iv. L’école
Comme nous l’avons déjà vu, l’existence d’écoles confessionnelles pose un problème à l’État laïc.
En Belgique, l’article 17 de la Constitution, modifié le 15 juillet 1988 stipule : « La Communauté assure le liberté choix des parents » (§1) et « Chacun a droit à l’enseignement dans le respect des libertés et droits fondamentaux. L’accès à l’enseignement est gratuit jusqu’à la fin de l’obligation scolaire » (§3). Ces deux principes obligent les pouvoirs publics à subventionner l’enseignement libre qu’il soit confessionnel ou non.
Toutefois, à l’origine, l’article 17 de la Constitution se contentait d’affirmer : « L’enseignement est libre ; toute mesure préventive est interdite ; la répression des délits n’est réglée que par la loi » (§1). Comme l’écrivait un juriste en 1955: « Une interprétation logique de la Constitution commande de conclure au caractère purement supplétif de l’enseignement officiel par rapport à l’enseignement libre »[1]. Mais, progressivement s’est insinuée l’idée d’une école unique, pluraliste. Cette évolution a été favorisée, en 1988, par la reconnaissance constitutionnelle du seul réseau officiel[2] mais aussi par le subventionnement lui-même qui a été progressivement assorti d’exigences portant notamment sur les programmes, la transparence des comptes, l’obligation d’inscription des élèves, le statut des enseignants[3]. Subventionnée, en 2001, à 92% et de plus en plus conforme au modèle officiel, l’école libre confessionnelle, toujours majoritaire, dans le contexte général de la déchristianisation, a perdu beaucoup de son caractère spécifique. On assiste objectivement à une convergence de plus en plus grande entre les réseaux[4].
En France, depuis le XIXe siècle, des mesures radicales ont été prises pour laïciser l’enseignement : les édifices (suppression des emblèmes religieux), le personnel et les programmes[5]. Du coup, l’école catholique s’est privatisée. Toutefois, lorsqu’après le baby-boom des années 50, il n’y eut plus assez de places dans l’enseignement public, la loi Debré du 31 décembre 1959 a prévu des contrats d’association avec les écoles privées[6]. Celles-ci peuvent recevoir des aides publiques pour assurer leur service d’éducation (rémunération des maîtres par l’État et prise en charge des dépenses de fonctionnement comme pour les établissements publics) mais à condition d’intégrer certains paramètres officiels : accueillir tout le monde, suivre les programmes publics, accepter le contrôle d’inspecteurs publics, respecter la liberté de conscience des élèves et préparer les élèves aux diplômes et examens selon les programmes nationaux[7]. Dans ces écoles, « l’enseignement dispensé reste neutre, mais le contexte dans lequel il s’insère fait ressortir le caractère propre de l’établissement, que les maîtres sont tenus de respecter »[8].
Ces attitudes politiques ne sont pas universelles et ne sont pas idéales car, dans les deux cas, l’État étouffe en fait la liberté qu’il proclame et tente de se poser comme l’unique éducateur. Il est reconnu pourtant que « les parents ont, par priorité le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants »[9] et que « l’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement, conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques »[10].
Comme le confirme Mgr Eyt, « …l’État n’est pas premier dans le domaine de l’éducation. Il lui revient certes un rôle décisif mais les familles, les associations libres de citoyens, l’Église qui peut inspirer certaines de ces associations… ont une responsabilité indiscutable. Elles ont le droit et le devoir de l’exercer. La responsabilité première de l’éducation incombant aux parents, ceux-ci peuvent la déléguer partiellement. Ils ne peuvent jamais y renoncer, en faveur de qui que ce soit.
L’État est au service de l’exercice de cette responsabilité. Il ne saurait la revendiquer ni en totalité ni comme lui revenant en priorité ni, à plus forte raison, comme excluant tout autre partenaire : parents, associations libres de parents, Église et, en son sein, Congrégations… »[11]
L’État a donc un rôle subsidiaire. Reste à définir ses fonctions en la matière. On peut penser que « l’État devrait :
-élaborer les politiques nationales (durée de la scolarité obligatoire, partie du budget affecté à l’éducation, etc.) ;
-établir des normes minimales de fonctionnement et de programmes, au delà desquelles, libre cours pourrait être laissé aux initiatives ;
-mettre en place les moyens de financement ;
-effectuer et coordonner les études de recherches nécessaires en matière d’enseignement ;
-et enfin, conserver un certain rôle de gestionnaire, afin en particulier de pouvoir se substituer à d’éventuelles carences locales. »[12]
Pour éviter que, par le biais du financement, l’État ne rêve à nouveau de tout contrôler et diriger, certains proposent l’instauration d’un système de « chèques scolaires » accordés aux familles suivant le nombre et l’âge des enfants.[13] Ce système a été instauré en Russie en juillet 1992, en Suède et en Bulgarie. En 1999, il était question aussi de le mettre en place en Italie.
De toute façon, comme le fait judicieusement remarquer une juriste, le principe de la liberté d’enseignement « suppose la liberté d’enseigner, ainsi que la liberté pour les parents d’envoyer les enfants à l’école de leur choix. Pour que ce choix soit effectivement libre, il faut qu’il existe, en fait comme en droit, une similitude de traitement entre les différents secteurs scolaires, ce qui implique en pratique une certaine aide de l’État au fonctionnement de l’école privée ».[14]
Enfin, la transparence sera assurée par des mesures de contrôle des comptes comparables à celles prévues par le projet de loi sur les ASBL, et par une obligation d’information du conseil d’entreprise ou son équivalent ».