i. Vive la violence ?
Le bon-sens nous amène peut-être à considérer que si la punition parentale est justifiable en principe et que l’usage de la force est légitime quand elle est exercée par une autorité légitime, la police par exemple, il n’en reste pas moins que pour la plupart des gens, apparemment du moins, la violence, elle, dans toutes ses formes, est illégitime. Pourquoi ? Parce qu’elle inflige à l’individu ou à une communauté un tort physique, psychologique ou économique. Et une agression personnelle ou collective, avec ou sans moyens sophistiqués, contre le corps ou les biens produit aussi un tort psychologique ou spirituel ou social. On peut dire, en une formule lapidaire, que la violence est une « négation de l’homme par l’homme »[1].
Toutefois, si beaucoup d’entre nous jugent la violence destructrice, mortifère, elle n’a jamais, semble-t-il, manqué d’adeptes, il suffit d’ouvrir le journal d’aujourd’hui, ni de chantres. A tel point qu’on peut se demander même si les hommes souhaitent vraiment la paix ! Le célèbre polémologue Gaston Bouthoul[2] s’interroge : « Si les hommes, les nations et les États se montrent si rétifs à encourager l’étude scientifique des guerres (il n’existe nulle part un Institut des guerres qui ne coûterait pourtant que le prix d’un tank moyen ou d’une paire d’avions de chasse), serait-ce qu’obscurément ils redoutent de voir disparaître leur fête la plus enivrante et leur ultime recours ? »[3]
Alors que les animaux, à l’exception peut-être des termites et des fourmis[4], ne connaissent pas la guerre, beaucoup de sociétés primitives l’ont connue et l’ont intégrée dans les rites sociaux : les jeunes gens sont formés pour la guerre, ils n’entrent dans le cercle des adultes qu’après une dure initiation guerrière, parfois, ils ne peuvent prendre femme qu’après avoir tué un homme, etc.
Dans de nombreuses religions primitives, la guerre a sa divinité: Astarté en Phénicie et en Égypte, Tanit à Carthage, Indra en Inde, Thor, Tyr et les Walkyries dans la mythologie nordique, Arès et Mars chez les Grecs et les Romains, Huitzilopochtli chez les Aztèques, Skanda au Sri-Lanka, etc..[5]
La littérature de tous les pays est parsemée de louanges pour des héros ou des faits de guerre. Les livres d’histoire ne sont pas en reste non plus.
qu’on songe à la littérature épique, aux héros de l’Iliade, à Achille particulièrement, à Roland[6], au puissant guerrier Siegfried, dans la légende des Nibelungen, qui hanta les esprits du XIIIe siècle jusqu’à Richard Wagner et Fritz Lang. On pense à Bertrand de Born[7] le seigneur troubadour qui chante les joies de la guerre dans des poèmes considérés comme des oeuvres majeures de la poésie occitane.[8] On se rappelle le Cid[9] qui hanta l’esprit de Corneille, comme Vercingétorix celui d’Honoré d’Urfé ou Cyrus qui, après avoir enchanté Hérodote, réapparaît sous la plume de Madeleine de Scudéry. Bossuet est fasciné par Condé qu’il compare à Alexandre le Grand[10] et décrit avec lyrisme, dans son Oraison funèbre[11], la bataille de Rocroi[12]. Boileau, à l’instar de nombreux écrivains qui ont célébré les victoires des princes dont ils espéraient ou recevaient bénéfices, écrit un méchant poème pour célébrer lourdement la prise de Namur par les troupes de Louis XIV.[13] Racine, de même, fera l’éloge de la guerre de Hollande.[14]
Il semble que le philosophe Kant ait vu clair lorsqu’il écrivit que la guerre « paraît greffée sur la nature humaine, et même passer pour un acte noble auquel l’homme est poussé par le sentiment de l’honneur et non par des mobiles intéressés ; c’est ainsi que la valeur guerrière est estimée (aussi bien par les sauvages d’Amérique que par ceux d’Europe au temps de la chevalerie) comme ayant une haute valeur immédiate non seulement quand il y a une guerre (comme de juste), mais encore afin qu’il y ait guerre ; on l’entreprend donc souvent uniquement pour faire preuve de ce courage ; on confère ainsi à la guerre en elle-même une sorte de dignité intérieure, et des philosophes même en font l’éloge comme d’un moyen pour ennoblir l’humanité[15], sans songer à la parole du Grec : « La guerre est néfaste en ce qu’elle fait plus de mauvaises gens qu’elle n’en extirpe. ». »[16]
A l’opposé du classicisme, Diderot défendra l’idée très déterministe que le génie ne peut s’exprimer qu’à partir du désordre et de la violence[17].
