En guise de conclusion générale
La maxime d’Hevenesi
[1]
Si l’homme d’action chrétien veut garder en mémoire l’essentiel de la conduite qu’il doit suivre, quels que soient ses engagements concrets, il peut retenir cette formule très ignatienne que le P. Fessard a longuement méditée[2] et qui résume bien comment liberté humaine et liberté divine, raison et foi, détermination et abandon s’articulent. D. Coatanea n’hésite pas à dire que cette vieille formule que certains ont trouvée ou trouveront paradoxale, apparemment contradictoire, antinomique, ambiguë, absurde à la limite, est « une maxime d’action universelle ».[3]
Telle est la première règle de ceux qui agissent :
crois en Dieu comme si tout le cours des choses dépendait de toi, en rien de Dieu ;
Cependant mets tout en œuvre en elles,
comme si rien ne devait être fait par toi, et tout de Dieu seul. [4]
Cette formule suppose la foi en Dieu : « crois en Dieu ». Une foi qui aboutit à une totale confiance en Dieu : « …tout de Dieu seul ». Dans ce cadre, deux erreurs sont à éviter. Tout d’abord une confiance en Dieu qui se passerait des moyens humains à mettre en œuvre (« comme si rien ne devait être fait par toi ») ; ensuite une confiance en soi qui se passerait de Dieu (« comme si tout le cours des choses dépendait de toi »).
L’utilisation de tous les moyens humains possible doit accompagner l’abandon total à la divine Providence.
Le P. Fessard confirme que cette formule « prescrit la foi en Dieu, donc la passivité et la dépendance à l’égard de la Liberté divine, mais en étant persuadé que celle-ci veut avant tout que la liberté et l’activité de l’homme se déploient en toutes ses entreprises, comme si le succès dépendant en tout du moi, et en rien de Dieu. C’est comprendre que la foi en la destinée surnaturelle à laquelle Dieu m’appelle par amour exige d’abord que je veuille à chaque fois user de mon intelligence et de ma liberté pour développer au maximum les virtualités de ma nature individuelle en particulier et de la nature humaine en général. »[5]
Dieu n’agit pas sans mon consentement ni mes efforts et ceux-ci sont la condition de l’action efficace de Dieu:
« Dans la mesure même où en m’appropriant cette vérité, j’unirai ma liberté à celle de Dieu, mon action ne sera plus ni arrêtée par le découragement, ni freinée par quelque retour d’orgueil sur ses propres mérites. Encore moins risquera-t-elle de se dévoyer en la recherche d’une illusoire perfection. Au contraire, tendue au maximum vers la réalisation de l’œuvre divine, elle ne cessera d’user de tous les moyens possibles pour la promouvoir. Aussi, la foi qui est son principe pourra alors s’accomplir en une confiance absolue dans la victoire de l’Homme-Dieu sur toute adversité, fût-ce celle de la mort. Et sans même attendre ce triomphe final, cette confiance lui donnera de goûter dans la plus petite joie la présence de l’Amour par qui « tout est grâce » et d’y puiser l’élan et la force nécessaire pour une action nouvelle. »[6]
Haec prima sit agendorum regula : Sic Deo fide,
quasi rerum successus omnos a TE, nihil a Deo penderet ;
Ita tamen iis operam omnem admove,
quasi TU nihil, DEUS omnia solus sit facturus.
Cfr. les analyses de COATANEA Dominique, op. cit., pp. 366-371 et de VALADIER P., La condition chrétienne, Le Seuil, 2003, pp. 43-47. Voir aussi éventuellement les commentaires de NICOLAS François, Hevenesi, sur entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/AQuoibon.htlm ou de DE SAUTO Martine, Lâcher prise ou se remettre dans les mains de Dieu ?, La Croix, 12 décembre 2009.