iii. Paul VI (1963-1978)
Paul VI fut acteur et héritier du Concile. Tout son pontificat a été marqué aussi par des guerres, des luttes et des menaces de conflits aux quatre coins du monde : au Moyen-Orient, en Afrique[1] et surtout « en Asie orientale » ( Viêt Nam). A cela s’joutent « la course aux armements nucléaires, l’ambition incontrôlée d’expansion nationale, l’exaltation démesurée de la race, les tendances subversives, la séparation impose entre citoyens d’un même pays, les manœuvres criminelles, le meurtre de personnes innocentes ».[2]
Toutes les prises de position du Saint-Père seront évidemment conformes à l’enseignement du Concile qui couronne, pourrait-on dire, la réflexion des Souverains Pontifes du XXe siècle.
Epinglons quelques interventions.
Déjà en 1953, J.-B. Montini alors prosecrétaire d’État, déclarait à la 40e semaine sociale de France : « Or, malgré la sévère leçon des événements, trop de chrétiens encore restent sourds aux avertissements de la Papauté. Combien, par exemple, continuent de s’enfermer dans les étroitesses d’un nationalisme chauvin, incompatible avec le courageux effort d’ouverture sur la communauté mondiale demandé par les derniers papes ? Mais plus nombreux, sans doute, ceux qui n’ont pas renoncé « à l’action contre toute inaction et toute désertion ; dans la grande bataille spirituelle dont l’enjeu est l’édification ou mieux l’âme même de la société future ! » (Radiomessage de Noël 1942). Ainsi tout en se réjouissant de l’admirable générosité de tant de catholiques qui œuvrent patiemment pour la paix du monde, se prend-on parfois à songer qu’il y a un demi-siècle, on assistait, hélas !, sur un autre point d’égale gravité, à semblable contraste entre la fermeté clairvoyante d’un grand Pontife, et les timidités, les doutes et les égoïsmes d’un trop grand nombre ».
Plus tard, dans son Allocution lors de l’audience générale du 26 août 1964 à l’occasion de l’anniversaire des deux guerres mondiales, il évoque les réactions aux messages de ses prédécesseurs en faveur de la paix. Pie XII ne fut pas entendu en 1939. Auparavant, la parole de Benoît XV « trouva peu d’accueil et fut inefficace » « auprès des gouvernants des nations et des responsables de l’opinion publique ». Qui plus est, Pie X si « doux et humain » fut accusé « d’avoir une part de responsabilité dans le déclenchement de la guerre de 1914 », ce qui est « faux et absolument antihistorique ». Malgré cela, à la suite de Jean XXIII, Paul VI renouvelle son appel à la paix : « La paix est un bien suprême pour l’humanité qui vit dans le temps ; mais c’est un bien fragile, résultant de facteurs mouvants et complexes, sur qui s’exerce continuellement la volonté libre et responsable de l’homme. C’est pourquoi la paix n’est jamais tout à fait stable et assurée ; elle doit à chaque instant être reconsidérée et rétablie ; elle s’affaiblit et se dégrade vite si on ne la ramène pas sans cesse aux vrais principes qui seuls peuvent l’engendrer et la maintenir. » Or le pape constate que non seulement on s’éloigne de certains de ces principes mais encore qu’on s’inspire de « certains critères dangereux » : on s’attache plus à la force que représentent des hommes qu’à leur dignité au « caractère sacré, intangible de la vie humaine », on perd le sens « de la loyauté, de la fraternité et de la solidarité » nationalisme, orgueil, égoïsme politique ou idéologique, haine, propagandes subversives, désordres révolutionnaires, course aux armements, antagonismes sociaux, économiques, culturels, raciaux. On parle de désarmement et on perfectionne l’appareil militaire, « on va même jusqu’à déformer des déclamations pacifistes pour favoriser les conflits sociaux et politiques » La guerre « vain moyen pour résoudre les questions internationales ». On épuise « les possibilités de médiation offertes par les organes institués pour garantir la paix et pour revendiquer en faveur des tractations diplomatiques libres et honorables la prérogative exclusive des procédures susceptibles de résoudre ces conflits. » C’est plus sur l’amour que sur la force armée que la paix peut s’appuyer. L’amour, c’est-à-dire : « un effort de compréhension mutuelle, une confiance réciproque loyale et généreuse, un esprit de collaboration organisé pour le bien des uns et des autres, spécialement pour aider les pays en voie de développement. » Mais la lumière de l’amour « ne peut venir que du soleil du Dieu vivant. Sans la foi en Dieu, comment pourrait-il y avoir une paix sincère, libre et assurée ? »
Dans son allocution aux représentants des religions non chrétiennes lors de son voyage en Inde, le 3 décembre 1964, Paul VI prêche pour un rapprochement des peuples, de tous les chercheurs de Dieu, par le cœur : « une telle union ne peut être édifiée sur la terreur universelle ou la peur de destruction mutuelle. Elle doit être édifiée sur l’amour commun qui s’étend au monde entier et s’enracine en Dieu qui est amour ». Cet amour implique organisation et coopération, mise en commun des ressources. Très concrètement, Paul VI souhaitera le lendemain[3] que les nations puissent « cesser la course aux armements et consacrer en revanche leurs ressources et leurs énergies à l’assistance fraternelle aux pays en voie de développement ». Plus précisément encore qu’elles puissent « consacrer, fût-ce une partie de leurs dépenses militaires à un grand fonds mondial pour la solution des nombreux problèmes qui se posent pour tant de déshérités (alimentation, vêtements, logements, soins médicaux). »
Le 4 octobre 1965, dans sa fameuse Allocution à l’Assemblée des Nations Unies, Paul VI déclarera, comme ses prédécesseurs, que l’ONU « représente le chemin obligé de la civilisation moderne et de la paix mondiale » « l’ultime espoir de la concorde et de la paix ».
