Comme le dit François Daguet, « La notion de bien commun est le point focal de toute la pensée politique thomasienne, et la primauté du bien commun le paradigme de cette pensée. »[1] On ne sera donc pas étonné de retrouver cette notion de bien commun au fondement de la doctrine sociale chrétienne. Et cela dès son élaboration dans l’enseignement de Léon XIII qui avait remis à l’honneur en l’étude de la pensée de saint Thomas par l’encyclique Aeterni patris en 1879.
« Le 'Docteur angélique’, écrit une grande spécialiste[2], est […] la référence constante qui sous-tend les développements sur le bien commun introduits par l’encyclique Rerum Novarum (1891), texte fondateur de la 'doctrine sociale de l’Église’. » Cette inspiration est notamment perceptible dans la manière dont le pape aborde la question de la propriété privée. Pour les marxistes auxquels il s’oppose, « les biens de chacun doivent être communs à tous »[3] et donc « le bien commun prime sur les droits personnels »[4]. Droits fondamentaux qui ne sont pas mieux respectés dans la conception libérale qui favorise « la concentration, entre les mains de quelques-uns, de l’industrie et du commerce devenus le partage d’un petit nombre d’hommes opulents et de ploutocrates qui imposent ainsi un joug presque servile à l’infinie multitude des prolétaires ».[5] Quand donc Léon XIII déclare que si « Dieu a donné la terre au genre humain tout entier pour qu’il l’utilise et en jouisse, […] cela signifie non pas qu’ils doivent la posséder confusément, mais que Dieu n’a assigné de part à aucun homme en particulier. il a abandonné la délimitation des propriétés à la sagesse des hommes et aux institutions des peuples. Au reste, quoique divisée en propriétés privées, la terre ne laisse pas de servir à la commune utilité de tous, attendu qu’il n’est personne parmi les mortels qui ne se nourrisse du produit des champs. Qui en manque y supplée par le travail. »[6] Le bien commun « terre » est là pour que chaque homme puisse en jouir en accédant à la propriété privée ne serait-ce que par le travail. Nul ne peut posséder en privant les autres de l’accès à la propriété ou de l’accès au travail. Pour reprendre le vocabulaire de saint Thomas, nous dirons que le bien périssable de la communauté est moins important que le bien impérissable de la personne qui a besoin pour s’épanouir d’une « part de la nature matérielle qu’il a cultivée et où il a laissé comme une certaine empreinte de sa personne, si bien qu’en toute justice il en devient propriétaire et qu’il n’est permis d’aucune manière de violer son droit. »[7] En tout cas, Léon XIII s’est rendu compte que la justice sociale était une exigence du bien commun.[8]
Ces réflexions sur la propriété illustrent aussi la dialectique personne-communauté que la référence au bien commun éclaire harmonieusement. Il est bien entendu que « La fin de la société civile embrasse universellement tous les citoyens. Elle réside dans le bien commun, c’est-à-dire dans un bien auquel tous et chacun ont le droit de participer dans une mesure proportionnelle ». d’une part, les dirigeants « travaillent directement au bien commun ». De leur côté, « Ceux au contraire qui s’appliquent aux choses de l’industrie ne peuvent concourir à ce bien commun, ni dans la même mesure, ni par les mêmes voies. Eux aussi cependant, quoique d’une manière moins directe, servent grandement les intérêts de la société. Sans nul doute, le bien commun dont. l’acquisition doit avoir pour effet de perfectionner les hommes est principalement un bien moral. Mais, dans une société bien constituée, il doit se trouver encore une certaine abondance de biens extérieurs « dont l’usage est requis à l’exercice de la vertu » (Saint Thomas, De regimine principum, I, 15) »[9] Tous les citoyens donc travaillent pour le bien commun de la société et en même temps, « Les droits doivent partout être religieusement respectés. L’État doit les protéger chez tous les citoyens en prévenant ou en vengeant leur violation. Toutefois, dans la protection des droits privés, il doit se préoccuper d’une manière spéciale des faibles et des indigents. »[10] Et ce qu’il faut viser avant tout, c’est « le perfectionnement moral et religieux »[11]. Par là, le bien de la personne dépasse le bien de la société qui doit lui permettre de grandir en ce sens.
