e. Le Magistère
Il est vain de chercher, avant le XXe siècle, un enseignement officiel concernant l’environnement naturel mais, depuis les origines de l’Église, un certain nombre de principes fondamentaux ont été confirmés officiellement à partir des Écritures, précisément en ce qui concerne la création et son Auteur.
Dès les premiers symboles de la foi, Dieu est proclamé créateur de toutes choses[1]. Il s’agit bien du Dieu Trine car, très tôt, en 382, fut affirmée, au Concile de Rome, l’unité de l’agir des Personnes divines dans la création[2]. La Trinité « seule est le principe de toutes choses », dira le 4e Concile de Latran.[3]
Dans la seconde moitié du Ve siècle, un document servant à l’examen de la foi avant l’ordination épiscopale précise que le Fils est « le créateur de tout ce qui est, avec le Père et l’Esprit saint l’auteur et le Seigneur et le créateur (rector : celui qui régit) de toutes les créatures »[4]. L’Esprit Saint est celui en qui tout est : « un seul Esprit en qui sont toutes choses », déclarera le 2e Concile de Constantinople[5]. De Léon IX[6] à Léon XIII[7], l’Église confirmera avant que le Concile Vatican II ne souligne qu’il « remplit le monde »[8] et qu’il « dirige le cours du temps et renouvelle la face de la terre »[9]. Jean-Paul II décrit l’Esprit Saint comme Celui « d’où découle comme d’une source vive tout don accordé aux créatures (don créé) : le don de l’existence à toutes choses par la création ; le don de la grâce aux hommes par l’économie du salut »[10]
Puisque l’Esprit de Dieu est à l’œuvre dans la création, l’Église, à la suite de Paul, « tient et enseigne que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses créées, car, « depuis la création du monde, ce qu’il y a d’invisible se laisse voir à l’intelligence grâce à ses œuvres » (Rm 1,20) »[11]. En 1965, les Pères conciliaires diront : « en créant (Jn 1,3) et en conservant toutes choses par le Verbe, Dieu offre aux hommes, dans les choses créées, un témoignage durable de lui-même (Rm 1, 19-20). »[12]
Sur cette base théologique sûre, l’Église contemporaine va développer une réflexion propre sur l’écologie, inquiète des lourdes menaces qui pèsent sur le monde depuis l’ère industrielle et sollicitée aussi par tout le foisonnement intellectuel et spirituel suscité par l’état de plus en plus déplorable de la planète[13].
De Jean XXIII à François
[14]
Invitée par les événements et par les innombrables prises de position politiques, morales, théologiques, à donner son point de vue, l’Église, renouant avec une antique et authentique tradition, va, face aux problèmes nouveaux qui touchent l’environnement, réaffirmer que la nature est don vital de Dieu et, à son niveau, parole de Dieu[15]. Ce statut invite naturellement au respect et condamne d’avance tout pillage, toute négligence, tout abus, toute destruction intempestive. Dans la gestion du monde, nous sommes donc invités une fois de plus à faire nôtre le Principe et fondement des Exercices spirituels, qui doit mesurer tout notre agir[16]. Il nous enseigne à user des dons de Dieu autant qu’il est nécessaire mais pas plus qu’il n’est nécessaire.
Les encycliques Mater et magistra et Pacem in terris développe les grands principes à mettre en œuvre pour que la vie sociale se développe dans la paix mais Jean XXIII est peut-être le premier souverain pontife à s’être intéressé aux énergies nouvelles dans un discours adressé aux participants à la conférence des Nations unies sur les nouvelles sources d’énergie.[17]
Le Concile Vatican II n’aborde pas directement la question de l’environnement ou de l’écologie mais souligne, en des formules frappantes, la valeur de la création dans une perspective eschatologique : « L’Église, à laquelle nous sommes tous appelés dans le Christ Jésus et dans laquelle par la grâce de Dieu nous acquérons la sainteté, ne sera consommée que dans la gloire céleste, quand arrivera le temps de la restauration de toutes choses (Ac 3, 21) et quand, avec le genre humain, le monde entier, qui est intimement uni à l’homme et parvient par lui à sa fin, sera lui aussi renouvelé complètement dans le Christ (Ep 1, 10 ; Col 1, 20 ; 2 P 3, 10-13) ».[18] En attendant, créé à l’image de Dieu, l’homme doit dominer et utiliser les créatures terrestres pour la glorification de Dieu et se soucier d’elles : « Un dans son corps et dans son âme, l’homme réunit en lui, de par sa condition corporelle même, les éléments du monde matériel, de sorte que ceux-ci atteignent en lui leur sommet et élèvent en lui leur voix pour louer librement leur Créateur (Dn 3, 57-90). »[19] « Il a été établi comme seigneur de toutes les créatures terrestres, pour les dominer et pour s’en servir en glorifiant Dieu (Si 17, 3-10). »[20] Ce denier membre de phrase est important et montre toute la différence entre la gérance chrétienne et la volonté de puissance : « Etabli par Dieu dans la justice, l’homme toutefois, se laissant convaincre par le Malin, dès le début de l’histoire a abusé de sa liberté, en se dressant contre Dieu et en désirant atteindre sa fin en dehors de Dieu. Alors qu’ils avaient connu Dieu, « ils ne lui ont pas rendu la gloire qui revient à Dieu, amis leur cœur inintelligent s’est enténébré » et ils « ont servi la créature plutôt que le Créateur (Rm 1, 21-25) ».[21] Ainsi, le désordre introduit dans le monde matériel est la conséquence de l’oubli de Dieu, le fruit du péché.[22]
L’apport essentiel de Gaudium et spes est une juste anthropologie qui servira de base désormais à toutes les réflexions sur la question écologique.
