Ces réalités montrent aussi que le procès que certains intentent à l’Église et à l’Écriture, n’a pas de sens. Celles-ci soulignent une familiarité religieuse entre l’homme et la nature qui n’est pas en contradiction avec la familiarité des différentes espèces que rappellent scientifiques et philosophes de l’environnement[1].
Pourquoi, dès lors, écrire que « nous devons (…) tirer les conséquences de ce que l’homme n’a pas été fait à l’image de Dieu, mais a évolué dans une interaction avec toutes les autres espèces auxquelles il est apparenté » alors que les auteurs les plus sages refusant aussi bien l’humanisme prédateur que le naturalisme anti-humaniste défendent l’idée d’un « nouveau naturalisme »[2] qui échappe aux simplifications de la deep ecology considérée, à juste titre, comme un « écofascisme ». Ainsi, l’« éthique écocentrée » de Baird Callicott[3] professeur à l’université du Nord-Texas est présentée comme une « éthique hiérarchique et holiste[4] , nullement égalitaire : elle pose qu’il y a un bien de la communauté en tant que telle (…) et que les devoirs de chacun de ses membres sont déterminés par la place qu’ils y occupent. Est-ce à dire qu’il faille sacrifier les droits de l’homme (…) au bien de la communauté biotique ? La question est sans objet, selon Baird Callicott. La source des devoirs moraux est l’appartenance à une communauté. Nous autres êtres humains relevons de plusieurs communautés : diverses communautés humaines (la famille, les microsocétés dont nous faisons partie, la nation, l’humanité) et de diverses communautés biotiques (…). Entre ces différentes parentés, il y a des relations hiérarchiques, qui se règlent selon la proximité ; nous avons des devoirs supérieurs envers ceux qui nous sont les plus proches : notre famille passe avant les cousins éloignés des antipodes, l’humanité passe avant une parenté animale plus lointaine. Il n’y a donc aucune raison de sacrifier l’humanité à des nécessités écologiques. » Cette « éthique de la parenté » élargie à l’ensemble des espèces n’est pas antihumaniste, elle « situe l’homme dans la nature », elle « montre que l’évaluateur est situé : c’est dans la mesure où nous faisons partie de la nature que nous pouvons lui attribuer une valeur. La valorisation consciente est l’actualisation d’une relation préexistante, celle de notre appartenance à des communautés biotiques. »[5]
Ce trop rapide survol nous montre que cette réflexion qui veut écarter, comme dangereuse, la conception « anthropocentrique » de la Bible qui dit de l’Homme qu’il est à l’image de Dieu, rejoint en fait par « en bas » la réflexion théologique dont nous avons donné un aperçu. Réflexion théologique qui apporte la justification ultime et cohérente du respect que nous devons à notre environnement et qui évitera de glisser, nous allons le voir, dans la mouvance de l’idéologie véhiculée par ce mouvement nébuleux qu’on appelle Nouvel Age.
Vous avez dit « holiste » ?
Ce mot sonne curieusement aux oreilles contemporaines et il faut nous y arrêter quelques instants. Si holisme désigne, en philosophie, une « théorie d’après laquelle le tout est quelque chose de plus que la somme de ses parties »[6], pour certains sociologues, le mot s’oppose simplement à individualisme[7] et je pense que c’est dans ce dernier sens qu’il faut l’entendre ici, dans la mesure où l’écologie la plus sérieuse nous demande de tenir compte des interactions entre les différents niveaux du créé et de ne pas les considérer comme séparés les uns des autres.
Toutefois ce mot savant connaît aujourd’hui une vogue très particulière dans les cercles, ou plutôt, les « courants »[8] du Nouvel Age (New Age) où il prend une signification qui peut tromper le lecteur inattentif et lui laisser croire que le holisme du New Age rejoint, d’une manière ou l’autre la vision d’un Teilhard de Chardin ou même la conception du Corps du Christ initiée par saint Paul. Elle peut aussi établir une confusion la symbolique du corps dont nous reparlerons plus loin avec X. Dijon, à propos de la justification de l’appropriation de la nature.
