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e. Et dans le monde politique ?

Jean-Paul II n’a pas hésité à écrire que « la politique est l’utilisation du pouvoir légitime pour atteindre le bien commun de la société…​ »⁠[1]. Avant lui, Paul VI déclarait que « la politique est une manière exigeante…​ de vivre l’engagement chrétien au service des autres »[2]. C’est dire à la fois l’importance de la politique et la difficulté de son exercice.

Il est difficile, dans ce domaine, de donner actuellement des exemples d’un dialogue qui aurait fait advenir un bien commun, la politique étant, hélas, le plus souvent, un lieu d’affrontements et de manipulations diverses.

Le pape François déplore cet état de chose, hélas, bien réel : « A bien des endroits on a le sentiment que le bien commun n’est plus l’objectif primaire poursuivi et ce désintérêt est perçu par de nombreux citoyens. Ainsi trouvent un terrain fertile, dans beaucoup de pays, les formations extrémistes et populistes qui font de la protestation le cœur de leur message politique, sans toutefois offrir l’alternative d’un projet politique constructif. Le dialogue est remplacé ou par une opposition stérile, qui peut même mettre en danger la cohabitation civile, ou bien par une hégémonie du pouvoir politique qui emprisonne et empêche une vraie vie démocratique. dans un cas, on détruit les points et dans l’autre, on construit des murs. Et aujourd’hui l’Europe connaît les deux.

Les chrétiens sont appelés à favoriser le dialogue politique, spécialement là où il est menacé et où semble prévaloir l’affrontement. les chrétiens sont appelés à redonner de la dignité à la politique, entendue comme le plus grand service au bien commun et non comme une charge de pouvoir. Cela demande aussi une formation adéquate, car la politique n’est pas « l’art de l’improvisation », mais plutôt une haute expression d’abnégation et de dévouement personnel en faveur de la communauté. Etre dirigeant exige des études , de la préparation et de l’expérience. »[3].

François nous rappelle fort heureusement que « L’instrument de la politique, c’est la proximité. Se confronter aux problèmes, les comprendre. Il y a autre chose, dont nous avons perdu la pratique : la persuasion. C’est peut-être la méthode politique la plus subtile, la plus fine. J’écoute les arguments de l’autre, je les analyse et je lui présente les miens…​ L’autre cherche à me convaincre, moi j’essaie de la persuader, et de cette façon nous cheminons ensemble ; peut-être que nous n’arrivons pas à la synthèse de type hégélien ou idéaliste - grâce à Dieu, parce que cela on ne peut pas, on ne doit pas le faire, car cela détruit toujours quelque chose. »[4]

Nous en sommes loin c’est pourquoi, en attendant que le dialogue tel que défini remplace la dialectique incessante des partis, il est important de faire tous les petits pas possibles là où nous sommes et qui que nous soyons pour lentement créer le peuple sans lequel il n’est pas de démocratie possible.

Par le dialogue, il est toujours possible de bâtir quelque chose avec des hommes de bonne volonté. Mais il n’est pas question, évidemment de trahir certaines valeurs fondamentales. L’Église le rappelle sans cesse. Lors d’une messe pour les responsables politiques et les parlementaires⁠[5], le cardinal Vingt-Trois partait du constat que « pour ce qui est de la vie publique, […] il est tentant de faire le tri entre les convictions et les responsabilités ; les premières seraient appelées à rester secrètes tandis que la vie sociale se réglerait sur les secondes. » Pour l’ancien archevêque de Paris, cela ne signifie pas pour autant que dans les débats de société il faille appuyer ses arguments « sur une foi particulière ». A la lumière de l’enseignement de Paul confronté au paganisme de l’empire romain qui par certains traits ressemble à notre monde, il ne faut pas « dissimuler nos références de croyant, au contraire : « Je n’ai pas honte de l’Évangile, car il est puissance de dieu pour le salut de quiconque est devenu croyant. »[6] nous dit-il. mais il nous invite aussi à rejoindre la connaissance de Dieu que peut avoir l’intelligence humaine, même si elle n’est pas encore accomplie dans une profession de foi plénière. C’est à cette intelligence que nous devons faire appel en posant des questions qui concernent le sens de l’existence humaine. » Paul ne rappelle-t-il pas en effet que « depuis la création du monde, on peut voir avec l’intelligence à travers les œuvres de Dieu, ce qui de lui est invisible. »[7] Ne pas occulter sa foi donc mais argumenter rationnellement et montrer que « la bonne nouvelle de l’Évangile » est « une ressource précieuse pour éclairer les intelligences humaines. »[8]

Devant les parlementaires participant au Congrès du Parti Populaire Européen⁠[9], le pape Benoît XVI déclarait : « En ce qui concerne l’Église catholique, l’objet principal de ses interventions dans le débat public porte sur la protection et la promotion de la dignité de la personne et elle accorde donc volontairement une attention particulière à certains principes qui ne sont pas négociables. Parmi ceux-ci, les principes suivants apparaissent aujourd’hui de manière claire :

  • la protection de la vie à toutes ses étapes, du premier moment de sa conception jusqu’à sa mort naturelle ;

  • _la reconnaissance et la promotion de la structure naturelle de la famille - comme union entre un homme et une femme fondée sur le mariage

    • et sa défense contre des tentatives de la rendre juridiquement équivalente à des formes d’union radicalement différentes qui, en réalité, lui portent préjudice et contribuent à sa déstabilisation, en obscurcissant son caractère spécifique et son rôle social irremplaçable ;_

  • la protection du droit des parents d’éduquer leurs enfants.