En 1970, Paul VI, pour la première fois, évoque une « catastrophe écologique »[23] et, l’année suivante, il citera, parmi les « nouveaux problèmes sociaux », le problème de l’environnement, en ces termes : « une autre transformation se fait sentir, conséquence aussi dramatique qu’inattendue de l’activité humaine. Brusquement l’homme en prend conscience : par une exploitation inconsidérée de la nature il risque de la détruire et d’être à son tour la victime de cette dégradation. Non seulement l’environnement matériel devient une menace permanente : pollutions et déchets, nouvelles maladies, pouvoir destructeur absolu ; mais c’est le cadre humain que l’homme ne maîtrise plus, créant ainsi pour demain un environnement qui pourra lui être intolérable. » Et il ajoute : « Problème social d’envergure qui regarde la famille humaine entière. »[24]
La tâche d’apporter des réponses reviendra principalement à Jean-Paul II[25] si sensible à la question de l’écologie qu’il proclamera saint François d’Assise patron céleste des écologistes[26]. Dès sa première encyclique, après avoir rappelé qu’ »en Jésus-Christ, le monde visible, créé par Dieu pour l’homme (Gn 1, 26-30) - ce monde qui, lorsque le péché y est entré, a été soumis à la caducité (Rm 8, 20)-, retrouve de nouveau son lien originaire avec la source divine de la sagesse et de l’amour », le Souverain Pontife se demande si nous sommes convaincus par ces paroles sur »« la création (qui) gémit dans les douleurs de l’enfantement jusqu’à maintenant » (Rm 8, 22) et qui « attend avec impatience la révélation des fils de Dieu » (Rm 8, 19), sur la création qui « a été soumise à la caducité » ? » On peut en douter, semble-t-il, devant les menaces qui pèsent notamment sur l’environnement naturel.[27] L’homme est aujourd’hui menacé d’auto-destruction. On peut se demander « pour quelle raison ce pouvoir donné à l’homme dès le commencement et qui devait lui permettre de dominer la terre (Gn 1, 28) se retourne-t-il contre lui-même », provoquant une peur communicative ? Parce que « l’homme semble souvent ne percevoir d’autres significations à son milieu naturel que celles de servir à un usage et à une consommation dans l’immédiat. Au contraire, la volonté du Créateur était que l’homme entre en communion avec la nature comme son « maître » et son « gardien » intelligent et noble, et non comme son « exploiteur » et son « destructeur » sans aucun ménagement. » En somme, « le développement de la technique, et le développement de la civilisation de notre temps marqué par la maîtrise de la technique, exigent un développement proportionnel de la vie morale et de l’éthique », ce dernier étant malheureusement toujours en arrière.[28]
Le thème sera repris et développé dans l’encyclique Sollicitudo Rei socialis[29] à l’occasion du vingtième anniversaire de l’encyclique Populorum Progressio de Paul VI sur le développement des peuples[30]. Vu les dégradations subies depuis lors par l’environnement, Jean-Paul II ne craint pas de rappeler aux hommes distraits ou orgueilleux qu’ils possèdent une similitude avec les autres créatures, qu’ils ont une « nature spécifique » : « Nature corporelle et spirituelle, symbolisée dans le deuxième récit de la création, par les deux éléments : la terre avec laquelle Dieu forme le corps de l’homme, et le souffle de vie insufflé dans ses narines (Gn 2, 7). L’homme en vient ainsi à avoir une certaine affinité avec les autres créatures ; il est appelé à les utiliser, à s’occuper d’elles et, toujours selon le récit de la Genèse (Gn 2, 15), il est établi dans le jardin, ayant pour tâche de le cultiver et de le garder, au-dessus de tous les autres êtres placés par Dieu sous sa domination (Gn 1, 26). Mais en même temps l’homme doit rester soumis à la volonté de Dieu qui lui fixe des limites quant à l’usage et à la domination des choses (Gn 2, 23), tout en lui promettant l’immortalité (Gn 2, 9 ; Sg 2, 23). Ainsi l’homme, en étant l’image de Dieu, a une vraie affinité avec lui aussi ».[31]
Il s’ensuit que si l’homme doit avoir souci de son prochain, « le caractère moral du progrès ne peut non plus faire abstraction du respect pour les êtres qui forment la nature visible et que les Grecs, faisant allusion justement à l’ordre qui les distingue, appelaient le « cosmos ». Ces réalités exigent elles aussi le respect ».[32]
Mais le texte de Jean-Paul II, le plus complet et le plus fort sur la question de l’environnement nous a été donné à l’occasion de la Journée de la Paix, le 1er janvier 1990.[33]
Dans ce document exceptionnel, Jean-Paul II affirme que la paix est menacée non seulement par les conflits ou la course aux armements mais aussi « à cause des atteintes au respect dû à la nature, de l’exploitation désordonnée de ses ressources et de la détérioration progressive dans la qualité de la vie » qui engendrent « un sentiment d’insécurité qui, à son tour, nourrit des formes d’égoïsme collectif, d’accaparement et de prévarication ».
Jean-Paul II commence par résumer l’histoire du salut depuis la création jusqu’à la fin des temps pour montrer que tout le cosmos est impliqué, à toutes les étapes, dans l’innocence, le péché et la rédemption des hommes. Il insiste sur la bonté originelle de la création, sur la « sagesse et l’amour » que doivent manifester les hommes dans leur gestion à l’image de Dieu, sur le désordre introduit par le péché et sur le renouvellement de toute la création par la résurrection du Christ qui, finalement, règnera sur toutes choses.
Ce rapide mais très précis survol[34] permet à Jean-Paul II de conclure qu’il y a un « rapport entre l’agir humain et l’intégrité de la création ». Dès que l’homme s’écarte du plan de Dieu, le désordre qu’il provoque s’étend à toute la création.[35] Par conséquent, si de nombreuses mesures concrètes sont utiles et doivent être prises, il n’en reste pas moins qu’il faut remonter à la source du mal et « considérer dans son ensemble la crise morale profonde dont la dégradation de l’environnement est un des aspects préoccupants ». L’extrême gravité de la situation qui, parfois, est irréversible, révèle l’extrême gravité de la crise morale. Le vrai remède est donc d’éduquer à « la responsabilité écologique » : « il existe dans l’univers un ordre qui doit être respecté ; la personne humaine, douée de la capacité de faire des choix libres, est gravement responsable de la préservation de cet ordre, notamment en fonction du bien-être des générations futures ». Cette responsabilité écologique suppose non une rêverie sensible mais une véritable conversion qui implique le respect de l’ordre, de l’harmonie, des écosystèmes du monde mais aussi l’austérité, la tempérance, la discipline, l’esprit de sacrifice, le sens esthétique[36] et, de toute urgence, la solidarité internationale car « la terre est essentiellement un héritage commun dont les fruits doivent profiter à tous » et les dégradations qu’elle subit ne connaissent pas de frontières.
