Chapitre 6 : Les stratégies du bien commun
Parce que je m’intéresse à l’histoire, je pense que la politique est trop importante et la démocratie trop fragile pour ne pas être l’affaire de tous.
op. cit., p. 106.
Dans un livre très polémique, l’auteur après avoir reconnu que le bien commun est « une notion fondamentale de l’anthropologie catholique » estime que « l’idée même de « bien commun », qui repose sur un accord préalable sur l’idée de « bien », est difficilement compatible avec la démocratie libérale qui suppose, au contraire, la possibilité de déroger à cet accord. » Il conclut son analyse en affirmant que « l’Église est donc enferrée dans une contradiction insoluble : ayant approuvé la démocratie elle continue de croire ou de se faire croire, que sa conception de la justice est pensable dans un monde où l’individu prétend être son propre souverain. »[1]
Nous savons déjà que la conception que l’Église a de la démocratie n’est pas celle que nous connaissons mais nous allons tâcher de montrer que, dans le libéralisme ambiant et institutionnel, une action en vue du bien commun reste toujours possible.
Après des siècles de foi et donc de doute, progressivement, à partir de la Renaissance, la raison a prétendu apporter des certitudes. Mais aujourd’hui, on se rend compte de sa faillite. Nous sommes tous doués de raison, croyants ou incroyants mais cela nous garantit-il à travers un dialogue rationnel d’arriver à un consensus intelligent ? Usons-nous tous bien de notre raison, de notre « bon sens » qui, prétendait Descartes est « la chose du monde la mieux partagée » ?[2]. Les attitudes irrationnelles ont proliféré à l’époque contemporaine et provoqué des massacres. Au nom de la raison on a créé les camps de concentrations et les goulags. Force est de constater qu’« aujourd’hui ce n’est pas tant la raison qui domine, vraie autant qu’universelle, que l’émiettement des opinions individuelles et de la sincérité affective. » Même le concept de nature humaine peut prendre des acceptions différentes voire être purement et simplement contesté. Et donc la question se pose lancinante: « Peut-il exister dans notre société postmoderne un consensus éthique, fondé en raison, ou bien chacun est-il renvoyé à ses sentiments, à des options religieuses ou à la pression idéologique ? »[3] La « pression idéologique » de la « culture » médiatique qui formate les consciences, les adapte aux nouveautés sacralisées par les votes majoritaires d’une masse manipulée. Les mass media offrent souvent un prêt-à-penser conforme en fait à une opinion qui se veut dominante. Il suffit d’écouter comment nombre de journalistes sur des chaînes publiques traitent les hommes politiques qui déclarent leur opposition à la pratique de l’avortement ou au mariage homosexuel. Il sont déclarés conservateurs et inquiétants. Celui qui se contente de cette « information » et n’exerce pas son esprit critique se conformera à cette opinion d’autant plus facilement qu’il n’a pas un direct accès au discours contradictoire que les mass media caricaturent ou évitent soigneusement de répercuter et que les autorités s’empressent de fustiger d’une manière ou d’une autre.[4] A l’époque postmoderne, la culture et le pouvoir politique qu’elle inspire visent à créer une société soft où toutes les aspérités sont bannies par étouffement.[5]
Il n’empêche que tout citoyen peut constater ou sentir que bien des choses, ici ou là, « ne vont pas ». Et même l’insistance sur le « progrès » que constituent la légalisation de l’avortement ou de l’euthanasie peut le faire réfléchir, de même que la violence, les vices politiques, l’enrichissement outrancier, etc….
Que faire ? Sinon éduquer, former, promouvoir « une chrétienté de conviction »[6]. Prioritairement. Car « les structures ne sauraient précéder les consciences, elles leur font suite au contraire. »[7]
Se pose donc de nouveau le problème de la méthode.