La littérature romantique semble lui donner raison et s’inscrit, en tout cas, dans cette esthétique où Victor Hugo s’illustrera insérant en même temps une dimension idéologique dans l’exaltation de la guerre. C’est en effet la Liberté qui mène l’armée révolutionnaire de 1794-1795 contre les « tyrans » européens ligués.[18] La mémoire du conquérant Napoléon est perpétuée avec grandiloquence au Panthéon de Paris.[19]
Même un hymne national comme La marseillaise peut paraître suspect à un esprit tolérant et pacifique.[20]
Depuis le XVIIIe siècle, la raison apporte son concours à l’éloge. Le marquis de Sade, dans La philosophie dans le boudoir, considère que la violence, comme le sexe et l’égoïsme sont non seulement des manifestations naturelles mais aussi des manifestations de la nature de l’homme. Le propos de Sade, dans son ensemble, vise à contester et détruire la religion, la morale, et finalement tout l’ordre établi. A sa suite, nombreux sont les auteurs qui verront, dans la violence, le seul moyen d’en finir avec l’oppression réelle ou dénoncée comme telle. On songe à tous ces mouvements anarchistes et révolutionnaires qui, depuis le XIXe siècle, ne cessent de se manifester dans l’actualité[23], on songe au terrorisme et à ses justifications sociales, politiques et même religieuses.[24]
Nombreux sont les analystes qui ont montré le lien intime entre la violence et les idéologies d’extrême-droite ou d’extrême-gauche.
Mussolini déclare que le fascisme « ne croit ni à la possibilité ni à l’utilité de la pais perpétuelle. Il repousse le pacifisme, qui cache une fuite devant la lutte et une lâcheté devant le sacrifice. La guerre seule, porte au maximum de tension toutes les énergies humaines et imprime une marque de noblesse aux peuples qui ont le courage de l’affronter. »[25]
Dans le même esprit, l’écrivain H. de Montherlant exalte « une morale de guerrier »[26]. Il souhaitait que les garçons français pratiquent le boxe : « parce qu’elle tend à développer l’agressivité » (Le Solstice de juin). Il porte aussi un jugement révélateur sur l’humanité : « On quitte le comptoir et on va à la machine à sous, où l’on reste un quart d’heure. On retourne boire au comptoir et on revient à la machine à sous. De la machine à sous on retourne boire au comptoir et on revient, etc. Comme je déjeune dans la salle d’à côté, je peux compter ce que cela dure : cela dure une heure. On a de trente à trente-cinq ans. Ne dites pas que c’est de l’humanité, c’est de l’ordure humaine.
Puis il y a un éclatement. La guerre. La révolution. Des types tombent dans une crevasse. Un type qui se jette dans la Seine. L’homme éclate hors de l’ordure humaine, jaillit comme une fleur, brillant de courage et de sacrifice, digne d’être admiré, respecté, aimé. Cela dure un instant. Puis se flétrit pour toujours, redevient de l’ordure humaine » (Va jouer avec cette poussière). Plus simplement, il dira que: « L’ennui naquit un jour de l’uniforme ôté », que « Les deux meilleures façons de sortir de ce monde sont d’être tué ou de se tuer ».
