c. Que propose l’Église face au chômage ?
L’Église, en particulier dans l’encyclique Laborem exercens, a insisté sur le devoir du travail étant donné sa valeur multiforme. Et donc, le chômage, quelle que soit sa nature[1], qu’il soit technologique suite, par exemple, à l’introduction de nouvelles machines[2], conjoncturel ou cyclique découlant des crises de surproduction, doit toujours être considéré comme un mal, une calamité[3] et non comme la conséquence fatale et naturelle des lois économiques qui finiraient par l’estomper si on laissait les « lois » jouer sans contrainte[4]. Deux siècles d’expériences libérales ou néo-libérales n’ont pas réussi à assurer le plein emploi[5] d’autant plus que la production a tendance à croître beaucoup plus vite que la main-d’œuvre à cause de la mécanisation, de la concurrence.
Disons d’emblée, pour ne pas y revenir, que le principe de l’usage commun des biens impose surtout à l’État, un des employeurs indirects[6], comme dit Jean-Paul II, d’assurer des subventions qui permettent aux chômeurs et à leurs familles de subsister après la perte d’un emploi ou en attente d’un travail : « L’obligation de prestations en faveur des chômeurs, c’est-à-dire le devoir d’assurer les subventions indispensables à la subsistance des chômeurs et de leurs familles, est un devoir qui découle du principe fondamental de l’ordre moral en ce domaine, c’est-à-dire du principe de l’usage commun des biens ou, pour s’exprimer de manière encore plus simple, du droit à la vie et à la subsistance ».[7]
Cela étant dit, on peut penser, tout d’abord, que le chômage est le résultat d’une mauvaise organisation du travail comme en témoigne le contraste entre les ressources naturelles inutilisées et les foules de chômeurs. Avec beaucoup d’analystes, nous pouvons dénoncer « la pseudo-fatalité d’un chômage important »[8]. Avec humilité cependant pour ne pas tomber dans la dangereuse utopie qui a animé les sociétés marxistes.[9]
Dans la lutte contre le chômage[10], puisqu’on ne peut, l’actualité le montre, faire confiance aux seuls mécanismes du marché, une large mobilisation est nécessaire, à tous les niveaux. Une mobilisation permanente car le problème ressurgit constamment. Toute politique à court ou moyen terme finira par être prise en défaut. Le chômage doit être combattu avec le concours de toutes les parties intéressées : les instances internationales, l’État, les partenaires sociaux[11], les employeurs[12], les collectivités et les chômeurs eux-mêmes[13].
Les instances internationales
Au plan international, étant donné les relations d’interdépendance, la collaboration et la solidarité entre États sont indispensables à la promotion du travail et de l’emploi et pour éviter que les marchés financiers et les grandes entreprises continuent à perturber gravement parfois le marché du travail. « Les pays hautement industrialisés, écrit Jean-Paul II, et plus encore les entreprises qui contrôlent sur une grande échelle les moyens de production industrielle ‘ce qu’on appelle les sociétés multinationales ou transnationales) imposent les prix les plus élevés possibles pour leurs produits, et cherchent en même temps à fixer les prix les plus bas possible pour les matières premières ou les produits semi-finis (…) Il est évident que cela ne peut pas demeurer sans effet sur la politique locale du travail ni sur la situation du travailleur dans les sociétés économiquement désavantagées. »[14]
Tout en respectant les droits et la personnalité des États, et avec l’aide efficace des organisations internationales, bien des mesures doivent être prises au niveau européen et mondial en faveur du Tiers-Monde. Mesures qui auraient aussi d’heureuses répercussions en nos pays et qui réduiraient les différences choquantes et injustes dans le niveau de vie des travailleurs. Nous y reviendrons.
L’objectif premier des instances internationales, comme des instances nationales, est de favoriser l’accès du plus grand nombre au travail et de garantir aux travailleurs l’ensemble de leurs droits. De plus, il est indispensable « que le niveau de vie des travailleurs dans les diverses sociétés soit de moins en moins marqué par ces différences choquantes qui, dans leur injustice, sont susceptibles de provoquer de violentes réactions. »[15] Nous le savons, la justice sociale ne peut s’installer sans une recherche d’une certaine égalité.
