b. Nécessité de la formation
Pour que vive la cohésion souhaitée sans coercition autre que celle réclamée par la nécessité de justice et de sécurité, pour que les vérités fondatrices se marient le plus harmonieusement avec l’expression des opinions diverses sans laquelle il n’est pas de démocratie, il faut veiller à former les consciences et les esprits. Il est évident, que l’Église, dans sa tâche d’évangélisation, a un rôle fondamental, irremplaçable à jouer
Depuis son origine, l’Église connaît le danger de l’ »opinion populaire »[1]. Elle sait que les masses sont facilement manipulables et versatiles ; elle sait aussi la faiblesse des princes devant les foules, leur souci de ne pas déplaire et la peur des responsabilités. Ainsi, le procurateur romain de la Judée, Ponce Pilate, devant qui Jésus comparaît et qui paraît sûr de l’innocence de ce prisonnier que les Juifs lui amenaient, va s’en remettre au jugement du peuple pour éviter les ennuis non seulement avec les Juifs qu’il avait déjà scandalisés en puisant dans le trésor du Temple mais aussi avec l’Empereur… « Jésus fut amené en présence du gouverneur et le gouverneur l’interrogea en ces termes : « Tu es le roi des Juifs ? » Jésus répliqua : « Tu le dis ». Puis tandis qu’il était accusé par les grands prêtres et les anciens, il ne répondit rien. Alors Pilate lui dit: « N’entends-tu pas tout ce qu’ils attestent contre toi ? » Et il ne lui répondit sur aucun point, si bien que le gouverneur était fort étonné.
A chaque Fête, le gouverneur avait coutume de relâcher à la foule un prisonnier, celui qu’elle voulait. On avait alors un prisonnier fameux, nommé Barabbas. Pilate dit donc aux gens qui se trouvaient rassemblés: « Lequel voulez-vous que je vous relâche, Barabbas ou Jésus que l’on appelle Christ ? ». Il savait bien que c’était par jalousie qu’on l’avait livré.
Or, tandis qu’il siégeait au tribunal, sa femme lui fit dire : « Ne te mêle point de l’affaire de ce juste ; car aujourd’hui j’ai été très affectée par un songe à cause de lui. »
Cependant, les grands prêtres et les anciens persuadèrent les foules de réclamer Barabbas et de perdre Jésus. Reprenant la parole, le gouverneur leur dit : « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? » Ils répondirent : « Barabbas. » Pilate leur dit : « Que ferai-je donc de Jésus que l’on appelle Christ ? » Ils répondent tous : « qu’il soit crucifié ! » Il reprit : « Quel mal a-t-il donc fait ? » Mais ils n’en criaient que plus fort : « qu’il soit crucifié ! »
Voyant alors qu’il n’aboutissait à rien, mais qu’il s’ensuivait plutôt du tumulte, Pilate prit de l’eau et se lava les mains en présence de la foule, en disant : « Je ne suis pas responsable de ce sang ; à vous de voir ! » Et tout le peuple répondit : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! » Alors il leur relâcha Barabbas ; quant à Jésus, après l’avoir fait flageller, il le livra pour être crucifié ».[2]
Il n’est pas inutile de relire le même événement raconté par Jean[3]:
« Dès qu’ils le virent, les grands prêtres et les gardes crièrent: « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » Pilate leur dit : « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le ; moi je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » Les Juifs répliquèrent : « Nous avons une Loi et d’après cette Loi il doit mourir : il s’est fait Fils de Dieu. »
A ces mots, Pilate s’alarma encore davantage. Il rentra dans le prétoire et dit à Jésus : « d’où es-tu ? » Mais Jésus ne lui fit aucune réponse. Alors Pilate lui dit : « Tu ne veux pas me parler, à moi ? Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de te relâcher et pouvoir de te crucifier ? » - »Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir, répondit Jésus, s’il ne t’avait été donné d’en-haut ; aussi celui qui m’a livré à toi porte un plus grand péché. »
Dès lors Pilate cherchait à le relâcher. Mais les Juifs crièrent : « Si tu le relâches, tu n’es pas ami de César : qui se fait roi s’oppose à César. » Pilate, à ces mots, fit amener Jésus dehors et s’assit à son tribunal, au lieu appelé le Dallage, en hébreu Gabbatha. C’était le jour de la Préparation de la Pâque, environ la sixième heure. Pilate dit aux Juifs : « Voici votre roi. » Eux disaient : « A mort ! A mort ! Crucifie-le ! » - »Crucifierai-je votre roi ? » leur dit Pilate. Les grands prêtres répondirent : « Nous n’avons d’autre roi que César ; » Alors il le leur livra pour être crucifié. ».