On retrouve dans ces lignes l’influence de Sénèque écrivant : « Vivre est le fait d’un guerrier ».
Ou encore celle de Nietzsche : « C’est en vain une rêverie de belles âmes que d’attendre encore beaucoup de l’humanité (à plus forte raison beaucoup) si elle a désappris à faire la guerre. (…) Une telle humanité hautement cultivée et par là nécessairement épuisée, comme l’Europe actuelle, na pas besoin seulement de la guerre mais encore de grandes et terribles guerres -c’est-à-dire par moments d’un retour à la barbarie- pour ne pas au moyen de la civilisation perdre sa civilisation et sa propre existence. » « En attendant nous ne connaissons pas d’autre moyen qui puisse rendre aux peuples fatigués cette rude énergie du champ de bataille, cette profonde haine impersonnelle, ce sang-froid dans le meurtre uni à une bonne conscience, cette ardeur commune organisatrice dans l’anéantissement de l’ennemi…que ne fait n’importe quelle grande guerre. »[27]
Par ailleurs, comme on le sait, la lutte des classes n’est pas, selon Marx lui-même, une idée personnelle, mais « une réalité historique, dont d’ailleurs se satisfait parfaitement la bourgeoisie, lorsqu’elle possède la force et le pouvoir. »[28]
On sait aussi que Lénine emploiera volontiers des métaphores militaires. « Le prolétariat est ou devient une armée. Le Parti marxiste (bolchevik) représente un « détachement » de cette armée, son « avant-garde », qui précède le gros des troupes et que ces troupes doivent suivre. »[29] Mais, se demande le marxiste H. Lefebvre, « s’agit-il seulement de métaphores ? Non. La question centrale de la révolution politique étant celle du pouvoir, se pose en termes militaires. Il s’agit d’une guerre. Et si le prolétariat, si les révolutionnaires l’oublient, le pouvoir existant -avec sa police et son armée- se charge de leur rafraîchir la mémoire. Il s’agit d’une guerre, dont l’insurrection, la guerre civile et les complications qui s’ensuivent (à l’échelle internationale notamment) ne sont que les épisodes aigus et les plus sanglants. »[30] Ainsi, écrira Lénine, « la révolution sera une succession rapide d’explosions plus ou moins violentes, alternant avec des phases d’accalmie plus ou moins profonde. »[31] « En d’autres termes, commente H. Lefebvre, la lutte des classes se présente comme une guerre, où la violence latente et atténuée alterne avec la violence ouverte. »[32]
Influencé par Marx[33] et Proudhon[34], Georges Sorel[35] rassemble en 1906 sous le titre Réflexions sur la violence, une série d’articles publiés dans la presse socialiste où il défend le principe du syndicalisme révolutionnaire dont l’arme sera la grève générale. En 1908, tout en ne partageant pas l’admiration qu’avait Jaurès pour la « haine créatrice », il n’hésite pas à déclarer que « le socialisme ne saurait subsister sans une apologie de la violence ». Toutefois, précise-t-il, « la guerre sociale, en faisant appel à l’honneur qui se développe si naturellement dans toute armée organisée, peut éliminer les vilains sentiments contre lesquels serait demeurée impuissante. »[36] Sa critique de la démocratie attirera les extrémistes d’Action française et influencera Mussolini qui le reconnaîtra comme un de ses maîtres penseurs.
Aujourd’hui, Ernesto Che Guevara est devenu une idole. Tee-shirts, posters, films et chansons le célèbrent encore[37] comme un héros des temps modernes, libérateur des opprimés. Le halo romantique qui entoure le personnage que d’aucuns ont appelé « le Jésus de la révolution »[38], devrait se dissiper à lire cet éloge de la haine : « La haine comme facteur de lutte, la haine inflexible en face de l’ennemi pousse l’homme à dépasser les frontières naturelles et le transforme en une machine à tuer efficace, puissante, sélective et froide. Nos soldats doivent être ainsi. Un peuple sans haine ne peut venir à bout d’un ennemi brutal. »[39] « Nous ne devons pas craindre la violence, sage-femme de la nouvelle société »[40] ni « la haine efficace qui fait de l’homme une efficace, violente, sélective et froide machine à tuer »[41].
