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Chapitre 5 : Le bien commun

Les êtres sont divisés sous l’angle de leurs biens propres, et unis sous l’angle du bien commun.
— St THOMAS d’AQUIN
De Regno ad regem Cypri, I.

Alors, Martin Luther King s’est-il fourvoyé en insistant sur la nécessité de vivre ensemble ? Certes non Mais, nous allons le voir, pour vivre ensemble, encore faut-il partager un bien commun qui pourrait contribuer à notre bonheur.

Le bien commun tel que nous allons le définir, est une notion absente de notre vie politique, remplacée par le « vivre ensemble » qui n’est qu’une contrefaçon, pour reprendre le vocabulaire d’Aristote, du « vivre bien » c’est-à-dire selon le bien, le bien en soi. Dans le « vivre ensemble », le bien se réduit, comme nous l’avons vu, à un conformisme légal, consensuel.⁠[1]


1. En Belgique où le culte catholique à l’instar d’autres cultes et philosophies reconnus est financé par les pouvoirs publics, ceux-ci, en contrepartie réclament de la part des ministres du culte une certaine réserve. L’article 268 du Code pénal prévoit que : « Seront punis d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de vingt-six euros à cinq cents euros les ministres d’un culte qui, dans l’exercice de leur ministère, par des discours prononcés en assemblée publique, auront directement attaqué le gouvernement, une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l’autorité publique ». De plus, l’État fédéral et les représentants des cultes reconnus et de la laïcité ont signé une déclaration commune appelée « Déclaration de 2017 où est affirmée, entre autres, « la primauté de l’État de droit sur la loi religieuse ». Dans son discours du 1er mai 2016, le premier ministre Charles MICHEL avait clairement déclaré : « La loi des hommes prime la loi de Dieu, toujours ». Cette affirmation rejoint ce que Thomas HOBBES écrivait dans son Léviathan ( II, 26, édition latine) : « C’est l’autorité, non la vérité, qui fait la loi » ? Parallèlement, dans le projet de décret « Cultes » voté à l’unanimité le 4 mai 2017 par le parlement wallon en vue de contrôler la transparence du financement. il est prévu que gestionnaires et ministres du culte devront s’engager, via une déclaration sur l’honneur, au respect de « la Constitution, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’ensemble des législations existantes. » Dans ce Décret relatif à la reconnaissance et aux obligations des établissements chargés de la gestion du temporel des cultes reconnus, 27 mars 2017, chapitre 1er, article 10, il est demandé aussi « de ne pas collaborer à des actes contraires à la Constitution, à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et aux législations existantes ; de déployer les efforts nécessaires à ce que ma communauté cultuelle locale, en ce compris l’ensemble de ses membres, ne soit pas associée à des propos ou à des actes contraires à la Constitution et à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. » Si l’on s’en tient strictement à ce que le code pénal prévoit déjà et à ce qu’implique cette déclaration, le laïc responsable d’une fabrique d’église, par exemple, ou le prêtre ou même un membre de la communauté qui dénoncerait, comme contraire à la morale, la loi sur l’avortement, l’euthanasie ou le mariage gay serait passible de sanctions. On peut affirmer que dans ces conditions, la liberté d’expression serait bridée, la liberté religieuse proclamée par ailleurs serait vide de sens. Si l’Église ne peut plus exercer son rôle de guide des consciences en privé comme en public, elle se trahit et se saborde. Dans l’encyclique Evangelium vitae n° 74, ne lit-on pas : « Les chrétiens, de même que tous les hommes de bonne volonté, sont appelés, en vertu d’un grave devoir de conscience, à ne pas apporter leur collaboration formelle aux pratiques qui, bien qu’admises par la législation civile, sont en opposition avec la Loi de Dieu ». ? Ce n’était qu’un rappel développé d’Ac 5, 29: « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ».
   Les Pères du Concile Vatican II avait peut-être conscience du danger en affirmant que l’Église « ne place pas son espoir dans les privilèges offerts par le pouvoir civil. Bien plus, elle renoncera à l’exercice de certains droits légitimement acquis s’il est reconnu que leur usage peut faire douter de la pureté de son témoignage ou si des circonstances nouvelles exigent d’autres dispositions. » (GS, 76, 5).
   Un tel renoncement prophétique garantit la pureté du témoignage. C’est un geste profondément évangélique rendant à César ce qui revient à César. En même temps, la religion chrétienne ne paraît plus ce qu’elle n’est pas, c’est-à-dire une religion parmi d’autres. Clairement, plusieurs lois actuelles sont radicalement contraires au bien commun et le pouvoir politique au nom d’un vivre ensemble nourri de compromissions cherche à taire les voix trop discordantes avec parfois la complicité de ceux-là même qui devraient être les premiers défenseurs du bien commun.