Une telle injustice vive dans la mémoire chrétienne peut expliquer la radicalité de ce propos de Pie IX qui félicitait des pèlerins français d’être « occupés de la tâche difficile qui consiste à faire disparaître, si c’est possible, ou, au moins, atténuer une plaie horrible qui afflige la société humaine et qu’on appelle le suffrage universel. Oui, c’est une plaie qui détruit l’ordre social et qui mériterait, à juste titre d’être appelée mensonge universel »[4]. Dans la mesure où ils prolongent l’opinion capricieuse, malléable et irrationnelle du peuple, les partis politiques sont aussi jugés avec sévérité : « Dans le domaine de la politique, les partis se sont presque fait une loi non point de chercher sincèrement le bien commun par une émulation mutuelle et dans la variété de leurs opinions, mais de servir leurs propres intérêts au détriment des autres. Que voyons-nous alors ? Les conjurations se multiplient ; embûches, brigandages contre les citoyens et les fonctionnaires publics eux-mêmes, terrorisme et menaces, révoltes ouvertes et autres excès du même genre, qui deviennent plus graves dans la mesure où, comme c’est le cas pour les modernes régimes représentatifs, le peuple prend une part plus large à la direction de l’État. La doctrine de l’Église ne réprouve pas ces institutions conformes au droit et à la raison, mais il est manifeste qu’elles se prêtent plus aisément que toutes autres au jeu déloyal des factions ».[5]
Il faudrait donc à ces partis, plus de souci du bien commun et plus de moralité.
Il est évident que si l’Église tient pour immuables parce que divines un certain nombre de vérités, le règne universel de l’opinions ne peut que l’inquiéter. Va-t-on mettre la vérité aux voix ?
Pie XII va étudier spécialement cette question et éclairer singulièrement le débat. Il constate que : « partout (…), la vie des nations est désagrégée par le culte aveugle de la valeur numérique. Le citoyen est électeur. Mais, comme tel, il n’est qu’une des unités dont le total constitue une majorité ou une minorité qu’un déplacement de quelques voix, d’une seule même suffira à inverser. Au regard des partis, il ne compte que pour sa valeur électorale, pour l’appoint qu’apporte sa voix : de sa place et de son rôle dans la profession, il n’est plus question »[6]. Ceci dit, « exprimer son opinion personnelle sur les devoirs et les sacrifices qui lui sont imposés ; ne pas être contraint _ obéir sans avoir été entendu » sont deux droits dont la démocratie est l’expression. Et, une « démocratie saine et équilibrée » se reconnaît « à la solidité, à l’harmonie, aux bons résultats de ce contact entre les citoyens et le gouvernement de l’État ». Mais, pour « plus de démocratie et une meilleure démocratie », il faut « mettre le citoyen toujours plus en mesure d’avoir une opinion personnelle propre, et de l’exprimer, et de la faire valoir d’une manière correspondant au bien commun ». L’État, pour cela, « est, et doit être en réalité, l’unité organique et organisatrice d’un vrai peuple ».