L’ONU octroie la reconnaissance internationale, morale et juridique à chaque nation jeune ou vieille, petite ou grande. L’ONU veut régler les rapports entre nations « par la raison, par la justice, le droit et la négociation et non par la force, ni par la violence, ni par la guerre, non plus que par la peur et par la tromperie ». Etablir une fraternité entre tous les peuples considérés comme égaux pour que « jamais, plus jamais » il n’y ait la guerre. Si les armes défensives restent nécessaires, il faut travailler à « garantir la sécurité de la vie internationale sans recourir aux armes », réduire les armements[4] et consacrer les économies faites aux pays en voie de développement. L’Onu est un lieu où s’organise la solidarité, où se proclament « les droits et les devoirs fondamentaux de l’homme, sa dignité, sa liberté, et avant tout la liberté religieuse », le droit à la vie, à une vie digne, au progrès économique et social, à la santé, la culture, les sciences et les techniques. Mais tout ce progrès ne peut se construire que sur « des principes spirituels » qui « ne peuvent reposer […] que sur la foi en Dieu ».
Le 15 septembre 1966, dans sa Lettre encyclique Christi Matri, il lance un appel aux dirigeants des nations en faveur de la paix et les invite à arrêter les hostilités et à négocier.[5]
Alors que commence la guerre israélo-arabe, dans son Allocution à l’audience générale du 7 juin 1967, il déclare : la « violence aveugle et meurtrière » ne peut faire « régner l’ordre et la justice parmi les hommes ». Le pape ne prend pas position sur ce conflit en cours. Ce qu’il demande : « que l’on suspende les combats ; que l’on se préoccupe de sauver des vies humaines ; et ensuite, qu’on reprenne les négociations en termes de justice et de raison ; que l’on fasse confiance aux institutions destinées à promouvoir les relations pacifiques entre les nations. » En attendant, les chrétiens se doivent d’exercer la charité envers tous les hommes même quand ils portent « sur eux un jugement de blâme et de condamnation ». Ils doivent bannir antipathie et haine.
La même année, Paul VI demandera[6] à « tous les vrais amis de la paix », à quelque culture qu’ils appartiennent, que l’on célèbre chaque année, le premier jour de l’an une « Journée de la paix », à partir du 1er janvier 1968, une paix véritable, « juste et équilibrée dans la reconnaissance sincère des droits de la personne humaine et de l’indépendance de chaque nation ». Il est, en effet de fausses paix. La paix en « paroles » séduisantes « mais qui peuvent aussi servir, et ont malheureusement parfois servi, à cacher le vide d’un véritable esprit et de réelles intentions de paix, quand ce n’est pas à couvrir des sentiments et des actions de domination ou des intérêts de parti ». Autre fausse paix, celle qui « ne reconnaît pas et ne respecte pas les solides fondements de celle-ci : la sincérité, la justice et l’amour […] la liberté, des individus et des peuples, dans toutes ses expressions, civiques, culturelles, morales, religieuses ». Fausse paix celle de « l’oppression […] capable de créer un aspect extérieur d’ordre et de légalité ». Fausse paix encore, celle du « pacifisme » qui cache « une conception lâche et paresseuse de la vie »[7] ou du « pacifisme tactique qui endort l’adversaire à abattre ou désarme dans les esprits le sens de la justice, du devoir et du sacrifice. »[8]
Aux catholiques, il ajoute : « pour le chrétien, proclamer la paix c’est annoncer Jésus-Christ : « Il est notre paix (Ep 2, 14) ; son Évangile est « Évangile de paix (Ep 6, 15) ; moyennant son sacrifice sur la croix, Il a accompli la réconciliation universelle, et nous, ses disciples, nous sommes appelés à être des « artisans de paix » (Mt 5, 9) ; et c’est seulement de l’Évangile, à la fin, que peut effectivement surgir la paix, non pas pour rendre les hommes faibles et lâches, mais pour substituer dans leurs âmes aux impulsions de la violence et des oppressions les vertus viriles de la raison et du cœur d’un humanisme vrai. » On ne peut donc se taire devant la menace d’un conflit. Fils d’un même Père, unis au Christ, appelés par l’Esprit Saint à l’unité des consciences, des œuvres, des destins, les chrétiens peuvent parler d’amour du prochain, exercer miséricorde et pardon et surtout prier.[9]
Dans son Radio-message du 23 décembre 1967, il rappelle que la « paix extérieure », « politique, militaire, sociale communautaire » s’enracine, comme la vertu, la sérénité, la félicité et la sagesse, dans la « paix intérieure », la « paix du cœur, qui est vraie maîtrise de soi ». Elle ne doit pas être confondue avec la résignation, le fatalisme, l’insensibilité, l’indifférence, le scepticisme, l’hédonisme, l’activisme ou la misanthropie. Elle est estime et amour de tout homme, elle est un ordre et suppose donc « une perfection de rapports » avec Dieu d’abord et avant tout, fondement de tout ordre personnel, moral, social et international, de toute fraternité et de tout pardon.
Conscient que la guerre ne résout rien, dans son Allocution au Corps diplomatique, le 8 janvier 1968, il fait l’éloge de la vraie diplomatie, « celle qui s’inspire de critères moraux et vise au vrai bien de la communauté internationale » qui fait confiance à la raison, respecte le droit et la justice.
Enfin, n’oublions pas que développant l’idée déjà présente chez Pie XII et abordée par le Concile[10], que la paix demande que disparaissent les grandes disparités économiques, il livre au monde, en 1967, la première encyclique qui soit entièrement consacrée à ce problème : Populorum progressio dont nous parlerons dans le volume suivant.