Même dans le socialisme « démocratique », on trouve l’écho de cette « philosophie ». En 1877, César de Paepe[42] déclarait : « en faisant usage des droits constitutionnels et des moyens légaux mis à notre disposition, nous ne prétendons nullement répudier à jamais les moyens révolutionnaires et renier (le) droit à l’insurrection (…). Lorsqu’on persiste, malgré toutes ses réclamations et ses protestations, à refuser au peuple le redressement de ces griefs légitimes, le peuple n’a d’autre recours qu’en ce droit ; et nous savons, par l’histoire, que la révolution est souvent la raison suprême du peuple comme le canon est la raison suprême des rois. »[43]
Dans les milieux chrétiens, nous l’avons vu, l’idéologie marxiste a laissé des traces.
A partir de 1950 se sont constituées des théologies de la libération, en Amérique latine principalement, dont certaines ont cédé à la tentation révolutionnaire violente. A cette époque, « certains théologiens ne voient (…) pas comment on pourrait faire l’économie d’une révolution violente pour mener à bien le projet libérateur. » Ainsi, au Salvador, Ignacio Ellacuria examine « le « caractère politique de la mission de Jésus » avant d’envisager une « rédemption de la violence ». » [44] Et même le Président de la Conférence de l’Episcopat latino-américain, Mgr Larrain, déclare que « si les masses misérables d’Amérique latine ne voient pas de solution à leurs problèmes, elles exerceront un droit légitime en recourant à la violence. »[45]
En Europe, les débats théologiques qui ont influencé les théologiens sud-américains et qui insistent « sur le fait que toute réflexion théologique est située et conditionnée »[46], en arrivent à se poser la question de la révolution et de la violence. Après avoir souligné que « la non-violence reste une violence », un théologien précise que « croyant ou non[47], tout homme a les mêmes raisons d’adopter ou de rejeter la non-violence comme technique : c’est affaire de rationalité scientifique. Comme d’autre part tout, croyant ou non, a les mêmes raisons de tenir l’exigence utopique de non-violence, du moment qu’il est révolutionnaire, privilégier la non-violence, en la liant d’une façon quelconque à la foi chrétienne, nous paraît être une mauvaise position du problème, qui ne peut qu’ajouter à la confusion. Il semble bien du reste que Jésus, dans les limites de sa mission, ait vécu l’amour (support anthropologique de la foi) aussi bien par la violence (les vendeurs du Temple, les anathèmes) que par la non-violence (tendez l’autre joue). Le vrai révolutionnaire, croyant ou pas, alors même qu’il use techniquement de la violence (lorsqu’elle lui paraît le moyen adéquat), reste en tension utopique de non-violence. (…) Le seul problème est donc de ne jamais lâcher l’utopie, de telle sorte que l’action violente (et elle l’est toujours, même quand on la dit non-violente) soit pratique réelle (et non illusoire) de l’amour. »[48]
Plus radicalement, en 1975, rappelons-nous ce fait ahurissant, la Jeunesse rurale catholique belge, à la suite du Mouvement rural de la jeunesse chrétienne de France, choisissait la ligne marxiste-léniniste et déclarait sans ambages : « Les chefs syndicaux, les dirigeants réformistes, le P.C.B. prétendent arriver à la société socialiste sans user de violence, par la voie pacifique électorale. Mais ils trompent ainsi lourdement la classe ouvrière, la petite paysannerie (…). Il n’est pas d’autre passage pour arriver (au socialisme) que celui de la révolution socialiste violente (…) ».[49]
