ii. Hayek et la justice sociale
Nous avons, dans le premier chapitre, évoqué avec quelle sévérité, Hayek parle de la justice sociale si chère aux socialistes et aux chrétiens.
« J’en suis arrivé, écrivait-il, à sentir fortement que le plus grand service que je puisse encore rendre à mes contemporains serait de faire en sorte que ceux qui parlent ou écrivent parmi eux en viennent à avoir honte d’utiliser le terme de « justice sociale » (…) Si la discussion politique doit devenir honnête, il est nécessaire que les gens reconnaissent que ce terme est intellectuellement douteux, qu’il relève de la démagogie ou d’un journalisme à bon marché que les personnes responsables devraient avoir honte d’utiliser. »[1]
Pour ce Prix Nobel[2], l’introduction de l’idée de justice sociale dans l’ordre naturel du marché ne peut être qu’un facteur de désordre. Une telle conception relève d’une superstition nocive qui révèle la nostalgie d’une société révolue, société fermée où tous les hommes étaient réunis autour d’une même finalité et où il était peut-être possible de désigner les responsables des méfaits sociaux. Par ailleurs, personne ne peut dire ce qui est socialement juste, « c’est-à-dire quelles actions sont nécessaires pour que les effets en atteignent avec assurance ceux que nous estimons être les plus déshérités ».
L’ »ordre spontané » qui est un ensemble de « règles de juste conduite », est produit par l’évolution de la société provoquée par l’initiative des individus et des groupes qui réagissent aux sollicitations des situations en fonction de leurs intérêts et besoins.[3] Ces règles ne sont pas des principes d’organisation ni d’intervention. Elles sont le fruit de la liberté et non d’une politique volontariste qui prétendrait ordonner la société en imposant des conduites précises : « Un tel projet exclut que les divers individus agissent sur la base de leurs connaissances propres au service de leurs fins propres, ce qui est l’essence de la liberté ; tandis qu’il exige qu’ils soient obligés d’agir de la façon indiquée par l’autorité directrice selon ce qu’elle sait et pour réaliser les objectifs choisis. »[4]
La recherche d’une hypothétique justice sociale est non seulement perturbatrice mais paralyse les initiatives et entraîne un accroissement de la bureaucratie et du pouvoir politique qui s’engage sur un terrain qui n’est pas le sien : « L’intervention est toujours une action injuste dans laquelle quelqu’un est contraint (habituellement dans l’intérêt d’un tiers) dans des circonstances où d’autres ne le seraient pas, et pour des buts qui ne sont pas les siens (…). Les personnes auxquelles s’adresse le commandement spécifique sont empêchées d’adapter leurs activités aux circonstances connues d’elles et obligées de servir des fins auxquelles d’autres ne sont pas asservies, fins qui ne seront atteintes qu’au prix de conséquences imprévisibles par ailleurs. »[5]
Dans une telle société, on cherche plus à profiter de la richesse commune que de créer des richesses en prenant des risques. La majorité ne se soumet plus à la loi mais devient la loi et impose ses désirs. L’interventionnisme est une « réaffirmation de l’éthique tribale »[6] et conduit au totalitarisme. C’est, pour Hayek, la philosophie du socialisme.
Mais, exaltant notre responsabilité personnelle, l’initiative, le goût du risque, et soucieux d’éviter toute contamination collectiviste ou étatiste, Hayek oublie notre responsabilité collective. Or, c’est à travers les diverses collectivités dans lesquelles nous vivons que se forge notre sens de la responsabilité personnelle.