Un peu plus tard, Jean-Paul II précisera que l’action de l’homme sur le monde a deux limites : « La première est l’homme même. Il ne doit pas employer la nature de façon contraire à son propre bien personnel, contraire au bien de ses contemporains, contraire au bien des générations futures ». En effet, la nature a été confiée à l’homme c’est-à-dire à tous les hommes, à travers les générations. « La seconde est dans les choses créées elles-mêmes, ou plutôt dans la volonté de Dieu sur elles. L’homme n’a pas licence de faire ce qu’il veut et comme il veut des créatures qui l’entourent. Au contraire, il doit les entretenir et les cultiver, comme il est dit dans le récit de la Genèse ».[37] Les verbes « entretenir » et « cultiver » renvoient, dans le langage moderne, à l’idée du développement.
Le problème de l’écologie est si important qu’il fera son entrée dans le Catéchisme de l’Église catholique, en 1992, dans quelques articles traitant du septième commandement : « Tu ne voleras pas ». En ne respectant pas la création, l’homme, en effet, « vole » les générations à venir : « Le septième commandement demande le respect de l’intégrité de la création. Les animaux, comme les plantes et les êtres inanimés, sont naturellement destinés au bien commun de l’humanité passée, présente, future. L’usage des ressources minérales, végétales et animales de l’univers, ne peut être détaché du respect des exigences morales. La domination accordée par le Créateur à l’homme sur les êtres inanimés et les autres vivants n’est pas absolue : elle est mesurée par le souci de la qualité de la vie du prochain, y compris des générations à venir : elle exige un respect religieux de l’intégrité de la création.
Les animaux sont des créatures de Dieu. Celui-ci les entoure de sa sollicitude providentielle. Par leur simple existence, ils le bénissent et lui rendent gloire. Ainsi les hommes leur doivent-ils bienveillance. On se rappellera avec quelle délicatesse les saints, comme saint François d’Assise ou saint Philippe Néri, traitaient les animaux.
Dieu a confié les animaux à la gérance de celui qu’il a créé à son image. Il est donc légitime de se servir des animaux pour la nourriture et la confection des vêtements. On peut les domestiquer pour qu’ils assistent l’homme dans ses travaux et ses loisirs. Les expérimentations médicales et scientifiques sur les animaux sont des pratiques moralement acceptables, pourvu qu’elles restent dans des limites raisonnables et contribuent à soigner ou sauver des vies humaines.
Il est contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement les animaux et de gaspiller leurs vies. Il est également indigne de dépenser pour eux des sommes qui devraient en priorité soulager la misère des hommes. On peut aimer les animaux : on ne saurait détourner vers eux l’affection due aux seules personnes ».[38]
Jean-Paul reviendra encore sur la nature morale de la crise écologique dans son encyclique Centesimus annus. Après avoir dénoncé les excès de la consommation, le Pape va militer en faveur du respect du milieu naturel : « L’homme, saisi par le désir d’avoir et de jouir plus que par celui d’être et de croître, consomme d’une manière excessive et désordonnée les ressources de la terre et sa vie même. A l’origine de la destruction insensée du milieu naturel, il y a une erreur anthropologique, malheureusement répandue à notre époque. L’homme, qui découvre sa capacité de transformer et en un sens de créer le monde par son travail, oublie que cela s’accomplit toujours à partir du premier don originel des choses fait par Dieu. Il croit pouvoir disposer arbitrairement de la terre, en la soumettant sans mesure à sa volonté, comme si elle n’avait pas une forme et une destination antérieures que Dieu lui a données, que l’homme peut développer mais qu’il ne doit pas trahir. Au lieu de remplir son rôle de collaborateur de Dieu dans l’œuvre de la création, l’homme se substitue à Dieu et ainsi, finit par provoquer la révolte de la nature, plus tyrannisée que gouvernée par lui. En cela, on remarque avant tout la pauvreté ou la mesquinerie du regard de l’homme, plus animé par le désir de posséder les choses que de les considérer par rapport à la vérité, et qui ne prend pas l’attitude désintéressée, faite de gratuité et de sens esthétique, suscitée par l’émerveillement pour l’être et pour la splendeur qui permet de percevoir dans les choses visibles le message de Dieu invisible qui les a créées. Dans ce domaine, l’humanité d’aujourd’hui doit avoir conscience de ses devoirs et de ses responsabilités envers les générations à venir ».[39]
En 1995, dans l’encyclique Evangelium Vitae, rappellera encore « la question de l’écologie -depuis la préservation des « habitats » naturels des différentes espèces d’animaux et des diverses formes de vie jusqu’à l’ »écologie humaine » proprement dite » et demandera « que les solutions soient respectueuses du grand bien qu’est la vie, toute vie ». Et il ajoutera cette remarque intéressante à propos de la mission donnée par Dieu à l’homme : « La limitation imposée par le Créateur lui-même dès le commencement, et exprimée symboliquement par l’interdiction de « manger le fruit de l’arbre » (cf. Gn 2, 16-17), montre avec suffisamment de clarté que, dans le cadre de la nature visible, nous sommes soumis à des lois non seulement biologiques mais aussi morales, que l’on ne peut transgresser impunément ».[40]
Chez Benoît XVI, nous découvrons une véritable théologie de la création à laquelle il a travaillé bien avant son élection au pontificat.[41] Nous savons déjà qu’il fut sensible à la dimension cosmique de la liturgie, dimension qu’il confirme en reliant l’eucharistie à la sauvegarde de la création : « …il est nécessaire que le peuple chrétien, qui rend grâce par l’eucharistie, ait conscience de le faire au nom de la création tout entière, aspirant ainsi à la sanctification du monde et travaillant intensément à cette fin. »[42]
Il explique ainsi ce souci du monde : « Le monde n’existe pas tout seul ; il provient de l’Esprit créateur de Dieu, de la Parole créatrice de Dieu. C’est pourquoi il reflète également la sagesse de Dieu. Celle-ci, dans son ampleur et dans la logique qui embrasse ses lois sous tous leurs aspects, laisse entrevoir quelque chose de l’Esprit créateur de Dieu. Celle-ci nous appelle à la crainte révérencielle. Précisément celui qui, en tant que chrétien, croit dans l’Esprit créateur, prend conscience du fait que nous ne pouvons pas user et abuser du monde et de la matière comme d’un simple matériau au service de notre action et de notre volonté ; que nous devons considérer la création comme un don qui nous est confié non pour qu’il soit détruit, mais pour qu’il devienne le jardin de Dieu et, ainsi, un jardin de l’homme. »[43]
