S’étonnera-t-on dès lors de l’attitude des bouddhistes face à la guerre ?
Certes, le Sutra du filet de Brahmâ rejette toute participation à la guerre[1] et Buddha, dans le Samyuttanikâya[2] dit que le soldat mort au combat va dans un enfer spécial. Mais, on peut rappeler que les moines ont été conseillers des princes et de princes qui ne vivaient pas nécessairement l’idéal non-violent.[3] Le bouddhisme a soutenu les efforts de guerre dans les pays où il était religion officielle et « comme toutes les doctrines religieuses, le bouddhisme a pu, à l’occasion, servir d’instrument de propagande dans une politique de conquête »[4]
Rappelons-nous les conquêtes mongoles ou les conquêtes tibétaines en Asie centrale au VIIIe siècle, les deux tentatives tibétaines, au XVIIe siècle, d’envahissement du Bouthan[5]. En plus des luttes intestines entre monastères, le Tibet connut aussi la guerre contre le royaume du Ladakh, les Mongols Dzungar, le Népal et, plus près de nous, contre les Anglais puis contre les Chinois. Des faits qui font dire à B. Faure qu’à d’autres époques, le Tibet fut « contraint au pacifisme n’ayant pas la force de s’opposer à ses puissants voisins »[6].
Par ailleurs, quand les communautés dépendent des gouvernements, elles peuvent être amenées à justifier les violences commises au nom de la nation ou à soutenir l’état-nation. Ce fut le cas, au Japon qui avait connu les « sôhei » moines-soldats[7]. Lors des guerres modernes, les bouddhistes japonais soutinrent, avec des arguments religieux, le bellicisme ambiant [8]. Durant la guerre russo-japonaise (1904), Inoue Enryô déclare : « Les Russes ne sont pas seulement notre ennemi, ils sont l’ennemi du Buddha. Tuer les Russes n’est pas seulement notre devoir en tant que citoyens, c’est notre devoir en tant que bouddhistes »[9]. Au cours de la guerre sino-japonaise (1937), Rinzai Hitane Jôzan parle d’une « guerre sacrée incorporant la grande pratique du bodhisattva ».[10] d’autres la qualifièrent de « guerre de compassion »[11]. Notons que, de son côté, le clergé chinois, en majorité tenta, de se concilier l’occupant bouddhiste. Enfin, la guerre de 1940-1945 trouva des justifications dans les écrits de Nishida Kitarô (1870-1945) et de D.T. Suzuki (1870-1966) tous deux profondément influencés par le bouddhisme zen.
En Chine, les moines du monastère de Shaolin luttèrent contre les pirates et envahisseurs japonais. Les monastères furent aussi au centre de révoltes ou servirent de caches d’armes comme celui de Chang’an en 445. L’empereur Taiwu fit passer les moines au fil de l’épée.