ii. Et Pie XI ?
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Elu le 6 février 1922, le nouveau Pape publie, le 23 décembre[2] l’encyclique Ubi arcano, dans laquelle se trouve tout le programme de son pontificat.[3] d’emblée Pie XI s’inscrit dans la ligne tracée par son prédécesseur : « L’état de choses n’a pas changé qui a préoccupé, durant tout son pontificat […], il est donc logique que Nous fassions Nôtres ses initiatives et ses vues en ce qui concerne ces questions ». L’élément le plus préoccupant est que « ni les individus, ni la société, ni les peuples n’ont encore, après la catastrophe d’une pareille guerre, retrouvé une véritable paix ; la tranquillité active et féconde que le monde appelle n’est pas encore rétablie ». Et de citer ces paroles des prophètes « qui s’appliquent et conviennent merveilleusement à notre époque : « Nous attendions la paix et nous n’avons rien obtenu de bon ; le temps du remède, et voici la terreur[4] ; le temps de la guérison, et voici l’épouvante »[5]. « Nous attendions la lumière, et voici les ténèbres […] ; le jugement, et il n’y en a pas ; le salut, et il s’est éloigné de nous ».[6] En fait, « dans tous les pays qui ont participé à la dernière guerre, les vieilles haines ne sont point tombées encore ; elles continuent de s’affirmer ou sournoisement dans les intrigues de la politique comme dans les fluctuations du change, ou sur le terrain découvert de la presse quotidienne et périodique ; elles ont même envahi des domaines qui, de par leur nature, sont fermés aux conflits aigus, tels que l’art et la littérature. » Les pays vaincus accusent les vainqueurs de les opprimer et dépouiller, et les vainqueurs se traitent entre eux en ennemis. Même les pays qui n’ont pas participé au conflit sont accablés. La crise est générale et s’aggrave « d’autant plus que les multiples échanges de vues auxquels les hommes politiques ont procédé jusqu’ici, et leurs efforts pour remédier à la situation ont donné un résultat nul, et pire même qu’on ne prévoyait. » Dans cette ambiance menaçante, les nations se sentent obligées de vivre « sur pied de guerre » ruineux et délétère. A l’intérieur de nations, la situation n’est pas meilleure : lutte des classes, grèves, soulèvements, révoltes, répressions, terrorisme, politiques partisanes et intéressées, désagrègent la société. La famille déjà en décadence avant guerre et les églises sont bouleversées par la guerre. Faut-il s’étonner que les âmes soient « devenues inquiètes, aigries et ombrageuses », que la paresse, l’insubordination, l’impudeur et la misère s’étendent ? Bref, le chaos s’installe, « l’humanité semble retourner à la barbarie ».[7] Pascendi de la même année où il énumère les tares du modernisme : agnosticisme, immanentisme, évolutionnisme, subjectivisme, relativisme]
Comment expliquer un tel bouleversement ? La réponse est dans l’Évangile : « Tous ces maux procèdent du dedans »[8], la paix, en effet, « n’a pas été gravée dans les cœurs. » Au contraire, des années de haine ont occulté la dignité de la personne humaine et fait du prochain « un étranger et un ennemi ». Seuls comptent la force et le nombre. Seuls comptent les biens terrestres que l’on se dispute à l’envi, dédaignant les biens éternels. L’apôtre jacques avait donc raison d’écrire : « d’où viennent les guerres et les conflits parmi vous ? N’est-ce pas de vos convoitises ? »[9] Le Souverain Pontife développe cette idée : « C’est à ces convoitises déréglées, se dissimulant, pour donner le change, sous le voile du bien public et du patriotisme, qu’il faut attribuer sans contredit les haines et les conflits qui s’élèvent périodiquement entre les peuples. Cet amour même de sa patrie et de sa race, source puissant de multiples, vertus et d’actes d’héroïsme lorsqu’il est réglé par la loi chrétienne, n’en devient pas moins un germe d’injustices et d’iniquités nombreuses si, transgressant les règles de la justice et du droit, il dégénère en nationalisme immodéré. Ceux qui tombent dan cet excès oublient, à coup sûr, non seulement que tous les peuples, en tant que membres de l’universelle famille humaine, sont liés entre eux par des rapports de fraternité et que les autres pays ont droit à la vie et à la prospérité, mais encore qu’il n’est ni permis ni utile de séparer l’intérêt de l’honnêteté : la justice fait la grandeur des nations, le péché fait le malheur des peuples[10]. » Pourquoi donc, au fond, la paix est-elle absente ? La Parole de Dieu nous révèle que : « Ceux qui abandonnent le Seigneur seront réduits à néant »[11] Et Jésus nous a avertis : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire »[12], « celui qui ne recueille point avec moi dissipe »[13]. Quels que soient les efforts des hommes, s’ils se séparent de Dieu, s’ils l’excluent de la vie publique, de la société, de la famille, de l’éducation, les « germes de discorde » éclosent en guerre et la guerre par sa cruauté renforce les haines.