Mais, qu’est-ce qu’un peuple ? « Peuple et multitude amorphe, ou, comme on a coutume de dire, « masse », sont deux concepts différents. Le peuple vit et se meut par sa vie propre ; la masse est en elle-même inerte, et elle ne peut être mue que de l’extérieur. Le peuple vit de la plénitude de la vie des hommes qui le composent, dont chacun - à sa place et de la manière qui lui sont propres - est une personne consciente de ses propres responsabilités et de ses propres convictions. La masse, au contraire, attend l’impulsion du dehors, jouet facile entre les mains de quiconque en exploite les instincts et les impressions, prompte à suivre, tour à tour, aujourd’hui ce drapeau et demain cet autre. L’exubérance vitale d’un vrai peuple répand la vie, abondante et riche, dans l’État et dans tous ses organes, leur infusant, avec une vigueur sans cesse renouvelée, la conscience des responsabilités, le sens vrai du bien commun. La force élémentaire de la masse peut n’être aussi qu’un instrument au service d’un État qui sait habilement en faire usage. L’État lui-même, aux mains d’un ou de plusieurs ambitieux, groupés artificiellement par leurs tendances égoïstes, peut en s’appuyant sur la masse, devenir une pure machine, imposer arbitrairement sa volonté à la meilleure partie du peuple : l’intérêt commun en reste lésé gravement et pour longtemps, et la blessure ainsi faite est bien souvent difficilement guérissable » . Pie XII conclut que « la masse (…) est l’ennemie principale de la vraie démocratie et de son idéal de liberté et d’égalité ».
Dès lors, « seule la claire intelligence des fins assignées par Dieu à toute société humaine, jointe au sentiment profond des sublimes devoirs de l’œuvre sociale, peut mettre ceux à qui est confié le pouvoir en mesure d’accomplir leurs propres obligations dans l’ordre législatif, judiciaire ou exécutif, avec cette conscience de leur propre responsabilité, avec cette objectivité, avec cette impartialité, avec cette loyauté, avec cette générosité, avec cette incorruptibilité, sans lesquelles un gouvernement démocratique réussirait difficilement à obtenir le respect, la confiance et l’adhésion de la meilleure partie du peuple ».
Ceci est particulièrement important pour ceux qui exercent le pouvoir législatif : « la question de l’élévation morale, de l’aptitude pratique, de la capacité intellectuelle des députés au Parlement, est pour tout peuple de régime démocratique une question de vie ou de mort, de prospérité ou de décadence, d’assainissement ou de perpétuel malaise ». Le corps législatif doit « accueillir dans son sein une élite d’hommes spirituellement éminents et au caractère ferme, qui se considèrent comme les représentants du peuple tout entier et non pas comme les mandataires d’une foule, aux intérêts particuliers de laquelle sont souvent, hélas ! sacrifiés les vrais besoins et les vraies exigences du bien commun. Une élite d’hommes qui ne soit restreinte à aucune profession ni à aucune condition, mais qui soit l’image de la vie multiple de tout le peuple. Une élite d’hommes de conviction chrétienne solide, de jugement juste et sûr, de sens pratique et équitable, et qui, dans toutes les circonstances, restent conséquents avec eux-mêmes ; des hommes de doctrine claire et saine, aux desseins solides et droits ; avant tout, des hommes qui, par l’autorité émanant de leur conscience pure et rayonnant largement autour d’eux, soient capables d’être des guides et des chefs, spécialement dans les temps où les nécessités pressantes surexcitent l’impressionnabilité du peuple et le rendent plus facile à être dévoyé et à s’égarer ; des hommes qui, dans les périodes de transition, généralement travaillées et déchirées par les passions, par les divergences des opinions et par les oppositions de programmes, se sentent doublement tenus de faire circuler dans les veines enfiévrées du peuple et l’État l’antidote spirituel des vues claires, de la bonté empressée, de la justice également favorable à tous, et la tendance résolue à l’union et à la concorde nationale dans un esprit de sincère fraternité ». Sinon, « d’autres viennent occuper leur place pour faire de l’activité politique l’arène de leur ambition, une course au gain pour eux-mêmes, pour leur caste ou pour leur classe, et c’est ainsi que la chasse aux intérêts particuliers fait perdre de vue et met en péril le vrai bien commun »[7].
