e. La conclusion d’E. Herr
Au terme de son parcours à travers les œuvres de quatre auteurs représentatifs, comment E. Herr répond-il à la question posée au début: la violence est-elle une nécessité qui s’impose à nous ou met-elle en jeu notre liberté ?
Il semble acquis que l’agressivité humaine n’est pas génétiquement programmée sauf peut-être dans certains cas pathologiques. L’homme ne se réduit pas à sa dimension biologique et même si la lutte est adéquate à la défense de la vie humaine, elle n’est pas le simple produit de la vie instinctive mais elle est ouverte au psychique et à l’éthique.
De même, si l’on prétend, comme Fromm, privilégier les passions pour expliquer la destructivité (c’est-à-dire l’agressivité pathologique, celle qui n’est pas liée à la défense de la vie), il ne faut pas oublier que l’homme n’est pas seulement passion (pulsion psychique) qui aime ou détruit : il y aussi, et de nouveau, une dimension éthique qu’il faut prendre en compte : notre vie s’inscrit dans une culture où on nous demande d’aimer et où on nous interdit de tuer.
Certes, tout acte s’enracine dans le biologique et le psychique mais il mobilise aussi notre capacité d’autodétermination, notre réflexion et notre volonté insérées dans un contexte social et culturel où elle s’engage de manière responsable.
Dans cette optique, la violence peut s’exprimer de deux manières.
Soit on renonce à sa capacité d’autodétermination ou on l’empêche de s’exercer chez autrui. A ce moment, la liberté reste prisonnière, la violence se traduit ici par l’impuissance subie ou imposée, par la privation des droits humains que l’on s’impose (auto-violence) ou que l’on impose. E. Herr donne comme exemples : l’avortement, le suicide, la torture, les manipulations biologiques et psychiques.
Soit on utilise la capacité d’autodétermination non selon une alliance symbolique et responsable avec le monde, autrui, Dieu, mais pour dominer, séparer, détruire. Sont victimes les corps, les psychismes, les sociétés, les cultures, les religions, etc. Ici, il ne s’agit plus d’un manque de pouvoir mais d’un abus de pouvoir.
Dans les deux cas, qui peuvent se représenter l’un par la figure de l’esclave, l’autre par celle du maître, les droits sont bafoués : « Le manque comme l’abus de pouvoir qui constituent la violence ne s’enracinent-ils pas dans une même peur de la mort, oscillant entre le repli dans l’impuissance (narcissisme originaire) et le fantasme de la toute-puissance (illusion et utopie de la fin). »[1] Plus simplement, à cette peur de la mort, « l’un s’y résigne, l’autre la nie »[2].
Dans le domaine social, la liberté entendue comme capacité d’autodétermination est indissociable de la notion d’égalité mais plutôt que de parler comme Galtung d’égalité des conditions de vie est-il plus opportun de parler d’égalité des droits
Quant à Girard, il réduit l’histoire et donc les libertés à une logique d’exclusion meurtrière et de dissimulation. Il confond « une trajectoire possible de la liberté et du désir et la liberté elle-même ».[3]
En somme, au terme de son enquête, E. Herr répond ainsi à la question qu’il posait au départ : la violence est « une manière d’être de la liberté elle-même, non pas comme une nécessité qui s’imposerait du dehors à celle-ci », étant bien entendu que la liberté s’inscrit toujours dans des conditions corporelles, psychiques, sociales et culturelles qui sont ouvertes, en principe, à la liberté humaine mais qui peuvent, par le fait même, être marquées par la violence et affecter les libertés jusqu’à la contrainte.[4]