Ces principes ne sont pas des vérités de foi, même s’ ils reçoivent un éclairage et une confirmation supplémentaire de la foi ; ils sont inscrits dans la nature humaine elle-même et ils sont donc communs à toute l’humanité ».⁠[10]

Le 24 novembre 2002, la Congrégation pour la doctrine de la foi avait publié sous l’autorité de son préfet, le cardinal Ratzinger et avec approbation du pape Jean-Paul II, une « Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique ». L’objectif de cette note était « simplement de rappeler quelques principes propres à la conscience chrétienne, qui inspirent l’engagement social et politique des catholiques dans les sociétés démocratiques ». Il s’agit d’« exigences éthiques fondamentales auxquelles on ne peut renoncer », de « principes moraux qui n’admettent ni dérogation, ni exception, ni aucun compromis » en vue « du bien intégral de la personne ». La Note cite : « le caractère intangible de la vie humaine », le respect et la protection des « droits de l’embryon humain », « la protection et la promotion de la famille, fondée sur la mariage monogame entre personnes de sexe différent », la « liberté d’éducation des enfants », « la protection sociale des mineurs » et « la libération des formes modernes d’esclavage », « la liberté religieuse », « une économie qui soit au service de la personne et du bien commun, dans le respect de la justice sociale, du principe de solidarité humaine et de la subsidiarité », « la paix ». La Note reconnaît que suivant les circonstances, est normale « une pluralité d’orientations et de solutions, qui doivent toutefois être moralement acceptables ». Elle reconnaît aussi que là où il n’est « pas possible d’éviter ou d’abroger totalement une loi », par exemple, une loi permettant l’avortement, « un parlementaire, dont l’opposition personnelle absolue à l’avortement serait manifeste et connue de tous, pourrait licitement apporter son soutien à des propositions destinées à limiter les préjudices d’une telle loi et à en diminuer ainsi les effets négatifs sur le plan de la culture et de la moralité publiques »[11].

Même dans les pays qui, parfois depuis longtemps, se sont dotés d’une législation funeste sur ces questions, le champ d’action reste large et doit être investi, la rencontre avec l’« autre » est le chemin obligé.⁠[12]

François, dans un Discours aux maires des communes italiennes⁠[13], oppose l’image de Babel⁠[14], la « ville inachevée », « symbole de confusion et d’égarement » à la « nouvelle Jérusalem »[15], lieu de « fraternité et de communion ». Pour que toute ville soit « une anticipation et un reflet de la Jérusalem céleste », elle ne peut admettre l’« individualisme exaspéré », « l’envie, les ambitions effrénées et un esprit d’hostilité » ou « l’intérêt d’un petit nombre ». « Il ne s’agit pas, comme l’image de Babel le suggère, d’élever davantage la tour, mais d’élargir la place, de faire de l’espace, de donner à chacun la possibilité de se réaliser soi-même, avec sa propre famille, et de s’ouvrir à la communion avec les autres. » Il faut « faire croître dans les personnes la dignité d’être des citoyens », promouvoir « la justice sociale, et donc le travail, les services, les opportunités », créer « d’innombrables initiatives avec lesquelles vivre le territoire et en prendre soin », éduquer « à la coresponsabilité », « construire des communautés où chacun se sente reconnu comme personne et citoyen, titulaire de droits et de devoirs, dans la logique indissoluble qui lie l’intérêt de l’individu et le bien commun. Car ce qui contribue au bien de tous concourt également au bien de l’individu. » Vis-à-vis des migrants et des réfugiés, en particulier, il importe d’encourager « toutes les initiatives qui promeuvent la culture de la rencontre, l’échange réciproque de richesses artistiques et culturelles, la connaissance des lieux des communautés d’origine des nouveaux arrivants ». Il faut garder « un cœur bon et grand […] dans lequel sauvegarder la passion pour le bien commun […] ; être proche de son peuple », familier, disponible, « toujours généreux et désintéressé dans le service du bien commun », prudent, courageux et tendre « pour s’approcher des plus faibles ».

