Ce sont des « groupes d’amis » dans tous les milieux professionnels
disait Jean-Paul II à Anvers, en parlant des « équipes d’espérance ».
Groupes familiaux ou amicaux, c’est aussi le point de départ des
« Parcours Zachée » Ces « parcours » ont été initiés par Pierre-Yves
Gomez. (I.F.G.E.), centre
de recherche et laboratoire social sur
la gouvernance
d’entreprise et la place de l’entreprise dans la société. Intervenant
dans le débat public, il a tenu à partir de 2008 une chronique mensuelle
dans le supplément économique du
journal Le Monde. Il a été élu
président de
la Société
Française de Management en janvier 2011Il est l’auteur de nombreux
livres dont, Qualité et théorie des conventions. Economica, 1994 ; Le
gouvernement de l’entreprise. Modèles économiques de l’entreprise et
pratiques de gestion. Inter Éditions, 1996 ; La République des
actionnaires. Syros, 2001 ; Le travail invisible : Enquête sur une
disparition. François Bourin Editeur, 2013 ; La liberté nous
écoute. Quasar, 2013 ; Intelligence du travail. Desclée De Brouwer,
2016 ; Penser le travail avec Karl Marx. Nouvelle Cité, 2016 ; avec
KORINE Harry, The Leap to Globalization : Creating New Value from
Business Without Borders. John Wiley & Sons, 2002 ; L’entreprise dans
la démocratie : Une théorie politique du gouvernement des entreprises.
De Boeck, 2009 ; Strong Managers, Strong Owners : Corporate Governance
and Strategy. Cambridge University Press, 2013.] Cet économiste,
entouré par une petite équipe a expérimenté puis diffusé à travers les
deux livres cités une méthode d’initiation et de mise en pratique de la
doctrine sociale de l’Église, accessible à tous.
Le « parcours » est « un programme de formation spirituelle
principalement destiné aux fidèles laïcs qui désirent approfondir leur
vie chrétienne dans sa dimension quotidienne, qu’elle soit familiale,
professionnelle, sociale et/ou politique. Il s’appuie sur l’enseignement
social de l’Église catholique (doctrine sociale de l’Église), notamment
le Compendium paru en 2004 et le catéchisme ainsi que les textes du
Magistère. » L’objectif est de « faire l’unité entre vie de foi et vie
dans le monde ». En effet, il faut « prendre au sérieux que l’essentiel
de la vie spirituelle d’un laïc chrétien se réalise dans le monde, à
partir des expériences qu’il y fait et que c’est cela qu’il faut rendre
fécond. Le monde est l’espace qui nous est donné pour notre
sanctification. »
Comment faire pour assurer cette sanctification, pour éviter la
dichotomie entre vie spirituelle et vie profane ? Les auteurs précisent:
« Si nous prenons conscience que chaque jouir, la société ne nous offre
pas seulement des pièges pour nous faire pécher, mais aussi des
occasions de grandir en sainteté, nous pouvons spiritualiser toute notre
vie quotidienne et l’unifier avec notre vie de prière. En participant,
par notre activité, à la création divine, en poursuivant le bien commun,
en gérant avec justice nos propriétés, en ayant une attention
particulière pour les pauvres, en exerçant l’autorité, en prenant des
responsabilités, en vivant en communauté, etc., nous réalisons cette
« cohérence eucharistique » dont parle Benoît XVI (Sacramentum caritas, 83
s.). Il n’y a plus d’un côté la vie pieuse et de l’autre la vie active,
mais une seule et même vie chrétienne pour le Seigneur ».
Et pourquoi avoir baptisé ces parcours, parcours Zachée ? « Zachée,
nous expliquent les auteurs, est notre modèle et l’image de notre
espérance : que le Seigneur vienne dans l’aujourd’hui de nos vies pour
habiter notre maison », selon ce qui est raconté dans l’évangile de Luc
(19, 5). « Notre maison », « cela inclut notre famille, notre travail
aussi bien que les activités sociales ou politiques que nous
développons. C’est en elles que Jésus veut s’inviter et c’est en elles
qu’il s’agit de Le recevoir. » En bref, ce qui est proposé est de
« trouver les moyens concrets de réaliser l’art de vivre
chrétien ». Il est possible de faire ce parcours seul en suivant le manuel
et les enseignements repris sur un CD mais le mieux est de rassembler
deux ou trois personnes ou encore, dans une paroisse, par exemple, après
une séance d’information, d’inviter les personnes motivées à entamer ce
parcours. Toutes les modalités et les conseils pratiques sont dans les
manuels.