Dans l’encyclique Caritas in veritate, Benoît XVI va plus loin et développe l’idée que Jean-Paul II avait déjà lancée : la création est un « livre » qui possède une « grammaire » : « … la création constitue comme une première révélation, qui possède un langage éloquent : elle est comme un autre livre sacré dont les lettres sont constituées par la multitude de créatures présentes dans l’univers. »[44] Benoît XVI écrit : « Le livre de la nature est unique et indivisible, qu’il s’agisse de l’environnement comme de la vie, de la sexualité, du mariage, de la famille, des relations sociales, en un mot du développement humain intégral. »[45] Ici s’esquisse une idée qui sera chère à François : « tout est lié » : « On ne peut exiger des jeunes qu’ils respectent l’environnement, si on ne les aide pas, en famille et dans la société, à se respecter eux-mêmes : le livre de la nature est unique, aussi bien à propos de l’environnement que de l’éthique personnelle, familiale et sociale. »[46] « Que la lumière et la force de jésus nous aident à respecter l’écologie humaine, conscients que l’écologie environnementale en trouvera aussi un bénéfice, car le livre de la nature est unique et indivisible ! C’est ainsi que nous pourrons consolider la paix, aujourd’hui et pour les générations à venir. »[47]
Forts des réflexions de ses prédécesseurs immédiats, inspiré par saint François et saint Bonaventure[48], François offre au monde la première encyclique consacrée à l’écologie Laudato si’ en 2015.[49]
Avant d’entrer dans le texte de l’encyclique Laudato si’, il n’est pas inutile de jeter un œil sur les commentaires que la presse a publiés au moment de sa parution.
Tout d’abord, force est de constater qu’en dehors de quelques revues catholiques, dans la grande presse, les commentaires furent sommaires et diffusés souvent le jour même de la parution de ce document de près de 200 pages.
Beaucoup, croyants de diverses confessions ou incroyants, se sont réjouis, car, nous disaient-ils, le pape confirme les dangers que la planète court et quatre mois avant la conférence de Paris sur le climat (du 30 novembre au 12 décembre 2015) il apporte son appui moral aux participants. En somme cette encyclique est intéressante parce qu’elle confirme toutes les mises en garde actuelles.
Beaucoup d’autres, plus nombreux ont critiqué cette encyclique. Certains à cause de la diversité des applaudissements. Cette unanimité a suscité de nombreuses objections qui se recoupent : Le pape profite simplement d’une mode. Les mouvements politiques « écologiques », les associations de défense de l’environnement disent la même chose. Il n’y a rien de spécifiquement chrétien, voire de spécifiquement catholique dans la vision papale. Le document va favoriser ces mouvements et associations qui, par ailleurs, ont des positions parfois diamétralement opposées à celles de l’Église sur les questions éthiques comme sur le terrain purement politique.
d’autres ont une position plus radicale : François s’appuie sur une opinion scientifique contestée par certains.[50]
d’autres encore se sont demandé pourquoi le Saint-Père a-t-il choisi ce thème de l’écologie ? N’y avait-il pas des problèmes plus urgents ? La crise économique ? Le terrorisme ?
Enfin, plus gravement encore, certains ont déclaré que le pape, dans cette encyclique, rompt avec la doctrine sociale de l’Église. En effet, il condamne l’économie de marché, et se situe dans une tout autre logique économique, étatiste et collectiviste.
Bref, tout cela peut nous amener à dire que l’encyclique n’a pas été lue avec bienveillance et même qu’elle n’a pas été lue dans son intégralité si tant est qu’elle ait été lue ! Mais ce n’est pas nouveau !
Sans suivre nécessairement la succession des chapitres, essayons de mettre en lumière la logique du texte.
Tout d’abord remarquons que la structure de l’encyclique rappelle la structure du document conciliaire Gaudium et spes. Ce document (GS 1 et 2) s’adresse non pas aux seuls fidèles mais à tous les hommes, à toute la famille humaine. Il en est de même ici, François se plaît à le répéter (LS 3 et 62). GS commence par décrire l’état du monde, les espoirs et les angoisses de l’homme, la mutation profonde que l’époque a connue aux points de vue social, psychologique, moral, religieux dans un monde déséquilibré, bouleversé par l’athéisme, où chacun aspire à plus de liberté et de dignité et se pose des questions essentielles sur le sens de sa vie. Dans le premier chapitre de Laudato si’, François fait de même, il dessine l’état de la planète et énumère les nombreux problèmes qui menacent, comme il dit, notre maison commune et provoquent des désordres naturels et sociaux. Désordres qui touchent spécialement et gravement les hommes et les sociétés les plus pauvres de la planète. Le catalogue est très complet, plus complet que dans le discours habituel du militant écologiste. Et François est bien conscient que certains contestent cette description et proposent des solutions inadéquates à ses yeux (LS 60). Il se montre prudent lorsqu’il ajoute: « Sur beaucoup de questions concrètes, en principe, l’Église n’a pas de raison de proposer une parole définitive et elle comprend qu’elle doit écouter puis promouvoir le débat honnête entre scientifiques, en respectant la diversité d’opinions. Mais il suffit de regarder la réalité avec sincérité pour constater qu’il y a une grande détérioration de notre maison commune. » (LS 61). Il faut savoir qu’en amont de l’encyclique il y a l’Académie pontificale des sciences, la plus vieille académie scientifique d’Italie, devenue pontificale sous Pie IX déjà. Elle est internationale, elle rassemble des sommités dans tous les domaines scientifiques, elle a la réputation d’être l’assemblée qui compte en son sein le plus grand nombre de prix Nobel. Et c’est la compétence en leur domaine qui rassemble ces scientifiques et non leur orthodoxie catholique. Bon nombre sont athées, juifs ou musulmans. Dans un message adressé aux Académiciens en 1940, Pie XII a rappelé que l’Académie était libre de toute forme d’inquisition : « À vous, nobles champions des arts et disciplines humaines, l’Église reconnaît une totale liberté dans vos méthodes et vos recherches ». En raison de leur indépendance totale par rapport à tout point de vue national, politique ou religieux, les délibérations et les études de l’Académie constituent une inestimable source d’information objective sur laquelle le Saint Siège et ses nombreux organes peuvent s’appuyer dans leurs réflexions.
