Chapitre 3 : L’entre-deux guerres
… ce que tous Nos efforts tendront à réaliser,
c’est la paix du Christ par le règne du Christ
Ubi arcano, 1922.
Nous avons entendu les angoisses de Benoît XV durant les premières années de l’entre-deux guerres, conscient que la paix n’a pas gagné les cœurs. Deux mois, presque jour pour jour, avant sa mort[1], il déclare devant le Consistoire : « Nous le constatons avec douleur et angoisse, la paix, décrétée en un acte solennel, n’a nullement apporté avec elle la paix des cœurs, et presque toutes les nations, principalement en Europe, sont encore en proie aux déchirements de graves conflits » et il estime ces « antagonismes si aigus que pour les apaiser », les volontés humaines ne suffiront pas[2] mais « qu’il est chaque jour plus nécessaire qu’intervienne le Dieu de miséricorde, dans les mains de qui sont la force et la puissance, la grandeur et l’empire de toutes choses. »
Cette après-guerre, pour le Pape, est un « chaos universel » à cause de deux choses : l’erreur et la haine[3] qui subsistent.[4]
Et effectivement, malgré les efforts et quelques succès de la Société des nations, la cause de la paix ne va pas progresser[5]. Pire, la guerre a creusé des failles où de nouvelles idéologies meurtrières vont s’engouffrer.[6]
Par ailleurs, les efforts des mouvements pacifistes d’avant la grande guerre que nous avons évoqués plus haut ont été balayés par la guerre. Après le conflit, c’est en Allemagne que le mouvement va reprendre. Puis en France avec Marc Sangnier[7] qui veut réconcilier l’Allemagne et la France. Mais l’avènement du nazisme va de nouveau mettre fin à ces efforts.[8]
Il n’empêche que des théologiens vont s’engager dans une réflexion novatrice qui confirme et prolonge la position adoptée par Benoît XV.
Il s’est nourri aussi de la situation catastrophique dans laquelle se trouvait l’Allemagne après la guerre, ruinée et surpeuplée, humiliée et dépecée par les clauses territoriales, militaires, économiques, financières et morales du traité de Versailles (1919) si sévère que le Sénat américain refusa de le ratifier désavouant le président Wilson. La même année, le célèbre économiste John Maynard Keynes qui avait fait partie de la délégation anglaise et dont la position conciliante n’avait pas été suivie publie, à compte d’auteur, un livre très critique, Les Conséquences économiques de la paix dans lequel il compare le Traité de Versailles à une « paix carthaginoise ». Pour lui, les réparations de guerre étaient trop élevées, insupportables pour l’Allemagne et nourriraient un ressentiment dangereux pour l’avenir. L’année suivante, c’est l’historien français Jacques Bainville (1879-1936) qui, dans Les conséquences politiques de la paix dénonce le Traité. Tout en se distançant de Keynes qu’il juge trop favorable à l’Allemagne, il prévoit que celle-ci ne respectera pas le Traité. Il décrit même, avec beaucoup de lucidité, ce qui va se passer : l’annexion de l’Autriche par le Reich, la crise des Sudètes avec la Tchécoslovaquie et un pacte germano-russe contre la Pologne.
Il n’est donc pas étonnant de trouver en tête du Programme en 25 points du Parti ouvrier allemand national-socialiste, proclamé le 24 février 1920 par Adolf Hitler et qui réclame : « la constitution d’une Grande Allemagne, réunissant tous les Allemands sur la base du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. […] l’égalité des droits du peuple allemand au regard des autres nations, l’abrogation des traités de Versailles et de Saint-Germain Traité de 1919 aussi qui démantèle l’ancien empire austro-hongrois. […] de la terre et des colonies pour nourrir notre peuple et résorber notre surpopulation. » (Points 1, 2 et 3).
De plus, militarisme et esprit de revanche se sont conjugués très tôt dangereusement. Erich Ludendorff (1865-1937) qui fut général en chef des armées allemandes de 1916 à 1918 et l’apôtre de la guerre totale en utilisant à outrance la flotte sous-marine, est l’un des grands propagandistes de la fameuse thèse du « coup de poignard dans le dos » selon laquelle l’armée allemande, invaincue sur le terrain, a été trahie par les politiciens de l’arrière. S’il soutint dans les années 20 Adolph Hitler, il s’en sépara assez vite. Mais Dans son livre La guerre totale, publié en 1935, s’appuyant sur l’expérience de la Première Guerre mondiale, il remet en cause la primauté du politique sur le militaire prônée par Clausewitz. Il affirme que l’« esprit du peuple » s’exprime au plus haut point par la guerre, lorsque ses buts lui sont révélés, ce qui doit entraîner la soumission de tous au militaire, et justifie des mesures violentes contre les opposants à la guerre (juifs, Église catholique et socialisme).