Tout le mouvement du Nouvel Age[9] est imprégné par le holisme qui, soyons-y attentifs, « constitue à la fois un élément essentiel du Nouvel Age et un signe des temps dans le dernier quart du XXe siècle »[10]. De quoi s’agit-il ? Un des gourous du New Age déclare : « L’unité est la seule réalité et la diversité en est la manifestation apparente »[11]. Ailleurs, le même écrit : « Reconnaître que Dieu, dans son holisme, est la seule véritable réalité, est la clef essentielle de toute manifestation.
Chaque élément de l’univers est directement ou indirectement relié à l’ensemble, et aucun obstacle, aucune limitation de temps, d’espace ou de circonstance, ne peut bloquer le flux approprié d’énergie entre les diverses affinités du Tout.
Dieu est tout ce qui est. En lui rien ne manque. Il est la Réalité.
Plus notre conscience s’ouvre à cette perception et à cette compréhension, plus étroitement nous vivons au cœur même de cette Réalité et plus nous devenons capables en toutes circonstances et à tous les niveaux d’utiliser avec succès les lois de la manifestation.
En me reliant au divin, je m’unis à toutes choses, et par cette union avec le Tout, je deviens une sorte de Créateur suprême. »[12]
Si Dieu est tout ce qui est, « il n’y a pas d’altérité entre Dieu et le monde. Le monde, qui est lui-même divin, suit un processus évolutif allant de la matière inerte à la « conscience supérieure et parfaite ». Le monde est incréé, éternel et autosuffisant. Le futur du monde dépend d’une dynamique interne qui est nécessairement positive, et qui mène à l’unité divine (réconciliée) de tout ce qui existe. Dieu et le monde, l’âme et le corps, l’intelligence et le sentiment, le ciel et la terre forment une seule immense vibration d’énergie. »[13]
qu’en est-il des hommes ? Comme nous venons de le voir, « tout dans l’univers est relié. En soi, chaque partie est une image de la totalité. Le tout est dans chaque chose, et chaque chose est dans le tout. Dans la « grande chaîne des êtres », tous les êtres sont intimement liés, ne formant qu’une seule famille avec différents degrés d’évolution. Chaque homme est un hologramme, une image de la création tout entière, dont chaque élément vibre à sa propre fréquence. L’homme est un neurone du système nerveux central de la Terre, et toutes les entités individuelles ont entre elles une relation de complémentarité. En fait, il existe une complémentarité interne, ou androgynie, dans toute la création »[14]. Les hommes « naissent avec une étincelle divine »[15] qui « les relie à l’unité du Tout. Ils sont donc vus, essentiellement, comme des êtres divins, bien qu’ils participent de cette divinité cosmique à des niveaux de conscience différentes. (…) L’identité de chaque être humain est diluée dans l’être universel de dans la série des incarnations successives. Les individus sont soumis à l’influence déterminante des astres, mais peuvent s’ouvrir à la divinité qui vit en eux à travers la recherche constante ( à l’aide des techniques appropriées) d’une plus grande harmonie entre le moi et l’énergie cosmique divine »[16].
Le cosmos est donc considéré comme « un tout organique (…) animé par une Energie, qui est assimilée à l’âme ou l’esprit de Dieu »[17]. Nous sommes dans « un univers clos, contenant « Dieu », et d’autres êtres spirituels[18] en plus de nous-mêmes ». On comprend dès lors que l’écologie tienne une place importante dans la mouvance New Age. Cette écologie se manifeste par « une fascination pour la nature et re-sacralisation de la Terre, la Terre Mère ou Gaia[19](…) La chaleur de la Terre Mère, dont la divinité s’étend à toute la création, comble, dit-on, le fossé entre la création et le Dieu-Père transcendant du judaïsme et du christianisme en écartant la perspective de devoir être jugés par un tel Etre. »[20] On en arrive inévitablement à considérer cette vision comme « un panthéisme implicite »[21] et il n’est pas étonnant non plus qu’on y parle de réincarnation, présentée « comme une participation à l’évolution cosmique »[22]. Enfin, notons que cette vision holistique d’un monde global suggère la nécessité d’un gouvernement mondial…