Le pape s’intéresse ensuite aux causes de cette dégradation de notre maison commune. Ou plutôt à la cause première de cette dégradation et cette cause c’est, comme il dit, la « racine humaine » (LS 101) c’est l’homme lui-même. Non pas l’homme en tant que tel. Le pape refuse l’analyse de la « deep ecology » qui estime qu’« à travers n’importe laquelle de ses interventions, l’être humain ne peut être qu’une menace et nuire à l’écosystème mondial, raison pour laquelle il conviendrait de réduire sa présence sur la planète et d’empêcher toute espèce d’intervention de sa part. » (LS 60) Il refuse cette position extrême tout comme il refuse l’optimisme d’autres qui « soutiennent à tout prix le mythe du progrès et affirment que les problèmes écologiques seront résolus simplement grâce à de nouvelles applications techniques, sans considérations éthiques ni changements de fond. » (LS 60) C’est précisément à une réflexion éthique et à un changement de fond que nous invite François. Ce n’est pas l’homme en tant que tel qui est en question mais un homme qui est indifférent à ces problèmes, l’homme égoïste, violent, superficiel, jouisseur, obsédé par le profit, un homme qui se croit tout permis, qui prétend disposer à sa guise des biens de la planète, prêt à tout exploiter, les choses comme les êtres humains, un homme qui se prend pour Dieu. Le mal se nomme « anthropocentrisme ». Et face à cet homme qui se prend pour le centre du monde, la réaction politique internationale est faible, le politique étant trop souvent soumise à la technologie, aux intérêts économiques et aux puissances financières. (LS 54)
Que faire alors ? Il faut penser en profondeur aux « fins de l’action humaine » (LS 61). Est-ce moi, mon plaisir, ma richesse qui constituent la fin de tout ? Sur ce point fondamental science et religion peuvent entamer « un dialogue intense et fécond pour toutes deux ». (LS 62) Un dialogue salvateur.
Dans GS, les pères conciliaires, après l’énumération des calamités et la prise en compte des attentes de l’humanité, montrent que le message de l’Église, s’il est écouté, est susceptible de répondre à ces attentes. De même, après avoir constaté le délabrement de notre maison commune, l’apathie des responsables et les souhaits des hommes conscients du danger, François propose le remède : ce qu’il appelle l’ « écologie intégrale ». (LS, chap. IV). Cette écologie est intégrale car elle est en même temps « environnementale, économique et sociale », morale et politique. Tout étant lié. On ne peut sérieusement militer pour un environnement sain sans militer pour une économie solidaire, sans militer pour mettre fin aux inégalités scandaleuses, aux guerres et menaces de guerre. Plus crûment, si vous voulez, on ne peut prendre la défense des bébés phoques sans prendre soin des pauvres, des sans travail, des réfugiés ou encore des enfants à naître .
d’où vient, en effet, cette notion d’« écologie intégrale » ? Le pape rompt-il, comme certains l’insinuent ou l’affirment, avec la tradition catholique ? Non. Dans tout le chapitre deux, le pape montre qu’il est bien dans l’esprit de l’ancien et du nouveau testament, du livre de la Genèse aux épîtres. Tout est lié, dès le départ. Adam, selon l’étymologie populaire dérive de adamah, le sol, de sorte qu’on peut traduire Adam par le terreux. Il n’est pas étonnant dès lors que l’homme et toutes les créatures soient invités, dans les psaumes, à louer le Seigneur comme dans le Ps 148 où non seulement les anges, mais aussi le soleil, la lune, les étoiles, les monstres marins, le feu, la grêle, la neige, le brouillard, les montagnes, les arbres, les reptiles, les rois et les peuples, sont invités à louer le Seigneur. Non seulement les créatures sont interdépendantes, comme dit le Catéchisme: « L’interdépendance des créatures est voulue par Dieu. Le soleil et la lune, le cèdre et la petite fleur, l’aigle et le moineau : le spectacle de leurs innombrables diversités et inégalités signifie qu’aucune créature ne se suffit à elle-même. Elles n’existent qu’en dépendance les unes des autres, pour se compléter mutuellement au service les unes des autres. »[51] Mais, en plus, les créatures nous disent quelque chose de Dieu. Jean-Paul II faisait remarquer que « pour le croyant, contempler la création, c’est aussi écouter un message, entendre une voix paradoxale et silencieuse » ; « à côté de la révélation proprement dite, qui est contenue dans les saintes Écritures, il y a donc une manifestation divine dans le soleil qui resplendit comme dans la nuit qui tombe ». (LS 85) Ne lit-on pas dans l’épître aux Colossiens (Col 1, 16) : « Tout est créé par lui et pour lui ». Les créatures nous disent quelque chose de Dieu, un Dieu qui regarde avec tendresse ses créatures : « Ne vend-on pas cinq passereaux pour deux as ? Et pas un d’entre eux n’est en oubli devant Dieu. » (Lc 12, 6). Et les créatures précieuses aux yeux de Dieu peuvent aussi nous instruire par leur exemple : « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et votre Père céleste les nourrit » (Mt 6, 26). La contemplation du monde est riche de découvertes pas seulement scientifiques mais aussi théologiques. Parlant des païens, Paul écrit dans l’épître aux Romains: « ce que l’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste : Dieu le leur a manifesté. En effet, depuis la création du monde, ses perfections invisibles, éternelle puissance et divinité, sont visibles dans ses œuvres pour l’intelligence… » (Rm 1, 19-20). C’est ainsi qu’Aristote par la seule raison, après avoir étudié la nature (Physis) va au-delà des apparences, des perceptions sensibles pour fonder la métaphysique, ce qui vient après, au-delà de la physis et en arrive à l’existence de Dieu. Ce qui ne veut pas dire que la nature soit divine comme dans diverses religions. Au contraire, « la pensée judéo-chrétienne a démystifié la nature » qui a perdu son caractère divin (LS 78) mais la nature n’est pas non plus un pur objet et tous les êtres créés n’ont pas la même valeur. Dans le récit de la création, tout est dit « bon » mais l’homme, créé en dernier, est dit « très bon ». Disons donc et répétons que la nature manifeste Dieu, qu’elle est un lieu de sa présence (LS 88). Ce n’est pas par hasard si abbayes et monastères se trouvent dans des lieux écartés en pleine nature. Ce n’est pas par hasard non plus si le désert est souvent le lieu d’une expérience forte de la présence de Dieu.[52]