Il est clair que cette méthode repose fondamentalement sur des personnes
motivées soucieuses de ne pas être seulement des « chrétiens du
dimanche ». Le programme proposé et l’inspiration religieuse font penser
aux communautés ecclésiales de base telles que définies par Jean-Paul II
à la différence intéressante que les petites équipes du « Parcours
Zachée » ne sont pas ecclésiales ce qui leur permet de naître n’importe
où dans une famille, un quartier une entreprise, etc.. Mais qu’en est-il
de l’immense majorité, en bien des endroits, des mal croyants, des
incroyants, des croyants d’autres religions ? Certes on peut espérer que
la chaleur de ces petits groupes chrétiens attire les personnes de bonne
volonté poussées aussi par leur curiosité mais ce n’est pas évident.
Faut-il abandonner l’espoir de diffuser largement la doctrine sociale de
l’Église, qui « a par elle-même la valeur d’un instrument
d’évangélisation », disait le pape Jean-Paul II ?
Une autre proposition a été lancée jadis, avec la volonté de diffuser la
doctrine sociale de l’Église : les cercles d’étude et d’action
d’Ichtus (Institut culturel et technique d’utilité sociale)
. Cette association à but non
lucratif, selon sa propre présentation, « s’adresse à toutes les
personnes, groupes ou associations qui souhaitent s’engager au service
de la vie sociale, politique et culturelle. » Le point de départ ici
n’est pas religieux mais civique sans discrimination philosophique,
semble-t-il. Pour ce faire, Ichtus propose une formation
méthodologique, culturelle et intellectuelle et encourage et facilite la
mise en place de réseaux sociaux naturels. Ichtus n’est ni un mouvement,
ni un parti : il ne donne donc aucun mot d’ordre. Ichtus a pour vocation
de favoriser l’action des laïcs, afin de les aider à exercer leurs
responsabilités en fonction de la place qu’ils occupent dans la
société. » Certes, fondateurs et animateurs sont bien des laïcs
chrétiens qui se rallient explicitement à ce qu’affirmait Benoît XVI
dans son encyclique, Deus Caritas est : « Le devoir immédiat d’agir
pour un ordre juste dans la société est le propre des fidèles laïcs ; en
tant que citoyens de l’État, ils sont appelés à participer
personnellement à la vie publique. Ils ne peuvent donc renoncer à
l’action multiforme : économique, sociale, législative, administrative,
culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les
institutions, le bien commun ». Toutefois, et ce point est intéressant,
les responsables déclarent que si « parfaitement fidèle au Pape et à
l’Église, Ichtus a pour seule référence l’enseignement social de
l’Église », ils ajoutent immédiatement que « cet enseignement est
accessible à tous les hommes de bonne volonté qui admettent l’existence
et le bien-fondé de la loi naturelle. » Prise de position qui élargit
considérablement le public qui peut être intéressé. Le P. A. Thomasset
cite longuement un article très éclairant du P. H. Bouillard, jésuite
lui aussi qui souligne
bien l’importance, dans le dialogue avec tout homme de bonne volonté, de
la référence à la loi naturelle puisqu’elle « dérive du sens de l’homme
et du sens des relations humaines. Elle tient compte assurément de la
nature biologique, mais elle la rapporte à l’accomplissement de l’homme. En
conséquence, on ne peut rien prescrire au nom de la loi naturelle, qui
ne puisse se justifier du point de vue de l’homme et de son bien
propre. »
Dans cet esprit, Ichtus poursuit quatre objectifs : « Se former
à l’anthropologie du bonheur et de la responsabilité, la doctrine
sociale de l’Église, notre culture et notre histoire, les méthodes
d’action ; relier des réseaux de compétence entre personnes ayant des
responsabilités professionnelles ou des engagements comparables : cadres
et dirigeants d’entreprise, professionnels de la santé, juristes,
enseignants, élus locaux, acteurs culturels ; agir par une action
multiforme , convaincre et rayonner de proche en proche, exercer au
mieux ses responsabilités sociales, prendre ou susciter les bonnes
initiatives ; promouvoir la culture de vie dans son milieu naturel, à
travers tous les cercles de responsabilité : famille, parents,
amis, école ou université, entreprise et monde du travail, communes et
collectivités locales, associations et mouvements, vie sociale et
politique. » En bref, il s’agit fondamentalement de « promouvoir la
vérité morale » selon l’expression de Benoît XVI dans tous les aspects
de la vie temporelle : « Cela signifie agir de manière responsable à
partir de la connaissance objective et complète des faits ; cela veut
dire déstructurer des idéologies politiques qui finissent par supplanter