L’année suivante, la question du régime politique qui agite toujours les catholiques de France, amène le pape à préciser sa position. En ce qui concerne les différentes formes de gouvernement, il écrit que « chacune d’elles est bonne, pourvu qu’elle sache marcher droit à sa fin, c’est-à-dire le bien commun, pour lequel l’autorité sociale est constituée. » Un pouvoir, explique-t-il, « considéré en lui-même […] continue d’être immuable et digne de respect ; car, envisagé dans sa nature, il est constitué et s’impose pour pourvoir au bien commun, but suprême qui donne son origine à la société humaine. » Le bien commun « est, après Dieu, dans la société, la loi première et dernière. » Ainsi, « la loi est une prescription ordonnée selon la raison et promulguée, pour le bien de la communauté, par ceux qui ont reçu à cette fin le dépôt du pouvoir. »[12] Tels sont les principes fondamentaux. Il faut d’une part « accepter sans arrière-pensée, avec cette loyauté parfaite qui convient au chrétien, le pouvoir civil dans la forme où, de fait, il existe.[…] Et la raison de cette acceptation, c’est que le bien commun de la société l’emporte sur tout autre intérêt ; car il est le principe créateur, il est l’élément conservateur de la société humaine ; d’où il suit que tout vrai citoyen doit le vouloir et le procurer à tout prix. Or, de cette nécessité d’assurer le bien commun dérive, comme de sa source propre et immédiate, la nécessité d’un pouvoir civil qui, s’orientant vers le but suprême, y dirige sagement et constamment les volontés multiples des sujets, groupés en faisceau dans sa main. Lors donc que, dans une société, il existe un pouvoir constitué et mis à l’œuvre, l’intérêt commun se trouve lié à ce pouvoir, et l’on doit, pour cette raison, l’accepter tel qu’il est. » Mais d’autre part « Après avoir solidement établi dans notre Encyclique cette vérité, Nous avons formulé la distinction entre le pouvoir politique et la législation, et Nous avons montré que l’acceptation de l’un n’impliquait nullement l’acceptation de l’autre ; dans les points où le législateur, oublieux de sa mission, se mettait en opposition avec la loi de Dieu et de l’Église. Et, que tous le remarquent bien, déployer son activité et user de son influence pour amener les gouvernements à changer en bien des lois iniques ou dépourvues de sagesse, c’est faire preuve d’un dévouement à la patrie aussi intelligent que courageux, sans accuser l’ombre d’une hostilité aux pouvoirs chargés de régir la chose publique. »[13]
De l’enseignement fondateur de Léon XIII, une grande leçon est à retenir, en tout cas pour l’avenir et l’action : « à qui veut régénérer une société quelconque en décadence, on prescrit avec raison de la ramener à ses origines. La perfection de toute société consiste, en effet, à poursuivre et à atteindre la fin en vue de laquelle elle a été fondée, en sorte que tous les mouvements et tous les actes de la vie sociale naissent du même principe d’où est née la société. Aussi, s’écarter de la fin, c’est aller à la mort ; y revenir, c’est reprendre vie. »[14]
Désormais, dans toutes les circonstances et face à diverses menaces, la réplique sera toujours de chercher le bien commun.
