⁢B. Thomas d’Aquin, l’élève fidèle et innovateur

[1]

D’emblée, il apparaît que Thomas[2] est un bon élève d’Aristote dont nous retrouvons des formules essentielles : « La fin ultime d’une multitude rassemblée en société est de vivre selon la vertu. En effet, si les hommes s’assemblent, c’est pour mener une vie bonne, ce à quoi chacun vivant isolément ne pourrait parvenir. Or une vie bonne est une vie selon la vertu ; la vie vertueuse est donc la fin du rassemblement des hommes en société. »[3] « La cité est une communauté d’hommes libres dont la finalité est le bien commun auquel toute l’administration politique doit tendre. »[4]

Toutefois, le chrétien Thomas va enrichir la notion de bien commun en faisant ce raisonnement : « … puisque l’homme, en vivant selon la vertu, est ordonné à une fin ultérieure, qui consiste dans la fruition de Dieu, […] il faut que la multitude humaine ait la même fin que l’homme pris personnellement. La fin ultime de la multitude rassemblée en société n’est donc pas de vivre selon la vertu, mais, par la vertu, de parvenir à la fruition de Dieu. »[5] « Dieu est lui-même le bien suprême et commun de tout l’univers. »[6] Autrement dit encore : « Le bien particulier est orienté vers le bien commun comme vers une fin : en effet l’être de la partie est pour l’être du tout ; c’est pourquoi aussi le bien du peuple est plus divin que le bien d’un seul homme. Or le bien suprême qui est Dieu, est le bien commun puisque c’est de lui que dépend le bien de toutes les choses : en revanche, le bien en vertu duquel chaque chose est bonne est le bien particulier de celle-ci et des autres qui dépendent de lui. Toutes les choses sont donc orientées comme vers leur fin vers un seul bien qui est Dieu. »[7]

Par conséquent, « L’homme n’est pas ordonné dans tout son être et dans tous ses biens à la communauté politique ; c’est pourquoi tous ses actes n’ont pas forcément mérite ou démérite envers cette communauté, mais tout ce qu’il est, tout ce qu’il a, et tout ce qu’il peut, l’homme doit l’ordonner à Dieu ; c‘est pourquoi tout acte humain bon ou mauvais a un mérite ou un démérite devant Dieu, autant qu’il réalise la notion d’acte. »[8] « Le bien de l’univers est plus grand que le bien d’un individu, s’il s’agit du même genre de bien. Mais le bien de la grâce, dans un seul individu, l’emporte sur le bien naturel de tout l’univers. »[9]

Très concrètement, on peut déduire de ces textes que « les biens périssables de la personne individuelle sont moins importants, moins « divins" que les biens périssables de la communauté politique […​]. Mais le bien périssable de la communauté politique est, à son tour, moins important, moins divin que le bien impérissable de la personne humaine, et, sous cet aspect, c’est la communauté politique qui doit être au service de la personne individuelle. Ainsi donc, l’homme en tant que mortel est partie de la cité mortelle, mais en tant qu’immortel, il n’est pas une partie de la cité, il est un tout, et la cité doit être à son service. »[10]

De cette manière, deux erreurs sont évitées : l’individualisme qui privilégie les biens périssables de la personne sur les biens périssables de la communauté politique et le totalitarisme qui privilégie les biens périssables de la communauté sur tout bien personnel.

On peut illustrer ainsi la pensée de Thomas :

Dieu

🢅   

   🡬

Bien impérissable de la personne

🡰

Bien périssable de la communauté

✚   

   🢅

Bien périssable de la personne individuelle


1. La pensée politique de saint Thomas se découvre dans plusieurs ouvrages : De Regno ad regem Cypri, + Commentaire du traité de La politique d’Aristote, Somme théologique et Somme contre les gentils.
2. Vers 1225-1274.
3. De Regno ad regem Cypri.
4. Commentaire du traité de la politique d’Aristote.
5. De Regno ad regem Cypri, I, 15.
6. Somme théologique, IIIa, q. 46, a. 2, ad.3
7. Somme contre les Gentils, III, 17.
8. Somme théologique, Ia IIae, q. 21, a. ad 3.
9. Somme théologique, Ia IIae, q. 113, a. 9, ad 2.
10. JOURNET Charles, Exigences chrétiennes en politique, Egloff, 1946, p. 13.
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