Introduction
Le 9 mars 2013, le futur pape François appelait l’Église « à sortir d’elle-même et à aller vers les périphéries, pas seulement géographiques, mais également celles de l’existence : celles du mystère du péché, de la souffrance, de l’injustice, celles de l’ignorance et de l’absence de foi, celles de la pensée, celles de toutes les formes de misère »[1].
Dans cet esprit, mon intention précise, ici, est d’aller vers à ceux qui n’ont pas la foi ou qui ne partagent pas la foi catholique, que je désigne sous le nom de gentils. C’est ainsi que les juifs appelaient les païens, les gens des "nations". S’ils mettaient une pointe de mépris dans le mot (goyim), le terme me plaît particulièrement car, à la suite du latin, il a pris très vite, en français, un sens plus positif désignant ceux qui sont de "bonne race". N’est-ce pas regarder les autres avec le regard de Dieu que de les considérer de bonne famille, puisqu’ils sont enfants de Dieu même s’ils ignorent ou refusent cette filiation ?
Mais comment s’adresser à eux sinon en faisant appel à la raison que nous avons en commun. Certes, nous allons naviguer à la frontière perméable entre la philosophie et la théologie, ce qui peut être frustrant pour le croyant, car il sait que le théologien peut apporter à certains endroits une réponse plus satisfaisante à des questions qui font piétiner le philosophe, mais nous tâcherons de rester sur le territoire de la raison puisque nous savons, comme le rappelait Jean-Paul II en 1998, que sans raison nous risquons de sombrer dans le fidéisme. Mais nous avons aussi que le rationalisme ou le positivisme débouchent sur le nihilisme et donc que notre raison doit rester ouverte à ce qui la dépasse, à ce qui lui échappe. D’autant plus que, comme l’écrivait le philosophe italien Ugo Perrone que « toutes les questions humaines les plus importantes, ont un fond religieux »[2].
Notre réflexion a tout intérêt à se pencher sur la réalité, sur le vécu des hommes à une époque donnée et donc à notre époque. C’est pourquoi, les faits - ce qui se fait, ce qui se vit, ce qui se dit - doivent nous interpeller dans leur complexité et leur variété. Nous n’allons pas travailler comme Descartes[3], enfermé « dans son poêle » ni comme Jean-Jacques Rousseau[4] qui commence « par écarter tous les faits » et construit sa philosophie sur une anthropologie imaginaire.
Nous allons plutôt suivre l’exemple d’Albert Camus[5]. Philosophe de formation, agnostique ou athée, auteur d’une thèse sur saint Augustin, il fut très attaché à la pensée grecque parce qu’elle « n’a rien poussé à bout, ni le sacré, ni la raison, parce qu’elle n’a rien nié, ni le sacré, ni la raison ». C’est pourquoi il se montrait si sévère vis-à-vis de la pensée contemporaine car, écrivait-il, « nos philosophes ne contiennent rien que le non-sens ou la raison parce qu’ils ont fermé les yeux sur le reste ». Il concluait sa charge par une image fort expressive : « La taupe médite »[6].