Méditant sur l’éducation chrétienne de la jeunesse, Pie XI définit ainsi le bien commun temporel : il « consiste dans la paix et la sécurité dont les familles et les citoyens jouissent dans l’exercice de leurs droits et en même temps dans le plus grand bien-être spirituel et matériel possible en cette vie, grâce à l’union et à la coordination des efforts de tous. » Il en conclut, sur le plan de l’éducation, que « la fonction de l’autorité civile qui réside dans l’État est donc double: protéger et faire progresser la famille et l’individu, mais sans les absorber ou s’y substituer. »[15]
Face au libéralisme, nommé aussi individualisme[16], qui oublie l’aspect social attaché à toute propriété, il rappelle que « l’autorité publique peut […], s’inspirant des véritables nécessités du bien commun, déterminer, à la lumière de la loi naturelle et divine, l’usage que les propriétaires pourront ou ne pourront pas faire de leurs biens. »[17] « Il importe […] d’attribuer à chacun ce qui lui revient et de ramener aux exigences du bien commun ou aux normes de la justice sociale la distribution des ressources de ce monde, dont le flagrant contraste entre une poignée de riches et une multitude d’indigents atteste de nos jours, aux yeux de l’homme de cœur, les graves dérèglements. »[18] Le libéralisme viole l’ordre « quand le capital n’engage les ouvriers ou la classe des prolétaires qu’en vue d’exploiter à son gré et à son profit personnel l’industrie et le régime économique tout entier, sans tenir compte ni de la dignité humaine des ouvriers, ni du caractère social de l’activité économique, ni même de la justice sociale et du bien commun. »[19] « Enfin les institutions des divers peuples doivent conformer tout l’ensemble des relations humaines aux exigences du bien commun, c’est-à-dire aux règles de la justice sociale. »[20] Plus exactement encore, « à la justice et à la charité sociales. »[21] « Car, explique Dominique Coatanea, si l’exercice de la charité ne peut jamais tenir lieu des devoirs de justice, la justice seule ne peut parvenir à l’union des volontés et au rapprochement des cœurs. » En effet, « pour Pie XI, continue-t-elle, la collaboration de tous en vue du bien commun ne s’obtient que si l’homme a l’intime conviction d’être membre d’un même corps, de sorte que la souffrance de l’un est la souffrance de tous. Cette -analogie fondatrice de la foi en Christ souligne la puissance de l’unité visée dans la charité comme fin pertinente de la genèse du bien commun. »[22]
Face au nazisme, Pie XI rappelle que l’État gardien du bien commun ne peut tout se permettre car le respect de la personne st un élément fondamental du bien commun : « l’homme, en tant que personne, possède des droits qu’il tient de Dieu et qui doivent demeurer vis-à-vis de la collectivité hoirs de toute atteinte qui tendrait à les nier, à les abolir ou à les négliger. Mépriser cette vérité, c’est oublier que le véritable bien commun est déterminé et reconnu, en dernière analyse, par la nature de l’homme, qui équilibre harmonieusement droits personnels et obligations sociales, et par le but de la société, déterminé aussi par cette même nature humaine. La société est voulue par le Créateur comme le moyen d’amener à leur plein développement les dispositions individuelles et les avantages sociaux que chacun, donnant et recevant tour à tour, doit faire valoir pour son bien et celui des autres. »[23]
On trouve dans l’enseignement de Pie XII plusieurs définitions du bien commun qui se recoupent et recoupent celles que nous avons déjà rencontrées. En 1941 pour le cinquantenaire de l’encyclique Rerum novarum, le Souverain pontife dira : « Sauvegarder le domaine intangible des droits de la personne humaine et lui faciliter l’accomplissement de ses devoirs, doit être le rôle essentiel de tout pouvoir public. N’est-ce pas là ce que comporte le sens authentique de ce bien commun que l’État est appelé à promouvoir ? d’où il suit que la charge de ce « bien commun » ne comporte pas un pouvoir si étendu sur les membres de la communauté qu’en vertu de ce pouvoir il soit permis à l’autorité publique d’entraver le développement de l’action individuelle […], de décider directement sur le commencement ou (en dehors du cas de légitime châtiment) sur le terme de la vie humaine, de fixer à son gré la manière dont il devra se conduire dans l’ordre physique, spirituel, religieux et moral, en opposition avec les devoirs et droits personnels de l’homme, et à telle fin d’abolir ou rendre inefficace le droit naturel aux biens matériels. Vouloir déduire une telle extension de pouvoir du soin de procurer le bien commun serait fausser le sens même du bien commun et tomber dans l’erreur d’affirmer que la fin propre de l’homme sur la terre est la société, que la société est à elle-même sa propre fin, que l’homme n’a pas d’autre vie qui l’attende après