Même en dehors de toute idéologie, la violence peut fasciner et trouver des justifications. Ainsi, le grand écrivain allemand Ernst Jünger[50] écrit en 1922: La guerre comme expérience intérieure. Livre ambigu où il distingue le « pacifisme idéaliste estimable » du « pacifisme peureux décadent ». Il fait l’éloge d’une « brutalité naturalisée » où la guerre apparaît comme « une loi de la nature », « le moyen de lutte pour la survie des civilisations et le maintien du lien national ». Cet anti-nazi notoire converti au catholicisme, écrira, en 1943: « Pour mériter la paix, il ne suffit pas de ne pas désirer la guerre. La véritable paix suppose un courage qui dépasse celui de la guerre : elle est activité créatrice, énergie spirituelle ».[51] Dans le monde de la violence, et dès l’origine, le terrorisme, sous toutes ses formes, et à certains égards, est peut-être pire que la guerre. Comme le montre Guy Haarscher, il inverse les positions du bourreau et de la victime[52]. Déjà Camus avait remarqué que « les camps d’esclaves sous la bannière de la liberté, les massacres justifiés par l’amour de l’homme ou le goût de la surhumanité, désemparent, en un sens, le jugement. Le jour où le crime se pare des dépouilles de l’innocence, par un curieux renversement qui est propre à notre temps, c’est l’innocence qui est sommée de fournir ses justifications. »[53] Telle est « la logique du terroriste: quand il tue des innocents, il arrive toujours à nier cette réalité insoutenable en la déplaçant sur le plan d’un combat plus large, et bien entendu pour lui légitime, contre le Mal. »[54] Ainsi Ben Laden[55] dans son action terroriste contre les États-Unis s’en prend à l’impérialisme américain responsable des misères du monde arabo-musulman. Par là, il se pose en défenseur de tous les opprimés et devient un héros. Toutes les victimes sont complices et donc coupables. Elles n’avaient pas à se trouver sur le territoire de l’Empire du Mal.[56]
Ajoutons encore à ce rapide panorama que le spectacle de la violence est apprécié et, apparemment, de plus en plus apprécié. Certes, jadis, les hommes ont pris plaisir aux jeux du cirque ou ont assisté en masse à des condamnations à mort mais alors que tout l’effort de la civilisation été de bannir de tels scènes de la vie publique, les moyens de communications modernes ont pris le relais comme si l’homme avait absolument besoin de se repaître de tels « divertissements ». Une large part de la production cinématographique et des jeux video utilise le spectacle de la violence pour attirer la clientèle et se justifie par le fait qu’il ne s’agit que de fiction. Par contre, la télévision, à travers l’actualité, nous présente une violence réelle mais qu’elle censure en général. Ce qui n’est pas le cas actuellement sur Internet où de nombreux sites donnent à voir la violence réelle la plus crue dans son intégralité[57]. Les principaux sites diffusant ce genre de video reçoivent en moyenne 200.000 visiteurs par jour et parfois jusqu’à 700.000 quand une « nouveauté » est proposée[58]. Les téléphones portables permettent aujourd’hui à n’importe qui de filmer des agressions, des viols et de diffuser ensuite les images sur la « toile ». C’est le phénomène du « happy slapping ». Cette pratique, bien qu’elle soit considérée dans de nombreux pays comme un délit, se répand de plus en plus.
« Je vis réellement -il me semble encore voir-
Un corps sans tête aller droit, tout ainsi
Que les autres allaient en ce triste troupeau.
Il tenait aux cheveux sa tête décollée,
Sa main la balançait en guise de lanterne,
Et il nous regardait, et il disait : « Oh ! Moi ! »
De soi-même il servait à soi-même de lampe :
Ils étaient deux en un ; il était un en deux.
Comment cela se peut, seul le sait Qui le fit.
Quand il fut juste au pied de notre pont,
Il éleva d’un coup le bras avec la tête,
Pour rapprocher de nous sa voix et ses paroles.
« Vois, me dit-il, mon cruel châtiment,
Toi qui, bien que vivant, viens visiter les morts :
Vois s’il en est de plus grand que le mien.
