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b. La famille d’abord

Dans l’encyclique Laudato si’, François rappelle avant tout que « la famille est le lieu de la formation intégrale, où se déroulent les différents aspects, intimement reliés entre eux, de la maturation personnelle »[1].

Dans un dossier intitulé « Famille et éducation au politique »[2], les auteurs notent à partir de divers témoignages qu’« il est sans doute important que les plus jeunes perçoivent que la politique est avant tout le souci du vivre ensemble ». Ils ajoutent que « l’initiation à la compréhension et le développement de l’intérêt pour la vie politique et ses enjeux peut commencer très tôt », croître petit à petit « jusqu’à pouvoir débattre de sujets plus complexes quand ils seront ados ». Ainsi, « le mode de fonctionnement de la vie familiale est lui aussi un terrain privilégié d’éducation. plus que des discours, c’est la manière dont la parole de chacun est écoutée et prise en compte dans la famille qui forgera un esprit démocratique. même si les relations sont asymétriques dans la famille, on peut y faire l’expérience de débats où l’opinion de chacun est respectée. On peut aussi y apprendre que le plus faible n’est pas écrasé par les autres, tout au contraire. »[3] On est loin, à mon sens, de la « formation intégrale » dont parle le pape. En effet, il s’agit surtout, pour les auteurs du dossier, d’apprendre à « vivre ensemble ». Veiller au « vivre ensemble » constituant selon eux la définition même de la politique et la démocratie se caractérisant essentiellement, semble-t-il, par la possibilité de s’exprimer et d’être écouté. Le seul principe retenu est le souci du plus faible, qu’il ne soit pas « écrasé par les autres », comme dit le texte. L’obsession du « vivre ensemble » qui caractérise la politique aujourd’hui, devrait envahir la sphère familiale, l’école, les activités extrascolaires. Nous y reviendrons.

Mais la famille, ne peut-elle initier les enfants à ces principes fondamentaux que nous avons relevés dans notre lecture des trois premiers chapitres de la Genèse ?⁠[4] C’est dans la famille que l’on peut apprendre à respecter, par la politesse, l’attention, le service, « l’éminente dignité de chaque personne », quels que soient son âge et son état de santé, la dignité de l’enfant dans le sein de sa mère, la dignité des grands-parents ou des arrière-grands-parents dans quelque situation qu’ils se trouvent. C’est dans la famille aussi qu’on peut commencer à se rendre compte que « les biens de la terre sont destinés à tous », que l’on apprend à partager entre soi mais aussi avec les gens dans le besoin rencontrés à l’extérieur. Quant à « l’option préférentielle pour les pauvres », elle se vivra dans l’esprit de ce conte arabe bien connu : « Un jour, un Kalife fit venir un homme très simple, dont on lui avait dit qu’il était un sage. Pour éprouver cette sagesse, le Kalife lui posa cette question : « On me dit que tu as de nombreux enfants ; veux-tu m’indiquer de tes enfants lequel est le préféré ? » Et l’homme de répondre : « Celui de mes enfants que je préfère, c’est le plus petit, jusqu’à ce qu’il grandisse ; celui qui est loin, jusqu’à ce qu’il revienne ; celui qui est malade, jusqu’à ce qu’il guérisse ; celui qui est prisonnier, jusqu’à ce qu’il soit libéré ; celui qui est éprouvé, jusqu’à ce qu’il soit consolé. » » Rendre à chacun ce qui lui est dû est l’apprentissage de « la justice sociale » . La vie de famille est l’occasion d’estimer à son juste prix de « la sécurité », de « la paix », du « repos hebdomadaire » ; de découvrir la nécessité de vivre dans « l’intimité de Dieu » ; de se rendre compte que « la vraie liberté ne se vit que dans son rapport à la vérité ». Quant à la notion de « bien commun », elle pourra s’illustrer à travers la vie quotidienne si l’on veille à la souligner à travers toutes les valeurs vécues.