L’État
Au plan national, l’employeur indirect, en définitive l’État, gardien du bien commun, doit coordonner les efforts en respectant l’initiative des personnes, des groupes, etc., en vue d’une organisation correcte et rationnelle d’un chantier de travail différencié et équilibré[16]. Dès 1932, pour remédier à la crise en cours depuis 1929, le futur Président Roosevelt lançait son « New Deal »[17] : « Si vous parlez avec nos jeunes hommes et nos jeunes femmes, vous constaterez qu’ils ne demandent qu’à travailler pour eux et leur famille ; qu’ils estiment avoir un droit au travail. Ils auront le droit de réclamer pour eux et pour tous les hommes et femmes valides et désireux de travailler, la subsistance pour vivre et une occupation selon leurs capacités. Notre gouvernement peut et doit leur assurer cette sécurité ». Et en 1944, toujours dans la libérale Amérique, la Conférence internationale du travail, à Philadelphie, affirmait clairement : « Ils sont définitivement révolus, les temps où un État pouvait croire qu’il avait rempli son devoir lorsqu’il avait garanti un revenu minimum aux chômeurs au moyen d’assurances ou de toute autre manière. Les travailleurs ne tolèreront plus longtemps une société où ceux qui veulent du travail et s’efforcent sérieusement d’en trouver seraient inévitablement contraints d’abdiquer toute dignité si on les condamnait à l’inaction (…). Un système politique et économique incapable de résoudre ce problème ne pourra paraître acceptable à un monde qui, au cours de deux guerres mondiales, se sera rendu compte de l’efficacité de l’intervention de l’État ».[18]
Bien entendu, cette planification globale ne peut s’entendre comme une centralisation unilatérale par les pouvoirs publics. Elle doit s’appuyer sur le principe de subsidiarité et c’est pour cela que tous les acteurs sont concernés. Les corps intermédiaires ont un rôle important à jouer.
En attendant, si c’est une erreur de compter d’emblée ou exclusivement, comme on le fait trop souvent aujourd’hui, sur l’action de l’État, son rôle est néanmoins important, nous l’avons déjà dit et nous le verrons encore plus tard. Il n’est pas question, en effet, de laisser sans brides ni balises le pouvoir économique mais il ne s’agit pas non plus de l’étouffer par une politique fiscale ou une réglementation sociale qui paralyse l’activité ou l’empêche de se développer. Il ne s’agit pas non plus que l’État se fasse employeur, outre mesure. Il a néanmoins l’obligation, au nom du bien commun, de stimuler le travail.
Les corps intermédiaires
Entre l’État et l’individu, ils ont une utilité capitale. On pense principalement aux organisations syndicales et aux entreprises elles-mêmes[19], au service du travail et non du capital d’abord. Mais il ne faut pas négliger le rôle que peuvent jouer les communes, les régions et toutes les associations à caractère social. Enfin, comme nous allons le voir, dans le paragraphe suivant, n’oublions jamais la mission primordiale de l’école et des différentes formes d’apprentissage.
Comme le souligne un sociologue, « qu’il s’agisse de l’activité industrielle, commerciale ou de services, des activités culturelles ou éducatives, des secteurs médico-sociaux, de la vie politique et syndicale, (…) cet espace-temps tire sa valeur des ressources qu’il permet de créer, une dynamique sociale de rapprochement des individus comme acteurs de réalisations, au-delà des règles et structures établies ».[20] Les structures intermédiaires « mobilisent des dynamiques exceptionnelles de régulations sociales conférant une légitimité particulière de réactivité transitionnelle et de lien social entre acteurs du changement ».[21] Ces valeurs, l’auteur, au terme d’une vaste enquête[22] va les rappeler tout particulièrement à propos des « organisations productives » dans un monde en profonde mutation dont la description révèle a contrario leur fonction cruciale : »Le contexte contemporain d’une mondialisation des économies libérales et des réseaux de communication d’une part, de l’autonomie et des individus sujets et acteurs de leur propre histoire d’autre part, pose ainsi la question cruciale de l’existence même de la société démocratique. Un monde virtuel d’images à destination universelle estompe en effet les représentations de cultures spécifiques, et les multimédias accélèrent les échanges, sans pour autant situer les acteurs dans la vérité de leurs appartenances et de leurs responsabilités ; tandis que les rapprochements dans les rapports humains dépassent certes les frontières nationales, objet de tant de luttes passées, mais