i. Une violence légitime ?
A la limite, certains diront que le droit lui-même est violence. Max Weber[1], sans en tirer les mêmes conclusions, estime avec Trotsky que « Tout État est fondé sur la force ». Il explique : « S’il n’existait que des structures sociales d’où toute violence serait absente, le concept d’État aurait alors disparu et il ne subsisterait que ce qu’on appelle, au sens propre du terme, l’« anarchie ». La violence n’est évidemment pas l’unique moyen normal de l’État, -cela ne fait aucun doute- mais elle est son moyen spécifique. »[2] Weber s’empresse de préciser que « l’État consiste en un rapport de domination de l’homme sur l’homme fondé sur le moyen de la violence légitime (c’est-à-dire de la violence qui est considérée comme légitime) »[3]. En effet, « l’État moderne est un groupement de domination de caractère institutionnel qui a cherché (avec succès) à monopoliser, dans les limites d’un territoire, la violence physique légitime comme moyen de domination et qui, dans ce but, a réuni dans les mains des dirigeants les moyens matériels de gestion ».[4] Comme « le moyen décisif en politique est la violence (…) celui qui veut le salut de son âme ou sauver celle des autres doit donc éviter les chemins de la politique qui, par vocation, cherche à accomplir d’autres tâches très différentes, dont on ne peut venir à bout que par la violence. »[5]
A la même époque, l’essayiste allemand Walter Benjamin[6], affirme qu’« une fondation de droit est une fondation de puissance et, dans une certaine mesure, un acte de manifestation immédiate de la violence ».[7] Aujourd’hui encore, des auteurs s’inscrivent dans cette perspective et reprennent les thèses de Weber et surtout de Benjamin. On peut citer le philosophe italien Giorgio Agamben[8], le canadien Jean-Michel Landry[9] ou encore le philosophe argentin Francisco Naishtat[10] professeur à l’Université de Buenos Aires.
En marge de cette famille mais dans un ordre d’idées semblable, on peut citer les essais du physicien Jean Bricmont qui s’insurge contre la justification contemporaine des guerres par les droits de l’homme.[11]
Ce courant souvent proche de l’anarchisme ou de l’extrême-gauche nous invite à réfléchir sur l’étendue sémantique du mot violence. Nous avons déjà parlé précédemment de l’importance de la loi et du droit. Dans la perspective chrétienne, il est difficile, sous peine d’ambigüité, de les considérer comme une manifestation de violence dans la mesure où ils sont bien, conforme à la nature de l’homme et au plan de Dieu. On parlera plus volontiers de la force de la loi et du droit, force nécessaire précisément pour juguler, encadrer, empêcher la violence. Nous reviendrons encore sur ces notions en étudiant plus loin le problème de la punition. Pour le moment, arrêtons-nous à la violence physique intolérable et illégitime, à l’intérieur d’un État comme entre les États.