Mais pourquoi défendre encore le mariage vu le nombre de divorces ?
Pourquoi ne pas laisser l’alliance entre l’homme et la femme dans la
sphère privée où elle est née ? Pourquoi la rendre publique,
l’institutionnaliser ? Pourquoi vouloir, par l’institution matrimoniale
rendre, comme dit Xavier Dijon, le corps et l’état des personnes
indisponibles ?.Pourquoi déplorer la
cohabitation vu son succès ?
Certes, la conjugalité et la famille naissent et se déploient dans
l’autonomie et la gratuité. Chacun conviendra que leur fondement doit
être l’amour et que celui-ci, sous peine de perdre tout son sens,
implique la liberté. Nul ne peut être contraint à aimer, nul ne peut
être contraint à se marier. La chose est entendue. Toutefois, il faut
bien considérer que l’amour au sens plein du terme implique tout l’être,
et ne peut être réduit à une envie. Le mot sentiment lui-même peut-être
trompeur car on le réduit aisément à la passion, surtout dans la
mouvance romantique. On ne commande pas cette passion, on ne la maîtrise
pas, elle vient, elle s’en va, malgré nous. L’amour véritable , sans
nier la part de désir et de convoitise qu’il comporte, s’attache à
rechercher le bien de l’autre. Aimer c’est aimer quelqu’un, désirer
prioritairement le bonheur de l’autre. Cela demande du temps, le temps
de l’autre, le temps de sa vie entière. L’amour devient conjugal à
partir du moment où, essentiellement, par un acte de volonté, je
m’engage, en connaissance de cause, à le vivre « comme une chose due en
justice ». Comme le dit Jean-Paul II, « une fois que l’engagement est donné
et accepté par l’intermédiaire du consentement, l’amour devient conjugal
et ne perd jamais ce caractère. Ce qui est ici en jeu, c’est la fidélité
de l’amour, qui s’enracine dans l’obligation librement assumée ». Il ne
faut pas confondre le mariage avec le rite qui l’accompagne, le mariage
« consiste essentiellement, nécessairement et uniquement dans le
consentement mutuel qu’expriment ceux qui vont se marier (…). Ce
consentement n’est autre que la prise d’un engagement, consciente et
responsable, au moyen d’un acte juridique par lequel, dans la donation
réciproque, les époux se promettent un amour total et définitif. Ils
sont libres de célébrer leur mariage, après s’être mutuellement choisis
d’une manière également libre ; mais au moment où ils posent cet acte,
ils instaurent un statut personnel où l’amour devient quelque chose qui
est dû, et qui a également des conséquences de caractère
juridique »
Le mariage s’enracine donc dans la liberté et il est bon que cet espace
de liberté soit reconnu et, en quelque sorte, délimité car les personnes
ne passent pas toute leur vie dans cette sphère privée. Elles s’engagent
dans la vie économique, sociale, politique où elles doivent être
identifiées comme sujets de droits.
L’institution est aussi une aide pour les époux qui, dans leur
fragilité, peuvent s’appuyer sur elle pour faire durer leur engagement,
c’est-à-dire le don mutuel qu’ils désirent définitif.
Enfin, il faut bien se rappeler que ni les parents, ni les enfants
qu’ils mettront au monde ne sont maîtres du lien qui les unit.
L’indisponibilité de la filiation née dans le don mutuel des époux est
liée à l’indisponibilité voulue par le mariage.
En fait, la culture individualiste dans laquelle nous sommes immergés a
perdu de vue la relation étroite qui existe entre mariage, famille et
société. L’homme est un être social, qu’il le veuille ou non. L’oublier
porte préjudice à la dignité de la personne et est dommageable pour
l’ordre social.
Le cardinal Tettamanzi, se penchant sur le problème des unions de fait
souligne qu’« on doit préciser que la stabilité proprement matrimoniale
et familiale n’est pas exclusivement confiée à l’intention et à la bonne
volonté des individus concernés, mais qu’elle revêt un caractère
institutionnel, à la suite de la publicisation, c’est-à-dire de la
reconnaissance juridique de la part de l’État du choix de vie conjugale.
Une telle stabilité existe dans l’intérêt de tous, mais bénéficie en
particulier aux plus faibles, c’est-à-dire aux enfants ».
Seul le mariage, engagement public, durable et officialisé, peut
garantir la stabilité de la famille.
Cette stabilité est bénéfique génétiquement pour la procréation des
enfants et donc pour le renouvellement des générations sans lequel la
société périclite.
Elle est indispensable culturellement à l’éducation des enfants : la
famille est le « lieu primordial de transmission et de sauvegarde des
valeurs », des expériences. Elle évite la
désocialisation qui touche tant de jeunes aujourd’hui, laissés sans
repères solides.
Elle est bienfaisante psychologiquement pour tous ses membres car
cimentée par la fidélité elle constitue de l’aveu même de ceux qui la
discréditent « un antidote efficace à la peur de la solitude et à la
réalité de la finitude ».
