⁢i. L’Europe

…​ l’idée paneuropéenne, le Conseil de l’Europe et d’autres mouvements encore sont une manifestation de la nécessité où l’on se trouve de briser ou du moins d’assouplir, en politique et en économie, la rigidité des vieux cadres de frontières géographiques, de former entre pays de grands groupes de vie de d’action communes.
— Allocution aux membres du Congrès du droit privé
15 juillet 1950.

Même si quelques auteurs ont rêvé à certaines époques d’une Europe unie⁠[1], ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que l’idée va commencer à prendre corps. Pie XII va apporter son soutien à cette œuvre.⁠[2] Pie XII est l’héritier d’une tradition qui est née avec Léon XIII. Le 20 juin 1894⁠[3], déjà inquiet de la situation en Europe où, « depuis nombre d’années déjà, on vit dans une paix plus apparente que réelle »[4], Léon XIII appelle de ses vœux la restauration de l’« antique concorde, au profit du bien commun ». Antique concorde basée sur l’Évangile qui avait construit la civilisation chrétienne.

Il n’est peut-être pas inutile de s’arrêter à cette idée d’« ancienne concorde » dont l’évocation va se retrouver, sous des vocables divers, dans l’enseignement de tous les papes contemporains. Une réflexion du philosophe Rémi Brague peut nous aider à mieux comprendre la référence au passé de l’Europe. L’auteur insiste d’abord sur le fait que l’Europe est d’abord « le résultat d’une division » ou mieux d’une quadruple division dont la mémoire évitera certaines confusions : la division entre le monde méditerranéen gréco-romain avec la barbarie ; la division entre le nord chrétien avec le sud musulman ; la division entre l’Orient orthodoxe et l’Occident catholique ; la division entre le nord protestant et le sud catholique.⁠[5] Face à cela, le christianisme se présente comme une « synthèse paradoxale » dans la mesure où, si d’une part il distingue temporel et spirituel, dans la personne du Christ, il ne sépare pas Dieu et l’homme. Et l’Incarnation rend sacrée l’humanité de tout homme mais non un livre, ni une langue, ni une culture. Dès lors construire l’Europe c’est bien autre chose que d’en faire « une zone de libre échange, ou un centre de force, qui ne se définirait que par sa position géographique, et par le nom qu’a reçu, de façon accidentelle, un petit cap de l’Asie » (Valéry) ». En fait, « l’Europe doit rester, ou redevenir le lieu de la séparation du temporel et du spirituel, bien plus, de la paix entre eux -chacun reconnaissant à l’autre sa légitimité. Celui où l’on reconnaît une liaison intime de l’homme avec Dieu, liaison qui va jusqu’aux dimensions les plus charnelles de l’humanité, qui doivent être l’objet d’un respect sans faille. celui où l’unité entre les hommes ne peut se faire autour d’une idéologie, mais dans les rapports entre des personnes et des groupes concrets. Si ces éléments devaient s’effacer totalement, on aurait peut-être construit quelque chose, et peut-être quelque chose de durable. mais serait-ce l’Europe ? ».⁠[6]

La nostalgie de l’« antique concorde » anime aussi Benoît XV. il évoque les « peuples barbares de la primitive Europe » et tient à souligner que « du jour où l’esprit de l’Église les pénétra, ils virent se combler peu à peu l’abîme des mille divergences qui les séparaient et leurs querelles s’apaiser ; ils se fondirent en une seule société homogène et donnèrent naissance à l’Europe chrétienne, qui, sous la conduite et les auspices de l’Église, sans détruire les caractères propres de chaque nation, devait tendre à l’unité, source de sa glorieuse prospérité. » Même si ce passé nous paraît quelque peu idéalisé, Benoît XV, conscient de la fragilité de la paix qui vient d’être signée⁠[7], conclut avec beaucoup de lucidité que « lorsque tout sera rétabli suivant l’ordre de la justice et de la charité et que les nations se seront réconciliées, il est très désirable que tous les États, écartant tous leurs soupçons réciproques, s’unissent pour ne plus former qu’une société, ou mieux qu’une famille, tout ensemble pour la défense de leurs libertés particulières et le maintien de l’ordre social. »[8] Pie XI malheureusement ne pourra que constater, comme le craignait Benoît XV, la persistance des « passions belliqueuses »[9] et la montée de l’égoïsme qui se traduit par le nationalisme.⁠[10] Comme l’écrit très justement Guy Bedouelle, Pie XI s’insurge « contre l’Europe nationaliste, expansionniste et néo-païenne proposée par les dictatures fascistes à leur profit évidemment. »[11]

La guerre va donc une nouvelle fois imposer la nécessité d’une construction pacifique durable indispensable aussi au développement économique.

Pie XII, comme ses prédécesseurs, déplore l’exclusion du Christ de la vie moderne. Alors que « l’Europe[12] fraternisait dans des idéals identiques reçus de la prédication chrétienne » et qu’elle avait « conscience du juste et de l’injuste, du licite et de l’illicite, qui facilite les ententes », aujourd’hui, « au contraire, les dissensions ne proviennent pas seulement d’élans de passions rebelles, mais d’une profonde crise spirituelle qui a bouleversé les sages principes de la morale privée et publique »[13]. Conscient des dangers graves que cette situation entraîne, dès 1939, Pie XII souhaite « une meilleure organisation de l’Europe ». Il faut se préoccuper « du futur état économique, social et spirituel de l’Europe, et non de l’Europe seulement », veiller à « un véritable équilibre entre les nations » et pour cela, examiner avec bienveillance « les vrais besoins et les justes requêtes des nations et des peuples comme aussi des minorités ethniques » et si nécessaire : « une équitable, sage et concordante révision des traités »[14] en vue de construire « une nouvelle Europe »[15], une « Europe nouvelle et meilleure »[16] . Pour le saint Père, la pacification de l’Europe dans un esprit de fraternité est « la première condition pour les autres pas en avant vers la pacification universelle ».⁠[17] Et l’exemple de saint Benoît, « Père de l’Europe » devrait lui permettre de retrouver « la voie royale » que le grand saint lui avait tracée : « Prie et travaille » qui est « la loi principale de l’humanité et de sa règle de vie, comme son immuable fondement ».⁠[18] Ce n’est pas « par l’épée, la force ou le meurtre, mais par la croix et par la charrue, par la vérité et par l’amour » que l’Europe s’est civilisée.⁠[19]

Le 7 mars 1948, éclairé peut-être par l’alliance économique signée en 1947 entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg (Benelux), il déclare que si « les rapports économiques internationaux ont une fonction positive et nécessaire, certes, mais seulement subsidiaire », dans les circonstances actuelles, « il serait peut-être opportun d’examiner si une union régionale de plusieurs économies nationales ne rendrait pas possible un développement plus efficace que dans le passé des forces particulières de production. »[20]

Le 2 juin 1948, dans son Discours au Sacré Collège, Pie XII, après avoir évoqué l’« étrange malaise » qui règne depuis la fin de la guerre parce qu’on ne sait si la paix va se consolider ou se noyer dans un nouveau conflit, salue « les esprits clairvoyants et courageux [qui] cherchent incessamment de nouvelles voies vers un passage de salut. » Comment ? « Au moyen de tentatives répétées de réconciliation, de rapprochement entre nations naguère encore en lutte les unes contre les autres, ils s’appliquent à mettre sur pied une Europe ébranlée jusque dans ses fondements, et à faire de ce foyer d’agitation chronique un boulevard de paix et la promotion providentielle d’une détente générale sur toute la surface de la terre. » A qui Pie XII pensait-il sinon à ces hommes qu’on a appelés les « pères » de l’Europe : l’Allemand Konrad Adenauer, le Luxembourgeois Joseph Bech, le Néerlandais Johan Willem Beyen, l’Italien Alcide De Gasperi, les Français Jean Monnet et Robert Schuman et enfin le Belge Paul-Henri Spaak. auxquels on ajoute souvent Winston Churchill (Royaume-Uni), Walter Hallstein (Allemagne), Sicco Mansholt (Pays-Bas) et Altiero Spinelli (Italie). La moitié de ces « pères » appartiennent à la démocratie chrétienne.⁠[21]

En évitant les discussions politiques, Pie XII engage l’Église et s’engage à appuyer cette initiative. Il continue : « A cause de cela, sans vouloir faire entrer l’Église dans l’enchevêtrement d’intérêts purement terrestres, Nous avons estimé opportun de nommer un représentant personnel spécial au « Congrès de l’Europe », qui s’est tenu récemment à La Haye[22], afin de montrer la sollicitude et de porter l’encouragement du Saint-Siège pour l’union des peuples. Et Nous ne doutons pas que tous Nos fidèles auront conscience que leur place est toujours aux côtés de ces esprits généreux qui préparent les voies à l’entente mutuelle et au rétablissement d’un sincère esprit de paix entre les nations. » En effet, « le devoir des catholiques [est] de donner un lumineux exemple d’unité et de cohésion, sans distinction de langues, de peuples et d’origine. »

Plus directement, le 11 novembre de la même année, Pie XII adresse un important discours aux délégués du Congrès international de l’Union européenne des Fédéralistes. Pie XII commence par rappeler les efforts que « depuis près de dix ans », il a multipliés « sans relâche en vue de promouvoir un rapprochement, une union sincèrement cordiale entre toutes les nations » et sans « impliquer l’Église dans des intérêts purement temporels ». Certes, le Saint-Père est conscient qu’« une union européenne offre de sérieuse difficultés » mais, pour lui, « il n’y a pas de temps à perdre. et si l’on tient à ce que cette union atteigne son but, si l’on veut qu’elle serve utilement la cause de la liberté et de la concorde européenne, la cause de la paix économique et politique intercontinentale, il est grand temps qu’elle se fasse. Certains, ajoute-t-il, se demandent même s’il n’est pas déjà trop tard ». Il ne faut donc pas attendre que « le souvenir de la guerre se soit d’abord estompé « . Il faut aussi éviter que certains n’abusent « d’une supériorité politique d’après-guerre en vue d’éliminer une concurrence économique ». Il est souhaitable enfin que les grandes nations au passé glorieux « sachent faire abstraction de leur grandeur d’autrefois pour s’aligner sur une unité politique et économique supérieure » qui respecte néanmoins les « caractères culturels de chacun des peuples ». Pour réaliser cette « unité politique et économique supérieure », il faut affirmer « qu’une Europe unie, pour se maintenir en équilibre, et pour aplanir les différends sur son continent […] a besoin de reposer sur une base morale inébranlable ». Cette base ne peut se trouver que dans la religion qui jadis fut « l’âme de cette unité ». Rétablir « le lien entre la religion et la civilisation » semble donc nécessaire. Fort heureusement, « en tête de la résolution de la Commission culturelle à la suite du Congrès de la Haye » (mai 1948), on peut lire « la mention du « commun héritage de civilisation chrétienne ». » Mais ce n’est pas assez pour Pie XII. Il faudrait aller « jusqu’à la reconnaissance expresse des droits de Dieu et de sa loi, tout au moins du droit naturel sur lequel sont ancrés les droits de l’homme. » En effet, « isolés de la religion, comment ces droits et toutes les libertés pourront-ils assurer l’unité, l’ordre et la paix ? » Encore faut-il ne pas oublier parmi ces droits « ceux de la famille, parents et enfants ». Ce sont ces « hommes vivants », « qui trouvent dans la vie de famille, honnête et heureuse, le premier objet de leur pensée et de leur joie », « des hommes aimant sincèrement la paix, des hommes d’ordre et de calme », des hommes de « compréhension », qui seront les artisans de l’Europe unie.