la vérité et la dignité humaine et veulent promouvoir des pseudo valeurs
sous le couvert de la paix, du développement et des droits humains ; cela
veut dire favoriser un engagement constant pour fonder la loi positive
sur les principes de la loi naturelle. Tout cela est nécessaire et est
cohérent avec le respect de la dignité et de la valeur de la personne
humaine, respect garanti par les Peuples de la terre dans la Charte de
l’Organisation des Nations Unies de 1945, qui présente des valeurs et
des principes moraux universels de référence pour les normes, les
institutions, les systèmes de coexistence au niveau national et
international. »
Pratiquement, Ichtus propose de constituer des « cercles d’étude »,
appelés aussi « cellules ». Un
« cercle d’étude et d’action (CEA), est un groupe d’une dizaine de
personnes maximum. Elle est fondée sur l’amitié, qui seule favorise
l’unité et la complémentarité au service du bien commun. » Pour nourrir
ces groupes, Ichtus propose des manuels, des documents accessibles sur
son site, des animateurs pour aider au démarrage d’un CEA, une revue, et
chaque année un colloque en octobre. Le plus original peut-être est que
parmi les manuels de formation, on trouve, et le fait est si rare qu’il
doit être souligné, un livre consacré à l’action. L’ouvrage insiste sur l’importance des hommes
et d’abord des laïcs, sur leur formation et leurs réseaux, pour une
action multiforme et capillaire. On y trouve une analyse critique de
tous les moyens d’action possibles pour finalement privilégier la
rencontre personnelle en vue de la constitution de petits groupes
d’étude et d’action dans tous les milieux.
S’il s’agit initialement et fondamentalement d’« aimer et de faire
aimer le plan de Dieu », la méthode est ouverte
et offerte à tous ceux qui estiment que la société doit se construire
sur les principes du droit naturel dont l’Église est, dans bien des cas,
le dernier rempart. Il s’agit de s’initier aux « processus à mettre en
œuvre par l’exercice des libertés et des responsabilités, pour
revitaliser les corps sociaux, reconstruire […] par le bas, par les
communautés de destin dont l’émergence est devenue nécessaire à tous les
niveaux. »
Toutes ces initiatives, communautés de base, ecclésiales ou non, équipes
d’espérance, parcours Zachée, cercles d’étude et d’action révèlent avec
des styles différents la même volonté d’agir au plus près des réalités
vécues, en partant d’en bas.
A partir de l’exhortation apostolique Evangelii gaudium et de
l’encyclique Laudato si’, le P. Christoph Theobald s.j., prétend qu’à
travers ces textes, « l’expression classique « enseignement social de
l’Église » ou « magistère social de l’Église » a changé de
signification ». Il précise que
« même si François utilise à plusieurs reprises le terme de « doctrine
sociale de l’Église », il ne lui donne jamais le sens d’un « corpus
doctrinal », certes évolutif mais « objectif », au sens où il existerait en
dehors de son interprétation, de sa réception ou de son application
concrète, en quelque sorte « en surplomb » par rapport à l’aventure
toujours concrète de l’humanité. » A preuve,
notamment, la supériorité du temps sur l’espace affirmée avec raison par
le pape. » L’auteur de l’article aurait pu aussi
reprendre, plus simplement, au n° 224 de la même exhortation, la
citation de Romano Guardini : « L’unique modèle pour évaluer correctement
une époque est de demander jusqu’à quel point se développe en elle et
atteint une authentique raison d’être la plénitude de l’existence
humaine, en accord avec le caractère particulier et les possibilités de
la même époque. »
Il n’y a là aucun « changement de signification » dans la mesure où ce
sens du temps, ceux qui œuvrent à l’application de la doctrine sociale
de l’Église l’ont acquis, au moins, par la force des choses
mais ce n’est, en fait, que le fruit de la vertu de prudence dont nous
parlerons plus loin, vertu politique par excellence. d’autres passages
de l’un ou l’autre de ces textes pontificaux nous montrent que le pape
ne fait qu’accentuer des recommandations pratiques qui n’ont jamais
échappé à ses prédécesseurs. Ainsi, dans l’exhortation Evangelii
gaudium, François se réfère, dans les deux extraits qui suivent, au
Compendium et à l’enseignement de Paul VI : « Les enseignements de
l’Église sur les situations contingentes sont sujettes à d’importants ou
de nouveaux développements et peuvent être l’objet de discussion, mais
nous ne pouvons éviter d’être concrets - sans prétendre entrer dans les
détails - pour que les grands principes sociaux ne restent pas de
simples indications générales qui n’interpellent personne. iol faut en