Quels remèdes apporter à tant de maux si graves ? La réponse du pape est lucide et précise : « Il y a bien peu à attendre d’une paix artificielle et extérieure qui règle et commande les rapports réciproques des hommes comme ferait un code de politesse ; ce qu’il faut, c’est une paix qui pénètre les cœurs, les apaise et les ouvre peu à peu à des sentiments réciproques de charité universelle. Une telle paix ne saurait être que la paix du Christ […]. »[14] Il n’y a pas d’autre paix. Il nous a révélé que nous étions tous frères[15], que nous devions nous aimer les uns les autres et porter les fardeaux les uns des autres[16]. Certes, « la paix est œuvre de justice »[17] mais « encore cette justice ne doit-elle pas adopter une brutale inflexibilité de fer ; il faut qu’elle soit dans une égale mesure tempérée par la charité ». Or, la charité est une « vertu qui est essentiellement destinée à établir la paix entre les hommes ». Et, comme le montre Paul, la Rédemption est « moins une œuvre de justice -elle l’est certes- qu’une œuvre divine de réconciliation et de charité ». Le Christ est notre paix « puisque, en même temps que dans sa chair il satisfaisait sur la croix à la justice divine, il tuait en lui-même les inimitiés, réalisant la paix[18], et en lui réconciliait les hommes et le monde avec Dieu. » Saint Thomas le confirme : « la paix véritable et authentique est plus de l’ordre de la charité que de la justice, cette dernière ayant mission d’écarter les obstacles à la paix tels que les torts, les dommages, tandis que la paix est proprement et tout spécialement un acte de charité ».
Comment cette paix s’établit-elle ? En s’attachant d’abord aux « réalités spirituelles et éternelles »[19], par « la persévérance et la fermeté d’âme », en mettant « un frein aux convoitises ». En reconnaissant en Dieu, le Créateur et le Maître du monde, on respectera l’ordre, la loi et l’autorité, la dignité de la personne humaine, la pureté des mœurs, le sacrement de mariage et la sainteté de la famille.
C’est la mission de l’Église catholique d’apporter ces remèdes par son enseignement pour pacifier le monde et conjurer « les menaces imminentes de nouvelles guerres ». « Il ne saurait y avoir aucune paix véritable -cette paix du Christ si désirée- tant que tous les hommes ne suivront pas fidèlement les enseignements, les préceptes et les exemples du Christ, dans l’ordre de la vie publique comme de la vie privée ; il faut que, la famille humaine régulièrement organisée, l’Église puisse enfin, en accomplissement de sa divine mission, maintenir vis-à-vis des individus comme de la société tous et chacun des droits de Dieu. »[20]
Selon la formule de Paul, il faut donc « tout restaurer dans le Christ »[21], les individus, les familles, les sociétés. En effet, « le jour où États et gouvernements se feront un devoir sacré de se régler, dans leur vie politique, au-dedans et au dehors, sur les enseignements et les préceptes de Jésus-Christ, alors, mais alors seulement, ils jouiront à l’intérieur d’une paix profitable, entretiendront des rapports de mutuelle confiance, et résoudront pacifiquement les conflits qui pourraient surgir. »
Cette restauration ne peut être purement une œuvre civile mais surtout une œuvre d’Église[22].
Dans ce travail de restauration, le Souverain Pontife va prendre sa part[23].
