Les laïcs : « des collaborateurs actifs et soumis »[3]
Même si la conception décrite précédemment est, en partie, confirmée par Pie IX[4], Léon XIII[5] et Pie X [6] , les révolutions politiques, sociales, économiques du XVIIIe siècle vont inciter l’Église à réfléchir à la dimension sociale et politique de la justice. Ainsi va naître, sous Léon XIII, la doctrine sociale chrétienne. De plus, comme le « prince » n’a plus désormais la place qu’il occupait en régime monarchique traditionnel[7], l’heure du laïcat va sonner, puisque ce sont désormais les citoyens qui sont le « prince ».[8] Ainsi, Léon XIII a pu constater que les laïcs chrétiens n’ont pas attendu que l’Église se prononce pour prendre des initiatives en vue d’une plus grande justice sociale.[9]
Dans sa grande encyclique Rerum novarum[10], Léon XIII invite patrons et ouvriers à travailler à résoudre la « question sociale » à la lumière des principes fondamentaux de la doctrine sociale qu’il inaugure. Pensant aux corporations qui furent si précieuses jadis, il note qu’il voit « avec plaisir se former partout des sociétés de ce genre, soit composées des seuls ouvriers, soit mixtes, réunissant à la fois des ouvriers et des patrons. Il est à désirer, ajoute-t-il, qu’elles accroissent leur nombre et l’efficacité de leur action. » Il précise encore que l’État n’a pas le pouvoir « de leur dénier l’existence » pour la simple raison que « les citoyens sont libres de s’associer » et « de se donner les statuts et règlements qui leur paraissent les plus appropriés au but qu’ils poursuivent. » Il invite les laïcs à agir « sans délai », mais précise le rôle des évêques : « Les évêques, de leur côté, encouragent ces efforts et les mettent sous leur haut patronage ». qu’est-ce que cela signifie sinon que « cette action des catholiques, quelle qu’elle soit, s’exercera avec une efficacité plus grande, si toutes leurs associations, réserve faite des droits et règlements de chacune d’elles, agissent sous une seule et unique direction qui leur communiquera l’impulsion première et le mouvement ». En fait, le pape place « le soin d’organiser l’action commune des catholiques sous les auspices et la direction des évêques. […] Quelles que soient les initiatives conçues et réalisées […] par des hommes, soit isolés, soit associés, qu’ils n’oublient pas la soumission profonde due à l’autorité des évêques. »[11] Pourquoi ? Parce que ces associations qui ont comme but « l’accroissement le plus grand possible, pour chacun, des biens du corps, de l’esprit et de la fortune » doivent « viser, avant tout, à l’objet principal qui est le perfectionnement moral et religieux. »[12]
De même, Pie X estimera que les œuvres « communément désignées sous le nom d’Action catholique […] principalement fondées pour restaurer et promouvoir dans le Christ la vraie civilisation chrétienne […] ne peuvent nullement se concevoir indépendantes du conseil et de la haute direction de l’autorité ecclésiastique. »[13]
Quant à Pie XI, il reconnaît l’existence d’autres associations de laïcs qui n’appartiennent pas à l’Action catholique et qui sont engagées sur le terrain temporel et précise que « L’Action catholique ne doit pas se substituer aux organisations économiques et professionnelles qui ont pour but direct et immédiat de s’occuper des intérêts temporels des diverses classes de travailleurs manuels ou intellectuels. […] Ces associations doivent conserver leur autonomie et leur responsabilité exclusive dans le domaine technique. » De même, « doivent rester autonomes dans leur domaine et seuls responsables de leur activité, les partis politiques formés par des catholiques ».[14]
Mais c’est au développement de l’Action catholique à travers le monde que Pie XI consacrera ses efforts[15]. Et même si l’Action catholique « ne peut assumer de responsabilités de caractère politique ou économique », il ajoute « qu’elle viendra cependant en aide à ces organisations elles-mêmes et leur sera profitable, soit en leur fournissant les meilleurs éléments formés par elle, soit en proposant le bien intégral de leurs propres membres, soit en coordonnant l’action de tous pour la défense et le soutien des intérêts suprêmes religieux et moraux, lesquels sont la meilleure garantie de la prospérité, de l’ordre et de la paix sociale. »[16]