Et le Christ ? Certains auteurs du New Age parlent du Christ et, en particulier, du Christ cosmique : « Le Christ cosmique est le modèle divin qui trouve unité dans la personne de Jésus-Christ (mais ne se limite pas à cette personne). Le modèle divin d’unité s’est fait chair et il a campé parmi nous (Jn 1, 14)… Le Christ cosmique… libère de l’asservissement et du pessimisme de l’univers mécaniciste newtonien, un univers de compétition, de gagnants et de perdants, de dualisme, d’anthropocentrisme, ainsi que de l’ennui de voir notre univers merveilleux réduit à une machine sans mystère ni mysticisme. Le Christ cosmique est local et historique, il est même intimement associé à l’histoire humaine. Le Christ cosmique pourrait vivre près de nous, ou même dans notre moi le plus profond et le plus authentique ».[23]
Nous savons que le chrétien peut parler aussi du Christ cosmique à partir, notamment de la doctrine développée par Paul[24]. Toutefois, ce Christ « n’est pas un modèle, mais est bien une personne divine dont la figure, humaine et divine, révèle le mystère de l’amour du Père pour chaque personne au long de notre histoire (Jn 3, 16) ; il vit en nous parce qu’il partage sa vie avec nous, mais cela n’est ni imposé, ni automatique. Tous les hommes sont invités à participer à sa vie, à vivre « dans le Christ Jésus ». » Pour le Nouvel Age ou, du moins, pour certains de ses représentants, « le Christ cosmique est un modèle qui peut se répéter dans beaucoup de personnes, de lieux et de temps. (…) En définitive le Christ n’est plus qu’un potentiel à l’intérieur de nous-mêmes »[25]. Ce Christ « éternel, impersonnel et universel » est distinct de Jésus, « historique, personnel et individuel » qui, au mieux, est « un sage, un initié ou un avatar parmi tant d’autres ».[26]
d’où vient l’erreur ?
Il est sûr que « la science contemporaine confirme l’étroite interaction entre les diverses parties composant un système physique, chimique ou un organisme biologique »[27]. Il est sûr aussi que la théologie souligne d’autres interactions entre Dieu, l’homme et l’univers créé. Mais, sans nier les substances, sans gommer l’individualité des différentes composantes. Or, la vision holistique véhiculée par la New Age, dans sa volonté d’en finir avec tous les cloisonnements, « privilégie unilatéralement la relation au détriment de la substance, alors qu’il ne peut y avoir de relation sans termes, c’est-à-dire sans substances en relation. »[28] Le Nouvel Age cherche « l’unité par la fusion qui permet de réconcilier l’âme et le corps, le féminin et le masculin[29], l’esprit et le matière, l’humain et le divin, la terre et l’univers, le transcendant et l’immanent, la religion et la science, les différences entre les religions, le Yin et le Yang. Dans ce cas, il n’y a plus d’altérité. Ce qui reste, en termes humains, est le trans-personnel ».[30]
Tous les « maîtres à penser » du New Age s’accordent sur ce fondement dont tout découle[31] : « Toute vie, toute existence, est une manifestation de l’Esprit, l’Inconnaissable, la Conscience suprême connue sous des noms divers dans beaucoup de cultures différentes »[32] ; « Le monde, y compris la race humaine, est l’expression d’une nature divine supérieure et plus complète »[33] ; « Il existe une seule réalité-énergie »[34] ; « Toute vie, dans ses différentes formes et états, est énergie interdépendante et inclut nos actes, nos sentiments et nos pensées »[35] ; « La terre-Gaïa est notre mère, chacun de nous est un neurone du système nerveux central de la Terre »[36].
Rêverie ?
On peut penser que ces théories ne séduisent qu’un petit nombre d’originaux et qu’elles ne constituent en rien une menace pour notre vie sociale, d’autant moins que si on parle beaucoup de ce New Age, on ne le « voit » jamais. Tel n’est pas l’avis de M. Schooyans qui n’hésite pas à affirmer que « l’ONU est (…) marquée par l’influence du holisme, caractéristique du New Age (…)[37]. La Charte de la Terre, en voie finale d’élaboration, est explicite à cet égard. »[38]
De quoi s’agit-il ?
Cette Charte est le fruit de nombreuses années de discussions entamées en 1987 au sein de la Commission des Nations Unies pour l’Environnement et le Développement. En mars 2000, la Commission, réunie au siège de l’Unesco, a approuvé la version finale de cette Charte qui a connu de nombreuses ébauches. Elle a été lancée officiellement le 29 juin 2000 au Palais de La Haye.