plongent les individus dans l’inquiétude pour l’avenir de leurs sociétés devenues incertaines sur leurs fondements culturels et leurs structures politiques. Un tel constat exige qu’apparaissent d’autres modalités de régulation sociale de la vie collective sous peine de livrer les individus à l’emprise de communautés défensives aux allures de sectes et de mafias. »[23] Dans un tel monde, les organisations productives intermédiaires « entre les institutions du politique et celles de l’éducation (…) doivent aider leurs individus salariés à retrouver de nouvelles légitimités collectives sous peine de basculer dans de brutales régressions sociales et économiques ». Et cela sans « substituer l’entreprise aux structures sociales d’État ou des familles. Ce serait retourner aux modalités paternalistes ou totalitaires du développement économique ». Dans un monde marqué par le libéralisme, ces organisations sont des lieux de socialisation et de « solidarisation ». Tel est en effet le travail qui, malgré ses difficultés et ses problèmes, révèle « combien les individus sont acteurs et quasiment citoyens d’une œuvre collective de production pour laquelle ils s’engagent et se veulent partie prenante. (…) En bref, l’expérience vécue du travail fait concrètement expérimenter les valeurs de la démocratie (…). »[24]
Bien conscient des problèmes graves suscités par les inégalités, l’espérance de travail et la misère, l’auteur prêche pour que les valeurs démocratiques ne restent pas cantonnées dans les activités civiques. Il n’est pas question « de supprimer « les méfaits du travail » pour imaginer un monde meilleur, sans travail pour les uns, mais avec trop de travail pour les autres. Il s’agit de tirer les conséquences des acquis de la socialisation par le travail pour tous (…). »[25] Il s’agit de « trouver les voies efficaces d’une dynamique de légitimation des institutions intermédiaires, car c’est dans cette ressource des activités productives que doit s’inventer concrètement plus d’égalité sociale, plus de compréhension entre les hommes et plus de mobilisation sur des projets d’avenir, puisque les citoyens consommateurs et salariés s’y vivent aussi comme acteurs de réalisations collectives. »[26]
Les personnes
En définitive, il va de soi et à la lumière de l’analyse que nous venons de survoler, qu’au premier chef, ce sont les personnes elles-mêmes qui sont immédiatement concernées par le problème du travail et du chômage. En effet, expliquait Pie XII, le « devoir et le droit correspondant au travail est imposé et accordé à l’individu en première instance par la nature, et non par la société, comme si l’homme n’était qu’un simple serviteur ou fonctionnaire de la communauté. d’où il suit que le devoir et le droit d’organiser le travail du peuple appartient avant tout à ceux qui y sont immédiatement intéressés : employeurs et ouvriers. Que si, ensuite, eux ne remplissent pas leur tâche, ou ne peuvent le faire par suite de spéciales circonstances extraordinaires, alors il rentre dans les attributions de l’État d’intervenir sur ce terrain, dans la division et la distribution du travail, sous la forme et dans la mesure que demande le bien commun justement compris ».[27]
A la lumière de cette sagesse, s’il n’est pas possible dans l’immédiat de créer tous les emplois stables nécessaires, parmi les mesures qui peuvent être prises pour mettre au travail davantage de personnes, la mesure prioritaire touche à la formation.
Même aux États-Unis, c’est une réalité qui n’avait pas échappé au Dr Raymond L. Saulnier, conseiller du président Eisenhower[28], qui recommandait « training, education, relocation » : c’est-à-dire le perfectionnement de la formation des travailleurs, une meilleure éducation et une mobilité accrue pour les jeunes. Il faut élever le niveau de qualification du travailleur car le progrès technique à long terme crée des emplois mais des emplois qui demandent toujours plus de formation. Il faut aider le travailleur à s’adapter à un genre nouveau de travail ou à un nouveau lieu de travail. Le recyclage facilitera le passage des travailleurs de secteurs en crise vers d’autres secteurs en développement. De toute façon, l’éducation doit être la préoccupation première en adaptant le système d’instruction et d’éducation, qui doit se préoccuper, avant tout, certes, du développement et la maturation de toute la personne, mais aussi de la formation spécifique nécessaire à l’insertion dans le chantier de travail. La prolongation de la scolarité peut être bénéfique, de même que l’apprentissage sous toutes ses formes.