Le pape s’appuie, bien sûr, sur les Écritures et aussi sur la tradition, particulièrement sur François d’Assise et son Cantique des créatures (LS 87) qui fournit son titre à l’encyclique. François se réfère aussi à ses prédécesseurs, Jean XXIII (Pacem in terris), Paul VI (Populorum progressio) qui parlait de « développement intégral », saint Jean-Paul II (Centesimus annus) qui parlait lui d’écologie humaine et Benoît XVI (Caritas in veritate). Il aurait pu même remonter jusqu’à Léon XIII qui, en 1891, dans Rerum novarum , à une époque où la question écologique ne se posait pas comme aujourd’hui (le mot écologie venait juste de naître en Allemagne et était réservé à un petit nombre de scientifiques), Léon XIII déclare que ceux qui reçoivent la générosité de Dieu sous la forme de ressources naturelles ou de biens devraient exercer leur responsabilité « comme l’intendant (pas le propriétaire !) de la providence de Dieu, au bénéfice des autres ». François s’appuie également sur l’enseignement du patriarche de Constantinople Bartholomée. Les orthodoxes ayant traditionnellement mieux conservé que les catholiques, le sens de l’unité de la création. Il faut bien avouer que pendant quelques siècles, les catholiques ont été distraits et ont trahi la révélation à ce point de vue..
L’écologie intégrale ne se limite donc pas à la défense des espèces menacées et à la lutte contre le réchauffement climatique. Economique, sociale, culturelle, humaine, morale, elle est attentive au cadre de vie sous toutes ses formes, environnement naturel, urbain, humain, elle veille à ce que tous aient un logement digne, puissent profiter de transports en commun bien organisés, elle défend les valeurs familiales, les cultures locales, le patrimoine humain et chrétien, passé et présent, elle respecte la nature humaine, la féminité et la masculinité, la cordialité, la solidarité intergénérationnelle dans un monde qui pollue non seulement l’air mais qui pollue la vue, les oreilles et les âmes, qui prétend effacer les différences sexuelles, homogénéiser les cultures, qui déracine, organise des pénuries, exploite, gaspille, veut tout techniciser, laisse la voiture coloniser les villes et encombrer les routes, un monde égoïste, individualiste, amoral, jouisseur.
Pour établir cette écologie intégrale, les chemins à privilégier sont le dialogue et la conversion.
Le dialogue, à tous les niveaux, international, national et local dans l’intérêt de tous et prioritairement des pays pauvres, dans l’intérêt de ces biens communs à préserver que sont les océans et l’eau potable. Dialogue sur les plans national et local à long terme et pas seulement en vue des prochaines élections. Veiller à ce que les processus de prise de décisions soient transparents et donc participatifs et éclairés. L’écologie intégrale englobe donc aussi le politique. Une politique qui dialogue avec l’économie pour qu’elle n’impose pas à n’importe quel prix ses exigences de rentabilité. Le marché seul ne peut imposer sa loi pas plus que l’État obsédé de planification. Un autre dialogue est important : celui des religions et des sciences. Les sciences, les techno-sciences ne peuvent pas tout résoudre, elles doivent s’ouvrir à d’autres dimensions. L’homme ne se réduit pas en un certain nombre d’équations. (chap. 5)
Au niveau personnel, la conversion est indispensable, car les lois, à long terme sont insuffisantes pour lutter contre les mauvais comportements (LS 211). On ne peut espérer convertir l’autre qu’en commençant par se convertir soi-même (chap. 6). Que nous demande cette « écologie intégrale » ? De changer notre culture, de changer nos habitudes, de vivre avec sobriété et humilité, de rompre les conditionnements économiques, en ayant « conscience d’une origine commune, d’une appartenance mutuelle et d’un avenir partagé par tous » (LS 202), donc de dépasser notre individualisme (LS 208), de développer le sens de la responsabilité et de la communauté. En s’appuyant sur tous les milieux éducatifs, à commencer par la famille, vecteur essentiel de cette formation à l’écologie intégrale (LS 213) qui ne doit pas négliger la dimension esthétique du monde (LS 215) et surtout pas la dimension religieuse, mystique même qui seule peut offrir les motivations nécessaires et durables. La foi nous conduit à vivre l’amour des autres et à contempler le Créateur dans sa création à l’école de saint Bonaventure le grand théologien franciscain (XIIIe s) (LS 233) ou de saint Jean de la Croix, le grand mystique espagnol (XVIe s)(LS 234). Chaque jour, nous pouvons, nous-mêmes, vivre cette expérience particulièrement dans les sacrements car, écrit Jean-Paul II: « toutes les créatures de l’univers matériel trouvent leur vrai sens dans le Verbe incarné, parce que le Fils de Dieu a intégré dans sa personne une partie de l’univers matériel, où il a introduit un germe de transformation définitive » et c’est évidemment dans l’eucharistie que « la Création trouve sa plus grande élévation. » (LS 236) Avez-vous déjà pensé que lorsque monsieur le Curé ou monsieur le Vicaire célèbre la messe, il se livre à « un acte d’amour cosmique » ? « Oui, cosmique ! », renchérit Jean-Paul II et il explique : « car, même lorsqu’elle est célébrée sur un petit autel d’une église de campagne, l’Eucharistie est toujours célébrée, sur l’autel du monde. » (LS 236) Le dimanche, en particulier, le regard s’ouvre sur le monde et sur les autres. Déjà dans l’ancien testament, la loi du repos hebdomadaire impose le chômage « afin que se reposent ton boeuf et ton âne et que reprennent souffle le fils de ta servante ainsi que l’étranger » (Ex 23, 12). Saint Bonaventure déjà cité affirmait même que toute la création porte la marque de la trinité puisque Dieu créateur est trine. Et la création a une reine, Marie, dont toutes les créatures chantent la beauté « enveloppée de soleil, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête » (Ap 12, 1). Saint Joseph, le travailleur manuel, peut nous enseigner à travailler dans le respect de la création. Prenons soin de la création puisqu’elle est précieuse aux yeux de Dieu à tel point qu’elle participera avec nous mystérieusement à la plénitude sans fin. Des cieux nouveaux et une terre nouvelle nous sont promis comme il est écrit dans l’Apocalypse (21, 1), dans la seconde épître de Pierre (2 Pi 3, 13) en écho à ce que le Seigneur révélait déjà à Isaïe (65, 17-19 et 66, 22)
En somme, le pape François, ne parle pas de l’écologie comme tout le monde, il ne s’adapte pas à une mode pour paraître branché. Son message est original à plusieurs titres.