Sans cette attitude permanente, le risque est grand de voir disparaître le bien commun au profit d’un intérêt général, d’un vivre-ensemble mal compris assuré par la loi des plus nombreux. A ce moment, une dictature subtile s’impose comme le souhaitait d’ailleurs ce prophète des temps modernes, Thomas Hobbes écrivant, non sans un brin de cynisme que « C’est l’autorité, non la vérité, qui fait la loi. »[16]


1. Discours aux responsables de gouvernement, 4 novembre 2000, DC 3 décembre 2000, n° 2237, p. 1005.
2. Lettre apostolique Octogesima adveniens, 46, 14 mai 1971, pour le 80ᵉ anniversaire de l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII.
3. FRANCOIS, Discours aux participants à la conférence (Re)Thinking Europe, organisée par la Commission des Episcopats de la Communauté Européenne (COMECE) et au Secrétariat d’État du Saint-Siège, le 28 octobre 2017.
4. FRANCOIS, Rencontre avec Dominique Wolton, Politique et société, Un dialogue inédit, L’Observatoire, 2017.
5. VINGT-TROIS cardinal, 17 octobre 2017, in La Croix, le 18 octobre 2017.
6. Rm 1, 16.
7. Rm 1, 20.
8. Le cardinal Vingt-Trois prend comme exemple les discussions qui vont, en 2018, aborder la révision des lois de bioéthique. il explique : ce « devrait être l’occasion d’un authentique débat sur les diverses conceptions de l’être humain qui y sont engagées, notamment par les questions concernant la procréation médicalement assistée et ses conséquences prévisibles. Il dépendra des élus que ce débat échappe aux caricatures facile et se situe au niveau de ses vrais enjeux. Il est particulièrement significatif que dans les opinions émises à ce jour on occulte généralement les droits des enfants, -et notamment celui d’avoir accès à ses origines-. Nous ne pouvons pas fortifier une société réellement démocratique en plaçant les désirs personnels au-dessus de toute réflexion éthique.
   Dans ce débat, les chrétiens ont une responsabilité particulière, non pour imposer leur point de vue comme un position particulière, mais pour provoquer les intelligences et les consciences à tenir compte sereinement des signes que nous donne la création sur les conditions de la vie humaine. » (Cf. article cité).
9. 30 mars 2006.
10. BENOÎT XVI les rappellera encore dans l’exhortation apostolique Sacramentum Caritatis, 22 février 2007, au paragraphe 83: « cela vaut pour tous les baptisés, mais s’impose avec une exigence particulière pour ceux qui, par la position sociale ou politique qu’ils occupent, doivent prendre des décisions concernant les valeurs fondamentales, comme le respect et la défense de la vie humaine, de sa conception à sa fin naturelle, comme la famille fondée sur le mariage entre homme et femme, la liberté d’éducation des enfants et la promotion du bien commun sous toutes ses formes. Ces valeurs ne sont pas négociables. Par conséquent, les hommes politiques et les législateurs catholiques, conscients de leur grave responsabilité sociale, doivent se sentir particulièrement interpellés par leur conscience, justement formée, pour présenter et soutenir des lois inspirées par les valeurs fondées sur la nature humaine. Cela a, entre autres, un lien objectif avec l’Eucharistie (cf. 1 Co 11, 27-29). Les Évêques sont tenus de rappeler constamment ces valeurs ; cela fait partie de leur responsabilité à l’égard du troupeau qui leur est confié. »
11. EG, n° 73.
12. Le théologien jésuite H. Bouillard (1908-1981) explique : « Puisque la loi morale naturelle est sens discerné par la raison, par la conscience morale, tout énoncé qui prétend l’exprimer se trouve soumis au jugement critique de tous les hommes qui se veulent raisonnables et moraux ; il doit pouvoir être admis par eux. En conséquence, lorsque l’Église parle au nom de la loi naturelle, elle s’engage par le fait même au dialogue avec les hommes ; elle ne peut pas ne pas prendre au sérieux la conscience morale de ceux à qui elle s’adresse. Au moment où elle se dit gardienne de la loi naturelle, elle ne saurait oublier qu’elle n’en n’est pas la source unique. Elle ne peut donc pas remplir sa mission sans écouter les hommes et sans viser un accord avec leurs propos raisonnables. […​] Dès lors, foi chrétienne et monde profane devrait pouvoir se rencontrer assez largement sur le plan d’une éthique commune. Ni l’idée de commandement divin, ni l’orientation eschatologique, ni l’intervention de l’Église n’empêchent, en principe, l’autonomie de l’homme découvrant et réalisant lui-même le sens de ses activités terrestres. Le chrétien peut être intimement présent au monde comme les autres hommes. Le sens évangélique peut coïncider avec le déploiement autonome de la présence ontologique de cet être-au-monde qui est constitutif de l’homme. » (BOUILLARD H., Autonomie humaine et présence de Dieu, in Etudes, n° 326, pp. 696-697, cité in THOMASSET A., op. cit., p. 216).
13. 30 septembre 2017 in La Croix, 14/11/82017.
14. Gn 11, 1-9.
15. Ap 21, 10-27.
16. Léviathan, II, 26 (édition latine).