A de multiples reprises, Pie XII va insister sur le fait que les accords économiques, politiques ne suffisent car ils peuvent être dictés par un esprit matérialiste. Or « une paix sûre et durable est surtout un problème d’unité spirituelle et de dispositions morales ».⁠[23] Certes, un équilibre matériel est important mais moins que « l’esprit européen » c’est-à-dire « la conscience de l’unité interne, fondée non point sur la satisfactions de nécessités économiques, mais sur la perception de valeurs spirituelles communes, perception assez nette pour justifier et maintenir vivace la volonté de vivre unis. » Et la peur est « dépourvue de force constructive ». Pour la collaboration entre pays, « seules des valeurs d’ordre spirituel se révéleront efficaces. » ⁠[24] La position du pape est claire : « cette culture européenne sera ou bien authentiquement chrétienne et catholique, ou alors elle sera consumée par le feu dévastateur de cette autre culture matérialiste pour qui ne comptent que la masse et la force purement physique. »[25] Le propos peut paraître raide alors que de nombreux pays européens sont majoritairement protestants. Il adoucira son propos en rappelant que l’Église catholique ne s’identifie « avec aucune culture »[26] mais qu’elle est « pour le renouveau et le renforcement de la civilisation occidentale »[27]. Mieux encore, au Président de la République fédérale d’Allemagne, après avoir rappelé la menace matérialiste, Pie XII déclare plus simplement que « le catholicisme entendu comme doctrine et comme action peut apporter une précieuse contribution quand il s’agit de conserver le fondement spirituel et moral de la civilisation européenne en ce qu’elle a de véritable et de meilleur. »[28] Le Pape craignait, en effet, que « toute civilisation qui aspire réellement à conserver les avantages terrestres - et ils sont en vérité nombreux - de l’antique civilisation chrétienne, mais qui rejette, ouvertement ou sournoisement, le sens propre de celle-ci, soit irrémédiablement destinée à tomber victime des assauts du matérialisme »[29], ce qui aboutirait à « former une culture européenne de caractère, d’esprit, d’âme non chrétiens. »[30]

Deux obstacles majeurs se dressent sur la route de « la réalisation pratique de l’unité européenne » : la structure de chaque État qui doit, pour s’engager dans une vie commune, veiller à l’équilibre de l’ensemble et l’absence d’un « esprit européen » qui n’aurait pas « conscience de l’unité interne, fondée non point sur la satisfaction de nécessités économiques, mais sur la perception assez nette de valeurs spirituelles communes ». Or, « seules des valeurs d’ordre spirituel se révèleront efficaces, seules elle permettront de triompher des vicissitudes […] ». Si Rome et Athènes ont offert « les premiers fondements juridiques et culturels », « le christianisme a modelé l’âme profonde des peuples ». Pour se sauver, L’Europe a besoin de « la foi chrétienne authentique comme base de la civilisation et de la culture qui est la sienne, mais aussi celle de toutes les autres. »[31]

Le 13 juin 1957, le pape reçoit en audience spéciale plus de 1000 parlementaires de seize nations, réunis à Rome pour participer au Congrès de l’Europe.

Pie XII dresse le bilan des succès et des revers sur le chemin d’une « communauté supranationale ». Les succès qu’il retient sont la création en 1952 de la Communauté européenne du charbon et de l’acier regroupant six pays européens⁠[32] et, en 1957, la signature des traités de l’Euratom⁠[33] et du Marché commun⁠[34]. Certes, « cette communauté nouvelle est restreinte au domaine économique », mais, selon le Souverain Pontife, « elle peut conduire, par l’étendue même de ce champ d’action, à affermir entre les États membres la conscience de leurs intérêts communs d’abord sur le seul plan matériel sans doute, mais si le succès répond à l’attente, elle pourra ensuite s’étendre aussi aux secteurs qui engagent davantage les valeurs spirituelles et morales. » Pie XII se réjouit aussi que les congressistes aient réfléchi à « l’établissement d’une autorité politique européenne possédant un pouvoir véritable qui mette en jeu sa responsabilité ». C’est là, à ses yeux, l’élément « décisif » pour constituer une vraie communauté. Pour le saint Père, il faut « chercher les moyens de pourvoir au renforcement de l’exécutif dans les communautés existantes, pour arriver à envisager la constitution d’un organisme politique unique. » La recherche d’une politique extérieure commune comme le souci d’une association avec l’Afrique vont aussi dans le bon sens, c’est-à-dire dans le sens d’une communauté qui ne se replie pas égoïstement sur elle-même dans un geste de défense.

Pour l’avenir, pour que le mouvement amorcé progresse malgré les difficultés et les découragements, pour que l’Europe croisse dans la cohésion et la stabilité, elle doit se rappeler que le message chrétien « reste aujourd’hui comme hier, la plus précieuse des valeurs dont elle est dépositaire ; il est capable de garder dans leur intégrité et leur vigueur, avec l’idée et l’exercice des libertés fondamentales de la personne humaine, la fonction des sociétés familiale et nationale, et de garantir, dans une communauté supranationale, le respect des différences culturelles, l’esprit de conciliation et de collaboration avec l’acceptation des sacrifices qu’il comporte et les dévouements qu’il appelle. » Autrement dit, le christianisme peut apprendre à marier la nécessité de l’unité et le sens de la diversité tout en disposant les esprits et les cœurs à acquérir les qualités indispensables à cette tâche. Ainsi peut se préparer « une demeure terrestre qui ressemble davantage au Royaume de Dieu » sans s’identifier à lui car le chrétien est animé de « l’immuable assurance d’une patrie, qui n’est pas de ce monde et qui seule connaîtra l’union parfaite, parce que procédant de la force et de la lumière de Dieu même. »

Pie XII reviendra encore, le 4 novembre de la même année⁠[35], sur la conjugaison inévitable de l’un et du multiple dans la construction européenne. « Il ne s’agit pas d’abolir les patries, ni de fondre arbitrairement les races. l’amour de la patrie découle directement des lois de la nature, résumées dans le texte traditionnel des commandements de Dieu « Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur le sol que te donne le Seigneur, ton Dieu » (Ex 20, 12) » ; toutefois le devoir de reconnaissance pour les mérites et les travaux des aïeux engendre le plus souvent une préférence instinctive pour certaines formes de vie et de pensée, un attachement à des privilèges, qui n’ont pas toujours, ou qui n’ont plus leur raison d’être en face des obligations nouvelles créées par l’évolution rapide et profonde du monde moderne. » En effet, l’entrée dans une communauté plus vaste demande certes du « désintéressement » mais a, néanmoins, un « caractère inéluctable et finalement bienfaisant ». Déléguer « une partie de leur souveraineté à un organisme supranational » est « une voie salutaire » pour les pays d’Europe, l’entrée dans « une vie nouvelle dans tous les domaines, un enrichissement non seulement économique et culturel, mais aussi spirituel et religieux. »

La guerre a montré « l’inanité des politiques étroitement nationalistes » et le protectionnisme a entravé l’expansion économique. « Une unité plus large que celle de la nation au sens traditionnel » est riche de bienfaits. C’est même « une nécessité vitale » pour les « États modernes de moyenne puissance se s’associer étroitement, s’ils veulent poursuivre les activités scientifiques, industrielles et commerciales, qui conditionnent leur prospérité, leur véritable liberté et leur rayonnement culturel. » En effet, la volonté de paix, l’émancipation des colonies, « le marché des matières premières […] à l’échelle continentale », la prise « en charge de toute la misère de l’humanité », réclament plus d’unité. Et rien qu’au niveau de la CECA, les progrès sont déjà perceptibles : une « plus grande stabilité des prix », et un « progrès social » au niveau des conditions de travail et de vie. Il faudra encore beaucoup « d’énergie et de patience » pour surmonter les échecs mais « le mouvement créé ne peut plus s’arrêter,[36] […] il faut donc y entrer à fond et consentir les sacrifices temporaires sans lesquels il ne saurait réussir. » De plus, le Saint Père pense « aux fruits d’ordre spirituel et humain, qui peuvent résulter de la mise en commun du patrimoine si riche de l’Europe », et, en particulier aux « valeurs intellectuelles et morales » qu’il comporte.

Le soutien apporté par Pie XII à la cause européenne, le rappel de la culture chrétienne qui a marqué le continent et l’importance prise dans cette construction par la démocratie chrétienne ont nourri le fantasme d’une « Europe vaticane » mais cette idée « d’un complot ourdi par le Saint-Siège avec la complicité des partis démocrates-chrétiens européens en vue de rétablir les bases d’une Europe chrétienne sur le modèle du Saint-Empire romain germanique, n’eut de réalité que dans l’imagination de ceux (les socialistes principalement) qui la dénoncèrent. »[37] Certes, Pie XII insiste à plusieurs reprises sur l’héritage culturel, le patrimoine commun⁠[38]et même si, comme l’écrit Philippe Chenaux, Pie XII a été marqué par le romantisme allemand⁠[39] ou anglais⁠[40] de l’entre-deux-guerres qui idéalisait souvent avec nostalgie l’Europe chrétienne du Moyen-Age, son but n’est pas de reconstituer cette chrétienté, un nouveau « Saint-Empire » : « cette conception de l’Église, comme d’un empire terrestre et d’une domination mondiale, est absolument fausse »[41]. L’intention de Pie XII est de donner à l’Europe unie « une base morale inébranlable. Où la trouver cette base ? » demande Pie XII. « Laissons l’histoire répondre : il fut un temps où l’Europe formait, dans son unité, un tout compact et, au milieu des faiblesses, en dépit de toutes les défaillances humaines, c’était pour elle une force ; elle accomplissait, par cette union, des grandes choses. or l’âme de cette unité était la religion qui imprégnait à fond toute la société de foi chrétienne. » Malheureusement, « une fois la culture détachée de la religion, l’unité s’est désagrégée. A la longue, poursuivant, comme une tache d’huile, son progrès lent, mais continu, l’irréligion a pénétré de plus en plus la vie publique et c’est à elle, avant tout, que ce continent est redevable de ses déchirements, de son malaise et de son inquiétude. » Dès lors, que souhaiter pour l’avenir de l’Europe ? « Si donc l’Europe veut en sortir, ne lui faut-il pas rétablir, chez elle, le lien entre la religion et la civilisation ? » qu’est-ce à dire ? Très concrètement, que faut-il faire ? Suffit-il, comme le pape s’en réjouit, mentionner « le commun héritage de civilisation chrétienne » « en tête de la résolution de la Commission culturelle à la suite du Congrès de La Haye » de mai 1948 ? « Ce n’est pas encore assez, répond le pape, tant qu’on n’ira pas jusqu’à la reconnaissance expresse des droits de Dieu et de sa loi, tout au moins du droit naturel sur lequel sont ancrés les droits de l’homme ». Et il ajoute : « isolés de la religion, comment ces droits et toutes ces libertés pourront-ils assurer l’unité, l’ordre et la paix ? ».⁠[42] Telle est la base sur laquelle l’Europe doit se construire et nous trouvons déjà ici l’essentiel de la réflexion que fera, par la suite, l’Église sur les droits de l’homme indispensables à la véritable paix, ne serait-ce que dans leur formulation laïque mais qui ont besoin, comme nous l’avons vu, d’être bien définis et complétés. Il n’empêche que Pie XII se rend bien compte que l’Europe qu’il connaît n’est plus l’Europe du Moyen-Age, qu’elle est constituée d’un ensemble de pays marqués par le catholicisme ou le protestantisme et où l’athéisme s’est largement répandu. Il est bien conscient que les sociétés sont devenues pluralistes comme l’Europe. Comment organiser, dans ces conditions, la coexistence dans les communautés en voie de formation ? Il l’explique à des juristes catholiques italiens⁠[43] : « d’après la confession de la grande majorité des citoyens ou sur la base d’une déclaration explicite de leur Statut, les peuples et les États membres de la Communauté seront répartis en chrétiens, en indifférents au point de vue religieux ou consciemment laïcisés ou même ouvertement athées. Les intérêts religieux et moraux exigeront pour toute l’étendue de la Communauté un règlement bien défini qui vaille pour tout le territoire de chacun des États souverains, membres de cette Communauté des nations. Selon les probabilités et les circonstances, ce règlement de droit positif s’énoncera ainsi : à l’intérieur de son territoire et pour ses citoyens, chaque État déterminera les affaires religieuses et morales selon sa propre loi ; cependant, dans tout le territoire de la Confédération, on permettra aux ressortissants de chaque État-membre l’exercice de leurs propres croyances et pratiques religieuses et morales pour autant qu’elles ne contreviennent pas aux lois pénales de l’État où ils séjournent. » Plus précisément encore, à l’intérieur de chaque État comme à l’intérieur de la Communauté, l’erreur doit-elle être à tout prix éradiquée ? Certes, « aucune autorité humaine, aucun État, aucune Communauté d’États, quel que soit leur caractère religieux, ne peuvent donner un mandat positif ou une autorisation positive d’enseigner ou de faire ce qui serait contraire à la vérité religieuse et au bien moral. »[44] Mais « le devoir de réprimer les déviations morales et religieuses ne peut […] être une norme ultime d’action. Il doit être subordonné à des normes plus hautes et plus générales qui, dans certaines circonstances, permettent et même font apparaître comme le parti le meilleur celui de ne pas empêcher l’erreur, pour promouvoir un plus grand bien. »[45] Pie XII réaffirme donc, dans l’hypothèse de plus en plus aléatoire d’un État catholique⁠[46], le principe de la tolérance civile tel qu’il avait déjà été formulé par saint Thomas⁠[47] et réactualisé par Léon XIII⁠[48].