Certes son point de départ rejoint la mise en garde de beaucoup mais très vite il se singularise : en identifiant la cause du mal : ce n’est pas l’homme et son activité qui sont en question mais l’homme qui a perdu le vrai sens de ses relations avec le monde, avec les autres et surtout avec Dieu, en affirmant l’unité de la création qui est la clé de cette écologie intégrale, avons-nous dit : tous les hommes forment une seule famille (un fait qui a été fortement souligné dès Pie XII), une famille qui habite une maison commune. Cette unité de la création découle du fait que Dieu a tout créé. C’est pourquoi le pape peut affirmer que la meilleure manière de mettre l’être humain à sa place, et de mettre fin à ses prétentions de dominer la terre, c’est de proposer la figure d’un Père, créateur et unique maître du monde, parce qu’autrement l’être humain aura toujours tendance à vouloir imposer à la réalité ses propres lois et intérêts. En ce sens, il rejoint ce que Jean-Paul II affirmait dans Centesimus annus : « Il n’existe pas de véritable solution de la question sociale hors de l’Évangile » (CA 5). On peut élargir la citation et dire qu’il n’existe pas de véritable solution à la question sociale comme à la question environnementale hors de l’Évangile.
De tout ce qui précède, on peut tirer deux conclusions.
Premièrement, le monde parce que création de Dieu est, à son niveau, un domaine sacré qui sera renouvelé. Le miracle eucharistique peut nous aider à accepter ce mystère. Jean-Paul II, dans un raccourci très frappant, a rappelé à des agriculteurs cette « assomption » de la matière: « Comme cela doit être significatif pour vous, hommes et femmes du monde agricole, de contempler sur l’autel ce miracle, qui couronne et sublime les merveilles mêmes de la nature. N’est-ce pas un miracle quotidien qui s’accomplit lorsqu’une semence devient un épi et que, de lui, tant de grains de blé mûrissent pour être broyés et devenir du pain ? N’est-elle pas un miracle de la nature, la grappe de raisin qui pend des sarments de la vigne ? Déjà, tout cela porte mystérieusement le signe du Christ, puisque « tout s’est fait par lui et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui » (Jn 1, 3). Mais plus grand encore est l’événement de grâce par lequel la Parole et l’Esprit de Dieu transforment le pain et le vin, « fruit de la terre et du travail des hommes », en Corps et Sang du Rédempteur ».[53] Dans son action sur le monde, dans son travail, l’homme doit avoir conscience de la noblesse de ce qu’il touche, utilise et transforme.
Deuxièmement, il apparaît clairement dans tous les textes cités, du livre de la Genèse à François, que le cosmos, dans toutes ses parties, terre, mer, espace, est un bien collectif dont tous les peuples doivent pouvoir jouir. Et donc, dans son action sur le monde, dans son travail, l’homme doit se souvenir qu’il est solidaire de tous les hommes à travers les temps.
Ces réalités profondément bibliques et chrétiennes ont incité les représentants de diverses églises à s’associer pour sensibiliser leurs fidèles et les responsables nationaux et internationaux.[54]
Je n’approuve pas, écrit Moltmann, la deuxième partie de ce principe, parce qu’il ne distingue pas entre grâce et gloire, entre histoire et nouvelle création, entre l’existence chrétienne et l’existence accomplie. C’est parce que cette deuxième distinction n’est pas suffisamment marquée que ce principe médiéval conduit sans cesse au triomphalisme : dans la grâce se trouverait déjà la gloire, qui accompli la nature ; dans l’alliance il y aurait déjà le royaume, qui est le principe interne de la création ; dans l’existence chrétienne il y aurait déjà l’accomplissement de l’existence humaine.
C’est pourquoi je présente une formulation nouvelle de la deuxième partie du principe théologique suivant une dialectique trinaire :
Gratia non perficit, sed praeparat naturam ad gloriam aeternam.
Gratia non est perfectio naturae, sed praeparatio messianica mundi ad regnum Dei.
Ce principe suppose que la grâce de Dieu consiste dans la résurrection du Christ et conclut que sa résurrection est le commencement de la re-création du monde. Il s’ensuit qu’il faut parler de nature et de grâce et du rapport de la nature et de la grâce dans la perspective de la gloire, qui accomplit aussi bien la nature que la grâce et qui par conséquent détermine dès ici-bas la relation entre la nature et la grâce. Il s’ensuit en outre, que ce n’est pas encore l’alliance historique avec Dieu, mais seulement le royaume futur de la gloire divine, promis et garanti par l’alliance historique, qui peut être appelé « le principe interne de la création ». Il s’ensuit enfin, que l’existence chrétienne n’est pas encore en elle-même l’accomplissement, mais seulement une voie messianique vers un accomplissement possible, futur de l’existence humaine. Sur cette voie l’existence chrétienne rencontre l’existence juive comme chemin et témoignage d’une même espérance en une humanité enfin délivrée, glorifiée et unie dans la justice. L’existence chrétienne ne supplante pas l’existence juive, mais dépend d’elle et entre avec elle en une communauté de cheminement.
