Au nom d’un « ordre éthique » ?
Le président tchèque Vaclav Havel a puisé dans son expérience de dissident sous le régime communiste une réflexion qui vaut la peine d’être méditée[1]. « Durant ces longues années de dissidence, écrit-il, une question assez bizarre, presque hérétique, me venait souvent à l’esprit. Je me demandais pourquoi l’homme était appelé à jouir de tels ou tels droits, quelle en était l’origine, qui avait décrété qu’ils nous appartenaient et d’où venait notre certitude tranquille que nous étions même habilités à avoir des droits. (…) Plus j’y réfléchissais, plus j’inclinais vers l’opinion que l’origine profonde de ces droits se trouve sûrement quelque part bien en deçà d’un quelconque accord. Bref j’étais de moins en moins convaincu que des principes tels que le droit à la vie, la liberté de pensée, le respect de la dignité humaine ou l’égalité devant la loi méritaient sacrifice simplement parce qu’on se serait entendu à les juger raisonnables, adéquats à nos besoins, ou fonctionnels pour favoriser la coexistence des humains sur la terre.(…) Si les droits de l’homme nous apparaissent aujourd’hui sous une forme déterminée par la situation de notre civilisation contemporaine, l’ensemble des valeurs et des impératifs dont ils sont l’expression prend en revanche sa source ailleurs : dans notre expérience intérieure, profonde et foncièrement archétypale du monde et de nous-mêmes dans le monde. (…) Autrement dit, le concept des droits de la personne n’est qu’une des manifestations actuelles de ce qu’on pourrait appeler un ordre éthique dont l’existence compte parmi les expériences fondamentales de cet être conscient qu’est l’homme. » Vaclav Havel se pose alors la question de savoir si ces droits de l’homme sont réellement universels, si leur marque euro-américaine leur permet vraiment de s’imposer à d’autres cultures. Sa position est nette : « Si nous ne voyons dans les droits de l’homme que le simple produit d’un accord sociétal, la réponse à cette question est claire : rien ne nous autorise à demander que les respecte quelqu’un d’extérieur qui n’a pas conclu cet accord ou n’a pas participé à son élaboration. (…) Mais si nous acceptons de reconnaître que le respect des droits de l’homme comme exigence ou impératif politique n’est qu’une expression politique des engagements moraux qui s’ancrent dans l’expérience humaine universelle de l’absolu, alors le scepticisme relativiste ne se justifie plus. Ce qui ne signifie pas que tout soit gagné. Pourtant, cela ouvre au moins une voie : on ne peut défendre avec succès l’universalité des droits de la personne que si l’on s’efforce de chercher ensemble ce qu’une majorité de cultures a de commun et de réviser d’une manière originale les sources les plus profondes de nos diverses cultures. (…) La voie d’une réelle universalité ne réside donc pas dans le compromis entre diverses altérités contemporaines, mais dans la recherche commune de l’expérience commune la plus fondamentale que l’homme a de l’univers et de lui-même en son sein. »
Nous voilà donc invités à chercher en deçà du compromis, en deçà d’un consensus démocratique qui risque de ressembler au plus petit dénominateur commun[2] une loi morale inscrite dans le cœur des hommes. Il se peut qu’en scrutant « l’expérience spirituelle universelle de l’humanité », nous nous rendions compte que quelqu’un la résume et l’identifie !