Rappelons-nous aussi que Pie XII, en 1958, à propos de la nécessaire distinction des pouvoirs n’a pas hésité à parler de « la légitime et saine laïcité de l’État ».⁠[49]

Nous sommes bien loin d’une conception visant à restaurer l’Europe chrétienne d’autrefois si tant est qu’elle puisse être considérée comme un modèle ! Une Europe théocratique n’est, comme disait Maritain, qu’une « utopie » dans la mesure où elle « demande au monde lui-même et à la cité politique la réalisation effective du royaume de Dieu - au moins dans les apparences et les pompes de la vie sociale ».⁠[50]

De même, il faut abandonner l’idée que Pie XII aurait soutenu la cause européenne par anticommunisme, se faisant le champion du monde libre, de l’Occident. Certes, le 1er juillet 1949, le Saint-Office publie un décret concernant le communisme qui affirme « 1° que le communisme est matérialiste et antichrétien ; 2° que les baptisés qui professent le communisme et qui le propagent sont apostats et par conséquent excommuniés ; 3°que les chrétiens qui apportent une aide quelconque aux organisations ou aux partis communistes sont à exclure de la pratique des sacrements, s’ils ne sont pas décidés à cesser cette collaboration ; 4° que les chrétiens qui écrivent dans la presse communiste ou qui la lisent, tombent dans la même catégorie que les précédents. »[51] Mais, dans le Radio-message au monde du 24 décembre 1951, Pie XII, prenant acte de la division du monde « en deux camps opposés », rappelle que l’Église ne peut « renoncer à une neutralité politique, pour la simple raison qu’elle ne peut se mettre au service d’intérêts purement politiques » et que si l’Église s’adresse aux sociétés, à la famille, à l’État, elle s’adresse aussi à « la Société des États, car le bien commun, fin essentielle, de chacune d’elles, ne peut ni exister ni être conçu, sans relation intrinsèque avec l’unité du genre humain. » Pour les personnes comme pour les peuples, l’Église veut la « vraie liberté ». Or si la « liberté » imposée par la collectivité dans les régimes dictatoriaux n’est évidemment pas la « vraie liberté », le monde qui s’appelle « avec emphase », dit Pie XII, « le monde libre », ne connaît pas non plus la « vraie liberté »[52]. Voilà donc renvoyés dos à dos « le monde libre » et « le camp opposé ». Ce que cherche l’Église, c’est la paix et celle-ci « ne peut être assurée si Dieu ne règne pas dans l’ordre de l’Univers par Lui établi, dans la société dûment organisée des États, dans laquelle chacun d’eux réalise, à l’intérieur, l’organisation de paix des hommes libres et de leurs familles, et à l’extérieur celle des peuples, dont l’Église dans son champ d’action et selon son office se fait garante.[…] En attendant, l’Église apporte sa contribution à la paix en suscitant et en stimulant l’intelligence pratique du nœud spirituel du problème ; fidèle à l’esprit de son divin Fondateur et à sa mission de charité, elle s’efforce, selon ses possibilités, d’offrir ses bons offices partout où elle voit surgir une menace de conflit entre les peuples. Ce Siège Apostolique surtout ne s’est jamais soustrait, ni ne se soustraira jamais à un tel devoir. »

Pour illustrer cet engagement, en 1952, et coup sur coup, Pie XII envoie des lettres apostoliques aux Églises sous régime communiste. De ces lettres⁠[53], nous retiendrons particulièrement la Lettre apostolique aux peuples de Russie du 7 juillet 1952 qui apporte un démenti radical à ceux qui accusaient l’Église de partialité. Après avoir évoqué l’époque où les Églises d’Orient et d’Occident étaient sous l’autorité du souverain pontife, Pie XII rappelle aussi toute la sollicitude que les Souverains Pontifes et lui-même ont manifesté pour les peuples de Russie particulièrement à l’époque contemporaine. S’attardant à la période de la guerre, le pape se plaît à souligner sa volonté, à l’instar de ses prédécesseurs, d’être « impartial envers tous les belligérants » : « Jamais, même à cette époque, ne sortit de Notre bouche une parole qui pût sembler injuste ou dure à l’un ou l’autre parti des belligérants. Certes Nous avons réprouvé, comme cela se devait, toute iniquité et toute violation du droit ; mais Nous avons fait cela de manière à éviter, avec le plus grand soin, tout ce qui aurait pu entraîner, quoique injustement, de plus grandes afflictions pour les peuples opprimés. » Pour preuve de sa bonne foi, Pie XII avoue : « Et lorsque de divers côtés on fit pression pour que, d’une façon ou d’une autre, de vive voix ou par écrit, Nous donnions Notre approbation à la guerre entreprise contre la Russie en 1941, Nous ne consentîmes jamais à le faire, comme Nous l’avons déclaré ouvertement le 25 février 1946, dans le discours prononcé devant le Sacré Collège et les représentants diplomatiques de toutes les nations qui sont en relation d’amitié avec le Saint-Siège ».⁠[54]

Pie XII, dans cette lettre, s’adresse non seulement aux catholiques mais à tous ceux « qui conservent encore le nom chrétien »[55], il loue leur piété et spécialement leur attachement à la Vierge Marie, Mère de Dieu dont il encourage le culte : « bien que des hommes, même puissants et cruels, s’efforcent d’arracher la sainte religion et la vertu chrétienne de l’âme de leurs concitoyens ; bien que Satan lui-même cherche par tous les moyens à exciter cette lutte sacrilège […] ; toutefois si Marie leur oppose sa protection, les portes de l’enfer ne peuvent avoir le dessus. » Et après avoir consacré le 31 octobre 1942 le monde entier à Marie, Pie XII consacre « d’une manière très spéciale » tous les peuples de la Russie au Cœur immaculé de Marie.⁠[56] Mais ce n’est pas tout. Pie XII adresse un message aux dirigeants : « Sans doute avons-Nous condamné et repoussé, - comme le devoir de Notre charge le demande -, les erreurs que les fauteurs du communisme athée enseignent ou s’efforcent de propager pour le plus grand tort et détriment des citoyens ; mais, bien loin de rejeter les égarés, Nous désirons leur retour à la vérité, dans le droit chemin. » Et il ajoute : « Que la Mère bien-aimée daigne regarder avec bonté et miséricorde, ceux-là même qui organisent les groupes des militants de l’athéisme et qui dirigent leurs activités ; qu’elle daigne illuminer leurs esprits de la lumière céleste, et que, par la divine grâce, elle oriente leurs cœurs vers le salut. » La première étape de la conversion des dirigeants « à la vérité, dans le droit chemin » est clairement indiquée à travers la mission que se donne le Pape : « Quand il s’agit de défendre la cause de la religion, de la vérité, de la justice et de la civilisation chrétienne, certainement Nous ne pouvons Nous taire ; mais ce à quoi tendent toujours Nos pensées et Nos intentions c’est que tous les peuples ne soient point gouvernés par la force des armes, mais par la majesté du droit, et que chacun d’eux, en possession des libertés civile et religieuse dans les limites de sa propre patrie, soit conduit vers la concorde, la paix et la vie laborieuse grâce auxquelles chaque citoyen peut se procurer les choses nécessaires à sa nourriture, à son logement, à l’entretien et à la direction de sa propre famille. »

A la lecture de ce texte, il est difficile de croire encore que la cause européenne était pour Pie XII simplement un moyen de faire bloc contre le communisme. Au contraire, Pie XII conscient des dangers que la « guerre froide » faisait courir à la paix du monde restait fidèle à sa conception de la supranationalité de l’Église⁠[57] et ouvrait une voie à la coexistence pacifique. Ce que souhaite Pie XII c’est « que le pont spirituel et chrétien, déjà existant en quelque mesure entre les deux rives acquière une stabilité plus grande et plus efficace […]. »⁠[58]

Durant son court mais fructueux pontificat, Jean XXIII n’a pas eu souvent l’occasion d’aborder la question européenne et ses préoccupations furent, nous l’avons vu, planétaires. Il n’empêche qu’il applaudit à « tout ce qui tend à rapprocher les hommes, à les faire collaborer pour le bien de leurs frères ». Cela « est particulièrement digne de respect et d’encouragement. Et, Dieu merci ! -c’est un des aspects les plus réconfortants du monde d’aujourd’hui - les unions nationales et internationales se sont multipliées […]. L’Église s’y intéresse tout spécialement. Elle considère, en effet, qu’un des meilleurs moyens d’assurer une paix solide et durable entre les hommes, c’est de les faire collaborer à des tâches positives intéressant leur véritable bien-être ».⁠[59] Une collaboration qui doit s’étendre, c’est une idée récurrente et fondamentale chez Jean XXIII qui doit s’étendre d’un continent à l’autre⁠[60].

Toutefois, dans une Lettre de la Secrétairerie d’État⁠[61] aux Semaines sociales de France⁠[62], on peut découvrir la pensée de Jean XXIII sur « l’Europe des personnes et des peuples » qui était le thème de ce rassemblement. Après avoir rappelé les avantages de l’union : promotion sociale, essor économique et contribution à la paix, le Secrétaire d’État précise que le rôle de l’Église en la matière est d’apporter les principes moraux qui doivent guider les hommes engagés sur le terrain temporel.

Quels sont les « buts à poursuivre », les « attitudes à prendre » et les « moyens à mettre en œuvre » ?