Les enfants y trouvent la sécurité affective et y enracinent non
seulement leur identité génétique et biologique mais aussi leur identité
biographique et historique. Les grands-parents y sont aussi sécurisées et revalorisés par
leurs services ne serait-ce qu’à travers le dialogue intergénérationnel
Pour toutes ces raisons, elle nourrit la cohésion de la société entière
d’autant mieux qu’elle éduque ses membres, citoyens et futurs citoyens,
travailleurs et futurs travailleurs, au jeu complexe mais vital des
droits et des devoirs réciproques. Il est vrai, comme le dit un
psychologue que la famille « traditionnelle » vit
par une « morale du devoir » mais cette morale du devoir n’est-elle pas
indispensable à l’expression des droits et donc à l’émergence de vraies
libertés ? Sans les devoirs qui y correspondent, les droits sont
inopérants, vides de sens.
La famille comme la « cellule originelle de la vie
sociale » ? C’est en elle, comme
nous l’avons déjà vu, que naissent les citoyens et qu’ils font
l’apprentissage de la vie sociale. C’est en elle que peut le mieux se
développer le vrai sens de l’autorité, de la liberté et de la
fraternité. C’est en elle que s’expérimentent le mieux les bienfaits de
la sécurité, de la participation, de la solidarité. C’est dans cette
société que s’ajustent les revendications de la personne et du groupe,
que chacun peut apprendre à s’ouvrir à l’autre et éventuellement à Dieu.
d’une certaine manière, on peut dire qu’une société vaut ce que valent
ses familles puisque c’est en leur sein que se forment les
citoyens. Tant qu’on n’admettra pas que nos
sociétés sont en crise parce que les familles se disloquent au gré de
mariages ou de cohabitations temporaires, rien ne sera restauré en
profondeur. Si l’institution familiale se dégrade, toute la société en
pâtit : « loin de contribuer à accroître la liberté individuelle, le
démembrement de la famille rend les individus plus vulnérables et sans
défense face au pouvoir de l’État, qui de son côté a besoin d’une
juridiction de plus en plus complexe qui l’appauvrit ».
La société doit donc veiller à placer les familles dans les meilleures
conditions possibles de développement.
Il faut méditer le poids des mots. Lorsque l’on dit, comme dans la
Déclaration universelle des droits de l’homme que « la famille est
l’élément naturel et fondamental de la société » cela signifie bien que la famille est non seulement conforme à
la nature (au sens métaphysique) de l’homme et qu’elle est la base
déterminante et constitutive de la société. C’est
pourquoi, toujours selon le même article de la Déclaration des droits de
l’homme, la famille « a droit à la protection de la société et de
l’État ». Dans l’intérêt général et d’abord des plus faibles,
c’est-à-dire des enfants, il est indispensable que la stabilité
familiale soit défendue et promue par le pouvoir politique.
Dans une culture obsédée par l’efficacité, l’État a intérêt à être le
pouvoir subsidiaire de la famille car si elle venait à disparaître, il
devrait « se substituer à elle dans les fonctions qui lui sont propres
par nature ». L’État a intérêt économiquement à protéger et promouvoir la
famille ne serait-ce que parce que « les caisses de retraite et leurs
créanciers s’enrichissent grâce à l’activité parentale »
./ de plus, « lorsque la famille
se brise, l’État doit multiplier ses interventions pour résoudre
directement des problèmes qui devraient rester dans la sphère privée et
u trouver une solution, avec les coûts élevés qui en résultent tant sur
le plan psychologique qu’économique ».
N’oublions pas non plus que les entreprises dépendent des marchés, des
personnes et donc des familles qui consomment ce qui est produit. Non
seulement, l’enfant « futur producteur de biens et de « services »
économiques » est une « valeur » créée par les
parents mais on peut considérer la famille comme une « première école de
travail ». En effet, c’est en son sein qu’on
fait le premier apprentissage de sa capacité d’initiative, de la
responsabilité et de la convivialité si importante dans l’entreprise
moderne.
Si la vie de la famille est marquée par la situation de l’entreprise où
les parents travaillent, inversement, l’entreprise profitera de la bonne
santé psychologique des travailleurs vivant dans des familles stables et
paisibles.
Si le but de la vie économique est la prospérité, celle-ci est relative
et toujours à rechercher mais elle « est impossible contre la famille.
Le développement économique passe par la formation de capital humain ;
celui-ci se constitue d’abord au sein de cette communauté de personnes
qu’est la famille. La vie économique doit être organisée autour de la
personne et en particulier elle ne peut ignorer l’existence de la
réalité familiale. Enfin une économie prospère implique une vision
dynamique, d’où l’importance de raisonner sur plusieurs générations »
Selon A. Sauvy « on ne
connaît pas d’exemple de pays ayant assuré son développement économique
dans la stagnation démographique ». La pression démographique incite à la
création de nouvelles richesses et est favorable à l’épargne et aux
placements à long terme alors qu’une faible fécondité entraîne, par le
vieillissement de la population active, moins de flexibilité, de
mobilité, rend les innovations plus difficiles et accroît l’influence
des personnes âgées dans les prises de décision.
On peut donc affirmer que « l’existence de la famille apparaît
essentielle au développement économique, ne serait-ce que par la
quantité de richesses qu’elle produit ».
Richesses humaines surtout, richesses décisives dans toute la vie
sociale mais aussi dans le monde du travail. C’est par la famille que se
transmettent l’éducation, la culture, la mémoire, le sens de l’effort,
la solidarité volontaire, le respect des autres, de la discipline, de
l’autonomie responsable.