Le 7 avril 1922, il avait encouragé la Conférence internationale de la Paix bien conscient du danger des haines persistantes qui « tournent au désavantage des peuples vainqueurs eux-mêmes et préparent pour tous un bien redoutable avenir ; […] la meilleure garantie de tranquillité n’est pas une forêt de baïonnettes, mais la confiance mutuelle et l’amitié. »[24]
d’année en année, il constate que la paix ne s’établit toujours pas et s’inquiète de plus en plus : « l’Europe même est en proie à de multiples et graves calamités. Sur le continent et dans les îles importantes, des nations très florissantes jadis et foyers rayonnants de civilisation, s’épuisent en des combats fratricides qui causent aux une et aux autres des pertes incalculables, et menacent dès maintenant d’entraîner l’ensemble de l’Europe et par voie de conséquence l’humanité tout entière. »[25] Et si l’on n’écoute pas le pape, « ce qui nous est et sera toujours possible, c’est de supplier le Dieu de la paix de rétablir et d’affermir sa paix dans tous les esprits, d’inspirer à tous des sentiments de justice et de charité, et de les amener peu à peu à la conclusion d’ententes amicales. »[26]
Attaché cependant à combattre le mal à la racine, il va dénoncer les sources de la violence tout particulièrement dans les idéologies à la mode et à la lumière des événements dramatiques qui vont se dérouler durant tout son pontificat en Russie[27], en Allemagne[28], au Mexique[29], en Italie[30] et en Espagne[31], tous pays où les chrétiens sont d’une manière ou d’une autre persécutés ou discriminés[32], où la religion est étouffée : « Le monde presque entier est à présent fortement agité par des dissidences, des erreurs et des théories nouvelles qui semblent donner à notre époque un caractère d’exceptionnelle importance historique.
La doctrine et la vie chrétiennes sont elles aussi en péril dans bien des parties du monde. Des idées douteuses ou entièrement malhonnêtes qui, il y a quelques années, n’étaient que chuchotées dans certains cercles avides d’innovations, sont aujourd’hui prêchées sur les toits et ouvertement mises à exécution. La décadence des mœurs privées et publiques a mené à l’érection, en beaucoup de lieux, de funestes symboles de la révolte contre la Croix du Christ. […] seule l’auguste et intègre doctrine chrétienne peut revendiquer pleinement les droits et les libertés de l’homme parce que ce n’est qu’elle qui reconnaît à la personne humaine sa valeur et sa dignité. C’est pourquoi les catholiques, illuminés sur la nature et les qualités de l’homme, sont nécessairement les champions de ses légitimes droits et de ses légitimes libertés, et protestent au nom de Dieu contre la fausse doctrine qui tente de dégrader la dignité de l’homme, en l’asservissant au bon plaisir d’une tyrannie néfaste ou en le détachant cruellement du reste de la famille humaine, comme ils rejettent aussi au nom de Dieu toute doctrine sociale qui traite l’homme comme un simple instrument matériel dans la compétition économique ou dans la lutte des classe. »[33]
Que ce soit contre le bolchevisme, le racisme, le nationalisme, l’étatisme[34], « le mal essentiel est le même : la divinisation d’une collectivité sociale, raciale ou politique »[35] au détriment de la dignité humaine et le Saint Père précise, pour que tous sachent qu’elle appartient à tous les hommes sans discrimination quelconque : « la dignité humaine consiste en ceci : que tous font une seule grande famille, le genre humain, la race humaine »[36].
Et tout cela n’est pas qu’une querelle d’idées mais une question de vie ou de mort dans la lutte entre le bien et le mal. « En face de l’armée du mal, qui, par ses méthodes de haine, de violence, d’oppression des consciences, de méconnaissance de la dignité de l’âme humaine, poursuit avec acharnement la lutte contre tout ce qui rappelle le nom chrétien, en face de ces forces déchaînées qui travaillent à soulever les hommes les uns contre les autres au risque de provoquer des cataclysmes sanglants », il n’y a qu’une armée, celle qui ne dispose que d’une seule arme, celle de la charité du Christ.[37]
Le Saint Père se rend compte que les responsables des nations et peut-être les nations elles-mêmes ne l’écoutent plus.