Mais, afin que de moi tu donnes des nouvelles,
Sache donc que je suis Bertan de Born, celui
Qui à son jeune Roi donna mauvais conseils.
J’ai rendu et le père et le fils ennemis :
Achitopel n’en fit pas plus entre Absalon
Et son père David, par ses pointes perfides.
Comme j’ai séparé deux êtres si unis,
Je porte, hélas ! mon cerveau séparé
De sa tige, qui est la moelle de ce tronc.
Ainsi s’observe en moi la loi du talion. » »
« Bien me plaît le temps de Pâques qui fait naître feuilles et fleurs ;
j’aime à entendre le ramage des oiseaux, quand ils font retentir leurs chants par le bocage ;
il me plaît de voir dressés sur les prés tentes et pavillons
et j’ai grande allégresse quand je vois rangés par la plaine chevaliers et chevaux armés.
(…)
Il me plaît quand les éclaireurs
font s’enfuir les gens et leur bétail ;
et il me plaît de voir leur courir sus force guerriers, tous ensemble.
(…)
Masses et épées, heaumes de couleur,
écus fendre et se défaire
verrons-nous au début du combat, et de nombreux vassaux frapper ensemble.
C’est pourquoi erreront en désordre
les chevaux des morts et des blessés.
Et, une fois dans la mêlée,
que chaque homme bien né
ne pense qu’à tailler têtes et bras,
car mieux vaut être mort que vivant et vaincu.
(…)
Je vous le dis : rien n’a pour moi saveur
ni manger, ni boire ou dormir,
autant que d’entendre crier : « A eux ! »
Des deux côtés, et d’entendre hennir
dans les sous-bois les chevaux démontés,
et crier « A l’aide ! A l’aide ! »
Et voir tomber dans les fossés
humbles et grands sur l’herbe,
et voir les morts qui, dans leurs flancs,
ont des éclats de lances avec leurs fanions. »
Jadis la Grèce eût, vingt ans, Sous les Jumeaux effrayés,
Sans fruit vu les funérailles Des froids torrents de décembre
De ses plus fiers combattants. Les champs partout sont noyés.
Quelle effroyable puissance Cérès s’enfuit éplorée
Aujourd’hui pourtant s’avance, De voir en proie à Borée
Prête à foudroyer tes monts ! Ses guérets d’épis chargés,
Quel bruit, quel feu l’environne ! Et, sous les urnes fangeuses
C’est Jupiter en personne Des Hyades orageuses,
Ou c’est le vainqueur de Mons. Tous ses trésors submergés.
N’en doute point, c’est lui-même ; Déployez toutes vos rages,
Tout brille en lui, tout est roi. Princes, vents, peuples, frimas ;
Dans Bruxelles Nassau blême Ramassez tous vos nuages ;
Commence à trembler pour toi. Rassemblez tous vos soldats :
En vain il voit le Batave, Malgré vous, Namur en poudre
Désormais docile esclave, S’en va tomber sous la foudre
Rangé sous ses étendards ; Qui dompta Lille, Courtrai,
En vain au lion belgique Gand la superbe Espagnole,
Il voit l’aigle germanique Saint-Omer, Besançon, Dôle,
Uni sous les léopards… Ypres, Maastricht et Cambrai... »
Contre les rois tirant ensemble leurs épées,
Prussiens, Autrichiens,
Contre tous les Tyrs et toutes les Sodomes,
Contre le czar du nord, contre ce chasseur d’homme
Suivi de tous ses chiens,
Contre toute l’Europe avec ses capitaines,
Avec ses fantassins couvrant au loin les plaines,
Avec ses cavaliers,
Tout entière debout comme une hydre vivante,
Ils chantaient, ils allaient, l’âme sans épouvante
Et les pieds sans souliers ! » (Les châtiments, 1853, II, 7).
