i. Rappelons-nous
Quand nous parlons du travailleur, nous parlons d’une personne. Quand nous parlons de capital, nous parlons d’une chose[1] puisque, dans le cadre du concept « capital », « on fait entrer, outre les ressources de la nature mises à la disposition de l’homme, l’ensemble des moyens par lesquels l’homme se les approprie en les transformant à la mesure de ses besoins (…) »[2]
Parce que « chose », et quelle que soit son importance, le capital est au service du travail exercé par une personne. Le travail doit toujours être prioritaire. d’ailleurs, comme le constate Jean-Paul II, les ressources « ne peuvent servir à l’homme que par le travail » et quand l’homme s’approprie quelque richesse, « il se l’approprie par le travail et pour avoir encore du travail ». Le capital, « cet ensemble de moyens est le fruit du patrimoine historique du travail humain. Tous les moyens de production, des plus primitifs aux plus modernes, c’est l’homme qui les a progressivement élaborés : l’expérience et l’intelligence de l’homme. De cette façon sont apparus, non seulement les instruments les plus simples qui servent à la culture de la terre, mais aussi -grâce au progrès adéquat de la science et de la technique- les plus modernes et les plus complexes : les machines, les usines, les laboratoires et les ordinateurs. Ainsi, tout ce qui constitue, dans l’état actuel de la technique, son « instrument » toujours plus perfectionné, est le fruit du travail. » L’homme est toujours « le vrai sujet efficace, tandis que l’ensemble des instruments, fût-il le plus parfait, est seulement et exclusivement un instrument subordonné au travail de l’homme ».[3]
Certes, « il fut un temps où la fécondité naturelle de la terre paraissait être, et était effectivement, le facteur principal de la richesse, tandis que le travail était en quelque sorte l’aide et le soutien de cette fécondité. En notre temps, le rôle du travail humain devient un facteur toujours plus important pour la production des richesses immatérielles et matérielles (…).[4]
Cette description n’est pas originale dans la mesure où elle est précisément description d’une réalité. Le dictionnaire Robert donne une série de citations révélatrices : « Capital, c’est l’ensemble des moyens de satisfaction résultant d’un travail antérieur » (Littré) ; « Le capital n’est (…) qu’un produit du travail et de la nature » (Ch. Gide, Economie politique) ; « (La production technique) s’opère par la collaboration de trois facteurs ou agents : le Travail, la Nature et le Capital (…) Le capital, dans les sens d’instruments, d’outillage fabriqué par l’homme, est un facteur dérivé des deux premiers » (Reboud, Précis d’économie politique). Le dictionnaire cite aussi K. Marx en le simplifiant : « Le capital est du travail accumulé ». En fait K. Marx, dans sa définition du capital, résume d’abord l’opinion des « économistes » en écrivant : « Le capital se compose de matières premières, d’instruments de travail et de moyens de subsistance de toutes sortes utilisés pour produire de nouvelles matières premières, de nouveaux instruments de travail et de nouveaux moyens de subsistance. Tous ces éléments créés, produits par le travail, sont du travail accumulé. Le travail accumulé, moyen d’une nouvelle production, est du capital. » Marx ne conteste pas cette définition, il la complète en insistant sur le fait que « le capital représente lui aussi des rapports sociaux », « des rapports de production bourgeois », précise-t-il.[5] Mais, comme nous le verrons plus loin, nous entrons là dans une analyse historique et politique particulière que l’enseignement de l’Église n’ignore pas mais qui débouchera, dans la pensée des Papes, non sur la lutte permanente mais sur la collaboration entre le capital et le travail. Jean-Paul II insistera lui sur le caractère social du travail: « (…) il paraît évident que le travail d’un homme s’imbrique naturellement dans celui d’autres hommes. Plus que jamais aujourd’hui, travailler c’est travailler avec les autres et travailler pour les autres : c’est faire quelque chose pour quelqu’un. Le travail est d’autant plus fécond et productif que l’homme est plus capable de connaître les ressources productives de la terre et de percevoir quels sont les besoins profonds de l’autre pour qui le travail est fourni. »[6]