celle qui se termine ici-bas. »[24] Cette analyse met bien en évidence la conjonction entre les droits personnels et les devoirs sociaux tout en insistant sur l’ouverture à la transcendance. La société gardienne et artisan du bien commun ne peut être close sur elle-même. Et, faut-il encore le rappeler, peu importe le régime politique car « l’âme de tout État, quel qu’il soit, c’est kle sens intime, profond, du bien commun ; c’est le souci non seulement de se procurer à soi-même la place au soleil, mais de l’assurer aussi aux autres, chacun dans la mesure de ses obligations et de ses responsabilités personnelles. C’est à quoi vise, autant que la loyauté et la justice, une saine et profitable politique sociale, génératrice de paix et de prospérité. »[25] Le « bien commun est la fin et la règle de l’État et de ses organes. »[26] Non seulement l’État mais aussi tous les organismes sociaux et finalement tous les individus doivent promouvoir le bien commun. Ainsi, « toute organisation tendant à améliorer les conditions de vie des travailleurs serait un mécanisme sans âme et par là sans vie et sans fécondité, si sa charte ne proclame et ne prescrit efficacement en tout premier lieu, le respect de toute personne humaine, quelle que soit sa condition sociale ; deuxièmement la reconnaissance de la solidarité de tous pour former la vaste famille humaine, créée par la Toute-Puissance aimante de Dieu ; troisièmement l’exigence impérieuse qui impose à la société de placer le bien commun au-dessus de tout intérêt privé, le service de tous au profit de tous. »[27] Le bien commun repose sur 3 fondements : « la Vérité, la Justice et la Charité »[28] et ce remède aux maux du siècle demande « la coalition de tous les gens de bien du monde entier pour une action de grande envergure, loyalement comprise et en parfait accord […]. »[29] Pie XI avait déjà pris position en faveur sur le plan universel d’« un ordre social où la prospérité matérielle résulte d’u ne collaboration sincère de tous au bien général et sert d’appui à des valeurs plus hautes, celles de la culture et, par-dessus tout, l’union indéfectible des esprits et des cœurs. »[30]
L’évolution des sociétés impose de plus en plus la nécessité d’un bien commun universel. Jean XXIII. Après avoir très brièvement rappelé que le bien commun « comporte l’ensemble des conditions sociales qui permettent et favorisent dans les hommes le développement intégral de leur personnalité »[31], il va détailler les droits et devoirs réciproques, souligner l’insuffisance de l’organisation des pouvoirs publics pour assurer le bien commun universel et saluer l’Organisation des nations unies qui, dans sa Déclaration universelle des droits de l’homme, malgré quelques points contestables, est « un pas vers l’établissement d’une organisation juridico-politique de la communauté mondiale » nécessaire à la promotion du bien commun universel tout en étant difficile à réaliser.[32]
Le concile Vatican II, dans la Constitution pastorale Gaudium et spes, 1965, reprend la définition lapidaire de Jean XXIII mais l’élargit quelque peu : le bien commun est l’« ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée ». Et le concile reconnaît à la suite du saint pape que ce bien commun « prend aujourd’hui une extension de plus en plus universelle, et par suite recouvre des droits et des devoirs qui concerne tout le genre humain. Tout groupe doit tenir compte des besoins et des légitimes aspirations des autres groupes, et plus encore du bien commun de l’ensemble de la famille humaine. »[33]
Au passage, la constitution note que le souci du bien commun s’enracine dans la conscience de chaque homme où travaille l’Esprit de Dieu : c’est le « ferment évangélique […] qui a suscité et suscite dans le cœur humain une exigence incoercible de dignité »[34] et a fait grandir cette conscience.[35] S’il faut « que chacun considère son prochain, sans aucune exception, comme 'un autre lui-même’ » et si « nous avons l’impérieux devoir de nous faire le prochain de n’importe quel homme »[36] et « de le servir activement »[37], si nous devons tous prendre « très à cœur de compter les solidarités sociales parmi les principaux devoirs de l’homme d’aujourd’hui et de les respecter » [38], ce ne peut être qu’au terme d’une conversion qui nous débarrasse de notre égoïsme naturel et de notre volonté de puissance. Autrement dit, s’il faut « entreprendre de vastes transformations sociales », « il faut travailler au renouvellement des mentalités »[39]. A défaut, l’ordre social ne pourra tourner au vrai bien des personnes, à leur complet épanouissement. Sans cette conversion, comment cet ordre pourrait-il « sans cesse se développer, avoir pour base la vérité, s’édifier sur la justice, et être vivifié par l’amour » ? Comment pourrait-il « trouver dans la liberté un équilibre toujours plus humain »[40].