Reste la prière : « Que les peuples s’entredéchirent de nouveau, que sur terre, sur mer et dans les airs, tous les moyens soient mis en œuvre pour le massacre et la destruction totale, ce serait un crime si monstrueux et un tel accès de folie que Nous ne croyons nullement qu’on puisse en arriver là […] Que s’il se trouve quelqu’un -ce qu’à Dieu ne plaise et Nous avons confiance que cela n’arrivera pas- qui ose méditer et préparer un tel fléau, Nous ne pourrions Nous empêcher de renouveler au Dieu tout-puissant cette prière : Seigneur, dissipez les peuples qui veulent la guerre ».[38]
Son Radio-message de Noël 1936, alors qu’il est déjà malade, est marqué du même souci : « Cette année, la divine bonté Nous permet de contribuer aux prières, aux œuvres, aux sacrifices de tous par l’expérience personnelle de la souffrance, qui jusqu’ici Nous avait étonnamment épargné. » Il prie le Seigneur d’accepter « cette offrande que Nous lui faisons et qui veut être, maintenant et toujours, en pleine conformité avec sa très sainte volonté, pour sa gloire aujourd’hui plus sataniquement que jamais combattue, pour la conversion de tous les égarés, pour la paix et pour le bien de l’Église tout entière, et d’une façon toute particulière pour l’Espagne très éprouvée et qui, pour cela même, Nous est très chère. »
Tous les fidèles sont invités à implorer le Ciel, dernier recours contre la guerre qui menace : « Tandis que des millions d’hommes vivent dans l’anxiété devant l’imminent danger de guerre et devant la menace de massacres et de ruines sans exemple, Nous accueillons dans Notre cœur paternel le trouble de tant de Nos fils et Nous invitons évêques, clergé, religieux » fidèles à s’unir à Nous dans la prière la plus confiante et la plus insistante pour la conservation de la paix, dans la justice et dans la charité. Que le peuple fidèle recoure, encore une fois, à cette puissance désarmée, mais invincible de la prière afin que Dieu, dans les mains de qui est le sort du monde, soutienne chez tous les gouvernants la confiance dans les voies pacifiques de loyaux pourparlers et d’accords durables et inspire à tous, en harmonie avec les paroles de paix souvent répétées, des sentiments et des œuvres aptes à la favoriser et à la fonder sur les bases sûres du droit et des enseignements évangéliques.
Reconnaissant, au delà de toute expression, de toutes les prières qu’ont faites et que font encore pour Nous les fidèles de tout le monde catholique, Nous offrons de tout cœur cette vie que, grâce à ces prières, le Seigneur nous a accordée et pour ainsi dire renouvelée : Nous offrons pour le salut, pour la paix du monde le don inestimable d’une vie déjà longue, soit que le Maître de la vie et de la mort veuille Nous l’enlever, soit qu’il veuille, au contraire, prolonger plus encore les journées de labeur de l’ouvrier affligé et fatigué.
Nous avons d’autant plus la confiance de voir Notre offrande acceptée avec bienveillance qu’elle est faite conjointement à la mémoire liturgique du doux et héroïque martyr saint Wenceslas, et qu’elle va préluder à la fête du saint Rosaire, à la célèbre supplique, au mois consacré au saint rosaire, pendant lequel redoubleront dans tout le monde catholique, comme Nous le recommandons aussi vivement, la ferveur et l’assiduité à cette dévotion qui a déjà obtenu de si grandes et si bienfaisantes interventions de la Très Sainte Vierge dans les destinées de l’humanité troublée. »[39]
Les hommes n’ont pas entendu ou ils n’ont pas écouté les paroles les avertissements de Benoît XV et de Pie XI. Et quand ils les ont écoutés, ils les ont mal compris ou n’ont pas voulu les comprendre. Nous l’avons vu pendant et après la guerre de 1914-1918. Nous le constatons encore à la veille de la guerre de la seconde guerre mondiale.[40]
Alors on verrait l’ordre et la tranquillité s’épanouir et se consolider ; toute cause de révolte se trouverait écartée ; tout en reconnaissant dans le prince et les autres dignitaires de l’État des hommes, comme les autres, ses égaux par la nature humaine, en les voyant même, pour une raison ou pour une autre, incapables ou indignes, le citoyen ne refuserait point pour autant de leur obéir quand il observerait qu’en leurs personnes s’offrent à lui l’image et l’autorité du Christ Dieu et Homme.