Selon ses promoteurs, ce document[39] doit nous amener à « des changements importants dans notre façon de vivre et de penser », il nous « met au défi d’examiner nos valeurs et de choisir une meilleure voie », il nous « incite à rechercher un terrain d’entente au milieu de nos diversités, et à adopter une nouvelle vision éthique qui soit partagée à travers le monde par un nombre croissant de personnes de divers pays et cultures ». Pour cela, une consultation a été organisée à travers le monde. De plus, cette Charte prétend s’être appuyée aussi sur « la science contemporaine, le droit international, les leçons des peuples indigènes, la sagesse des grandes religions du monde et les traditions philosophiques, les déclarations et rapports des sept grandes conférences des Nations Unies qui ont eu lieu durant les années 1990, le mouvement d’éthique globale, de nombreuses déclarations non-gouvernementales et traités des peuples émis au cours des trente dernières années, et les expériences accumulées dans la construction de communautés durables ». C’est dire, on ne peut plus clairement, le caractère extrêmement pluraliste de l’inspiration. Notons que pour M. Schooyans, ce pluralisme affiché est, en fin de compte, une philosophie précise, celle du New Age : « L’influence du philosophe Thomas S. Kuhn, un des grands inspirateurs du New Age, est ici évidente, et elle est confirmée dans les livres de Marilyn Ferguson sur ce même courant ».[40]
Voyons cela de plus près.
Le but de la Charte est, selon le Préambule, « d’établir une base éthique solide pour la société globale émergente et d’aider à construire un monde durable » dans l’espoir de donner naissance à une société mondiale durable, fondée sur le respect de la nature, les droits universels de l’être humain, la justice économique et une culture de la paix ».[41]
L’ordre des fondements cités est-il accidentel ou significatif. Il semble qu’il ne soit pas innocent car, immédiatement, le Préambule va définir la place de l’homme : « L’humanité fait partie d’un vaste univers en évolution. La Terre, notre foyer, est elle-même vivante et abrite une communauté unique d’êtres vivants. Les forces de la nature font de l’existence une aventure exigeante et incertaine, mais la Terre a fourni les conditions essentielles à l’évolution de la vie. La capacité de récupération de la communauté de la vie et le bien-être de l’humanité dépendent de la préservation d’une biosphère saine comprenant tous ses systèmes écologiques - une riche variété de plantes et d’animaux, la fertilité de la terre, la pureté de l’air et de l’eau. L’environnement de notre planète, y compris ses ressources limitées, est une préoccupation commune à tous les peuples de la terre. La protection de la vitalité, de la diversité ainsi que de la beauté de la Terre est une responsabilité sacrée. »
Notons la majuscule de Terre lorsque celle-ci désigne bien le tout vivant, objet d’une responsabilité sacrée. Ce n’est plus l’homme qui mérite la majuscule ni l’adjectif « sacré ». Non seulement il n’est qu’un élément de l’« univers en évolution » mais un élément dangereux. Si la Charte est nécessaire, c’est parce que l’homme menace le « foyer » par sa production, sa consommation, son égoïsme, sa volonté de puissance. Actuellement même sa simple présence est destructrice : « une augmentation sans précédent de la population a surchargé les systèmes écologiques et sociaux. Les fondements de la sécurité planétaire sont menacés. Ces tendances sont dangereuses - mais non inévitables. »
La solution s’impose : « former un partenariat à l’échelle globale pour prendre soin de la Terre et de nos prochains » car « nos enjeux environnementaux, économiques, politiques, sociaux et spirituels sont étroitement liés et ensemble nous pouvons trouver des solutions intégrées ».[42] Nous devons « intégrer dans notre vie le principe de la responsabilité universelle, nous identifiant autant à la communauté de la Terre qu’à nos communautés locales », développer « l’esprit de solidarité et de fraternité à l’égard de toute forme de vie ».
Suivent 16 grands principes « interdépendants »[43] dans lesquels nous retrouvons les droits principaux de l’homme mais, à chaque fois, en vertu de l’ »interdépendance », inscrits dans la protection et le respect prioritaire de la Terre qui apparaît comme la valeur première, fondatrice, universelle, qui doit mesurer et guider la nouvelle éthique[44]. En témoigne la structure même du texte. Les 16 principes sont répartis en quatre parties. Les deux dernières sont consacrées à la justice sociale et économique (III), à la démocratie, la non-violence et la paix (IV) tandis que les deux premières traitent du respect et de la protection de la communauté de la vie (I) et de l’intégrité écologique (II).
