Chapitre 4 : De la théorie de la guerre juste à la construction de la paix…
… Auteur de la paix,
que dans les épreuves de ce monde,
nous t’ayons toujours pour gardien et protecteur.
VIIe-IXe s.
Comme nous l’avons vu, à partir de Constantin et pratiquement jusqu’à l’époque contemporaine, l’Église qui, ici et là, profite de l’existence d’un pouvoir civil officiellement chrétien, a naturellement tendance à soutenir la politique du prince et cherche souvent à justifier ses guerres.[1] Sans distinction claire des pouvoirs temporels et spirituels, une théologie de la paix aura bien du mal à influer sur la conduite des hommes. Toutefois, alors qu’avant Constantin, toute l’Église était invitée à vivre selon l’idéal de paix, désormais, prêtres et moines devront, en principe, continuer à témoigner du royaume de paix. Quant aux laïcs, s’ils sont invités, sur le plan privé, à suivre les préceptes évangéliques, dans la vie publique, ils agiront selon la théorie de la guerre juste. d’autant mieux que le bras séculier sera au service de l’Église.[2]
Parallèlement à ce service, le Prince s’efforcera d’éliminer les guerres privées. Il y parviendra petit à petit et aujourd’hui, en tout cas, il est clair et admis que seul l’État est détenteur de la violence légitime.
Mais n’anticipons pas.
Du IVe siècle au XIXe siècle, de l’époque de Constantin jusqu’à l’aube du pontificat de Léon XIII, la paix entendue comme tranquillité de l’ordre naît d’une collaboration directe des pouvoirs temporels et spirituels : le prince reconnu, consacré par l’Église maintient l’ordre et soutient et défend l’Église.
Eusèbe de Césarée prête ce langage à l’empereur[3] : « Dieu qui a la bonté de seconder tous mes desseins, et de conserver tous les hommes, m’est témoin que j’ai été porté par deux motifs à entreprendre ce que j’ai été heureux d’exécuter. Je me suis d’abord proposé de réunir les esprits de tous les peuples dans une même créance au sujet de la divinité, et ensuite j’ai souhaité de délivrer l’univers du joug de la servitude sous laquelle il gémissait. J’ai cherché dans mon esprit des moyens aisés pour venir à bout du premier dessein, sans faire beaucoup d’éclat, et je me suis résolu de prendre les armes pour exécuter le second. Je me persuadais que si j’étais assez heureux, pour porter les hommes à adorer tous le même Dieu, ce changement de Religion en produirait un autre dans le Gouvernement de l’Empire. »[4] 15 siècles plus tard, le 9 novembre 1846, Pie IX écrit : « Nous aimons à nous fortifier dans l’espoir que nos très chers fils en Jésus-Christ, les princes, guidés par leurs principes de religion et de piété, ayant toujours présente à la mémoire cette vérité : « Que l’autorité suprême ne leur a pas été donnée seulement pour le gouvernement des affaires du monde, mais que le pouvoir placé entre leurs mains doit servir principalement aussi à la défense de l’Église » (S. Léon, Epist. 156 ad Leonem Augustum), et Nous-mêmes n’oubliant pas qu’en donnant tous nos soins à la cause de l’Église, Nous devons travailler efficacement au bonheur de leur règne, à leur propre conservation, et de manière à procurer à ces princes « un pacifique exercice de leurs droits sur les provinces de leur empire » (S. Léon, Epist. 43 ad Theodosium) ; Nous pouvons Nous fier, disons-Nous, à l’espoir que tous les princes sauront favoriser par l’appui de l’autorité et le secours de leur puissance, des vœux, des desseins et des dispositions ardentes au bien de tous et que nous avons en commun avec eux. qu’ils défendent donc et protègent la liberté et l’entière plénitude de vie de cette Église catholique, afin que Jésus-Christ de sa main puissante, soutienne aussi leur empire » (Ibid.) »[5]
La mission de l’empereur ou du prince est de garantir la paix et de soutenir l’Église qui, par l’unité de la foi, fondra cette paix.
La paix dont il est question ici n’est pas une paix d’origine chrétienne. Il s’agit d’une conception politique très romaine que l’Église assume, l’idée que seul l’Empire peut garantir la paix universelle. Les stoïciens grecs ou latins[6] ont légué à l’empereur cette conception d’une humanité pacifiée unie par la raison et la culture et maintenue en l’état par le glaive. Cette humanité devient avec l’Église la communauté des croyants, la chrétienté. L’empereur est le gardien armé de la chrétienté[7], protecteur de l’Église, « évêque du dehors »[8]
Après l’empereur de Rome, l’empereur byzantin[9], l’empereur carolingien[10], l’empereur romain germanique[11] vont jouer ce rôle, défendre les intérêts de l’Église et lutter contre ses ennemis.
Toutefois, vu la fragilité de ces empires qui se présentent comme les héritiers de l’empire romain, vu que souvent l’empereur va entrer en conflit avec le pape[12], vu l’instabilité de la société féodale, l’Église va tenter de s’attacher la classe militaire, la noblesse armée, c’est-à-dire la chevalerie. Ainsi, le pape Nicolas II[13], en 1059, reçoit comme un seigneur le reçoit de son vassal, le serment de fidélité de deux princes normands[14] pour résister à l’empereur.