Le bien commun apparaît donc de plus en plus comme le fruit de la solidarité et de la charité.
Solidarité et charité qui doivent s’étendre à la terre entière puisque, comme va le rappeler Paul VI à la suite de Jean XXIII[41] : « la question sociale est devenue mondiale »[42] et elle réclame « une action concertée pour le développement intégral de l’homme et le développement solidaire de l’humanité »[43].
La solidarité devient, dans l’enseignement de Jean-Paul II, pour ainsi dire, une « vertu » (le pape met le mot entre guillemets), indispensable à la réalisation du bien commun Il explique qu’il est encourageant que de plus en plus de gens à travers le monde soient de plus en plus conscient de leur « interdépendance » : « quand l’interdépendance est ainsi reconnue, la réponse correspondante, comme attitude morale et sociale et comme « vertu », est la solidarité. Celle-ci n’est donc pas un sentiment de compassion vague ou d’attendrissement superficiel pour les maux subis par tant de personnes proches ou lointaines. Au contraire, c’est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun, c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que tous nous sommes vraiment responsables de tous. »[44] Cette vertu sociale doit faire barrage au « désir de profit » et à « la soif de pouvoir »[45], péchés qui engendrent des « structures de péché ».[46] Cet appel à la solidarité est un appel à vivre, « avec l’aide de la grâce divine », l’Évangile, c’est-à-dire « se dépenser pour le bien du prochain en étant prêt, au sens évangélique du terme, à « se perdre » pour l’autre au lieu de l’exploiter, et à « le servir » au lieu de l’opprimer à son propre profit. »[47]
Le pape Benoît XVI accentue encore cette dimension morale et spirituelle de l’action à entreprendre en vue du bien commun en reliant la solidarité à l’amour que nous devons, à l’image du Christ, nourrir non seulement pour le Père mais aussi pour nos frères, pour tous nos frères car « dans une société en voie de mondialisation, le bien commun et l’engagement en sa faveur ne peuvent pas ne pas assumer les dimensions de la famille humaine tout entière, c’est-à-dire de la communauté des peuples et des nations, au point de donner forme d’unité et de paix à la cité des hommes, et d’en faire, en quelque sorte, la préfiguration anticipée de la cité sans frontières de Dieu. »[48]
C’est l’amour qui nous commande de « prendre en grande considération le bien commun ». En effet, « aimer quelqu’un, c’est vouloir son bien et tout mettre en œuvre pour cela. » Et « à côté du bien individuel, il y a un bien lié à la vie en société : le bien commun. » Et voici comment Benoît XVI le définit : « c’est le bien du 'nous-tous’, constitué d’individus, de familles et d groupes intermédiaires qui forment une communauté sociale. » Le pape attire notre attention sur le fait qu’à la différence d’autres biens, le bien commun « n’est pas un bien recherché pour lui-même, mais pour les personnes qui font partie de la communauté sociale et qui, en elle seule, peuvent arriver réellement et plus efficacement à leur bien. »
Ceci dit, vouloir et rechercher ce bien commun, « c’est, dit le pape, une exigence de la justice et de la charité », inséparables comme nous l’avons déjà vu.[49] « L’engagement pour le bien commun, quand la charité l’anime, a une valeur supérieure à celle de l’engagement purement séculier et politique. comme tout engagement en faveur de la justice, il s’inscrit dans le témoignage de la charité divine qui, agissant dans le temps, prépare l’éternité. Quand elle est inspirée et animée par la charité, l’action de l’homme contribue à l’édification de cette cité de dieu universelle vers laquelle avance l’histoire de la famille humaine. »[50] La responsabilité des chrétiens est donc grande et déterminante comme nous le verrons dans le chapitre suivant.