Pour M. Schooyans, l’inspiration holiste[45] est claire, l’homme est un élément du tout, il « n’a aucune spécificité biologique qui lui permettrait de prétendre émerger biologiquement du reste du monde vivant » et doit « accepter d’être soumis à l’impératif écologique ».[46] L’anthropocentrisme, dans le meilleur sens du terme est ainsi aboli, l’homme est un être sans transcendance dont la seule finalité « sacrée » est de préserver la Terre, la « communauté de la vie »[47]. Il est fait allusion aux religions, comme nous l’avons vu dans le Préambule, mais secondairement, parce qu’elles font partie de la vie, quelles qu’elles soient ou qu’elles peuvent servir à renforcer la nouvelle éthique:
« Reconnaître et préserver les connaissances traditionnelles et la sagesse de toutes les cultures, lorsqu’elles contribuent à la protection de l’environnement et au bien-être de l’être humain » (8b).
« Affirmer le droit des peuples indigènes à leur spiritualité, leurs connaissances, leurs terres, leurs ressources, ainsi qu’à leurs propres moyens d’existence traditionnels et durables » (11b).
« Reconnaître l’importance de l’éducation morale et spirituelle pour une existence durable » (14d).
« L’esprit de solidarité et de fraternité à l’égard de toute forme de vie est renforcé par le respect du mystère de la création, par la reconnaissance du don de la vie et par l’humilité devant la place que nous occupons en tant qu’êtres humains dans l’univers » (Préambule).
Ces principes sont bien insuffisants pour un chrétien. C’est pourquoi, par exemple, en 1997, à la 19e session de l’Assemblée générale de l’ONU sur le thème de l’environnement, Mgr J.-L. Tauran, délégué du Saint-Siège, après avoir affirmé le souci que l’Église catholique a de l’environnement mais rappelé aussi les réserves du Saint-Siège vis-à-vis des prises de position libérales de l’ONU en matière sexuelle et familiale[48], déclarera que les croyants « voudraient aider leurs compagnons de route à aller au-delà du simple respect de la nature et du partage des ressources - absolument nécessaires, bien sûr - pour retrouver le sens de l’émerveillement devant la beauté des éléments naturels qui peuvent toujours dire quelque chose de Celui qui nous précède et nous dépasse. Il faudrait ici évoquer sans doute, ajoute-t-il, le Cantique des Créatures de François d’Assise ou encore l’expression paradoxale d’un contemporain qui n’hésitait pas à parler de la « puissance spirituelle de la matière » (Teilhard de Chardin). »[49]
Finalement
Pour éviter les dérives et les prolongements politiques du New Age ou de la Deep Ecology, pour éviter que les principes de l’écologisme raisonnable ne dérivent, dans un sens ou l’autre, pour qu’ils ne se teintent d’anti-humanisme ou d’anti-christianisme et ne s’incarnent dans des projets politiques idéologiques, boiteux ou utopistes, il est indispensable de les inscrire dans une anthropologie et une cosmogonie rigoureuses. Les chrétiens paraissent, quoi qu’on en ait dit, particulièrement aptes à donner une vision cohérente, sage et exaltante de la gestion du monde. Certes, une information scientifique sérieuse est indispensable mais elle est difficile et n’est pas toujours à l’abri d’idéologisations diverses[50] ou d’exagérations qui risquent de jeter le discrédit sur l’ensemble des mises en garde[51].
Certes, l’ampleur de certains problèmes réels et vitaux réclame une action internationale et l’effort de tous. Mais la motivation et l’orientation de l’action demandent que tous soient sensibilisés aux vraies valeurs en question. d’autant plus que bien des problèmes ne sont pas immédiatement perceptibles dans notre vie quotidienne. Que nous importe, à la limite, de savoir que « le réchauffement atmosphérique de la planète élèvera la température de 0,4 à 1,1°C dans vingt ans, et 0,8 à 2,6°C vers 2050 » ? Sommes-nous vraiment inquiets à l’idée que « le niveau des mers s’élèvera de 3 à 14 cm dans les vingt années à venir, et de 5 à 32 cm vers 2050 » ?[52] Dans les pays nantis, les intérêts financiers comme le souci de leur propre sécurité peuvent aussi rendre les hommes aveugles sur les causes profondes de certaines catastrophes naturelles. Tant que les stations balnéaires de la Mer du Nord ne sont pas visiblement menacées, tant que nos terres restent fertiles et notre eau bonne à boire, comment croire que nos habitudes de vie ou nos complicités économiques peuvent vraiment être responsables de famines, d’inondations ou de sécheresse à l’autre bout du monde ?[53] Qui se soucie du lointain dans le temps et l’espace ?