Le but : un bien commun propre constitué certes d’éléments économiques sociaux et politiques communs mais dont l’essence est un « vouloir-vivre collectif » exprimé « par des manières communes de penser, de sentir et de vivre ». La « force unificatrice » des « composantes économiques, sociales et politiques » est « l’esprit européen fondé sur la perception de valeurs spirituelles communes ». Le patrimoine « humaniste et universaliste » typique de l’Europe est constitué de « l’humanisme grec, avec son sens de l’équilibre, de la mesure et de la beauté » et de « l’esprit juridique romain, qui donne à chacun sa place et ses droits dans une communauté politique solidement structurée ». Mais, c’est surtout le christianisme « qui a modelé l’âme européenne », « qui a dégagé les traits de la personne humaine, sujet libre, autonome et responsable. ce personnalisme, qui respecte la vocation de chaque être et insiste sur la complémentarité du corps social, est la clé de voûte du patrimoine européen et rend intelligible tous ses éléments : richesses intellectuelles et morales, culturelles et artistiques, et jusqu’aux progrès techniques et scientifiques. »

L’Europe se construira « à partir des données nationales » mais elle sera l’œuvre non seulement des gouvernements mais aussi des peuples et en particulier des corps intermédiaires et de la famille. Les corps intermédiaires, organisations syndicales, associations économiques et culturelles, « constituent la structure fondamentale des relations entre les peuples ». Il faut donc que les corps intermédiaires de chaque nation nouent « entre eux, dans leurs domaines respectifs, des liens qui rendent effective leur solidarité. » Quant aux familles, « elles forment le centre vital de l’Europe des personnes et des peuples ». Elles doivent être respectées et soutenues par des emplois, de justes salaires, des prestations sociales spécifiques, des logements adaptés, des conditions de vie favorables à leur responsabilité et à leur stabilité.

Et pour clore, la Secrétairerie d’État renvoie ses lecteurs à l’enseignement de Jean XXIII sur le développement (Mater et Magistra) et au Discours de Pie XII au Conseil de l’Europe du 13 juin 1957.

Si, outre les gouvernements, les corps intermédiaires et les familles ont un rôle à jouer, il ne faut pas non plus négliger ce que l’école peut réaliser pour l’entente entre les peuples et dans la construction de l’Europe car là aussi, on peut travailler « à établir ou à resserrer entre les nations des liens de connaissance, d’estime et de sympathie réciproques ».⁠[63]

Sous le pontificat de Paul VI (1963-1978), les institutions européennes se consolident et les initiatives en faveur d’une union se multiplient. Les 6 pays fondateurs (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) sont rejoints en 1973 par l’Irlande, le Danemark et le Royaume-Uni. Paul VI suit continuellement avec attention et encouragement cette évolution.⁠[64] L’Europe, dira-t-il, est « une réalité magnifique qui mérite tout l’appui des meilleures forces ».⁠[65] Il évoquera avec reconnaissance les efforts des fondateurs⁠[66] et l’appui de ses prédécesseurs à la cause européenne.⁠[67]

Pourquoi tant d’intérêt pour la construction européenne ? Pourquoi Paul VI estime-t-il qu’il est « nécessaire et urgent »[68] de « faire » l’Europe ?

Les raisons données sont théologique, anthropologique, morale et économique.

Non seulement « Dieu a voulu que les hommes forment une seule famille et se considèrent comme des frères »[69] mais le désir d’union est aussi inscrit dans la nature de l’homme. Les divisions et les oppositions sont néfastes et « c’est à la lumière des exigences profondes de la nature humaine et de la vie en société que se manifeste le mieux la nécessité pour les hommes de se rapprocher, de s’aimer, d’unir leurs efforts pour réaliser enfin ce monde fraternel et vraiment humain auquel, consciemment ou non, tous les hommes et tous les peuples aspirent profondément. »[70] Le processus d’intégration européenne « correspond aux objectifs d’union et de paix, que nous nous sommes fixés pour nous-même ; il met en pratique les vertus de courage, de désintéressement, de confiance, d’amour, qui doivent former le fond de l’éducation civique d’un monde qui progresse à la lumière de la vocation chrétienne, la plus haute et la plus noble -des vocations humaines. »[71] L’Europe est aussi pour l’Église un patrimoine spirituel précieux : « tant de valeur de culture, de morale, de religion, sont impliquées dans l’idée d’Europe ».⁠[72] Comment L’Église pourrait-elle s’en désintéresser ?

De plus, l’idéal d’une Europe unie et pacifique est « moderne et sage » car il correspond à la réalité que vivent les peuples : « une étroite interdépendance d’intérêts ».⁠[73] « L’évolution spontanée de la vie fait de ce continent une communauté unie par un réseau de rapports techniques et économiques […] ».⁠[74] C’est une « gigantesque mutation » qui affecte tous les peuples. Dans ce cadre, une collaboration s’impose pour « faire face, de manière efficace, et donc concertée, aux graves problèmes économiques et sociaux, aux problèmes humains que posent le progrès technique, les échanges commerciaux, l’emploi, la migration, l’évolution culturelle, les conditions d’éducation. » et faire face aussi à « tout ce qui dégrade profondément les mœurs des individus et des familles »[75]

Mais un monde fraternel se construit petit à petit : « sur le chemin ardu de l’unité du monde, il y a des étapes ; et l’une de ces étapes, l’une des plus importantes, c’est l’unification de l’Europe »[76] et une « Europe pacifiée et unifiée » est « une nécessité vitale » même pour l’avenir du monde⁠[77].

Pour la paix, bien sûr : il ne faut pas oublier que les deux guerres mondiales qui ont marqué le XXe siècle, sont nées en Europe. Et d’une manière plus générale, on constate que les autres peuples « ont souvent les yeux fixés sur les pays européens »[78] si bien que les « efforts, orientés immédiatement vers la construction d’une Europe unie, contribuent également, d’une manière indirecte mais efficace, à l’avènement de la réconciliation entre tous les hommes et entre tous les peuples ».⁠[79]

L’Europe peut être un modèle. Pourquoi ? Parce que l’Europe a déjà connu des efforts d’unification dans le passé et qu’elle « est déjà une réalité »[80]. Paul VI rappelle « les tentatives d’unification politique » : l’Empire romain, les Empires carolingien et germanique qui ont été marqués par la « civilisation gréco-romaine » et plus encore par « une même culture chrétienne ». « Quelque chose de commun animait ce grand ensemble: c’était la foi. »[81]

L’Europe a un patrimoine, un héritage à défendre et à ranimer⁠[82] car elle a besoin « d’une mentalité unitaire », « d’une culture commune » sinon « l’unité européenne ne pourra pas être véritablement atteinte et lorsqu’elle sera atteinte pour certains objectifs particuliers, elle représentera une somme d’éléments étrangers les uns aux autres, peut-être en opposition les uns avec les autres. » A ce point de vue, « la foi catholique peut se montrer un coefficient d’une valeur incomparable pour faire pénétrer une vitalité spirituelle dans cette culture fondamentalement unitaire qui devrait constituer le souffle animateur d’une Europe socialement et politiquement unifiée. » ⁠[83]

Cette proposition de la part de l’Église cache-t-elle quelque ambition politique ? L’Église poursuit-elle « un dessein politique ? Nullement », répondra-t-il.⁠[84] A plusieurs reprises, Paul VI va rappeler l’indispensable distinction des pouvoirs et les rôles respectifs des autorités publiques et de l’Église: « L’Église, en ce qui la concerne, ne poursuit aucun dessein politique particulier. Elle n’a d’ailleurs pas compétence pour susciter les meilleures solutions politiques et les mettre en œuvre : cette responsabilité appartient à ceux qui ont reçu mandat à cet effet. » ⁠[85] Le rôle de l’Église est de « lancer des ponts entre les peuples », de diriger « les cœurs des hommes vers la paix entre l’homme et Dieu et vers la paix dans l’homme et parmi les hommes »[86], de « réveiller l’âme chrétienne de l’Europe où s’enracine son unité », mais les évêques ne sont pas « les artisans de l’unité au plan temporel, au plan politique ».⁠[87] Dans un message au Conseil de l’Europe⁠[88], Paul VI précisera encore que l’objectif du Saint-Siège n’est pas de « dominer le destin de ces peuples, mais [de] les aider à mieux le réaliser, conformément à leur identité profonde et pour le bien de tous. » Il ajoutera que l’Église, « dans le respect des divers courants de civilisation et des compétences propres de la société civile, […] propose son aide pour affermir et développer le patrimoine commun particulièrement riche en Europe et dont beaucoup d’éléments lui sont familiers, voire accordés. »

Sur le chemin de l’unité, les obstacles sont nombreux. Au cours de l’histoire, les nations européennes ont rompu l’unité en gestation et se sont opposées⁠[89]. Par ailleurs, « l’égoïsme » et « la volonté de puissance »[90] entraînent « le repli sur soi » et la « recherche de domination culturelle ou économique »[91].

Comment vaincre ces défauts, dépasser l’intérêt personnel, faire les sacrifices nécessaires en vue d’un bien commun et de la solidarité ?⁠[92] Comment arriver à une Europe « plus unie, plus dégagée des intérêts particuliers et des rivalités locales, et plus liée aux systèmes d’entraide mutuelle » ?⁠[93] Comment l’union peut-elle se réaliser alors qu’elle est l’objet de « conceptions différentes » ?⁠[94]

Il va sans dire que l’Europe ne peut se faire par la force c’est-à-dire qu’elle doit « éviter que l’unité ne soit imposée effectivement par des facteurs d’ordre extérieur et matériel, aux dépens des patrimoines intérieurs et spirituels pou par la force de la nécessité, à laquelle il serait difficile demain d’opposer une résistance efficace. »[95] L’Europe unie « ne doit pas être une création artificielle, imposée de l’extérieur ; elle doit au contraire surgir comme l’expression de la volonté de chacun des peuples ; elle doit se présenter comme un fruit de persuasion et d’amour et non comme un résultat technique, et peut-être même fatal, des puissances politiques et économiques ». Or, « l’opinion publique […] considère le problème de l’unification uniquement, ou avant tout, en fonction des avantages économiques qui en découleront, comme si les forces idéales de l’unification elle-même étaient un dérivé des forces économiques et devaient, par conséquent, être subordonnées à ces dernières. » Certes, « les avantages matériels réciproques peuvent favoriser les liens d’ordre spirituel, […] l’union sur le plan économique poursuivie jusqu’ici constitue certainement une base irremplaçable[96], mais elle n’absorbe qu’une partie des efforts qui doivent être faits pour arriver à une union pleine et agissante. Celle-ci suppose la diffusion d’une atmosphère sereine et cordiale dans les rapports réciproques, empreinte d’un sens aigu de la justice, de la compréhension, de la loyauté, du respect et spécialement de l’amour fraternel. C’est seulement ainsi que l’on donnera à l’idée de l’Europe unie sa richesse spirituelle et sa force morale, et que les consciences en arriveront à accepter toutes les conséquences pratiques et onéreuses que cette union comporte, en ne succombant pas à la tentation de recueillir uniquement les bénéfices sans endosser ainsi les risques de la solidarité, de céder à des sentiments égoïstes et de brimer les particularités culturelles de chaque peuple, qui doivent au contraire être respectées et mises en valeur, attendu que chaque culture apporte des valeurs originales et que toutes, par conséquent, doivent enrichir le patrimoine commun de l’Europe unie. »[97]

