⁢i. Le problème du travail.

Surgit immédiatement une difficulté car, à toutes les époques de l’histoire de l’humanité, le travail nous révèle son ambivalence. Il a toujours été considéré, en même temps comme une joie et une peine, un bienfait et une souffrance. Il a été, à la fois, honoré et maudit. En effet, il assure à l’homme sa subsistance matérielle, la richesse même, ainsi que d’autres biens, comme une certaine indépendance, le plaisir de la création, de l’œuvre heureusement accomplie, l’admiration, etc. Le travail est aussi à la source du progrès de la société et de la civilisation. Mais tout cela ne se gagne pas sans effort, sans privation de certains plaisirs, sans douleur parfois⁠[1].

L’histoire nous montre aussi d’incessantes hiérarchisations dans le monde du travail. Suivant les époques, les classes sociales, certains genres de travaux ont été discrédités ou exaltés. On ne compte plus les querelles, parfois violentes, entre agriculteurs et éleveurs, intellectuels et manuels, artisans et marchands, travailleurs libres et travailleurs salariés, fonctionnaires et paysans, etc. Même entre divers métiers d’une même catégorie, des classements se sont établis selon des critères variés et changeants. Parfois c’est le travail lucratif qui est méprisé et parfois le travail non rémunéré.

Or, l’histoire semble montrer qu’ »il y a invention, découverte, croissance économique et progrès social lorsque le labeur, autant de la main que de l’esprit, est honoré, mais la ruine est proche lorsque le travailleur est méprisé. »[2] Encore faut-il que cet honneur également accordé aux différents types de travail soit justement mesuré, qu’il ne soit évidemment entaché d’aucun mépris mais qu’il ne soit pas non plus exalté exagérément. Le travail a son importance vitale, personnelle, sociale, spirituelle mais il n’est pas le tout de l’existence.

En définitive, si, au départ, l’estime du travail dépend de la nécessité, elle est surtout tributaire de la conception qu’on s’en fait⁠[3].

Regardons cela de plus près.


1. Le travail est le plus souvent pénible parce qu’il n’a pas sa fin en lui-même : on ne travaille pas pour travailler. d’un autre côté, dans la mesure où le travail aide l’homme à se perfectionner, et qu’il soit choisi par goût, librement, il finit par s’apparenter au jeu qui, dans toute sa noblesse, respecte aussi des règles, demande des efforts et l’exercice de valeurs morales et physiques. (Cf. LECLERCQ J., Leçons de droit naturel, IV Les droits et devoirs individuels, 2e partie Travail, propriété, Wesmael-Charlier, 1946, pp. 5-26)
2. JACCARD P., Histoire sociale du travail de l’antiquité _ nos jours, Payot, 1960, p. 8. Pierre Jaccard fut Président de l’Ecole des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne.
3. Cf. LECLERCQ J., op. cit., pp. 55-61.