Autrement dit, comment ouvrir le cœur et l’intelligence au respect de toute vie humaine, au respect de son environnement, que ce soit aux antipodes ou dans une génération future ?
La philosophie en aidera peut-être quelques-uns mais beaucoup ne se sentiront pas mobilisés par des « considérations d’ordre métaphysique sur le lien ontologique de l’homme à la nature ».[54] Considérations qui peuvent se compléter par une approche théologique. Celle-ci, comme nous l’avons vu, par l’accueil simple de la création, de l’incarnation et de la rédemption, nous introduit d’emblée au cœur de la réalité:
« La création est la demeure du Verbe et elle est faite selon le « modèle » qu’est le Verbe de Dieu. Notre terre est la demeure de Dieu, et nous sommes créés à l’image de Dieu. C’est pourquoi cette terre est à nous. En d’autres termes, notre terre, notre univers est le lieu de la rencontre entre Dieu (qui y a Sa demeure), et nous qui y sommes chez nous. Dieu partage avec nous sur cette terre, Sa vie et Sa présence.
La structure de créativité que Dieu crée est un processus capable des promesses divines. La création a en elle-même la capacité d’être transfigurée. Si nous sommes capables de devenir comme Dieu -nous le savons par notre foi-, c’est parce que notre nature corporelle (terrestre) supporte cette capacité. La grâce de Dieu rencontre notre nature qui est préparée parce que Dieu l’a constituée pour cette capacité : que nous devenions comme Dieu. On peut dire la même chose pour nos corps : ils sont capables de résurrection. N’est-il pas beau de se dire que notre univers, notre cosmos, a les capacités naturelles… de notre destinée -surnaturelle- en Dieu. Dieu, en toute Sa création, et donc en nous aussi, par le Verbe, sauve tout, pénètre tout et transfigure tout en Son dessein. »[55] Certes, le péché a tout défiguré, le mal est à l’œuvre dans tout l’univers. Comment ne pas y voir « une grimace satanique défigurant l’innocence et la bonté de la création originelle » ?[56] Mais le chrétien sait, par saint Paul « que le Christ, par le sang de Sa croix, a réconcilié toutes choses, celles du ciel et de la terre ».[57]
Retrouver le sens de l’homme, tel est, de nouveau, la grande nécessité, le retrouver par le Christ et nous réconcilier ainsi avec nous-mêmes et avec les autres.
En 2001, une émission de télévision[58] a attiré l’attention du public sur le statut très privilégié acquis dans notre société par les animaux de compagnie présents, en Belgique, dans une famille sur deux. En bien des cas, l’animal est devenu membre de la famille, voire interlocuteur privilégié puisque les hommes sont devenus tellement décevants, disaient plusieurs intervenants. Plus affectueux, plus fidèles que les hommes, ils sont l’objet de soins tr_s attentifs qui justifient le recours aux zoopsychiatres, l’apparition de supermarchés spécialisés, de produits de consommation sophistiqués dont l’abondance et la publicité heurtent les populations défavorisées.
Dans une approche purement sociologique, on peut affirmer que « la mauvaise conscience d’un monde technicien s’excuse en transférant sa propre humanité, qu’il est incapable d’assumer, à l’animal, au végétal, à la matière. Certaines manières de prôner l’esprit écologique ne sont qu’un animisme de seconde main ».[59] Cette explication n’est pas fausse mais insuffisante. L’incapacité d’assumer son humanité peut être favorisée par le monde technicien et, ajoutons, le monde économique, mercantile, administratif, sans âme. Mais si l’on est conscient d’être à peine moins qu’un dieu, unique aux yeux de Dieu, créé à son image, épousé par le Christ, on ne peut plus s’étonner et encore moins s’indigner que le Christ sacrifie deux mille porcs pour libérer un possédé ![60]
Le mouvement est né en Californie (le paradis de la prospérité) ; il est en général relié à la parution en 1948 du livre d’Alice Ann Bailey (1880-1949) : Le retour du Christ. Depuis lors, ses idées se sont largement répandues et sont devenues le bien commun d’un grand nombre d’associations, fraternités et mouvements : fraternité blanche universelle, Graal, Rose-Croix, communauté de Findhorn (Ecosse), etc.. Toutefois l’héritage est déjà présent chez des millions de gens sans qu’ils en soient bien conscients. En fait, le New Age n’a pas de fondateur, pas de siège social, pas de livres saints, pas de leader, pas de dogmes. C’est une « spiritualité au sens large, une spiritualité dans Dieu ni grâce. Mais elle épouse « l’esprit du temps ».
