i. Pour être pratique
Il est nécessaire tout d’abord d’éviter toute position manichéenne lorsque l’on veut réfléchir aux avantages[1] et inconvénients de la mondialisation et agir en fonction de cette analyse pour le bien commun de l’humanité.
Christian Arnsperger[2] a montré combien il est difficile d’adopter une position radicale face au problème. Juger la mondialisation, c’est d’abord, explique-t-il, juger le capitalisme marchand classique et ensuite le capitalisme marchand mondialisé qui amplifie les mécanismes du capitalisme « classique ». A quelle aune les juger ? A l’aune de la libération qu’ils peuvent apporter. Eclairé par la pensée de l’économiste indien Amartya Sen[3] aux universités de Calcutta, de Delhi, d’Oxford, à la London School of Economics, à l’https://fr.wikipedia.org/wiki/Universit%C3%A9_de_Caen_Basse-Normandie[université de Caen], à l’https://fr.wikipedia.org/wiki/Universit%C3%A9_Harvard[université Harvard] et a dirigé le Trinity College de l’https://fr.wikipedia.org/wiki/Universit%C3%A9_de_Cambridge[université de Cambridge]. Parmi ses nombreux livres, notons L’Idée de justice, Flammarion, 2012 ; Rationalité et liberté en économie, Odile Jacob, 2005 ; L’économie est une science morale, La Découverte, 2004 ; Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, Odile Jacob, 2003 ; Development as freedom, Oxford, Oxford University Press, 2001 ; Repenser l’inégalité, Points, 2012 ; Éthique et économie, PUF, 2012 ; On ethics and Economics, Oxford, Wiley-Blackwell, 1989.], et sa définition du « développement comme liberté », comme « faculté d’agir », comme accès à l’ensemble des « manières de fonctionner (d’être et de faire) »[4] : « développer l’humain dans son intégralité, selon Sen, c’est assurer à chacun(e) les conditions de liberté les plus larges possibles, sans préjuger des options culturelles, sociales et économiques qui permettent de réaliser cette liberté suivant les contextes - mais en écartant évidemment autant que faire se peut les pratiques et les principes contraires à l’extension de la liberté individuelle. »
Comment veiller, dans le contexte de la mondialisation, au respect de la liberté ainsi définie ? Il faut compter, répond Arnsperger, sur des « institutions économico-politiques nouvelles et des mouvements sociaux nouveaux » : « le renouvellement profond des structures institutionnelles mondiales doit, à mon sens, passer par la mise en place simultanée de structures redistributives mondiales pilotées par des institutions dotées d’un pouvoir législatif et de structures de concertation sociale mondiales. Ces dernières devraient associer les acteurs traditionnels (entreprises, syndicats) ainsi que de multiples composantes de la « société civile » (ONG, associations de consommateurs, etc.), et être insérées dans les grandes organisations telles que l’OMC[5] ou le BIT[6]. »[7]. Le 17 octobre 2016, cette même assemblée s’est de nouveau opposée à l’AECG. Le Parlement fédéral belge a finalement approuvé le traité le 28 octobre 2016, après que le Parlement wallon ait obtenu des clarifications à propos de dispositions relatives à la clause de sauvegarde pour les produits agricoles et au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Cette opposition unique en Europe montre la nécessité de ne pas laisser de tels accords se négocier entre les autorités politiques au plus haut niveau, plus ou moins influencées par des lobbys économiques, mais d’associer démocratiquement les acteurs économiques et sociaux et leurs représentants comme le souhaite Arnsperger. L’accord sera signé le 30 octobre à Bruxelles en présence du Premier ministre du Canada Justin Trudeau et du président du Conseil européen Donald Tusk.] Voilà une proposition qui affine le souhait des souverains pontifes de voir des institutions internationales réguler l’économie mondiale et stimuler un vrai développement intégral à travers le monde. A condition, ajoute Arnsperger, que « l’on combine judicieusement la conscientisation non manichéenne et la militance auprès des organismes supranationaux et internationaux qui doivent porter la refonte institutionnelle que l’on désire promouvoir au nom de la libération. » Et il ajoute cette mise en garde contre une vision trop simpliste de l’action à entreprendre : « Vouloir tout baser sur les soi-disant compétences grass-roots des « communautés de base » est illusoire car aucune communauté n’a plus de prise, aujourd’hui, sur les mécanismes globaux qui sont à l’œuvre : vouloir tout baser sur les réformes politiques top down sans remettre en question certains jeux de pouvoir et certains mécanismes d’oppression inhérente au capitalisme est tout aussi illusoire, car on n’exploitera alors pas tous les ressorts de la libération possible. »[8]
Dans cet esprit, le CDSE détaille les problèmes suscités par la mondialisation actuelle[9] et indique comment remédier aux inconvénients et aux menaces en reprenant certains thèmes majeurs de l’enseignement de l’Église sur les questions économiques et sociales. On jugera si l’enseignement de l’Église peut être rangé, comme l’écrivait Fr. Houtart, dans le camp du néo-keynésianisme.
L’Église rappelle l’universalité de la famille humaine et la nécessité de toujours prendre en compte prioritairement la personne dans son aspect subjectif jusque dans son travail[10].