Cet apprentissage est d’autant plus important qu’il n’est pas sûr qu’il soit relayé et conforté par les autres « milieux éducatifs divers » que François cite, comme Jean XXIII l’avait fait en son temps les « milieux éducatifs divers », comme « l’école, […], les moyens de communication, la catéchèse et autres ».⁠[5] En tout cas, comme Flavia Prodi⁠[6] l’écrit, c’est aux jeunes « qu’il faut expliquer que la politique va à la recherche des éléments communs pour réaliser la « polis », c’est-à-dire la vie en commun de tous les citoyens. »[7]

Pour en revenir aux communautés de base ou équipes d’espérance, relisons ce passage de l’encyclique Redemptoris missio (1990) où le pape Jean-Paul II souligne l’importance et la nature des communautés ecclésiales de base : « Les communautés ecclésiales de base (connues aussi sous d’autres noms) constituent un phénomène au développement rapide dans les jeunes Églises. Les évêques et leurs conférences les encouragent et en font parfois un choix prioritaire de la pastorale. Elles sont en train de faire leurs preuves comme centres de formation chrétienne et de rayonnement missionnaire. il s’agit de groupes de chrétiens qui, au niveau familial ou dans un cadre restreint, se réunissent pour la prière, la lecture de l’Écriture, la catéchèse ainsi que le partage de problèmes humains et ecclésiaux en vue d’un engagement commun. Elles sont un signe de la vitalité de l’Église, un instrument de formation et d’évangélisation, un bon point de départ pour aboutir à une nouvelle société fondée sur la « civilisation de l’amour ».

Ces communautés décentralisent et articulent la communauté paroissiale, à laquelle elles demeurent toujours unies ; elles s’enracinent dans les milieux populaires et ruraux, devenant un ferment de vie chrétienne, d’attention aux plus petits, d’engagement pour la transformation de la société. dans ces groupes, le chrétien fait une expérience communautaire, par laquelle il se sent partie prenante et encouragé à apporter sa collaboration à l’engagement de tous. Les communautés ecclésiales de base sont de cette manière un instrument d’évangélisation et de première annonce ainsi qu’une source de nouveaux ministères, tandis que, animées de la charité du Christ, elles montrent aussi comment il est possible de dépasser les divisions, les tribalismes, les racismes.

Toute communauté doit en effet, pour être chrétienne ;, s’établir sur le Christ et vivre du Christ, dans l’écoute de la Parole de Dieu, dans la prière centrée sur l’Eucharistie, dans la communion qui s’exprime par l’unité du cœur et de l’esprit, et dans le partage suivant les besoins de ses membres (cf. Ac 2, 42-47). Toute communauté - rappelait Paul VI - doit vivre dans l’unité avec l’Église particulière et l’Église universelle, dans une communion sincère avec les Pasteurs et le magistère, dans un engagement à se faire missionnaire en évitant tout repli et toute exploitation idéologique. (Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, n° 58 ) Et le Synode des Evêques a déclaré: « Puisque l’Église est communion, les nouvelles « communautés ecclésiales de base », si elles vivent vraiment dans l’unité de l’Église, sont une authentique expression de communion, et un moyen pour construire une communion plus profonde. Elles constituent donc un motif de grande espérance pour la vie de l’Église ». (Assemblée extraordinaire de 1985, Rapport final, II, C, 6). »⁠[8]

Il ressort de ce texte, que le pape Jean-Paul II n’est pas du tout opposé aux communautés ecclésiales de base. Bien au contraire. Mais ce sont des communautés ecclésiales reliées à l’Église particulière et à l’Église universelle, nourries par la prière, la Parole de Dieu, l’eucharistie. Leur inspiration ne peut être idéologique. Notons encore que ces communautés ecclésiales peuvent avoir simplement une base familiale ou du moins restreinte et, comme dans une famille, un groupe de familles ou un groupe paroissial, elles ont un rôle à la fois spirituel et temporel limité.


1. LS’, 2015, n° 213
2. Dossier n° 117, Editions feuilles familiales.
3. Famille et éducation au politique, op. cit., pp. 85-86.
4. Cf. première partie.
5. LS, n° 213.
6. Epouse de Romano Prodi (né en 1939) qui fut, en Italie, Ministre, Président de l’Assemblée nationale, Président du Conseil des ministres et aussi Président de la commission européenne, elle fut très engagée dans la formation sociale.
7. PRODI Romano et Flavia, op. cit., p. 303.
8. Encyclique Redemptoris missio, n° 51.