tirer les conséquences pratiques afin qu’« ils puissent aussi avoir une
incidence efficace sur les situations contemporaines complexes »
(Compendium, op. cit., n° 9) » Un peu plus loin,
il précise : « Ce n’est pas le moment ici de développer toutes les graves
questions sociales qui marquent le monde actuel […]. Ceci n’est pas
un document social, et pour réfléchir aux thématiques différentes nous
disposons d’un instrument très adapté dans le Compendium de la Doctrine
sociale de l’Église, dont je recommande vivement l’utilisation et
l’étude. En outre, ni le Pape, ni l’Église ne possèdent le monopole de
l’interprétation de la réalité sociale ou de la proposition de solutions
aux problèmes contemporains. Je peux répéter ici ce que Paul VI
indiquait avec lucidité : « Face à des situations aussi variées, il nous
est difficile de proposer une parole unique, comme de proposer une
solution qui ait une valeur universelle. Telle n’est pas notre ambition,
ni même notre mission. Il revient aux communautés chrétiennes d’analyser
avec objectivité la situation propre de leur pays. » (Octogesima
adveniens, n° 4) » Telle est la position classique
de l’Église que nous avons déjà détaillée dans le premier volume et
évoquant les nécessaires distinctions à respecter, non seulement entre
laïcs et clercs mais aussi entre doctrine et programme. d’où, bien
évidemment, la nécessité de commencer par « en bas » à partir des
problèmes concrets que connaissent les gens, là où ils sont mais en
ayant toujours « le profond désir de changer le monde, de transmettre
des valeurs, de laisser quelque chose de meilleur après notre passage
sur terre. » Et à partir des réalités, « la
grandeur politique se révèle quand, dans les moments difficiles, on
œuvre pour les grands principes et en pensant au bien commun à long
terme. »
On peut ici, mutatis mutandis, établir un parallèle entre l’enseignement
de Pie XII et celui de François : Pie XII, conscient que toutes les
condamnations des erreurs modernes ont été prononcées, n’y revient pas
trop mais s’efforce surtout de proposer des chemins de construction et
de reconstruction, ce qui sera aussi la tâche du concile Vatican II dans
Gaudium et spes. François, bien conscient que nous disposons de tous
les principes nécessaires à la construction/reconstruction, s’efforce de
nous inciter à l’action, à la prise de responsabilités là où nous
sommes. Il nous invite à « un art de vivre » comme dans les parcours
Zachée, à une « conversion » comme on dit dans les cercles d’étude et
d’action et dans toutes les communautés de base ou équipes d’espérance.
Ne s’agit-il pas, depuis le départ, de voir, juger et agir ? On ne peut
dire plus simplement que tous nous sommes concernés là où nous sommes,
dans la situation sociale, professionnelle qui est la nôtre, immergés
dans les problèmes qui sont les nôtres, au sein de ce que nous voyons,
constatons. C’est donc à partir du vécu que l’action peut
s’entreprendre, une « action « pour tous » qui ne déracine pas »
. Une action éclairée par les
valeurs, les invariants, les principes non négociables du Compendium,
mais toujours adaptée à la réalité à laquelle on est confronté.
Des instruments existent pour nourrir ceux qui veulent agir dans le sens
de l’enseignement social chrétien et même ceux qui, venus de loin,
veulent le découvrir et s’associer au travail.
Pour agir par « en-bas », il s’agit de se former seul ou de préférence en
équipe, si petite soit-elle grâce aux encycliques ou aux Compendium
pour les plus gourmands ou les plus scrupuleux, grâce à des manuels,
comme ceux proposés par le parcours Zachée pour les débutants ou
encore par l’excellente vulgarisation réalisée sous la direction de la
Conférence des évêques d’Autriche et approuvée par le Conseil pontifical
pour la promotion de la nouvelle évangélisation. L’ouvrage a été publié
en français sous le titre DOCAT, Que faire ?
La Conférence des évêques de France, en collaboration avec le Service
national Famille et société, a de son côté, publié en deux volumes, une
initiation intitulée Notre bien commun, Connaître la pensée sociale de
l’Église pour la mettre en pratique.
L’avantage du document autrichien est d’être présenté agréablement, avec
de petits textes fondamentaux en référence, d’être très complet et
accessible à tous, quelle que soit leur nationalité.
En tout cas et pour toutes les raisons dites, seuls les chrétiens
peuvent initier le mouvement vers le bien commun. Il est capital que
tous les chrétiens soient conscients de cette responsabilité. Aucun
alibi même spirituel ne peut les dispenser de cette formation.