Le portrait du vrai démocrate peut paraître idéalisé, utopique, il n’empêche que l’Église va sans cesse insister sur les hautes vertus intellectuelles, morales des personnes engagées dans la gestion publique. Car l’imprégnation morale et religieuse est essentielle en démocratie. Il ne faut pas penser que « ses insuffisances seraient dues à de simples défauts des institutions, et ceux-ci, à leur tour, à une connaissance encore défectueuse des processus naturels du fonctionnement complexe de la machine sociale.
En fait, l’État lui aussi, et sa forme dépendant de la valeur morale des citoyens, et cela plus que jamais à une époque où l’État moderne, pleinement conscient de toutes les possibilités de la technique et de l’organisation, n’a que trop tendance à retirer à l’individu, pour les transférer à des institutions publiques, le souci et la responsabilité de sa propre vie. Une démocratie moderne ainsi constituée devra échouer dans la mesure où elle ne peut plus s’adresser à la responsabilité morale individuelle des citoyens. Mais même si elle voulait le faire, elle ne pourrait plus y réussir parce qu’elle ne trouverait plus chez eux d’écho, dans la mesure du moins où le sens de la véritable réalité de l’homme, la conscience de la dignité de la nature humaine et de ses limites, ont cessé d’être sentis dans le peuple. On cherche à remédier à cet état de chose en mettant sur le chantier de grandes réformes institutionnelles, démesurées parfois ou basées sur des fondements erronés ; mais la réforme des institutions n’est pas aussi urgente que celle des mœurs. Et celle-ci, à son tour, ne peut être accomplie que sur la base de la véritable réalité de l’homme, celle qu’on vient apprendre avec une religieuse humilité devant le berceau de Bethléem. Dans la vie des États eux-mêmes, la force et la faiblesse des hommes, le péché et la grâce, jouent un rôle capital. La politique du XXe siècle ne peut l’ignorer, ni admettre qu’on persiste dans l’erreur de vouloir séparer l’État de la religion au nom d’un laïcisme que les faits n’ont pas pu justifier ».[8]
Tout le peuple, dans toutes ses activités, doit être élevé moralement, affirmera Jean XIII : « La vie en société doit être considérée avant tout comme une réalité d’ordre spirituel. Elle est, en effet, échange de connaissances dans la lumière de la vérité, exercice de droits et accomplissement des devoirs, émulation dans la recherche du bien moral, communion dans la noble jouissance du beau en toutes ses expressions légitimes, disposition permanente à communiquer à autrui le meilleur de soi-même et aspiration commune à un constant enrichissement spirituel. Telles sont les valeurs qui doivent animer et orienter l’activité culturelle, la vie économique, l’organisation sociale, les mouvements et les régimes politiques, la législation et toutes les autres expressions de la vie sociale dans sa continuelle évolution ».[9]
Le Concile Vatican II va reprendre tout cet enseignement. La nécessité de la société et d’une autorité sera réaffirmée car les individus, les familles, les groupements divers ne peuvent réaliser seuls une vie pleinement humaine et ont besoin d’une communauté plus vaste où tous conjuguent leurs forces pour réaliser toujours plus parfaitement le bien commun:
« Mais les hommes qui se retrouvent dans la communauté politique sont nombreux et différents, et ils peuvent à bon droit incliner vers des opinions diverses. Aussi pour empêcher que, chacun opinant dans son sens, la communauté politique ne se disloque, une autorité s’impose qui soit capable d’orienter vers le bien commun les énergies de tous, non d’une manière mécanique ou despotique, mais en agissant avant tout comme une force morale qui prend appui sur la liberté et le sens de la responsabilité.
De toute évidence, la communauté politique et l’autorité publique trouvent donc leur fondement dans la nature humaine et relèvent par là d’un ordre fixé par Dieu, encore que la détermination des régimes politiques soient laissés à la libre volonté des citoyens.