Toutes ces notions sont si importantes qu’elles sont entrées comme nous l’avons vu, dans le Catéchisme[51] et surtout dans le Compendium.
Que retenir ?
Que le principe du bien commun découle « de la dignité, de l’unité et de l’égalité de toutes les personnes ».
Que le bien commun « peut être compris comme la dimension sociale et communautaire du bien moral. »[52]
Si, bien entendu, « les exigences du bien commun dérivent des conditions sociales de chaque époque », elles « sont étroitement liées au respect et à la promotion intégrale de la personne et de ses droits fondamentaux »[53]. Le but est bien l’épanouissement des personnes et des groupes de personnes, un épanouissement intégral c’est-à-dire à la fois matériel, moral et spirituel.[54]
Retenons aussi
Que « le bien commun ne consiste pas dans la simple somme des biens particuliers de chaque sujet du corps social » : il est « commun, car indivisible » et ce n’est qu’ensemble qu’on peut « l’atteindre, […] l’accroître et […] le conserver notamment en vue de l’avenir. » [55]
Et donc si tous ont « le droit de bénéficier des conditions de vie sociale qui résultent de la recherche du bien commun », « le bien commun engage tous les membres de la société : aucun n’est exempté de collaborer, selon ses propres capacités, à la réalisation et au développement de ce bien. »[56]
En effet, le bien commun est « un bien appartenant à tous les hommes et à tout l’homme. La personne ne peut pas trouver sa propre réalisation uniquement en elle-même, c’est-à-dire indépendamment de son être « avec » et « pour » les autres. »[57]
Si tous sont impliqués, « la responsabilité de poursuivre le bien commun revient non seulement aux individus, mais aussi à l’État, car le bien commun est la raison d’être de l’autorité politique » et chaque gouvernement doit « harmoniser avec justice les divers intérêts sectoriels. »[58] Et dans la mesure où il y a un bien commun mondial (paix, respect de la planète, commerce libre et équitable), il n’est pas étonnant que Jean XXIII, Benoît XVI et François aient insisté sur l’importance d’une autorité mondiale, surtout morale, réglée par le droit, qui puisse en avoir la charge. Il n’empêche qu’il serait contradictoire de s’en remettre uniquement à ces autorités supérieures, nationales ou supranationales, dans la promotion du bien commun : le bien commun est la responsabilité de tous et de chacun. Nous y reviendrons.
Enfin, il ne faut jamais oublier que « le bien commun de la société n’est pas une fin en soi ; il n’a de valeur qu’en référence à la poursuite des fins dernières de la personne et au bien commun universel de la création tout entière. Dieu est la fin dernière de ses créatures et en aucun cas on ne peut priver le bien commun de sa dimension transcendante, qui dépasse mais aussi achève la dimension historique. » [59]
Pour clore momentanément ce chapitre, veillons à bien faire la distinction entre le bien commun et un bien commun qui est un bien collectif, c’est-à-dire un bien « dont l’usage ne peut pas être privatisé » : « personne ne peut être exclu de son usage ».
Le bien commun ne peut être confondu avec l’intérêt général qui porte sur des questions matérielles, varie suivant les circonstances et « peut entraîner des conséquences négatives sur les personnes. »[60]
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Le bien commun est donc la fin de la société, de toute société.