Dans le judaïsme médiéval le christianisme évangélisant les peuples a souvent été considéré et apprécié comme la praeparatio messianica de l’ensemble des peuples voulue par Dieu. Nous prenons à notre compte cette appréciation juive de l’existence chrétienne et nous l’élargissons au-delà de l’ensemble des peuples à la nature. Le christianisme est aussi là pour la praeparatio messianica naturae. » (Op. cit., pp. 20-21).
Nourri de cette tradition, Jean-Paul II saluera, en ces termes, les agriculteurs : « La fidélité de Dieu ! Pour vous, hommes du monde agricole, elle est une expérience quotidienne, constamment répétée par l’observation de la nature. Vous connaissez le langage de la terre et des semences, de l’herbe et des arbres, des fruits et des fleurs. (…) Vous découvrez dans ce langage la fidélité de Dieu aux paroles qu’il prononça au troisième jour de la création : « Que la terre verdisse de verdure ; des arbres portant semence et des arbres fruitiers » (Gn 1, 11). Dans le mouvement paisible et silencieux, mais riche de vie, de la nature, continue à palpiter la satisfaction originelle du Créateur : « Et Dieu vit que cela était bon ! » (Gn 1, 12).
Oui, le seigneur garde à jamais sa fidélité. Et vous experts en ce langage de fidélité -langage ancien et toujours nouveau-, vous êtes tout naturellement les hommes du « merci ». Votre contact prolongé avec la merveille des produits de la terre vous les fait percevoir comme un don inépuisable de la Providence divine ». (Homélie lors du Jubilé du monde agricole, 12-11-2000, in DC n° 2238, 17-12-2000, p. 1051).
A l’inverse des créatures charnelles créées avant lui, ces créatures spirituelles ne sont pas assujetties à l’homme. Elles n’ont pas défilé devant lui pour qu’il leur donne un nom. Mais elles ne peuvent rien faire sans lui et lui ne peut rien faire sans elles. qu’elle s’effectue dans la grâce ou le péché, la communion des créatures est infrangible. Procédant d’une même source divine, l’action des anges et des hommes ne saurait être que synergique.
Ensemble le mauvais ange et le mauvais couple humain ont fauté, ensemble, ils ont provoqué la chute du cosmos. » Et plus encore, « les mauvais anges ne cessent depuis la chute de disputer le monde à leurs congénères loyaux, et c’est ainsi qu’on peut les juger responsables des éruptions volcaniques et des séismes comme les bons anges le sont de l’arc-en-ciel.
Dans les litanies des saints, on a longtemps prié « les saints anges et archanges, les saints ordres des esprits bienheureux », de délivrer les chrétiens « de la foudre, de la tempête et du fléau des tremblements de terre ». » (Le salut de la création, op. cit., pp. 22 et 25).
Les chrétiens professent que dans la mort et la résurrection du Christ s’est accomplie l’œuvre de la réconciliation de l’humanité avec le Père, qui « s’est plu … par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix » (Col 1, 19-20). La création a été ainsi renouvelée (cf. Ap 21, 5), et sur elle, qui était auparavant soumise à « l’esclavage » de la mort et de la corruption (cf. Rm 8, 21), s’est répandue une vie nouvelle, tandis que « nous attendons de nouveaux cieux et une terre nouvelle où habitera la justice » (2P 3, 13). Ainsi, le Père « nus a fait connaître le mystère de sa volonté, ce dessein bienveillant qu’Il avait formé en lui par avance, pour le réaliser quand les temps seraient accomplis : ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ » (Ep 1, 9-10). » (Op. cit., § 3-4).
De même, les évêques français de la Commission sociale (op. cit., p. 117) écrivent : « la foi n’est pas l’unique remède. La création artistique, elle aussi, peut venir au secours des hommes de sciences et des politiques ».
Plus profondément et plus radicalement, Miklos Vetö va défendre l’idée que seule une esthétique permet de justifier « une attitude véritablement responsable et aimante à l’égard du monde ». En s’appuyant sur Kant mais aussi sur Simone Weil, l’auteur montre que la contemplation désintéressée de la beauté exclut la volonté de possession ou de transformation : « Tout ce qui est beau est objet de désir, mais on ne désire pas que cela soit autre, on ne désire rein y changer, on désire cela même qui est. On regarde avec désir le ciel étoilé d’une nuit claire, et ce qu’on désire, c’est uniquement le spectacle qu’on possède » (WEIL S., La condition ouvrière, Gallimard, 1951, p. 265). Cette contemplation suppose non seulement sympathie pour la nature mais aussi liberté. C’est pourquoi, en matière d’écologie, on ne peut légiférer. On ne peut que conseiller. Cet esthétique doit être religieuse et s’inspirer de l’exemple de Dieu lui-même qui institue le sabbat non simplement pour le repos mais pour freiner notre volonté de puissance et permettre la reconnaissance, la réjouissance et la célébration. La sabbat permet « d’activer ou de réactiver notre consentement à l’existence autonome des choses qui nous entourent ». L’attitude esthétique en matière d’écologie est faite de piété et de patience qui transforment l’esthétique en éthique. Non pas la piété antique mue par le sentiment de fragilité que l’homme éprouvait face aux forces du monde mais une piété moderne qui est sensible, cette fois, à la fragilité de ce monde. Un monde qui a une temporalité propre, celle des plantes et des bêtes, temporalité aujourd’hui toujours en retard sur la temporalité humaine qui va s’accélérant. La patience est donc indispensable, elle est « le consentement qu’on donne à l’autre pour lui permettre d’exister selon son propre rythme ». (op. cit., pp. 98-106).