ii. Conclusion
Nous avons pu constater combien la pensée de Pie XII a été marquée par les événements dramatiques de la première moitié du XXe siècle mais aussi par ses prédécesseurs Benoît XV et Pie XI qu’il a servis comme par les travaux de Vitoria, Taparelli et Don Sturzo.
La guerre moderne est devenue tellement horrible qu’il est devenu presque impossible de l’humaniser. Elle ne peut plus être un moyen de régler les différends internationaux. Ceux-ci peuvent être confiés à une autorité internationale qui, appuyée par un vrai sens religieux, serait garante de la paix mondiale.[1]
En attendant, bien sûr, les États ont le droit de se défendre[2] mais il faut travailler à la constitution d’une organisation supranationale qui enlèverait aux États même leur droit à la « guerre juste », expression qui ne peut que choquer tout être raisonnable et le chrétien en particulier. Dans un monde inorganisé, L’État est le « juge de sa propre cause » et le vainqueur ne sera pas nécessairement celui qui avait raison. De plus, les conditions imposées par le vainqueur ne seront pas nécessairement justes. Cette situation est irrationnelle et le droit devient aléatoire.[3]
Pour que le droit soit respecté et que la guerre soit réellement ce qu’elle est, c’est-à-dire irrationnelle, la communauté organique des États est indispensable.
Encore faut-il que l’institution internationale fonctionne bien et ait les compétences politiques, juridiques et exécutives requises pour des actions préventives et répressives. Dans cette hypothèse, la « guerre » comme ultime moyen de préserver ou rétablir la paix devient « une opération de police internationale, exclusivement réservée à l’initiative et à la direction des organismes superétatiques »[4]. C’est, semble-t-il, ce que suggérait Pie XII lorsqu’il évoquait le droit de l’ONU « d’assurer par des forces de police suffisantes la protection de l’ordre dans l’État menacé »[5].
Tout au long de notre parcours, nous avons eu l’occasion de comprendre que l’Église a un rôle important à jouer à côté et en faveur des entreprises politiques et surtout dans la formation des consciences. Le Christ est le prince de la paix et la construction de la paix est une obligation morale puisque tous les hommes sont frères. Or, « le monde est bien éloigné de l’ordre voulu par Dieu dans le Christ, cet ordre qui garantit une paix réelle et durable. On dira peut-être que dans ce cas il ne valait pas la peine de tracer les grandes lignes de cet ordre et de mettre en lui la contribution fondamentale de l’Église à l’œuvre de la paix. On Nous objectera que de la sorte Nous stimulons le cynisme des sceptiques et aggravons le découragement des amis de la paix, si celle-ci ne peut être défendue que par le recours aux valeurs éternelles de l’homme et de l’humanité. On Nous opposera, enfin, que Nous donnons effectivement raison à ceux qui voient dans la « paix armée » le mot dernier er définitif dans la cause de la paix, solution déprimante s’il en est pour les forces économiques des peuples, exaspérante pour les nerfs. Et pourtant, Nous estimons indispensable de fixer le regard sur l’ordre chrétien, que trop de gens perdent de vue actuellement, si on veut, non seulement en théorie, mais aussi en pratique, se rendre compte de la contribution que tous, et en premier lieu l’Église, peuvent en vérité apporter, même en des circonstances défavorables et en dépit des sceptiques et des pessimistes. Avant tout, ce regard convaincra tout observateur impartial que le noeud du problème de la paix est présentement d’ordre spirituel, qu’il est déficience ou défaut spirituel. Trop rare dans le monde d’aujourd’hui est le sens profondément chrétien, trop peu nombreux sont les vrais et parfaits chrétiens. De la sorte, les hommes eux-mêmes mettent obstacle à la réalisation de l’ordre voulu de Dieu. Il faut que chacun se persuade du caractère spirituel inhérent au péril de la guerre. Inspirer une telle persuasion est, en premier lieu, un devoir de l’Église. C’est aujourd’hui sa première contribution à la paix. »[6]
Quels sont donc les obstacles que les hommes opposent à l’ordre
chrétien ? Nous les avons rencontrés au cours de nos lectures à travers
les documents pontificaux. Rappelons-les brièvement : l’État
totalitaire[7], le nationalisme[8], les rivalités
politiques internes, le chômage et la misère, le déséquilibre économique
et les inégalités exagérées dans les niveaux de
vie[9]. Qui ne voit que cet état de choses a
pour effet de grouper des foules énormes dont la misère et le désespoir
- qui forment un contraste si violent avec l’aisance excessive de ceux
qui vivent dans le luxe sans fournir le moindre secours aux indigents -
font des proies faciles pour ces propagandistes rusés et séduisants qui
offrent aux intelligences trompées par les fausses apparences de la
vérité, des doctrines dissolvantes. […] il n’est pas possible d’avoir
la paix si les choses ne sont pas dans l’ordre, de même il ne peut pas y
avoir d’ordre si l’on écarte la justice. Mais celle-ci exige que l’on
donne à l’autorité légitimement établie le respecte t l’obéissance qui
lui sont dus ; elle exige que les lois soient faites avec sagesse pour
le bien commun et que tous les observent par devoir de conscience. La
justice demande que tous reconnaissent et respectent les droits sacrés
de la liberté et de la dignité humaines ; que les innombrables
ressources et richesses que Dieu a répandues dans le monde entier soient
réparties, pour l’utilité de tous ses enfants, d’une façon équitable et
avec droiture. La justice veut enfin que l’action bienfaisante de
l’Église catholique […] ne soit ni attaquée ni empêchée. » (Homélie
de Pâques, 9 avril 1939).
Pie XII dénonce « ces germes de conflit qui consistent dans les
différences trop criantes dans le domaine de l’économie mondiale ».
(Message du 24 décembre 1940).
], la conquête prioritaire des richesses
naturelles et des marchés[10],et encore le
racisme, la peur, le mensonge, les erreurs philosophiques, le mépris des
lois naturelles, le positivisme juridique, et fondamentalement
l’athéisme et le matérialisme. Bref, « le nœud du problème de la paix
est présentement d’ordre spirituel, […] il est déficience ou défaut
spirituel ». Répandre dans le monde le sens chrétien est le service le
plus précieux que puisse rendre l’Église à la cause de la paix : « La
paix […] ne peut être assurée si Dieu ne règne pas dans l’ordre de
l’univers par Lui établi, dans la société dûment organisée des États,
dans laquelle chacun d’eux réalise, à l’intérieur, l’organisation de
paix des hommes libres et de leurs familles et à l’extérieur celle des
peuples, dont l’Église dans son champ d’action et selon son office se
fait garante. […] En attendant, l’Église apporte sa contribution à la
paix en suscitant et en stimulant l’intelligence pratique du nœud
spirituel du problème […].[11]
Pie XII meurt en octobre 1958.