Multiplication de l’amour » (Oracles)
« Feu d’artifice en acier
qu’il est charmant cet éclairage
Artifice d’artificier
Mêler quelque grâce au courage » (Fête)
« Le ciel est étoilé par les obus des Boches
La forêt merveilleuse où je vis donne un bal
La mitrailleuse joue un air à triple-croches » (La nuit d’avril 1915)
« Que c’est beau ces fusées qui illuminent la nuit
Elles montent sur leur propre cime et se penchent pour regarder
Ce sont des dames qui dansent avec leurs regards pour yeux bras et coeurs (…)
Que c’est beau toutes ces fusées
Mais ce serait bien plus beau s’il y en avait plus encore » (Merveille de la guerre)
« Ah Dieu ! Que la guerre est jolie
Avec ses chants ses longs loisirs « ( L’adieu du cavalier)
« O canons
Douilles éclatantes des obus de 75
Carillonnez pieusement » (Fusée)
Comme appel au soulèvement des peuples, José Carlos Rodriguez, écrit Eloge de la violence, in Le Fou, n° 8, octobre 1978. De nos jours, rien n’a changé : lors de la première guerre du Golfe, le journal L’Humanité (9-2-1991) reproche à l’ancien président Giscard d’Estaing, de faire « l’éloge de la guerre américaine ». Sur le site letogolais.com, on peut lire un appel au devoir de violence, « violence sous toutes ses formes (…) Pour que le Togo soit libre ». La revue Le Prolétaire, n° 479, novembre 2005-Février 2006, apporte son soutien inconditionnel à la violence des jeunes banlieusards, en France, et en fit le point de départ pour le combat de toute la classe ouvrière, un modèle à suivre. En janvier 2006, l’hebdomadaire haïtien Ticket (12-1-2006) dénonce les « carnavaleux » qui chantent l’éloge de la violence contre les femmes après l’assassinat d’une présentatrice de TV.
Avec l’antagonisme des classes à l’intérieur de la nation, tombe également l’hostilité des nations entre elles » (pp. 43-44). Toutefois, cette vision n’exclut pas la violence, en l’occurrence la guerre civile pour la destruction de la société de classes : « Si le prolétariat dans sa lutte contre la bourgeoisie, se constitue nécessairement en classe, s’il s’érige par une révolution en classe dominante et, comme classe dominante, détruit par la violence, l’ancien régime de production, il détruit, en même temps que ce régime de production, les conditions de l’antagonisme des classes, il détruit les classes en général et, par là même, sa propre domination en tant que classe » (p. 47). Lénine confirmera cette analyse en 1915 en pleine « grande guerre » : « Les socialistes ont toujours condamné les guerres entre les peuples comme une entreprise barbare et bestiale. Mais notre attitude à l’égard de la guerre est foncièrement différente de celle des pacifistes (partisans et propagandistes de la paix) bourgeois et anarchistes. Nous nous distinguons des premiers en ce sens que nous comprenons le lien inévitable qui rattache les guerres à la lutte des classes à l’intérieur du pays, que nous comprenons qu’il est impossible de supprimer les guerres sans supprimer les classes et sans instaurer le socialisme ; et aussi en ce sens que nous reconnaissons parfaitement la légitimité, le caractère progressiste et la nécessité des guerres civiles, c’est-à-dire de guerres de la classe opprimée contre celle qui l’opprime, des esclaves contre les propriétaires d’esclaves, des paysans serfs contre les seigneurs terriens, des ouvriers salariés contre la bourgeoisie. Nous autres, marxistes, différons des pacifistes aussi bien que des anarchistes en ce sens que nous reconnaissons la nécessité d’analyser historiquement (du point de vue du matérialisme dialectique de Marx) chaque guerre prise à part ». Et plus nettement encore : « Quiconque désire une paix solide et démocratique doit être partisan de la guerre civile contre les gouvernements et la bourgeoisie ». (LENINE, Le socialisme et la guerre, disponible sur www.trotsky.org).
Ajoutons encore que le but politique du terrorisme est évidemment de terroriser et donc de répandre l’idée que personne, à commencer par l’innocent, n’est à l’abri.