Alors les peuples goûteraient les bienfaits de la concorde et de la paix. Plus loin s’étend un royaume, plus il embrasse l’universalité du genre humain, plus aussi -c’est incontestable- les hommes prennent conscience du lien mutuel qui les unit. Cette conscience préviendrait et empêcherait des conflits ; en tout cas, elle adoucirait et atténuerait leur violence. Pourquoi donc, si le royaume du Christ s’étendait de fait comme il s’étend en droit à tous les hommes, pourquoi désespérer de cette paix que le Roi pacifique est venu apporter sur la terre ? »
Pie XI n’en confond pas pour autant les pouvoirs temporel et spirituel : « Certes l’Église ne se reconnaît point le droit de s’immiscer sans raison dans la conduite des affaires temporelles et purement politiques, mais son intervention est légitime quand elle cherche à éviter que la société civile tire u n prétexte de la politique, soit pour restreindre de toute manière les biens supérieurs d’où dépend le salut éternel des hommes, soit pour nuire aux intérêts spirituels par des lois et des décrets iniques, soit pour porter de graves atteintes à la divine constitution de l’Église, soit enfin pour fouler aux pieds les droits de Dieu lui-même dans la société. »
Mais il est une institution divine capable de garantir l’inviolabilité du droit des gens ; une institution, qui, embrassant toutes les nations, les dépasse toutes, qui jouit d’une autorité souveraine et du glorieux privilège de la plénitude du magistère, c’est l’Église du Christ : seule elle se montre à la hauteur d’une si grande tâche grâce à sa mission divine, à sa nature, à sa constitution même, et au prestige que lui confèrent les siècles ; et les vicissitudes mêmes des guerres, loin de l’amoindrir, lui apportent un merveilleux épanouissement. »
Il est évident pour tous que l’Église catholique, sans s’attacher à une forme de gouvernement plutôt qu’à une autre, pourvu que soient sauvegardés et protégés les droits de Dieu et de la conscience chrétienne, ne fait aucune difficulté pour s’accorder avec toutes les institutions civiles, qu’elles aient la forme royale ou républicaine, qu’elles soient sous le pouvoir aristocratique ou populaire.
La preuve en est, pour ne parler que des faits les plus récents, dans les nombreux traités et Concordats, comme on les appelle, qui ont été signés en ces derniers temps, de même dans les rapports qui interviennent nécessairement entre le Saint-Siège et les divers États, sans excepter aussi ceux qui, après la dernière grande guerre, ont abandonné leur régime monarchique pour adopter le gouvernement républicain.
Bien plus, jamais ces Républiques — tant dans leurs institutions que dans leurs aspirations à une juste grandeur et prospérité de la nation, — jamais, disons-Nous, ces Républiques n’ont, sans nul doute souffert aucun dommage, ni du fait des relations amicales nouées avec ce Siège apostolique, ni du fait des conventions qu’elles ont eu l’idée, en conformité des nécessités du temps, de conclure et d’observer avec une confiance réciproque, concernant les affaires des sociétés ecclésiastique et civile ».
On peut aussi lire le discours La vostra presenza (14 septembre 1936) adressé aux réfugiés espagnols en Italie. Pie XI dénonce massacres, profanations, destructions, dénonce l’action de forces subversives responsables de la persécution mais condamne la guerre -« chose si terrible et inhumaine »- et plus encore la guerre entre frères et pire encore, la guerre entre frères dans le Christ ! La bénédiction accordée à la fin du discours, « au-dessus de toute considération politique terrestre » s’étend aux défenseurs de Dieu et de la religion, des droits et de la dignité des consciences et aussi « aux autres » « qui sont pourtant et resteront toujours Nos fils » malgré « des actes et des méthodes extrêmement odieux et cruellement persécuteurs ». Le Pape s’engage à prier pour eux.