Le rêve de Pie XI est d’une certaine manière d’organiser l’action des laïcs, sous ses différentes formes, comme une vaste armée dont les généraux seraient les évêques et le souverain pontife.[17]
En tout cas, les laïcs sont pour lui les « premiers apôtres » du monde temporel : « Comme à d’autres époques de l’histoire de l’Église, nous affrontons un monde retombé en grande partie dans le paganisme. Pour ramener au Christ ces diverses classes d’hommes qui l’ont renié, il faut avant tout recruter et former dans leur sein même des auxiliaires de l’Église qui comprennent leur mentalité, leurs aspirations, qui sachent parler à leur cœur dans un esprit de fraternelle charité. Les premiers apôtres, les apôtres immédiats des ouvriers seront les ouvriers ; les apôtres du monde industriel et commerçant seront des industriels et des commerçants. »[18]
Des « apôtres laïques » qui, face au laïcisme et à l’athéisme notamment de la classe ouvrière et des jeunes, sont comme les « vaillants soldats du Christ »[19], « soldats d’avant-garde »[20], nourris des Exercices spirituels[21], que les évêques et les prêtres doivent « rechercher avec soin » et « choisir avec prudence » avant « de les former et de les instruire ».[22]
Prioritairement, c’est au sein des mouvements d’Action catholique que le pape envisage surtout l’engagement des laïcs. Il va s’employer, tout au long de son pontificat, à promouvoir, un peu partout dans le monde, les différentes associations rassemblées sous l’étiquette d’Action catholique, les orienter et les organiser car, « pour Pie XI, la mission apostolique des laïcs ne saurait se concevoir dans la spontanéité d’initiatives indépendantes. Son encadrement par les successeurs des apôtres est une condition sine qua non que le pape répète à de nombreuses reprises. »[23] Pourquoi cette insistance ? De nouveau, parce que « l’Action catholique qui, par définition, est la collaboration du laïcat à l’apostolat hiérarchique, ainsi que l’exige sa nature même, est une aide à la hiérarchie sacrée, à laquelle elle se subordonne, tout en se conformant et en s’adaptant à sa structure et à son organisation. »[24] Son but est de « propager le règne du Christ et par cette propagation de procurer à la société le plus grand des biens, dont découlent tous les autres biens. »[25] Bien que ses membres puissent s’engager dans la vie publique, l’Action catholique, en tant que telle, « n’est pas un mouvement d’ordre matériel, mais spirituel ; il ne revêt pas un caractère profane, mais sacré ; il ne poursuit pas des buts politiques, mais religieux. »[26] Elle doit, se tenir « comme l’Église au-dessus et en dehors des partis politiques, car elle est établie non pas en vue de tel ou tel groupe, mais pour procurer le vrai bien des âmes en étendant le plus possible le règne de Notre Seigneur Jésus-Christ dans les individus, les familles, la société. »[27] Il s’agit de ramener, par exemple, ses compagnons de travail, nos frères, « à la pratique de la vie chrétienne. »[28] Toutes les associations d’Action catholique doivent avoir « pour principe inviolable d’obéir unanimement aux directeurs nommés par la hiérarchie ecclésiastique »[29] et il est souhaitable que non seulement elles ne se fassent pas concurrence, qu’elles coordonnent leurs actions respectives, mais aussi que cette coordination aille « jusqu’à une structure institutionnelle ».[30] Il faut, en effet, éviter « la dispersion des forces » : « qu’ils s’unissent donc, tous les hommes de bonne volonté, qui, sous la direction des pasteurs de l’Église, veulent combattre ce bon et pacifique combat du Christ […] ».[31]
En tout cas, malgré cette envie de centralisation et de contrôle, Pie XI, à l’instar de Léon XIII, se rend compte de l’importance des laïcs et de leur action sur le monde. Léon XIII soucieux de l’état de la société, s’efforce de convaincre les fidèles de la nécessité de travailler à établir entre tous les citoyens une « amitié » que nous appellerions aujourd’hui « solidarité ». Pie XI ira plus loin en parlant de « charité politique »[32], expression qui fera florès.[33]
(Cf. https://sites.google.com/a/cardijn.info/josephcardijn-fr/une-pensee-maitresse-de-pie-xi).