d. La relativisation
En Belgique, les parents des enfants disparus réclament le droit d’accéder aux dossiers judiciaires ; les transporteurs de fonds réclament le droit à la sécurité contre les agressions ; les riverains des aéroports s’insurgent contre le bruit au nom du droit au sommeil La référence aux droits de l’homme apparaît à nos contemporains comme un moyen de résistance et de critique vis-à-vis de toute politique, politique pourtant inscrite dans des lois qui sont le fruit d’un consensus démocratique. Se pose donc un problème : puisque le droit positif se veut autonome, pur reflet de la volonté du plus grand nombre, au nom de quoi, d’autres volontés minoritaires peuvent-elles s’élever contre lui ? De plus, comme toute autorité, en démocratie, trouve sa source dans la volonté du peuple, et s’exprime à travers un droit essentiellement positif donc révisable, l’évocation de droits de l’homme universels et immuables n’introduit-elle pas une contradiction ? Comme l’écrivait déjà Rousseau : « en tout état de cause, un peuple est toujours le maître de changer ses lois, même les meilleures ; cat, s’il lui plaît de se faire mal à lui-même, qui est-ce qui a droit de l’en empêcher ? «[1]
La démocratie telle qu’elle est le plus souvent pratiquée aujourd’hui pose donc un problème qui a touché aussi les organisations internationales gardiennes des droits « inaliénables et imprescriptibles » (1948). En effet, certaines voix et non des moindres paraissent vouloir nuancer une telle qualification : « En tant que processus de synthèse, les droits de l’homme sont, par essence, des droits en mouvement. (…) Ils ont à la fois pour objet d’exprimer des commandements immuables et d’énoncer un moment de la conscience historique. Ils sont dons, tout ensemble, absolus et situés »[2].
On ne peut s’empêcher de penser à cette définition qu’Antonio Gramsci donnait de la nature humaine : « La nature humaine est la totalité des relations sociales historiquement déterminées. »[3]
On assiste aussi à une relativisation des droits par rapport au sexe, à l’âge, à la qualité de vie. Après les droits de l’enfant, il est question de plus en plus de droits de la femme[4]. Il est question aussi définir des droits suivant l’état de la santé ou la situation économique des individus ou des populations.[5]
Nous avons vu aussi que nombreux sont ceux qui parlent des droits de l’animal et de la nature. C’est aussi une manière de relativiser les droits de l’homme.
Laurent Fourquet, spécialiste en sciences sociales[6] va plus loin. La morale aujourd’hui est dévalorisée car elle prétendait se construire sur des valeurs intangibles. Désormais, est « moral » si le mot peut encore s’employer, celui qui évolue « en permanence dans ses jugements, autrement dit » celui qui adapte « sans cesse ses jugements moraux au contexte nouveau, lui-même résultat des mentalités, pratiques et techniques nouvelles. » En réalité, nous assistons ainsi à « la subordination de la morale à la mode » c’est-à-dire à la vision du monde de « la bourgeoisie urbaine mondialisée » et à son intérêt. En définitive, « le succès, dans tout domaine, porte avec lui sa justification morale ». Est moral, ce qui est moderne. « Tout ce qui plaît, ce qui triomphe présentement dans la société […] est moral en soi, précisément parce qu’il plaît et triomphe. De même que dans le domaine des affaires et de la politique, le « succès » d’un homme ou d’une femme, c’est-à-dire en pratique l’accroissement de sa fortune ou d’une pratique rend cette opinion et cette pratique nécessairement juste. » Pour le moment, bien sûr. La société fait « du « succès », et donc, du pouvoir de l’opinion, la boussole ultime de ses choix décisifs. »[7] Comme quoi quand je pense faire ce que je veux, je n’ai qu’une illusion de liberté.[8]