Introduction
Tout au long de la seconde guerre mondiale, nous avons entendu Pie XII insister pour établir une paix véritable et durable, il ne suffit pas d’établir des traités et de désarmer, il faut aussi construire un « ordre nouveau »[1], une « organisation nouvelle »[2].
Il pense évidemment à un ordre établi par Dieu[3] dont il énumère un certain nombre de « présupposés moraux fondamentaux »[4] qui sont autant de « conditions essentielles d’une paix conforme aux principes de la justice, de l’équité, de l’honneur »[5]. Outre le refus de la force et de l’arbitraire du totalitarisme[6], le souci de la vérité, de la justice, la courtoisie, la coopération au bien, l’amour fraternel, la fidélité dans l’observance des pactes [7], la bonne volonté, la confiance réciproque[8], la raison, la modération, etc..[9] doivent imprégner les rapports entre les hommes. Autant d’attitudes susceptibles d’introduire une « sérieuse et profonde moralité dans les normes de la vie internationale »[10].
Mais « la solidité de tout nouvel ordre national ou international » dépend de la protection et de l’observation de « règles fondamentales inviolables », de « principes suggérés par la pensée chrétienne » qui sont nécessaires « pour l’établissement d’un ordre de vie commune et de collaboration internationale conforme aux lois divines ».[11]
Quels sont ces principes, ces règles ?
Ce sont les « lois de Dieu »[12]qui constituent l’« ordre moral »[13] ou, autrement dit, tous les « droits moralement et juridiquement imprescriptibles » qui doivent être reconnus et respectés[14] : droits politiques, religieux, culturels, linguistiques, économiques de tous, y compris des minorités, des petits pays ou des pays faibles même au sein de groupes économiques où ils côtoient de grandes puissances.[15]
Pie XII insiste particulièrement sur ce dernier point : il faut lutter contre les déséquilibres économiques. En effet, c’est un moyen de garantir à « tous les peuples une paix juste et durable, féconde de bien-être et de prospérité. »[16]
De même que tous les hommes ont les mêmes droits fondamentaux, toutes les nations, qu’elles soient grandes ou petites, puissantes ou faibles, jouissent des mêmes droits.[17] Il est donc nécessaire de combattre « les divergences trop criantes dans le domaine de l’économie mondiale ; partant, une action progressive, équilibrée par des garanties correspondantes, pour arriver à un ordre qui donne à tous les États les moyens d’assurer à leurs citoyens de toutes classes un genre de vie convenable ».[18] On ne peut empêcher les nations moins favorisées par la nature d’accéder aux sources économiques et aux matières d’usage commun. Et Pie XII de rappeler la révélation de la Genèse : la « nécessité d’une participation de tous aux biens de la terre même chez les nations qui, dans la mise en acte de ce principe, appartiendraient à la catégorie de ceux « qui donnent » et non de ceux « qui reçoivent ». La solution à cette question est essentielle et « décisive pour l’économie du monde » et pour la paix[19].
Il est un autre point sur lequel Pie XII a beaucoup insisté: l’établissement d’une autorité internationale nécessaire notamment pour veiller à une limitation progressive et adéquate des armements et au respect des traités dont l’exécution doit être garantie.[20]Des institutions internationales doivent être reconstruites en tenant compte de « l’inefficacité ou du défectueux fonctionnement de semblables initiatives antérieures ».[21]
Dans son Radio-message du 24 décembre 1944, le Souverain Pontife laisse entrevoir ce que pourrait être une « société des peuples » qui se construirait comme doit se construire une société particulière[22] : « l’ordre absolu des êtres et des fins […] comprend aussi comme une exigence morale et comme couronnement du développement social l’unité du genre humain et de la famille des peuples. […] De la reconnaissance de ce principe dépend l’avenir de la paix. Si […] cette même exigence morale arrive à être réalisée dans une société des peuples qui sache éviter les défauts de structure et les insuffisances des précédentes solutions, alors la majesté de cet ordre social règlera et dominera également le choix délibéré des ses moyens d’action. […] L’autorité d’une pareille société des peuples devra être vraie et efficace sur les États qui en seront membres, à condition pourtant que chacun d’entre eux garde un droit égal à sa souveraineté relative. Une condition essentielle de tout ordre mondial futur serait la formation d’un organisme chargé du maintien de la paix, organisme investi, par le commun consentement, d’une autorité suprême et dont la tâche devrait être aussi d’étouffer dans le germe toute menace d’agression isolée ou collective », de reconnaître l’immoralité de la guerre d’agression et d’agiter « la menace d’intervention juridique des nations, d’un châtiment infligé à l’agresseur par la société des États… » et d’appliquer « en cas de nécessité, des sanctions économiques et même l’intervention armée.. ».
Pie XII insiste encore dur la nécessité d’une « solidarité non restreinte à tel ou tel peuple, mais universelle, fondée sur l’intime connexion de leur destin et sur les droits qui leur appartiennent à tous également. »[23]
A la construction de cette « société des peuples », « viennent y coopérer, non seulement tel ou tel parti, non seulement tel ou tel pays, mais tous les peuples, l’humanité entière. C’est une entreprise universelle de bien commun, qui requiert la collaboration de la chrétienté, pour les aspects religieux et moraux du nouvel édifice que l’on veut construire. »[24]
En effet, pour que s’établisse « une sincère solidarité juridique et économique, une collaboration fraternelle, selon les préceptes de la loi divine, entre les peuples devenus sûrs de leur autonomie et de leur indépendance »[25], il faut non seulement avoir « conscience de la fraternité universelle »[26] mais aussi nourrir un sentiment d’amour universel pour donner vie à cette construction d’un monde équilibré et organisé et jeter « un pont même vers ceux qui n’ont pas le bonheur de participer à notre foi ».[27]
Notre programme est donc d’étudier par quels moyens lutter contre les déséquilibres économiques à travers le monde et établir une « société des peuples ».