On ne peut « se limiter à signer des protocoles et à mettre solennellement la guerre hors la loi. L’histoire enseigne que de tels gestes se révèlent souvent, hélas ! théoriques et inefficaces ». ⁠[98] « Des structures juridiques » sont certes indispensables⁠[99] et « le salutaire rajeunissement de l’Europe passera par les chemins hardiment tracés et sans cesse révisés, de la concertation. »[100]. Mais il faut être bien conscient que l’élaboration de la communauté européenne « entraîne aussi des bouleversements économiques et sociaux fort complexes, qu’il importe de maîtriser, afin que, en définitive, cette mutation demeure […] au service de l’homme, de tout homme et de tout l’homme. » Il est indispensable d’éviter « un développement déséquilibré ». Or, les tâches sont nombreuses. Il s’agit, en effet et tout à la fois de protéger efficacement les droits de l’homme, « le plein emploi, la libre circulation de la main-d’œuvre, l’élévation du niveau de vie […], la sécurité de l’emploi et la protection de la santé […], le respect des personnes, leur intégration dans la société, leur participation responsable à la vie des communautés humaines, le soutien apporté aux valeurs morales, l’aide donnée à cette cellule fondamentale de la vie sociale qu’est une famille unie, la protection efficiente contre des fléaux qui se font de nos jours plus menaçants pour les jeunes, - telle la drogue dont il faut, à tout prix et sans retard, juguler la diffusion périlleuse-, la possibilité enfin assurée pour tous les groupes humains de satisfaire leurs exigences spirituelles les plus profondes »[101]. Or, « si l’un de ces éléments vient à manquer, c’est l’homme lui-même qui faillit à sa vocation et la civilisation qui peu à peu se désagrège, comme rongée de l’intérieur. »[102]

Pour réussir cette tâche, construire une Europe respectueuse de la personne humaine dans son intégralité⁠[103], il faut prioritairement et tout au long du processus d’intégration, que naisse ou renaisse un esprit commun, il faut former une « conscience européenne »[104] : l’évolution vers plus d’unité « ne demande pas mieux que d’être vivifiée par un même esprit, et d’être reconnue comme le fruit d’un long travail irréversible et bienfaisant. » Il faut que l’opinion publique, la plus large possible, soit persuadée de « l’excellence de la cause de l’Europe unifiée ».⁠[105] d’une certaine manière, « l’Europe sera « vécue », si l’on peut dire, avant d’être définie. La pratique précédera les textes »[106]. « Il est du devoir de tous, et spécialement du nôtre, de créer l’atmosphère morale nouvelle, qui peut faciliter la solution espérée. […] Ce doit être une mentalité d’estime réciproque, de collaboration mutuelle, de convergence progressive vers une paix active et un profit commun. C’est-à-dire une mentalité humaine plus large, plus généreuse, une mentalité spirituelle, à la formation de laquelle l’esprit chrétien, bien plus, universel et voire catholique, peut tellement aider. De l’ancienne chrétienté historique de l’Europe peut naître l’esprit de citoyenneté internationale, dont son progrès et sa paix ont besoin. pour elle et pour le monde. »⁠[107]

Comment définir cet « esprit », cette « conscience européenne », cette « mentalité humaine », cet « esprit de citoyenneté internationale » ?

Cet esprit doit manifester d’abord un attachement à des valeurs fondamentales : « les valeurs impérissables de la dignité de chaque être humain, de sa liberté et de sa responsabilité morale, de ses droits et de ses devoirs envers les autres hommes, la famille et l’État, telles que les proclame l’Église, constituent le fondement inébranlable de toute société ordonnée. Cet enseignement a formé l’Europe au cours des siècles passés et a favorisé un tel élan culturel qu’elle a pu devenir l’éducatrice d’autres peuples de la terre. Si dans la société pluraliste d’aujourd’hui, en dépit de tous les progrès techniques, la sécurité collective et la coexistence pacifique des peuples et des sociétés particulières sont tellement ébranlées, cela ne tient-il pas à ce qu’une loi morale valable pour tous a été écartée et répudiée ? »[108]

Parmi ces valeurs, Paul VI souligne la nécessité de « mettre au premier plan le respect des droits de l’homme, […] les affirmer et surtout […] les garantir pour tous les citoyens ». Or, il se fait que « la Convention européenne a voulu, pour cette région en hâter l’application de façon réaliste et efficace : les principes ont été réaffirmés avec plus de précision et de détails et surtout un mécanisme approprié a été mis en place afin d’en garantir la sauvegarde, en ménageant, pour les États et pour les individus, la possibilité d’un appel contre leur violation éventuelle. » Il faut donc « intensifier une éducation continuelle des gens, qui les forme, non seulement à revendiquer leurs droits fondamentaux et à respecter ceux des autres, mais aussi à assumer, en conscience et pour leur part, les devoirs qui correspondent à tous ces droits de l’homme. »[109] Ces devoirs et ces droits sont universels et les bons rapports entre les peuples présupposent, « malgré les diversités, même profondes, une base de civilisation humaine commune, se concrétisant en droits et en devoirs et permettant à tous de vivre tranquillement et de travailler utilement ensemble. »⁠[110]

Le pape se réjouit que constater que dans le préambule de son statut, le Conseil de l’Europe a inscrit « l’attachement aux valeurs humaines, spirituelles et morales, qui constituent le patrimoine commun des peuples de ce continent ». Ces valeurs ont surgi en Europe : « Par-delà un passé de guerres et de destructions, les valeurs communes issues de la vitalité des peuples anciens et divers, affinées par l’héritage gréco-romain, assainies, approfondies et universalisées par la foi chrétienne, ont reçu, au plan des principes juridiques, une expression renouvelée et efficace dans la Convention européenne des droits de l’homme, qui se présente comme une pierre milliaire sur le chemin de l’union des peuples : ne manifeste-t-elle pas la volonté sacrée de bâtir cette union sur le respect de la dignité de la personne, de ses libertés et de ses droits fondamentaux ? » La foi chrétienne a donc joué un rôle important qu’on ne peut nier :  »_ la tradition chrétienne, c’est un fait, est partie intégrante de l’Europe. Même chez ceux qui ne partagent pas notre foi, même là où la foi s’'est assoupie ou éteinte, les fruits humains de l’Évangile demeurent, constituent désormais un patrimoine commun qu’il nous appartient de développer ensemble pour la promotion des hommes_. »⁠[111] Paul VI réaffirmera cette réalité devant le Corps diplomatique en justifiant la présence du Saint-Siège à la Conférence d’Helsinki : « Mais au-delà, et nous pourrions dire bien au-dessus des aspects techniques et concrets des problèmes de la sécurité et de la coopération, il y avait précisément tout l’espace touchant aux principes suprêmes - éthiques et juridiques - qui doivent informer l’action et les rapports des États et des peuples. » Les « principes et normes, acceptés par tous les participants, se rattachent à un patrimoine idéal commun aux peuples de l’Europe. Cet héritage, nous pouvons l’ajouter, basé essentiellement sur le message évangélique que l’Europe a reçu et accueilli, est, en substance, également commun aux peuples des autres continents, y compris ceux qui n’appartiennent pas à ce qu’on appelle la civilisation chrétienne, du fait que le message chrétien interprète, là aussi, les exigences profondes de l’homme. »⁠[112]

L’analyse des valeurs conduit tout naturellement à rappeler l’importance de la foi chrétienne en Europe dans le passé mais aussi pour l’avenir. Les valeurs évoquées sont certes des valeurs humaines mais il ne faut pas oublier, comme le Pape le dira, qu’« il n’est […] d’humanisme vrai qu’ouvert à l’Absolu, dans la reconnaissance d’une vocation, qui donne l’idée vraie de la vie humaine ».⁠[113] L’évangélisation importe donc aussi à la construction de l’Europe. C’est ce que Paul VI va longuement développer dans un important discours aux évêques d’Europe : « Aux nations désormais politiquement distinctes et organisées en États libres et souverains, il reste à découvrir une expression communautaire et continentale de la fraternité des peuples, associés pour promouvoir une civilisation solidaire, animée naturellement d’un même esprit. […] On ressent en effet à nouveau aujourd’hui le besoin de l’union[114], mais d’abord au niveau d’une concertation indispensable sur des problèmes techniques, économiques, commerciaux, culturels, politiques. » Problèmes qui, comme on l’a déjà dit, qui constituent autant d’obstacles à vaincre. C’est pourquoi et « plus profondément, on rêve à nouveau d’une unité spirituelle, qui donne sens et dynamisme à tous ces efforts, qui restitue aux hommes la signification de leur existence personnelle et collective. Les pouvoirs politiques et techniques sont impuissants à produire cet effet, et ne pourraient l’imposer que par l’esclavage. […] Seule la civilisation chrétienne, dont est née l’Europe, peut sauver ce continent du vide qu’il éprouve, lui permettant de maîtriser humainement le progrès technique dont elle a donné le goût au monde, de retrouver son identité spirituelle et de prendre ses responsabilités morales envers les autres partenaires du globe. » Le rôle des évêques est donc de « réveiller l’âme chrétienne de l’Europe où s’enracine son unité ». Certes, « les conditions sont nouvelles par rapport à l’état de chrétienté qu’a connu l’histoire. Il y a une maturité civique…​ » que les évêques doivent respecter : ils ne sont pas « les artisans de l’unité au plan temporel, au plan politique ». Mais la foi reçue librement « donne un sens à la vie des hommes […], nourrit leur cœur d’une espérance non fallacieuse. elle leur inspire une vraie charité génératrice de justice et de paix, qui les pousse au respect de l’autre dans la complémentarité, au partage, à la collaboration, au souci des plus défavorisés. Elle affine les consciences. Dans le monde souvent clos sur sa richesse ou son pouvoir, rongé par les conflits, ivre de violence ou de défoulement sexuel, la foi procure une libération, une remise en ordre des facultés merveilleuses de l’homme.

L’unité qu’elle cherche n’est pas l’unification réalisée par la force, c’est le concert où les bonnes volontés harmonisent leurs efforts dans le respect des conceptions politiques diverses.  » Il est patent que « le processus de sécularisation touche profondément l’Europe chrétienne […] » et que « les valeurs évangéliques sont trop souvent comme désarticulées, axées sur des objectifs purement terrestres » mais « elles demeurent enracinées dans l’âme de la plupart de ces peuples européens ; elles continuent à les marquer ; elles peuvent être purifiées, ramenées à leur source, c’est le rôle de l’évangélisation.[…] C’est par ce chemin spirituel que l’Europe doit retrouver le secret de son identité, de son dynamisme ».⁠[115]

Reste une question : l’Europe unie sera-t-elle un bastion, une forteresse ou un continent ouvert sur le monde ?

Déjà en 1970, le Pape attire l’attention sur la situation des migrants de plus en plus nombreux, situation « aussi inique que dangereuse pour la paix sociale ! Et quelle tache pour une société pétrie de christianisme et initiée depuis tant de siècles à la justice et à la charité chrétienne. » Il ajoute que l’Europe doit garder le souci du tiers-monde : « éviter le repliement égoïste sur nous-mêmes et, il faut bien le dire, sur des privilèges et des talents que Dieu nous a donnés pour les mettre au service de tous nos frères ».⁠[116] Le monde a besoin d’une « vraie Europe qui fasse honneur à sa vocation historique de maîtresse de vrai progrès ».⁠[117] L’Europe « a bénéficié, plus que d’autres continents, d’une civilisation chrétienne.[…] Une telle Europe ne devrait-elle pas donner aujourd’hui l’exemple d’une civilisation vraiment humaine, qui ne soit pas seulement axée sur le potentiel économique et technologique, mais qui mette son point d’honneur à défendre les droits de la personne humaine ? »[118] Il faut  »…​créer les institutions capables de permettre à l’Europe un service plus efficace de la famille humaine tout entière. Est-ce trop dire que l’Europe, vu les faveurs dont la Providence l’a fait bénéficier, garde une responsabilité pour témoigner, dans l’intérêt de tous, de valeurs essentielles comme la liberté, la justice, la dignité personnelle, la solidarité, l’amour universel ? »[119].

