation personnelle de ses membres » (art. 67) ; en Argentine : « La loi établira (…) la protection intégrale de la famille » (art. 14) ; au Brésil : « La famille, base de la société, fait l’objet d’une protection spéciale de la part de l’État » (art. 226) ; au Chili : « La famille est le noyau fondamental de la société…​ Il est du devoir de l’État…​ d’assurer la protection de la population et de la famille…​ » (art. 1) ; en République populaire de Chine : « L’État protège le mariage, la famille, la maternité et l’enfance » (art. 49) ; en Colombie : « L’État reconnaît, sans aucune discrimination, la primauté des droits inaliénables de la personne et protège la famille comme institution de base de la société » (art. 5) ; en Corée du Sud : « Le mariage et la vie familiale se fondent sur la dignité individuelle et sur l’égalité entre les sexes ; l’État mettra en œuvre tous les moyens dont il dispose pour parvenir à cette fin » (art. 36) ; aux Philippines: « L’État reconnaît la famille philippine comme le fondement de la Nation. En conséquence, la solidarité sera intensément favorisée, en vue de sa promotion active et de son développement total. Le mariage est une institution sociale inviolable, il est le fondement de la famille et doit être protégé par l’État » (art. 15) ; au Mexique : « La loi protégera l’organisation et le développement de la famille » (art 4) ; au Pérou: « La communauté et l’État …​ protègent aussi la famille et promeuvent le mariage, les reconnaissant comme des institutions naturelles et fondamentales de la société » (art. 4) ; au Rwanda : « La famille, en tant que fondement naturel du peuple rwandais, sera protégée par l’État » (art. 24).
9. DUCHESNE Jean, La vraie fin, in La famille, Communio, XI,6, novembre-décembre 1986, p. 10. Tous les articles de ce numéro sont intéressants pour qui veut méditer sur les richesses et les limites de la famille.