La personne humaine, où qu’elle se trouve, fin de toute activité, doit être défendue dans ses droits fondamentaux à l’échelon international.[11]
Il est donc nécessaire non seulement d’adapter l’action syndicale au contexte nouveau[12] mais aussi d’agir aux plans social et politique pour orienter, maîtriser le dynamisme économique[13] et, en toute circonstance, défendre les droits personnels[14].
Dans la vie économique, on ne doit pas perdre de vue la lutte contre les inégalités puisque les biens sont destinés à tous les hommes[15]. La solidarité ne doit toutefois pas s’organiser au détriment de la subsidiarité ou en nivelant toutes les spécificités culturelles[16]. La solidarité doit se vivre à tous niveaux, à l’intérieur d’un même État, entre les générations mais aussi, bien sûr, au niveau international [17].
C’est dire, par le fait même, la responsabilité des instances internationales qui doivent veiller, à l’échelle mondiale, à la transmission et au respect effectif des valeurs définies[18]. Leur responsabilité dans le domaine de la justice sociale, dans la recherche de la paix et du développement de tous les peuples, est d’autant plus grande que les États-nations ont perdu, dans la mondialisation, une bonne part de leur influence et de leur efficacité.[19]
Bref, à la lumière de ce qui précède, il est urgent de repenser en profondeur l’activité économique et ses finalités.[20]
C’est la seule révolution possible et souhaitable et il est inutile de chercher une solution « post-capitaliste » si l’on prend la peine de se rappeler les grands principes de l’enseignement social de l’Église[21]: les biens de la terre sont destinés à tous, le droit à la propriété privée est donc limité ; dans l’économie de marché qui ne s’applique qu’aux biens solvables, le profit a un rôle limité, la consommation n’est pas un but en soi, le milieu naturel n’est pas « taillable à merci » pas plus que le milieu humain où la famille doit être un sanctuaire de vie. Enfin, il est primordial, pour ne pas extravaguer, de bien distinguer les deux faces du capitalisme. Le problème de la mondialisation doit être abordé dans cet esprit.
« La mondialisation alimente de nouvelles espérances, mais engendre aussi d’inquiétantes interrogations. Elle peut produire des effets potentiellement bénéfiques pour l’humanité entière, s’entrecroisant avec le développement impétueux des télécommunications, le parcours de croissance du système de relations économiques et financières a permis simultanément une importante réduction des coûts des communications et des nouvelles technologies, ainsi qu’une accélération dans le processus d’extension à l’échelle planétaire des échanges commerciaux et des transactions financières. En d’autres termes, il est advenu que les deux phénomènes, mondialisation économique et financière et progrès technologique, se sont réciproquement renforcés, rendant extrêmement rapide la dynamique globale de la phase économique actuelle.
En analysant le contexte actuel, outre à identifier les opportunités qui se manifestent à l’ère de l’économie globale, on aperçoit aussi les risques liés aux nouvelles dimensions des relations commerciales et financières. De fait, il existe des indices révélateurs d’une tendance à l’augmentation des inégalités, aussi bien entre pays avancés et pays en voie de développement, qu’au sein même des pays industrialisés. La richesse économique croissante rendue possible par les processus décrits s’accompagne d’une croissance de la pauvreté relative. » (CDSE 362).
Face aux changements intervenus dans le monde du travail, la solidarité pourra être retrouvée et peut-être même avoir de meilleurs fondements que par le passé si l’on œuvre pour une redécouverte de la valeur subjective du travail : « Aussi faut-il continuer à s’interroger sur le sujet du travail et sur les conditions dans lesquelles il vit ». Voilà pourquoi « il faut toujours qu’il y ait de nouveaux mouvements de solidarité des travailleurs et de solidarité avec les travailleurs ».(Le 8) (CDSE 308).
L’insécurité et la ; précarité ne concernent pas seulement la condition de travail des personnes vivant dans les pays les plus développés, mais aussi et surtout les réalités économiquement moins avancées de la planète, les pays en voie de développement et les pays aux économies en transition. ces derniers, en plus des problèmes liés au changement des modèles économiques et productifs, doivent affronter quotidiennement les difficiles exigences dérivant de la mondialisation actuelle ? la situation apparaît particulièrement dramatique pour le monde du travail, touché par des changements culturels et structurels vastes et radicaux, dans des contextes souvent privés de supports législatifs, formatifs et d’assistance sociale. » (CDSE 314).
« Une politique internationale tournée vers l’objectif de la paix et du développement grâce à l’adoption de mesures coordonnées est rendue plus que jamais nécessaire par la mondialisation des problèmes. Le Magistère relève que l’interdépendance entre les hommes et entre les nations acquiert une dimension morale et qu’elle détermine les relations dans le monde actuel sous les aspects économique, culturel, politique et religieux. Dans ce contexte, une révision des Organisations internationales est souhaitée - processus qui « suppose que l’on dépasse les rivalités politiques et que l’on renonce à la volonté de se servir de ces Organisations à des fins particulières, alors qu’elles ont pour unique raison d’être le bien commun » (SRS 43)
En particulier, les structures intergouvernementales doivent exercer efficacement leurs fonctions de contrôle et de guide dans le domaine de l’économie, car la réalisation du bien commun devient un objectif désormais hors de portée des États considérés individuellement, même s’il s’agit d’États dominants en puissance, richesse et force politique. Les Organismes internationaux doivent en outre garantir l’égalité qui constitue le fondement du droit de tous à participer au processus de développement intégral, dans le respect des diversités légitimes. » (CDSE 442).