Une unité construite sur les valeurs fondamentales évoquées, marquées du sceau du christianisme, exclut donc le repli sur soi et la recherche d’une domination quelconque. Son imprégnation chrétienne « implique au contraire compréhension et accueil des valeurs dont les autres peuples sont porteurs. »[120]


1. Notons tout d’abord que pendant longtemps, ce n’est pas le mot Europe dont l’étymologie est incertaine [soit, selon une tradition assyro-phénicienne, ereb, le pays du couchant, soit selon une tradition grecque, un prénom féminin, europê désignant « celle qui a de grands yeux », deux étymologies qui ne sont pas inconciliables] qui va désigner l’ensemble géographique et culturel que l’on sait mais plutôt le mot « chrétienté » qui fait coïncider une ère géographique et une relative unité culturelle. En 1937 encore, Pie XI appelle comme guide et modèle « une chrétienté, ayant repris conscience d’elle-même dans tous ses membres, rejetant tout partage, tout compromis avec l’esprit du monde, prenant au sérieux les commandements de Dieu et de l’Église, se conservant dans l’amour de Dieu et l’efficace amour du prochain... » (Encyclique Mit Brennender Sorge, 14 mars 1937, in Marmy, 260). Pie XII renchérira : « si l’Empire romain a posé les premiers fondements juridiques et culturels de l’Europe en diffusant la civilisation gréco-latine, le christianisme a modelé l’âme profonde des peuples, il a dégagé en eux, en dépit de leurs différences las plus marquées, les traits distinctifs de la personne libre, sujet absolu de droit et responsable devant Dieu non seulement de sa destinée individuelle, mais aussi du sort de la société où elle est engagée. » (Allocution au Collège de l’Europe de Bruges, 15 mars 1953).
   Quant à l’unité politique, c’est une autre histoire. Elle a existé partiellement et un temps avec l’empire de Charlemagne. L’émiettement féodal puis l’autonomie des royaumes se superpose à l’unité spirituelle manifestée par les ordres monastiques, les pèlerinages et les croisades. mais cette unité elle-même va être mise à mal par le néo-paganisme de la Renaissance, le schisme protestant. Léon XIII le soulignait : « Les commencements et les progrès de cette belle œuvre, héritage des siècles antérieurs, marchaient à d’heureux accroissements, quand soudain, au XVIe siècle, éclata la discorde. Alors, la chrétienté se déchira elle-même dans des querelles et des dissensions ; l’Europe épuisa ses forces dans des luttes et des guerres intestines ; et de cette période tourmentée, les expéditions apostoliques subirent le fatal contrecoup. » (Lettre apostolique Praeclara gratulationis, 20 juin 1894). Au XVIIIe siècle, ce sont les Lumières qui vont prendre le relais intellectuel et artistique de la foi chrétienne avant que les révolutions ne stimulent des nationalismes. Il faudra les cruelles guerres du XXe siècle pour susciter le désir d’une union politique afin de construire un espace de paix.
   Indépendamment de Charlemagne ou de Napoléon qui ont rêvé de reconstituer un empire, l’union politique a inspiré assez tôt quelques auteurs. On peut citer Dante, De la monarchie, 1310-1313 ; Georges de Podiebrad, roi de Bohême, Traité destiné à établi la paix dans toute la chrétienté (XVe s.) ; l’humaniste espagnol Luis Vives, Des conflits européens et de la guerre turque (1526) ; le moine Emeric Crucé, Le nouveau Cynée (XVIIe s.) ; Maximilien de Sully, Le grand dessein (XVIIe s.) ; le théologien morave Johan Amos Comenius, Consultation universelle sur l’amendement des choses humaines, « Déclaration adressée aux sommités de l’Europe », (XVIIe s.) ; le quaker William Penn, Essai d’un projet pour rendre la paix de l’Europe solide et durable par l’établissement d’une diète générale composée des députés de tous les princes et Etas souverains (fin XVIIe s.). A partir du XVIIIe s. les essais se multiplient : Charles-Irénée de Saint-Pierre, Leibnitz, Lilienfeld, Bentham, Kant, Saint-Simon, Scmidt-Phiseldek, Jastrzebowski, Stefan Zweig, Coudenhove-Kalergi, Alexis Léger, etc.. (Cf. Europe, épure d’un dessein, Conseil de l’Union européenne, 2006). Nous sommes là en présence d’une Europe qui apparaît « comme une réalité « laïque » porteuse d’un idéal de civilisation et, parce que fragmentée, d’une exigence d’unité » (CHENAUX Philippe, De la chrétienté à l’Europe, Les catholiques et l’idée européenne au XXe siècle, CLD, 2007, p. 37). Comme l’écrit ce professeur d’histoire à l’université pontificale du Latran, c’est l’Europe des Lumières contre la chrétienté médiévale, une Europe libérale et « nationalitaire ». L’auteur ne précise pas le sens qu’il donne à cet adjectif et ce qui pourrait le distinguer de « nationaliste ». Les dictionnaires ne sont pas non plus très explicites. Mais comme le mot est surtout employé dans un contexte colonial, on pourrait lui donner comme synonyme « communautaire » ou « identitaire ». Peut-être pouvons-nous nous référer à cette remarque : « Le discours nationalitaire est entendu ici comme un discours de revendication nationale […​] par opposition au discours nationaliste qui relève d’un nationalisme s’exprimant dans le cadre d’un État-Nation déjà constitué » ( OUAMARA Achour, Analyse du discours nationalitaire algérien (1930-1954), in Persée, 1986, volume 13, n°13, pp. 131-158).
2. Léon XIII constate qu’à travers l’Europe, on se prépare à la guerre. Alors que l’Europe s’est vue assigner par Dieu « le rôle de répandre peu à peu sur la terre les bienfaits de la civilisation chrétienne », la « discorde » règne depuis le XVIe siècle, moment où la « chrétienté » s’est déchirée. Il souhaite que se rétablisse « l’antique concorde, au profit du bien commun ».(Lettre apostolique Praeclara gratulationis, 20 juin 1894). L’Europe, confirmait Benoît XV, a pu « tendre à l’unité » grâce à l’esprit de l’Église. (Lettre encyclique Voici la paix, 23 mai 1920). Nous nous rappelons la dénonciation de Pie XI du « nationalisme exagéré » qui gangrène l’Europe. (Lettre encyclique Caritate Christi, 3 mai 1932).
3. Lettre apostolique Praeclara gratulationis.
4. « Obsédés de mutuelles suspicions, presque tous les peuples poussent à l’envi leurs préparatifs de guerre. De là d’énormes dépenses et l’épuisement du trésor public ; de là encore, une atteinte fatale portée à la richesse des nations, comme à la fortune privée : et on en est au point que l’on ne peut porter plus longtemps les charges de cette paix armée. » (Id..)
5. Patrick de Laubier insiste, lui, sur une autre division plus fondamentale : « Plutôt que d’opposer l’Orient et l’Occident, il faudrait plutôt distinguer deux grands courants, platonicien et aristotélicien, qui traversent l’histoire de la philosophie depuis les Grecs jusqu’à nos jours, et l’es suivre aussi bien en Russie, par exemple, qu’en Occident. il en résulterait une clarification, à notre avis fort utile, pour l’étude de la philosophie d’inspiration chrétienne ». (LAUBIER, P. de, La philosophie d’inspiration chrétienne en Europe, Editions universitaires, 1990, p. 11).
6. BRAGUE Rémi, L’Europe et le défi chrétien, in Communio, XV, 3-4, mai-août 1990, pp. 6-17.
7. « …​la paix qui a été inscrite dans les écrits solennels n’a pas été accompagnée de la paix des âmes : presque toutes les nations, celles de l’Europe surtout, continuent à être déchirées par des dissentiments…​ » (Au Consistoire, 21 novembre 1921).
8. Lettre encyclique Voici la paix, 23 mai 1920. Nous avons vu précédemment toute la défiance que le Pape nourrissait vis-à-vis de la Société des Nations « perçue comme d’origine protestante et anglo-saxonne où l’influence de la franc-maçonnerie semblait prédominante » (CHENAUX Philippe, op. cit., p. 26). En 1920, Benoît XV écrivait néanmoins : « Aux nations unies dans une ligue fondée sur la loi chrétienne, l’Église sera fidèle à prêter son concours actif et empressé pour toutes les entreprises inspirées par la justice et la charité » (Encyclique Pacem Dei munus, 1920).
9. Lettre encyclique Ubi arcano, 23 décembre 1922. Dans ce même texte, il portait ce jugement sévère sur la Société des nations : « Si quelque chose a été tenté jusqu’à ce jour, le résultat fut nul ou singulièrement modeste, surtout à propos des affaires où les compétitions entre les peuples deviennent plus acerbes. Nulle institution humaine n’existe, en effet, qui soit capable d’imposer à l’ensemble des nations un code de législation commune adaptée à notre époque ». Pie XI toutefois considéra comme un « sérieux progrès dans les voies que le Saint-Siège ne cesse d’exhorter à prendre » l’entrée de l’Allemagne dans la Société des Nations suite aux accords de Locarno (Allocution consistoriale, 14 décembre 1925).
10. Lettre encyclique Caritate Christi, 3 mai 1932. Il n’empêche que Pie XI écrivait dans Quadregesimo anno (15 mai 1931) : « Il convient aussi que les diverses nations, si étroitement solidaires et interdépendantes dans l’ordre économique, mettent en commun leurs réflexions et leurs efforts pour hâter, à la faveur d’engagements et d’institutions sagement conçus, l’avènement d’une bienfaisante et heureuse collaboration économique internationale. »
11. Une certaine idée de l’Europe, in Communio, XV, 3-4, mai-août 1990, p.139.
12. On constate d’emblée que le pape parle de l’Europe alors que, comme nous l’avons vu, les chrétiens se sont longtemps montré réticents vis-à-vis des projets antérieurs d’unification, jugés libéraux, anticatholiques et anti-romains jusqu’aux accords de Latran . Après la guerre 14-18, les catholiques allemands ou français parlent plus volontiers de l’Occident (cf. MASSIS Henri, Défense de l’Occident, Plon, 1927), terme qui cache, en fait « un nationalisme déguisé » (cf. CHENAUX Ph, op. cit., p. 42). Pie XII écrira : « L’Église catholique ne s’identifie pas à la civilisation occidentale ; elle ne s’identifie d’ailleurs à aucune civilisation. Mais elle est prête à conclure une alliance avec toute civilisation : elle reconnaît volontiers ce qui en chacune ne contredit pas le travail du Créateur, ce qui est conciliable avec la dignité de l’homme et ses droits et devoirs naturels ; mais, là-dessus elle plante le royaume de la vérité et de la grâce de Jésus-Christ et parvient ainsi à ce que les différentes civilisations, si étrangères qu’elles paraissent les unes aux autres, se rapprochent et deviennent vraiment sœurs. » (Lettre à Mgr Joseph Freundorfer, évêque d’Augsbourg, 27 juillet 1955). Dans les années trente, le mot chrétienté refait surface. Le pape Pie XI l’emploie (Ubi Arcano Dei) mais pour évoqué le passé. Charles Journet parle de « chrétientés » (La juridiction de l’Église sur la cité, Desclée de Brouwer, 1931) et J. Maritain de « nouvelle chrétienté » (Humanisme intégral, Problèmes temporels et spirituels d’une nouvelle chrétienté, Aubier, 1936) qui est « non pas « sacrale » comme au Moyen Age, mais « profane », c’est-à-dire pluraliste et ouverte aux valeurs du monde moderne (liberté, laïcité) ». ( CHENAUX ph., op. cit., p. 50).