Il s’ensuit également que l’exercice de l’autorité politique, soit à l’intérieur de la communauté comme telle, soit dans les organismes qui représentent l’État, doit toujours se déployer dans les limites de l’ordre moral, en vue du bien commun (mais conçu d’une manière dynamique), conformément à un ordre juridique légitimement établi ou à établir. Alors les citoyens sont en conscience tenus à l’obéissance. d’où assurément, la responsabilité, la dignité et l’importance du rôle de ceux qui gouvernent. »[10]
Ce n’est pas tout, dans une démocratie, il faut que « l’ordre moral et l’intérêt commun étant saufs, l’homme puisse librement chercher la vérité, faire connaître et divulguer ses opinions… »[11]. Dans le cadre fixé, il ne faut pas s’en inquiéter : « En ce qui concerne l’organisation des choses terrestres, que (les chrétiens) reconnaissent comme légitimes des manières de voir par ailleurs opposées entre elles et qu’ils respectent les citoyens qui, en groupe aussi, défendent honnêtement leur opinion. Quant aux partis politiques, ils ont le devoir de promouvoir ce qui, à leur jugement, est exigé par le bien commun ; mais il ne leur est jamais permis de préférer à celui-ci leur intérêt propre ».[12]
Mais, « pour que tous les citoyens soient en mesure de jouer leur rôle dans la vie de la communauté politique, on doit avoir un grand souci de l’éducation civique et politique ; elle est particulièrement nécessaire aujourd’hui, soit pour l’ensemble des peuples, soit, et surtout pour les jeunes »[13]. C’est une des raisons pour lesquelles l’Église insistera sur la possibilité, pour tous les hommes, d’accéder à la culture.[14]
Il faut « …susciter des hommes et des femmes qui ne soient pas seulement cultivés, mais qui aient aussi une forte personnalité, car notre temps en a le plus grand besoin ».[15] Des hommes et des femmes vraiment libres capables de s’engager intelligemment et volontairement. Or, la liberté « se fortifie (…) lorsque l’homme accepte les inévitables contraintes de la vie sociale, assume les exigences multiples de la solidarité humaine et s’engage au service de la communauté des hommes. Aussi faut-il stimuler chez tous la volonté de prendre part aux entreprises communes. » Il est bien que « le plus grand nombre possible de citoyens participe aux affaires publiques. (…) Mais pour que tous les citoyens soient poussés à participer à la vie des différents groupes qui constituent le corps social, il faut qu’ils trouvent en ceux-ci des valeurs qui les attirent et qui les disposent à se mettre au service de leurs semblables. On peut légitimement penser que l’avenir est entre les mains de ceux qui auront su donner aux générations de demain des raisons de vivre et d’espérer ».[16]
La conclusion s’impose, toujours la même : « Pour que tous les citoyens soient en mesure de jouer leur rôle dans la vie de la communauté politique, on doit avoir un grand souci de l’éducation civique et politique ; elle est particulièrement nécessaire aujourd’hui, soit pour l’ensemble des peuples, soit, et surtout, pour les jeunes. Ceux qui sont, ou peuvent devenir, capables d’exercer l’art très difficile, mais aussi très noble, de la politique, doivent s’y préparer ; qu’ils s’y livrent avec zèle, sans se soucier de leur intérêt personnel ni des avantages matériels. Ils lutteront avec intégrité et prudence contre l’injustice et l’oppression, contre l’absolutisme et l’intolérance, qu’elles soient le fait d’un homme ou d’un parti politique ; et ils se dévoueront au bien de tous avec sincérité et droiture, bien plus, avec l’amour et le courage requis par la vie politique ».[17]