Dans une perspective plus directement volontariste encore, les pouvoirs publics et les associations sociales peuvent aider les sans-emploi à créer leur emploi[29] ou, par un système de coaching, faire accompagner par des intervenants sociaux les chômeurs dans la recherche d’un emploi, dans leurs démarches administratives ou encore dans leurs problèmes juridiques. Si, comme on l’a dit, le manque de travail est d’abord un manque d’idées[30], il faut tout faire pour encourager la créativité et la responsabilité des intéressés.
Autrement dit, c’est la personne du travailleur qui doit être au centre des préoccupations. Trop souvent, pour ne pas dire dans tous les cas, les politiques de l’emploi ou les politiques pour l’emploi[31] réfléchissent non à partir des besoins objectifs de la personne et de ses capacités acquises ou à acquérir, mais à partir du nécessaire élargissement du marché du travail, de sa répartition, en tout cas, de l’indispensable croissance économique[32] ou du « benchmarking »[33]. A partir de ce point de vue, diverses pistes sont proposées. Par exemple, certains veulent favoriser le temps partiel qui, selon eux, assurerait un partage efficace du travail, créerait des emplois et permettrait de concilier vie familiale, vie associative et vie professionnelle. Mais il faut aussi se rendre bien compte que dans la création d’emplois nouveaux par le partage, la solidarité est nécessaire et doit entraîner un effort de réduction des privilèges sectoriels et des « droits acquis »[34]. Beaucoup d’observateurs vont plus loin encore et contestent, comme un leurre, « l’idée qu’on partagera l’emploi en travaillant moins et moins longtemps »[35]. d’autres, aujourd’hui, plus nombreux, réclament la flexibilité des salaires, la mobilité des travailleurs, l’abaissement des charges sociales patronales et du coût salarial, s’accommodent de la précarité d’emploi, vantent le travail intérimaire, pour une économie plus concurrentielle et donc plus efficace, plus productive. Mais qu’en est-il de la sécurité et de la stabilité nécessaires à l’épanouissement de la personne et de la famille ?[36]
Le droit à l’initiative que Jean XXIII liait au droit au travail[37], doit être étendu le plus largement possible : « Le développement doit être sous le contrôle de l’homme. Il ne doit pas être abandonné à la discrétion d’un petit nombre d’hommes ou de groupes jouissant d’une trop grande puissance économique, ni à celle de la communauté politique ou à celle de quelques nations plus puissantes. Il convient au contraire que le plus grand nombre possible d’hommes, à tous les niveaux, et au plan international l’ensemble des nations, puissent prendre une part active à son orientation. (…) Les citoyens doivent se rappeler que c’est leur droit et leur devoir (et le pouvoir civil doit aussi le reconnaître) de contribuer selon leurs moyens au progrès véritable de la communauté à laquelle ils appartiennent ».[38]
C’est dire combien la personne est importante dans le processus économique : « Le travail est d’autant plus fécond et productif que l’homme est plus capable de connaître les ressources productives de la terre et de percevoir quels sont les besoins profonds de l’autre pour qui le travail est fourni et avec qui l’on travaille (…). Il y a des différences caractéristiques entre les tendances de la société moderne et celles du passé même récent. Si, autrefois, le facteur décisif de la production était la terre, et si, plus tard, ce fut le capital, compris comme l’ensemble des machines et des instruments de production, aujourd’hui le facteur décisif est de plus en plus l’homme lui-même, c’est-à-dire sa capacité de connaissance qui apparaît dans le savoir scientifique, sa capacité d’organisation solidaire et sa capacité de saisir et de satisfaire les besoins des autres »[39]. S’il est donc très « important que les pays en voie de développement favorisent l’épanouissement de tout citoyen, par l’accès à une culture plus approfondie et à une libre circulation des informations »[40], il en va de même dans les pays « développés » qui connaissent la marginalisation croissante d’un nombre non négligeable de citoyens.
Comme l’écrit très justement J.-Y. Calvez, « le libéralisme courant défend la liberté d’initiative économique, liberté d’entreprendre, mais sans un très grand souci de mettre chacun en condition d’exercer une telle liberté, alors que ceci ne va nullement de soi pour le plus grand nombre des hommes. L’Église lutte, elle, en vue de l’initiative pour tous… «[41] Pour tous : nuance capitale !