Il est vrai que New Age se réclame d’une série de « patrons prestigieux » : Aldous Huxley, Carl Gustav Jung, G. Lessing ; R. Sheldrake, W. James, Rudolf Steiner, et aussi Teilhard de Chardin et Maître Eckhart. A tort d’ailleurs, au moins pour ce qui est des deux derniers.
New Age connaît un succès inouï. On estime le nombre des adeptes à plusieurs millions ; librairies et boutiques disposent de plus de 18.000 titres (les ventes les plus fortes se font dans les kiosques de gare et les grandes surfaces) ; il existe quarante à cinquante mille points d’implantation ou bureaux de consultation ». (DANNEELS G., Le Christ ou le Verseau ?, Paroles de vie, Noël 1990, pp. 24-25 ou in Documentation catholique, 1991, pp. 117-129). Ajoutons qu’à côté des « patrons prestigieux » dont la pensée est parfois malhonnêtement utilisée, on décèle des influences ésotériques, gnostiques, magiques, spirites, astrologiques (l’ère du Verseau), parapsychologiques, chamaniques, diététiques, extrême-orientales, chrétiennes, etc..
Il est intéressant, en particulier, de mesurer les théories New Age à l’aune de cette définition qu’Yves de Gibon (Rel) nous donne de l’ésotérisme : « Il cherche à faire accéder à une connaissance libératrice, par une herméneutique conduisant au plan archétypique. Celui-ci se découvre en recourant à la loi d’analogie, de correspondance entre les êtres. Par elle, la loi d’opposition des contraires trouve sa solution. De plus, grâce à l’illumination, les traditions les plus sacrées sont librement interprétées. L’expérience intérieure y supplée. Les enseignements immémoriaux retrouvés s’offrent à ceux qui en sont dignes. Enfin l’accueil est ouvert aux théosophes, ces « mystiques spéculatifs » qui poursuivent la vision intime du principe de la réalité du monde, aidés par le recours à la magie, l’alchimie, la Kabbale ». Outre les courants gnostiques et néo-platoniciens, on cite, parmi les représentants les plus célèbres, le philosophe et savant Roger Bacon (1214-1294), le médecin Paracelse (1493-1541), l’illustre Pic de la Mirandole (1463-1494), le savant Emmanuel Swedenborg (1688-1772), le poète Novalis (1772-1801), Eliphas Lévi, le philosophe orientaliste René Guénon (1886-1951) On y associe aussi l’ordre de la Rose-Croix, « syncrétisme d’origine gnostique et alchimique, de type initiatique, faisant la synthèse de la connaissance de la nature, du secret des forces cosmiques, du mystère du temps et de l’espace, avec les pouvoirs mystiques des religions ou sagesses d’Égypte, de Babylone, de Grèce et de Rome. » Y sont annexés également des éléments chrétiens considérés comme cachés par l’Église, l’astrologie et la réincarnation. Enfin, nous avons affaire ici à une « organisation très structurée, influente dans certaines organisations politiques, d’un rayonnement certain aux États-Unis ». (Rel).
La Kabbale ou cabale est une tradition (qabbalah, en hébreu, signifie tradition) d’origine juive mais pétrie d’éléments étrangers et se présentant comme une très ancienne révélation où se mêlent des éléments talmudiques, apocalyptiques, gnostiques, néo-platoniciens, mystiques, magique, ascétique, messianiques et panthéistiques. La cabale, en effet, « admet une multitude de puissances dans l’épanouissement de la divinité » et parle de « quatre mondes de la création symbolisant autant de puissances créatrices ». (Rel).
