B. John Rawls.
John Rawls[1] qui fut professeur à Harvard, a publié en 1971 un ouvrage intitulé Théorie de la justice[2] qui, selon Philippe van Parijs[3] est « le traité de philosophie le plus lu du XXe siècle ».[4]
En écrivant ce livre, Rawls voulait tout d’abord en finir avec l’utilitarisme représenté par Jeremy Bentham[5] et John Stuart Mill[6]. C’est surtout dans les pays anglo-saxons que cette théorie a eu du succès. En gros, elle défend l’idée que la valeur morale d’une action est déterminée par son utilité pour le plus grand nombre en vue de maximiser son bien-être, c’est-à-dire son plaisir et à minimiser les peines. Le bien c’est précisément ce qui est utile au plus grand nombre pour accroître son bien-être. C’est en vertu de ce principe que Bentham, par exemple, adhéra au principe de population de Malthus, estimant, d’une part, qu’il faut juguler l’accroissement de population sinon il n’y aura pas de biens suffisants pour le plaisir du plus grand nombre. Et, d’autre part, toujours au nom du plaisir, entre un nouveau-né et un animal, il faut choisir celui qui apportera le plus de plaisir.
John Rawls refuse cette vision où l’on ne se préoccupe pas d’une minorité de laissés- pour-compte. Ce qu’il cherche c’est de dépasser l’opposition classique entre libéralisme et socialisme et donc d’articuler la liberté et l’égalité puisque dans les théories classiques on estime que la recherche de la liberté nuit à l’égalité et qu’accentuer l’égalité est préjudiciable à la liberté. Son but ultime est d’assurer la coexistence entre des visions du monde rivales et surtout entre des idées divergentes du bien.
Pour y arriver, il imagine une « position originelle » dans laquelle les hommes ignoreraient qui ils seront et quelle position sociale ils occuperont dans la vie réelle. Dans cette situation, sous ce qu’il appelle un « voile d’ignorance », les hommes, d’après lui, négocieront un contrat qui les liera dans la vie réelle. Dans ce contrat, la raison les amènera à adopter deux principes de justice :
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« Chaque personne doit avoir un droit égal au système total le plus étendu de libertés de base égales pour tous, compatibles avec un même système pour tous. »
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« Les inégalités économiques et sociales doivent être telles qu’elles soient : a) au plus grand bénéfice des plus désavantagés dans la limite d’un juste principe d’épargne et, b) attachées à des fonctions et des positions ouvertes à tous conformément au principe de juste égalité des chances. »
Cette vision, généreuse dans ses intentions, a été critiquée par Paul Ricoeur[7] dans son essai intitulé Le juste.[8] D’une manière générale, il fait remarquer que la théorie de Rawls est bâtie sur des présupposés (« Imaginons… »). Plus précisément, la justice y est le fruit d’une procédure, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de « juste » en soi. De plus, le « juste » établi a priorité sur le bon et la recherche du bien commun, dont nous allons devoir parler, est remplacée par la délibération.
Nous sommes, de nouveau, dans une vision d’un juste évolutif tributaire d’un contrat qui lui-même dépend de la volonté des individus placés devant un choix purement arbitraire et abstrait même si Rawls prétend, un peu facilement, qu’ils iront toujours dans le même sens.
Nous avons vu que Jean-Claude Michéa récuse cette vision sociale où les rapports humains sont purement contractuels. Nous verrons que cette critique se trouve aussi dans l’enseignement du pape François.