On dit ainsi : tout doit être à l’État, et voici l’État totalitaire, comme on le nomme. Rien sans l’État, tout à l’État. Mais il y a là une fausseté si évidente qu’il est étonnant que des hommes, par ailleurs sérieux et doués de talents, la disent et l’enseignent aux foules. Car comment l’État pourrait-il être vraiment totalitaire, donner tout à l’individu et tout lui demander, comment pourrait-il tout donner à l’individu pour sa perfection intérieure — car il s’agit de chrétiens, — pour la sanctification et la glorification des âmes ? Dès lors, combien de choses échappent aux possibilités de l’État dans la vie présente et en vue de la vie future, éternelle ! » (Discours adressé aux membres du pèlerinage de la Confédération française des travailleurs chrétiens (C. F. T. C.) à l’audience du 18 septembre 1938, à Castel-Gandolfo).
Déjà en 1925, il disait : « La liberté a certainement ses droits, et l’Église, en raison de sa mission, ne peut faire autrement que de les défendre et de les revendiquer. Mais, par sa doctrine et sa constitution, elle est totalement hostile soit à la licence, à l’anarchie engendrée par les erreurs, absolument destructives de la société humaine et déjà condamnées, du libéralisme et du socialisme ; soit à toute conception politique qui voit dans le pays ou l’État une fin ultime et se suffisant à elle-même ; avec une pareille doctrine, l’État en arrive aussitôt, par une sorte de fatalité, à ruiner et anéantir les droits des particuliers, avec les non moins tristes et cruelles conséquences qu’il est facile d’imaginer. » (Allocution consistoriale, 14 décembre 1925).
De l’autre côté, en Italie, on dit qu’il s’agirait d’une guerre juste, parce qu’une guerre de défense pour assurer les frontières contre des dangers continuels et incessants, une guerre devenue nécessaire pour l’expansion d’une population qui augmente de jour en jour, une guerre entreprise pour défendre ou assurer la sécurité matérielle d’un pays, une telle guerre se justifierait par elle-même.
Il est vrai […] que si ce besoin d’expansion peut exister, s’il existe aussi la nécessité d’assurer par la défense la sécurité des frontières, Nous ne pouvons que souhaiter qu’on puisse arriver à résoudre toutes les difficultés par d’autres moyens qui ne soient pas la guerre. Comment ? Il n’est évidemment pas facile de le dire, mais Nous ne croyons pas que ce soit impossible. Il faut étudier cette possibilité. Une chose Nous semble hors de doute : si le besoin d’expansion est un fait dont il faut tenir compte, le droit de défense a des limites et des modérations qu’il doit garder, afin que la défense ne soit pas coupable. » (Allocution à des infirmières du monde entier).
Le 31 août, l’Osservatore romano fait une mise au point étant donné que le long message du pape a été publié partiellement et partialement de telle sorte qu’il paraissait justifier la politique de Mussolini et blâmer la SDN : « La pensée du pape est claire. Le besoin d’expansion n’est pas un droit en soi, c’est un fit dont il faut tenir compte. La défense au contraire, est un droit. Elle donne, elle confère immédiatement le droit, cela est certain, mais l’exercice de ce droit n’est pas sans faute, si certaines limites et certaines modérations ne sont pas observées. Cela revient à dire que le besoin d’expansion ne peut à lui seul justifier la recherche, l’effort en vue d’obtenir ce que l’on estime nécessaire, même contrairement au droit éventuel d’autrui. Au contraire, la défense peut se justifier à elle seule et s’identifier avec le droit, mais à condition qu’il n’y ait pas excès de défense, ce que tous les codes du monde condamnent. »
Cette manipulation du message a visiblement déprimé Pie XI, puisque le 20 décembre 1935, il avoue : « Nous ne voulons surtout point Nous arrêter ici aux rivalités guerrières qui plongent dans une anxiété continuelle, non seulement l’Europe et l’Afrique, mais l’univers tout entier. Nous tenons d’autant plus à garder cette réserve que, parmi, tant d’incertitudes des hommes et des événements, il est à craindre que Nos paroles, quelles qu’elles soient, ne soient pas bien comprises ou qu’elles soient même ouvertement détournées de leur sens. » (Consistoire secret).