f. Le commerce des armes et la prolifération des armes nucléaires
Déjà dans son premier Message pour la Journée mondiale de prière pour la paix, Benoît XVI s’inscrit avec force dans le mouvement lancé par Pie XII avant même que n’explose la première bombe nucléaire le 6 août 1945[1]. Mouvement qui s’est renforcé après le premier bombardement nucléaire et a, depuis, développé ses raisons et principes dans nombre de documents magistériels.
Benoît XVI rappelle le grave défi « de l’augmentation des dépenses militaires ainsi que du maintien et du développement des arsenaux nucléaires. d’énormes ressources économiques sont absorbées à ces fins, alors qu’elles pourraient être destinées au développement des peuples, surtout des plus pauvres. » Il souhaite que « soient prises des décisions efficaces en vue d’un désarmement progressif, visant à libérer l a planète des armes nucléaires. Plus généralement, [il] déplore que la production et l’exportation des armes contribuent à perpétuer conflits et violences […]. A l’incapacité des parties directement impliquées à s’extraire de la spirale de violence et de douleur engendrée par ces conflits, s’ajoute l’apparente impuissance des autres pays et des organisations internationales à ramener la paix, sans compter l’indifférence quasi résignée de l’opinion publique mondiale. »[2]
Et plus précisément encore : « Que dire ensuite des gouvernements qui comptent sur les armes nucléaires pour garantir la sécurité de leurs pays ? Avec d’innombrables personnes de bonne volonté, on peut affirmer que cette perspective, hormis le fait qu’elle est funeste, est tout à fait fallacieuse. En effet, dans une guerre nucléaire, il n’y aurait pas de vainqueurs, mais seulement des victimes.
La vérité de la paix demande que tous - aussi bien les gouvernements qui, de manière déclarée ou occulte, possèdent des armes nucléaires depuis longtemps, que ceux qui entendent se les procurer- changent conjointement de cap par des choix clairs et fermes, s’orientant vers un désarmement nucléaire progressif et concordé. Les ressources ainsi épargnées pourront être employées en projets de développement au profit de tous les habitants et, en premier lieu, des plus pauvres.
Augmentation préoccupante des dépenses militaires ; commerce des armes toujours prospère ; le processus politique et juridique mis en œuvre par la Communauté internationale pour renforcer le chemin du désarmement stagne dans le marécage d’une indifférence quasi générale. Quel avenir de paix sera un jouir possible si on continue à investir dans la production des armes et dans la recherche employée à en développer de nouvelles ? […] Que la Communauté internationale sache retrouver le courage et la sagesse de relancer résolument et collectivement le désarmement, donnant une application concrète au droit à la paix, qui est pour tout homme et pour tout peuple. »[3]
Benoît XVI s’inscrit bien dans la ligne de ses prédécesseurs. Rien de nouveau apparemment si ce n’est, et c’est très important, l’insistance sur le lien qu’il établit entre la paix et le dialogue entre la foi et la raison : « il ne peut y avoir non plus de paix dans le monde sans paix véritable entre raison et foi ». Pourquoi ? Parce que « sans paix entre raison et religion, les sources de la morale et du droit tarissent. » C’est le terrorisme islamique qui inspire cette réflexion. Le danger serait, en effet, de considérer que nous sommes impliqués dans une confrontation entre le monde de la raison, le monde occidental, et le monde de la religion fondamentaliste. Or, il y a des « pathologies de la raison » et des « pathologies de la religion » qui sont des « dangers mortels » pour la paix et l’humanité entière.
La religion devient maladie lorsque Dieu est identifié à des intérêts particuliers, à une communauté particulière. Le bien et le droit deviennent mon bien et mon droit absolus servis par une volonté qui peut devenir fanatique. On peut penser à un certain islam comme à certaines sectes occidentales. La foi en Dieu manipulée devient destructrice.
La raison aussi peut devenir maladie lorsqu’elle se coupe totalement de Dieu et prétend construire un homme et un monde nouveaux. On pense à Hitler, aux adeptes de Marx, à Pol Pot mais on déplore aussi la réduction de ce qui est rationnel à ce qui est vérifiable, contrôlable expérimentalement, manufacturable et falsifiable. L’homme n’est plus qu’un produit et la morale comme la religion ne sont plus que des phénomènes subjectifs. Disparaît la possibilité de trouver des « critères communs, « objectifs », de la moralité. » On ne peut plus parler de bien ou de mal en soi. Le faire est assimilé au fondamentalisme. Ne peut être bien que ce qui sert à construire le monde nouveau en « déconstruisant » l’ancien, le monde de la dignité de la personne, le monde où même le faible, le malade, le handicapé est respecté.
Or, seule la raison, ratio et intellectus, dans toute sa capacité à pénétrer « les couches les couches les plus profondes de l’être », à percevoir le bien, « condition du droit et par là également présupposé de la paix dans le monde », à percevoir le bon, le sacré, le saint, une raison ouverte à Dieu, peut « parer la manipulation de la notion de Dieu et les maladies de la religion, et offrir des remèdes. »
Le monde, à la recherche de la paix, a besoin de Dieu Logos et Amour, Raison et Relation. Une raison créatrice qui a créé l’homme à l’image de Dieu, l’homme qui participe par le fait même « de la dignité inviolable de Dieu », fondement de ses droits. Un amour qui refuse catégoriquement « toute idéologie de la violence ». Mais Dieu est aussi le Juge auquel « tous les hommes devront rendre compte ». Enfin, le Royaume de Dieu n’est pas de ce monde mais il « advient par la foi, l’espérance et la charité, et doit transformer le monde de l’intérieur » au sein d’un État laïc nécessaire à la cohabitation de gens différents mais non laïciste. L’Eta laïciste, bâti sur la seule raison, refusant son héritage historique ne peut « éviter le conflit avec les cultures […] hostiles » au christianisme.[4]