13. Lettre encyclique Summi Pontificatus, 20 octobre 1939.
14. Allocution du 24 décembre 1939.
15. Radio-message 24 décembre 1941.
16. Radio-message, 9 mai 1945.
17. Radio-message, 24 décembre 1947.
18. Homélie à Saint-Paul-Hors-les-Murs, 18 septembre 1947.
19. Lettre encyclique Fulgens radiatur, 21 mars 1947.
20. Discours aux membres du Congrès des échanges internationaux.
21. Pie XII dira : « En tout cas, si aujourd’hui des personnalités politiques conscientes de leurs responsabilités, si des hommes d’État travaillent pour l’unification de l’Europe, pour sa paix et la paix du monde, l’Église ne reste vraiment pas indifférente à leurs efforts. Elle les soutient plutôt de toute la force de ses sacrifices et de ses prières ». (Discours aux pèlerins de Pax Christi, 13 septembre 1952).
22. La désignation a eu lieu le 4 mai 1948.
23. Radio-message, 24 décembre 1953.
24. Allocution au Collège de l’Europe de Bruges, 15 mars 1953. Durant la guerre déjà, Pie XII jouant avec une expression à la mode à l’époque définissait ce qu’il entendait par « ordre nouveau » ( Radio-messages, 24 décembre 1940 et 24 décembre 1941) ou « esprit nouveau » (Radio-message, 13 avril 1941).
25. Lettre à la fédération des femmes catholiques allemandes, 17 juillet 1952.
26. « Mais, ajoute-t-il, elle est disposée à faire alliance avec chacune ; elle reconnaît volontiers ce qui, dans chacune d’elles, n’est pas en contradiction avec l’œuvre du Créateur, ce qui est conciliable avec la dignité de l’homme et avec ses droits et devoirs naturels, mais elle y implante la richesse de la vérité et de la grâce de Jésus-Christ, ,obtenant ainsi que les différentes cultures, si étrangères qu’elles paraissent les unes aux autres, se rapprochent et deviennent vraiment sœurs. »
27. Lettre à l’évêque d’Augsbourg, 27 juin 1955.
28. Discours, 27 novembre 1957.
29. Le matérialisme, dira-t-il, qui « exaspère au lieu de les résoudre, ces problèmes fondamentaux étroitement liés à la paix et à l’ordre du monde entier. » (Radio-message, 24 décembre 1953). Plus largement et pour « une Europe plus unie et plus fraternelle », il invitera à « rejeter sans hésiter les philosophies destructrices de l’homme ». (Discours à la Campagne européenne de la jeunesse, 19 novembre 1956). Pour que l’Europe ne se perde pas dans le matérialisme, seul « le catholicisme, entendu comme doctrine et comme action, peut apporter une précieuse contribution quand il s’agit de conserver le fondement spirituel et moral de la civilisation européenne en ce qu’elle a de véritable et de meilleur. » (Discours au Président de la RFA, 27 novembre 1957).
30. Discours au Congrès de l’Action catholique italienne, 23 juillet 1952.
31. Discours au Collège d’Europe, 15 mars 1953.
32. Créée pour 50 ans, elle n’existe plus depuis 2002. Elle regroupait Les trois pays du Benelux, l’Italie, la France et la RFA.
33. Traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom). Initialement créé pour coordonner les programmes de recherche des États en vue d’une utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, le traité Euratom contribue de nos jours à la mise en commun des connaissances, des infrastructures et du financement de l’énergie nucléaire. Il assure la sécurité de l’approvisionnement en énergie atomique dans le cadre d’un contrôle centralisé.
(cf. http://europa.eu/legislation_summaries/institutional_affairs/treaties/treaties_euratom_fr.htm)
34. Il constituait la base de la Communauté économique européenne. Il reposait alors sur l’union douanière permettant la libre circulation des produits dans la CEE.
35. Discours aux parlementaires de la CECA, 4 novembre 1957.
36. Très lucidement, Pie XII précise toutefois qu’« il serait erroné de croire que l’ordre nouveau naîtra de lui-même sous la pression des seuls facteurs économiques. la nature humaine, alourdie par le péché, n’engendre que le désordre, si on la livre à ses seuls appétits. Il faut un droit reconnu, il faut un pouvoir capable de le faire observer. »
37. CHENAUX Ph., op. cit., pp. 91-92. L’historien suisse a longuement développé sa thèse dans son livre Une Europe vaticane ? Entre le plan Marshall et les traités de Rome, Ciaco, 1990. Il montre et démontre que les démocrates-chrétiens sont très divisés quant aux limites de l’Europe ou encore quant à la forme de son unité.
38. « Saint Benoît est le Père de l’Europe. Lorsque l’Empire romain s’effondra, consumé de vétusté et de vices, et que les barbares se ruèrent en foule sur ses provinces, cet homme, que l’on a appelé le dernier des grands Romains (s’il m’est permis d’user du mot de Tertullien), alliant à la fois la romanité et l’Évangile, puisa en ces deux sources pour unir puissamment les peuples de l’Europe sous l’étendard et l’autorité du Christ et créer heureusement un régime chrétien. Car c’est un fait que, de la mer Baltique à la Méditerranée, de l’Océan atlantique aux plaines de Pologne, des légions bénédictines se sont répandues, adoucissant les nations rebelles par la Croix, les livres et la charrue. » ( Homélie à Saint-Paul-hors les Murs, 18 septembre 1947).
39. L’auteur cite en particulier l’influence du livre de Friedrich Novalis, Die Christenheit oder Europa, Ein Fragment, 1799.
40. Ph. Chenaux cite Hilaire Belloc, Gilbert K. Chesterton, T.S. Eliot, Christopher Dawson.
41. Allocution aux nouveaux cardinaux, 20 février 1946.
42. Discours aux Délégués du Congrès international de l’Union européenne des fédéralistes, 11 novembre 1948.
43. Discours du 6 décembre 1953. Ce texte est une des huit références à Pie XII dans la déclaration Dignitatis humanae (note 34).
44. « Un mandat ou une autorisation de ce genre n’auraient pas force obligatoire et resteraient inefficaces. Aucune autorité ne pourrait les donner parce qu’il est contre-nature d’obliger l’esprit et la volonté de l’homme à l’erreur et au mal ou de considérer l’un et l’autre comme indifférents. » (id.).
45. Pie XII se réfère à la parabole du bon grain et de l’ivraie (Mt 13, 24-30).
46. Quels sont encore, durant le pontificat de Pie XII, les États qui peuvent être considérés comme catholiques ? En Europe : la Tchécoslovaquie (jusqu’en 1948), l’Espagne (jusqu’en 1978), l’Italie (jusqu’en 1984), le Liechtenstein (jusqu’en 2012) , Andorre, Malte et Monaco. Ailleurs, on peut citer l’Argentine, le Costa Rica et la République dominicaine.
47. Cf. Somme théologique IIa IIae, q. 10, a.11: « Le gouvernement humain est une dérivation du gouvernement divin et doit en être une imitation. Dieu justement, bien qu’il soit tout-puissant et souverainement parfait, permet néanmoins qu’il se produise des maux dans l’univers : ces maux, qu’il pourrait empêcher, il les laisse faire de peur que, s’ils étaient supprimés, de plus grands biens ne le fussent aussi, ou même que des maux pires ne s’ensuivissent. par conséquent il en est aussi de même dans le gouvernement humain: ceux qui sont en chef tolèrent à bon droit quelques maux, de peur que des maux pires ne soient encourus. […​] En ce sens-là, par conséquent, bien que les infidèles pèchent dans leurs rites, ceux-ci peuvent être tolérés soit à cause du bien qui en provient, soit à cause du mal qui est évité. »
48. Par exemple, dans Libertas Praestantissimum, (20 juin 1888) : « …​ tout en n’accordant de droits qu’à ce qui est vrai et honnête, [l’Église] ne s’oppose pas cependant à la tolérance dont le pouvoir public croit pouvoir user à l’égard de certaines choses contraires à la vérité et à la justice, en vue d’un mal plus grand à éviter ou d’un bien plus grand à obtenir pou à conserver. » (In Marmy, 91).
49. Allocution à la colonie des Marches à Rome, à Rome, 23 mars 1958.
50. Humanisme intégral, Aubier, 1937, p. 115. Lire aussi à propos de la « nouvelle chrétienté », bien différente de l’ancienne, MARITAIN J., L’homme et l’État, Desclée de Brouwer, 2009, pp. 180-188.
51. Résumé du Décret in Documents pontificaux de sa Sainteté Pie XII, 1949, Labergerie-Warny, 1951, p. 248.
52. Comment seraient libres ces hommes « qui, par exemple, dans le domaine économique ou social voudraient tout faire retomber sur la société, même la direction et la sécurité de leur existence ; ou qui attendent aujourd’hui leur unique nourriture spirituelle quotidienne, toujours moins d’eux-mêmes - c’est-à-dire de leurs propres convictions et connaissances - et toujours plus, déjà préparée, de la presse, de la radio, du cinéma, de la télévision […​]. Cela veut dire que ces hommes ne sont plus que de simples rouages dans les divers organismes sociaux ; ce ne sont plus des hommes libres, capables d’assumer ou d’accepter une part de responsabilité dans les affaires publiques. »
53. Lettre apostolique aux catholiques de Chine (18 janvier), Lettre apostolique aux catholiques de Roumanie (27 mars), Lettre apostolique aux peuples de Russie (7 juillet) auxquelles on peut ajouter la Lettre encyclique Orientales ecclesias adressée aux Églises orientales (15 décembre).
54. Voici ce que le Pape déclara alors : « En aucune occasion Nous n’avons voulu dire un seul mot qui fût injuste ni manquer à Notre devoir de réprouver toute iniquité, tout acte digne de réprobation, en évitant néanmoins, alors même que les faits l’eussent justifiée, telle ou telle expression qui fût de nature à faire plus de mal que de bien, surtout aux populations innocentes courbées sous la férule de l’oppresseur. Nous avons eu la préoccupation constante d’enrayer un conflit si funeste à la pauvre humanité. C’est pour cela, en particulier, que Nous Nous sommes gardé, malgré certaines pressions tendancieuses, de laisser échapper de Nos lèvres ou de Notre plume une seule parole, un seul indice d’approbation ou d’encouragement en faveur de la guerre entreprise contre la Russie en 1941. Assurément, nul ne saurait compter sur Notre silence dès lors que sont en jeu la foi ou les fondements de la civilisation chrétienne. Mais, d’autre part, il n’est aucun peuple à qui Nous ne souhaitions avec toute la sincérité de Notre âme de vivre dans la dignité, dans la paix, dans la prospérité à l’intérieur de ses frontières. Ce que Nous avons eu toujours en vue dans toutes les manifestations de Notre pensée et de Notre volonté, c’était de reconduire les peuples du culte de la force au respect du droit et de promouvoir entre tous la paix, paix juste et solide, paix apte à garantir à tous une vie au moins tolérable. »
55. « Nous savons que beaucoup d’entre vous conservent la Foi chrétienne dans le sanctuaire secret de leur propre conscience ; qu’en aucune manière ils ne soutiendront les ennemis de la religion. Nous savons encore qu’ils désirent ardemment non seulement croire en secret, mais aussi, comme il convient à des hommes libres, affirmer publiquement, si possible, les principes chrétiens qui sont le fondement unique et sûr de la vie de la cité. »