En 1972, Paul VI prononcera un très intéressant discours lors de l’Assemblée de l’Union Interparlementaire Mondiale[18] où, une fois encore, l’Église présentera sa vision de la démocratie, toujours bien consciente de la difficulté majeure, maintes fois rencontrée : « …comment la diversité des points de vue, fruit de la grande variété des situations sociales et professionnelles, de la multiplicité des idéologies, et, non moins, de la multiplicité des savoirs partiels, voire parcellaires, ne rendrait-elle pas malaisée la réalisation d’un accord national suffisant pour le fonctionnement harmonieux des Parlements ? » . Entre autres conseils, Paul VI déclarera: « L’objet principal qui doit se dégager de l’affrontement des perspectives doit être, il faut le répéter, le bien commun national. Qui pourrait nier que, trop fréquemment, les oppositions idéologiques, les querelles partisanes, le souci de prestige des personnes, la défense prioritaire d’intérêts particuliers, les vues à court terme et les motivations personnelles n’aient pas faussé les délibérations, au détriment de l’autorité du Parlement et des parlementaires ? C’est pourquoi dans la crise actuelle, plus qu’en aucun autre moment, s’imposent un haut niveau de moralité collective et individuelle, la conscience d’une commune responsabilité à l’égard de l’avenir de la nation, la volonté d’aboutir à un « consensus » national. Le parlementaire doit apparaître comme l’artisan du bien de tous et non comme le porte-parole d’une clientèle. Résistant aux pressions de groupes d’intérêts privés, plus ou moins légitimes, dont l’ambition est parfois d’annexer le pouvoir à leur profit, sans cependant rompre le contact avec les forces vives de la nation, le parlementaire doit chercher à satisfaire la totalité des besoins du peuple, avec une attention particulière aux catégories défavorisées et silencieuses, fussent-elles de moindre poids électoral ».
Au risque de lasser, ajoutons encore quelques extraits de Jean-Paul II.
« Il est absolument vrai, écrit-il, que l’exercice d’une authentique démocratie et le respect par tous les responsables d’un sain pluralisme ne peuvent manquer de favoriser le développement et la diffusion de la culture.
N’oublions pas toutefois que la vérité, la beauté et le bien, comme également la liberté sont des valeurs absolues et que, comme telles, elles ne dépendent pas du fait qu’un plus ou moins grand nombre de personnes y adhèrent. Elles ne sont pas le résultat de la décision d’une majorité ; tout au contraire, les décisions individuelles et celles qu’assume la collectivité doivent s’inspirer de ces suprêmes et immuables valeurs pour que l’engagement culturel des personnes et des sociétés réponde aux exigences de la dignité humaine ».[19]
« Une démocratie authentique n’est possible que dans un État de droit et sur la base d’une conception correcte de la personne humaine. Elle requiert la réalisation des conditions nécessaires pour la promotion des personnes, par l’éducation et la formation à un vrai idéal, et aussi l’épanouissement de la « personnalité » de la société, par la création de structures de participation et de coresponsabilité ».[20]
Au-delà de ces relations personnalisées, toute intervention devient niveleuse, contraignante, limitative des choix donc des chances. Il faudra donc favoriser au maximum :
-le caractère personnel et la liberté des relations familiales (ce qui suppose que la famille puisse vivre dans des conditions qui ne soient pas dépersonnalisantes : conditions de logement, d’intimité, d’horaires de travail, de choix éducatifs, etc.).
-le caractère personnel et la liberté des relations maître-élève (ce qui signifie liberté des écoles, de leurs programmes, de leurs pédagogies)
-le caractère personnel et la liberté des relations hiérarchiques de travail (vis-à-vis de leur personnel, les cadres doivent être dotés de responsabilités, donc de pouvoirs réels, en matière de choix, de formation, de jugement, de promotion, de rémunération…).
Tout cela conduit à pousser les meilleurs, ceux qui ont à la fois le souci du prochain et quelque chose à lui apporter : il faut leur donner la mission d’élever les moins favorisés afin que chacun trouve la place qui lui convient, où il peut donner le meilleur de lui-même, où il est heureux. Nous sommes aux antipodes de l’égalitarisme social ».
(Cf. De l’égalité des chances à la justice, in Permanences, n° 148 ; Justice et égalité des chances, in Permanences, n° 163 ; Actes du XIIe congrès de l’Office international,1977, p. 106).