Une autre culture
Prioritairement, à travers les quelques mesures suggérées par l’Église et les mesures concrètes et positives prises par certains États, c’est un renouveau de la culture du travail qu’il faut souhaiter. Pour améliorer en profondeur et durablement la situation, disait un évêque, il faut:
« -Avoir en vue que construire une société digne de l’homme requiert le travail de chacun ;
-Maîtriser le progrès technique et les flux financiers au service de l’homme ;
-Répartir plus équitablement les ressources ;
-Trouver un nouvel équilibre de vie. »[42]
Qui ne voit la réforme intellectuelle et morale indispensable à ce changement qui ne peut se réaliser sans l’attachement à une juste hiérarchie de valeurs, un sens aigu de la solidarité et une volonté politique déterminée à se préoccuper d’abord de la promotion intégrale de la personne humaine et non de la productivité, de la rentabilité, de la performance à n’importe quel prix.
d’une manière générale, d’ailleurs, s’il se vérifie que l’automation et la mondialisation continuent à saccager le marché de l’emploi, ce n’est que dans l’exercice de la vertu de tempérance, dans le souci de l’autre, qu’employeurs et employés devront accepter de vivre.
Le souci des vraies priorités rendrait aussi vigueur au secteur non marchand qui manque souvent cruellement de bras dans la mesure où il n’est pas reconnu comme rentable économiquement. Une meilleure reconnaissance serait nécessaire au bénéfice de toute la vie sociale et finalement économique.
On l’a compris, rien ne peut réussir dans le court terme puisqu’on ne peut rien réussir sans se soucier en premier de la formation professionnelle certes, mais aussi civique, éthique, spirituelle[43].
En conclusion, deux maîtres-mots : formation donc et, par-dessus tout, solidarité. Ce n’est pas pour rien que M. Schooyans a présenté la théologie du travail chez Jean-Paul II comme une théologie de la solidarité. Une solidarité sans frontières, une « solidarité fondée sur la vraie signification du travail humain », solidarité de tous au service du bien commun de toute la société, pour le travail, pour la justice sociale en renversant « les fondements de la haine, de l’égoïsme, de l’injustice », solidarité des travailleurs et solidarité avec les travailleurs, avec le travail, « c’est-à-dire en acceptant le principe de la primauté du travail humain sur les moyens de production, la primauté de la personne au travail sur les exigences de la production ou les lois purement économiques ». Bref, « la solidarité est (…) la clé du problème de l’emploi ». Mais elle ne peut exister que si elle « voit dans la dignité de la personne humaine en conformité avec le mandat reçu du Créateur le critère premier et ultime de sa valeur ».[44]
Les critiques adressées au travail de ces instances emportent assurément leur part de vérité, mais on conviendra que, dès lors qu’il ne puisse en aucun cas s’agir de transposer mécaniquement ces recommandations dans nos réalités institutionnelles et que tout « emprunt » passera nécessairement par les conditions de notre démocratie sociale et politique, les dangers supposés de la prise en, compte de celles-là sont forcément limités ».(in La politique fédérale de l’emploi, Rapport d’évaluation 1997, op. cit., pp. 15-16). Cette mise ne garde nous rappelle que les théories les plus belles ne peuvent faire fi de la complexité historique et, en dernière analyse, du vécu des individus.
Beaucoup avancent une précision en demandant de partager le temps de travail, en clair de le réduire progressivement. Cela est une perspective à étudier sérieusement, et à programmer dans le temps par des accords entre les parties intéressées. Mais la réduction du temps de travail conduit inexorablement à deux questions.
d’abord, celle de la répartition des charges de la protection sociale qui ne peuvent indéfiniment être prélevées seulement sur les salaires, sauf à accepter qu’un temps de travail attribué à davantage d’hommes mais pour moins longtemps, supporte un prélèvement proportionnellement plus important.(…)
La seconde question posée par la réduction du temps de travail, bien évidemment, est celle du partage des revenus. Travailler moins conduit à gagner moins, donc le niveau de vie devra être réduit en proportion. » (op. cit., pp. 199-200).