56. On peut lire à ce sujet LAURENTIN René, Comment la Vierge Marie leur a rendu la liberté, OEIL, 1991.
57. Déjà dans son Radio-message de Noël 1947, il déclarait : « Notre position entre les deux partis opposés est exempte de toute prévention, de toute préférence envers l’un ou l’autre peuple, envers l’une ou l’autre des nations, comme elle est étrangère à toute considération d’ordre temporel. Etre avec le Christ ou contre le Christ, voilà toute la question. » Plus largement, le Concile déclarera : « L’Église, envoyée à tous les peuples de tous les temps et de tous les lieux, n’est liée d’une manière exclusive et indissoluble à aucune race ou nation, à aucun genre de vie particulier, à aucune coutume ancienne ou récente. constamment fidèle à sa propre tradition et tout à fait consciente de l’universalité de sa mission, elle peut entrer en communion avec les diverses civilisations: d’où l’enrichissement qui en résulte pour elle-même et les différentes cultures ». (GS, 58, § 3).
58. Radio-message de Noël 1954.
59. Discours au Comité de santé de l’Union européenne, 12 avril 1960.
60. Cf. Discours à la Conférence parlementaire euro-africaine réunissant des Délégués de l’Assemblée parlementaire européenne et des Pays d’Outre-mer associés à la Communauté économique européenne, 26 janvier 1961.
61. De 1961 à 1969, ce fut le cardinal Cicognani (1883-1973) qui fut secrétaire d’État. Toutefois, vu son âge, il fut assisté de Mgr Benelli (1921-1982) créé cardinal en 1977, archevêque de Florence la même année.
62. 19 juillet 1962.
63. Discours au Comité de la Journée européenne de l’école, 11 février 1963.
64. On relève 45 discours, allocutions et messages in L’Europe unie, Dans l’enseignement des papes, Solesmes, 1981.
65. A la société Marvin Gelber, 12 mars 1969. Le 24 octobre 1964, Paul VI déclarera saint Benoît patron et protecteur de l’Europe (Bref Pacis nuntius) : « Foi et unité, que pourrions-nous souhaiter de meilleur pour le monde entier, et spécialement pour cette portion de choix qu’est l’Europe ? » (Au mont-Cassin, le même jour). Le pape invite aussi à prier pour l’Europe : « Nous savons comment en ce terme géographique se trouvent réunis les éléments d’une tradition séculaire, déterminants pour la civilisation moderne et pour celle de l’avenir ». (Angélus, 23 février 1969).
66. Il rend hommage à Robert Schuman, Alcide de Gasperi et Conrad Adenauer. (A la Commission du Conseil de l’Europe, 5 mai 1975). Outre ces trois personnalités, on peut citer aussi Joseph Bech (Luxembourg), Johan Beyen (Pays-Bas), Winston Churchill (Royaume uni), Walter Hallstein (Allemagne), Sicco Mansholt (Pays-Bas), Jean Monnet (France), Paul-Henri Spaak (Belgique), Altiero Spinelli (Italie) (cf. http://europa.eu/about-eu/eu-history/index_fr.htm).
67. Discours aux Instituts d’Etudes européennes, 29 avril 1967.
68. Au Chancelier de la RFA, 13 juillet 1970. Il faut « que le processus d’intégration européenne se poursuive sans retards inutiles ». (A de jeunes démocrates-chrétiens, 31 janvier 1964).
69. Lettre du Secrétaire d’État à la Fédération des hommes catholiques, 29 octobre 1977. « il est pleinement conforme à la conception chrétienne de la coexistence humaine qui tend à faire du monde une seule famille de peuples frères » (Au Congrès du Centre « Jeune Europe », 8 septembre 1965).
70. Discours à des journalistes de pays membres de la CEE, 17 avril 1967
71. Discours à de jeunes démocrates-chrétiens, 31 janvier 1964
72. Aux Instituts d’Etudes européennes, 29 avril 1967.
73. Au Congrès du Centre « Jeune Europe », 8 septembre 1965. La tentation peut être grande de se replier su soi ou sur des amis puissants mais il faut se rendre à l’évidence, aujourd’hui, « il ne peut plus exister d’économies nationales closes, se suffisant à elles-mêmes ». (A la Conférence parlementaire euro-africaine, 1er février 1974).
74. Au Mouvement européen, 9 novembre 1963.
75. Au Président du Parlement européen, 9 novembre 1973.
76. Discours à la Conférence européenne des télécommunications, 20 avril 1967.
77. A des membres du Parlement européen, 14 octobre 1964. « L’équilibre de tout un continent est chose tellement grave pour la bonne marche de la société tout entière et pour la paix du monde, que l’Église, soucieuse du véritable bien des hommes , ne peut s’en désintéresser. » (Aux Instituts d’Etudes européennes, 29 avril 1967).
78. Au Président du Parlement européen, 9 novembre 1973.
79. A la Commission du Conseil de l’Europe, 5 mai 1975.
80. Au Mouvement européen, 9 novembre 1963.
81. Aux évêques d’Europe, 18 octobre 1975. L’Europe est « une expression solidaire et unique de peuples, bien différenciés certes par des caractères spécifiques, mais en même temps foncièrement unis par une fraternité qui autrefois s’appelait « chrétienté », et qui maintenant peut toujours s’appeler « civilisation chrétienne ». » (Au Séminaire européen de la jeunesse, 23 juillet 1963).
82. « Cette Europe de demain, mais qui est déjà en gestation, devra reposer sur le patrimoine humain, moral et religieux inspiré en grande partie par l’Évangile, qui a assuré et continue d’assurer à ce continent un rayonnement unique dans l’histoire des civilisations. » (A des membres du Parlement européen, 14 octobre 1964).
83. Aux congressistes de la FUCI (Fédération des universitaires catholiques italiens), 2 septembre 1963.
84. A la CEE et à l’EURATOM, 29 mai 1967.
85. A la Commission du Conseil de l’Europe, 2 septembre 1968.
86. Au Chancelier de la RFA, 13 juillet 1970.
87. Aux évêques d’Europe, 18 octobre 1975.
88. 26 janvier 1977.
89. « La Réforme […​] a contribué à une dispersion ». « L’avènement de la science, de la technique, celui de la richesse productive ont donné lustre et puissance à l’Europe, ils ne lui ont pas redonné une âme. L’époque des révolutions a vu s’accentuer le morcellement, l’indépendance. Les nations se sont affermies dans leur diversité, en s’opposant bien souvent.Nous assistons toujours à des divisions très marquées entre les nations et à l’intérieur des nations. » (Aux évêques d’Europe, 18 octobre 1975). Dans une Lettre adressée à Mgr Casaroli, le 25 juillet 1975, à propos de la participation du Saint-Siège à la Conférence d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe, il relativise l’idée de « division » : l’histoire de l’Europe, écrit-il, « offre un caractère assurément singulier, aussi bien par l’étonnante abondance des richesses de l’esprit humain que par la densité d’événements significatifs ». Une très grande variété de peuples, de langues, de traditions, « composent l’Europe plutôt qu’ils ne la divisent ». Reste malgré tout un « héritage commun » : « celui-ci se base essentiellement sur le message chrétien, annoncé à toutes ses populations qui l’ont accueilli et fait leur ; il comprend, en plus des valeurs sacrées de la foi en Dieu et du caractère inviolable des consciences, les valeurs de l’égalité et de la fraternité humaines, de la dignité de la pensée consacrée à la recherche de la vérité, de la justice individuelle et sociale, du droit conçu comme critère de comportement dans les rapports entre le citoyens, les institutions, les États. » C’est là un « patrimoine unique et indestructible ».
90. Au Corps diplomatique, 12 janvier 1976.
91. Lettre du Secrétaire d’État à la Fédération des hommes catholiques, 29 octobre 1977.
92. Cf. Message au Conseil de l’Europe, 26 janvier 1977.
93. Au Mouvement européen, 9 novembre 1963.
94. Au Congrès du Centre « Jeune Europe », 8 septembre 1965.
95. Au Mouvement européen, 9 novembre 1963.
96. L’Europe des Six (à l’époque) « est en train de devenir, grâce aux institutions qu’elle s’est données, un facteur économique de première importance pour le bon équilibre de la communauté humaine. » (Discours à la CEE et à l’EURATOM, 29 mai 1967).
97. Discours au Congrès du Centre « Jeune Europe », 8 septembre 1965.
98. Discours à la CEE et à l’EURATOM, 29 mai 1967.
99. Discours au Mouvement européen, 9 novembre 1963.
100. Aux organisations hospitalières du Marché commun, 22 novembre 1972.
101. A la Commission sanitaire du Parlement européen, 16 avril 1970. Très au courant des difficultés du monde rural, le Pape insistera aussi sur la nécessité de coordonner les projets et les réalisations pour un développement authentique du monde rural. (Aux ministres de l’agriculture de la CEE, 16 septembre 1971).
102. A la Commission sanitaire du Parlement européen, 16 avril 1970.
103. « Il ne s’agit pas seulement d’avoir plus, mais surtout d’être plus. […​] Comment l’Europe pourrait-elle en effet prétendre au développement des autres peuples si, en son propre sein, ce développement ne prenait pas toutes ses dimensions, économique, politique, sociale, culturelle et spirituelle ? L’homme, même repu, ne sera jamais satisfait si son dynamisme n’est pas orienté vers des buts qui le dépassent. » (A de jeunes agriculteurs européens, 14 décembre 1973).
104. Au Congrès du Centre « Jeune Europe », 8 septembre 1965.
105. Au Mouvement européen, 9 novembre 1963.
106. A la Conférence européenne des télécommunications, 20 avril 1967.
107. Angélus, 23 février 1969.
108. Au Président du parlement européen, 25 novembre 1971.
109. Au colloque sur la Convention européenne des droits de l’homme, 7 novembre 1975
110. Au Corps diplomatique, 12 janvier 1976.
111. Message au Conseil de l’Europe, 26 janvier 1977.
112. Au Corps diplomatique, 12 janvier 1976. L’Europe « a déjà connu dans son passé une conscience commune et une unité imprégnées de valeurs chrétiennes, valeurs qu’il faut conserver et approfondir pour qu’elles inspirent encore son évolution actuelle. » (Lettre du Secrétaire d’État à la Fédération des hommes catholiques, 29 octobre 1977 ; de 1969 à 1979, c’est le cardinal Villot qui fut Secrétaire d’État).
113. Lettre encyclique Populorum progressio, n° 42, 1967, citée à de jeunes agriculteurs européens, 14 décembre 1973.
114. Devant la volonté des Européens de s’unir, le Pape ne peut s’empêcher de demander: « Qui ne voit la résonance profondément humaine de l’esprit évangélique de fraternité et du renoncement qu’elle implique ? (Message au Conseil de l’Europe, 26 janvier 1977).
115. Aux évêques d’Europe, 18 octobre 1975.
116. A la Commission sanitaire du Parlement européen, 16 avril 1970.
117. Au Président du parlement européen, 25 novembre 1971.
118. Au colloque sur la Convention européenne des droits de l’homme, 7 novembre 1975.
119. Message au Conseil de l’Europe, 26 janvier 1977.
120. Lettre du Secrétaire d’État à la Fédération des hommes catholiques, 29 octobre 1977