L’alchimie, quant à elle, n’est pas nécessairement que la « science de la transmutation des métaux », il y a une alchimie spéculative « qui réfléchit sur tout ce qui est inanimé et sur toute génération des choses à partir des éléments » (R. Bacon). Certains donnent même à l’alchimie une mission plus élevée : les initiés y trouveraient un accomplissement spirituel, une voie de salut ». (Rel).
Quant au chamanisme, il désigne un ensemble de » pratiques et croyances liées à la communication avec les esprits de la nature et ceux des défunts à travers la possession ritualisée (par les esprits) du chaman, qui fait office de medium » (CPC, p. 303).
Si, dans la tradition biblique, la différence reste une différence première, à part, une différence pas comme les autres, c’est parce qu’elle est perçue comme l’indice primordial du Très-Haut, du Tout-Autre qui n’est pas lui-même sexué mais dont, paradoxalement, homme et femme sexués sont dits être à l’image. « Elohim créa l’Adam à son image, à l’image d’Elohim il le créa, mâle et femelle il les créa » (Gn 1, 27). La première chose qui est dite de l’Adam est qu’il est deux : mâle et femelle. C’est ainsi qu’il est à l’image de Dieu. Et le Talmud le confirme : « L’homme sans la femme diminue dans le monde l’image de Dieu ». Les deux lettres qui, en hébreu, distinguent les termes iych et ichah (homme et femme), le yod et le hé, forment ensemble le commencement du nom de Dieu, yh. Tout se passe comme si l’autre sexe était pour chacun révélateur de la face cachée du divin. »
Depuis lors, l’univers que nous connaissons s’est encore immensément agrandi : nous savons aujourd’hui qu’il compte environ 10 exposant 27 étoiles, soit un milliard de milliards de milliards de soleils, puisque notre soleil est une étoile de grandeur tout à fait moyenne. Notre terre y est moins qu’un grain de poussière. » ( Quelques objections contre la foi chrétienne, in Quelques questions dites d’apologétique, Ecole de la Foi, Namur, 1991-1992, p. 120). M. Leclerc, docteur en sciences de l’ULB, docteur en philosophie de l’UCL, a enseigné à l’Université Grégorienne de Rome.
Dans son livre La connaissance inutile (Grasset, 1988), J.-Fr. Revel se demandait comment l’espérance de vie avait pu augmenter surtout durant la deuxième moitié du XXe siècle alors que dans certaines présentations scolaires notamment, on se plaît à souligner l’extrême nocivité de notre environnement, de notre air, de notre alimentation, etc. (Cf. pp. 310-311).
Espèces sales, singes et automobilistes, vite, laissent tomber leurs ordures, parce qu’ils n’habitent pas l’espace par où ils passent et se laissent donc aller à les souiller.
Encore un coup : qui décide ? Savants, administrateurs, journalistes. Comment vivent-ils ? Et d’abord, où ? Dans des laboratoires, où les sciences reproduisent les phénomènes pour les définir, dans des bureaux ou studios. Bref, à l’intérieur. Jamais plus le climat n’influence nos travaux.
De quoi nous occupons-nous. De données numériques, d’équations, de dossiers, de textes juridiques, des nouvelles sur le marbre ou les téléscripteurs : bref, de langue. Du langage vrai dans le cas de la science, normatif pour l’administration, sensationnel pour les medias. De temps en temps, tel expert, climatologue ou physicien du globe, part en mission pour recueillir sur place des observations, comme tel reporter pou inspecteur. Mais l’essentiel se passe dedans et en paroles, jamais plus dehors avec les choses. Nous avons même muré les fenêtres, pour mieux nous entendre ou plus aisément nous disputer. Irrépressiblement, nous communiquons. Nous ne nous occupons que de nos propres réseaux. (…)
Nous avons perdu le monde : nous avons transformé les choses en fétiches ou marchandises, enjeux de nos jeux de stratégie ; et nos philosophies, acosmistes, sans cosmos, depuis tantôt un demi-siècle, ne dissertent que de langage ou de politique, d’écriture ou de logique.
Au moment même où physiquement nous agissons pour la première fois sur la Terre globale, et qu’elle réagit sans doute sur l’humanité globale, tragiquement, nous la négligeons. » ( Le contrat naturel, François Bourin, 1990, pp. 53-54).