⁢i. d’Aristote à saint Thomas

Dans sa description de la « véritable cité », Aristote affirmait « que c’est en vue des belles actions qu’existe la communauté politique, et non en vue de vivre ensemble ». « Ce n’est pas en vue de vivre, mais plutôt en vue d’une vie heureuse qu’on s’assemble en une cité […] ni en vue de former une alliance militaire pour ne subir de préjudice de la part de personne, ni en vue d’échanges dans l’intérêt mutuel […]. » Il insiste : « La cité n’est pas une communauté de lieu, établie en vue de s’éviter les injustices mutuelles et de permettre les échanges. Certes ce sont là des conditions qu’il faut nécessairement remplir si l’on veut qu’une cité existe, mais même quand elles sont toutes réalisées, cela ne fait pas une cité, car une cité est la communauté de vie heureuse […]. » qu’implique cette référence à la « vie heureuse » ? « La cité qui mérite vraiment ce nom […], répond Aristote, doit s’occuper de vertu » sinon « la loi est pure convention, […] elle est un garant de la justice dans les rapports mutuels, mais elle n’est pas capable de rendre les citoyens bons et justes. »[1]. « La cité est une communauté déterminée que forment les gens semblables mais en vue d’une vie qui soit la meilleure possible. » Et « le meilleur c’est le bonheur, lequel est une réalisation et un usage parfait de la vertu […]. » ⁠[2]

Il s’agit donc de bien vivre, c’est-à-dire de vivre selon le bien. ⁠[3] Dans l’Ethique à Nicomaque, le philosophe précise que « le bien pour l’homme consiste dans une activité de l’âme en accord avec la vertu, et, au cas de pluralité de vertus, en accord avec la plus excellente et la plus parfaite d’entre elles. »[4] « La fin de la politique sera le bien proprement humain. même si, en effet, il y a identité entre le bien de l’individu et celui de la cité, de toute façon c’est une tâche manifestement plus importante et plus parfaite d’appréhender et de sauvegarder le bien de la cité : car le bien est assurément aimable même pour un individu isolé, mais il est plus beau et plus divin appliqué à une nation ou à des cités. »[5]

Aristote définit le bonheur le plus parfait comme une activité conforme à la vertu la plus parfaite et donc selon l’intelligence qui, en nous, est un caractère divin. Il conclut : « Il ne faut donc pas écouter ceux qui nous conseillent, parce que nous sommes des hommes, de ne songer qu’aux choses humaines, et parce que nous sommes mortels qu’aux choses mortelles. Mais dans la mesure du possible nous devons nous rendre immortels et tout faire pour vivre conformément à la partie la plus excellente de nous-mêmes […]. »⁠[6] Non seulement le bien est la fin de la vie morale individuelle mais il est aussi recherché par la politique : « Même si le bien de l’individu s’identifie avec celui de l’État, il paraît bien plus important et plus conforme aux fins véritables de prendre en mains et de sauvegarder le bien de l’État. Le bien certes est désirable quand il intéresse un individu pris à part ; mais son caractère est plus beau et plus divin, quand il s’applique à un peuple et à des États entiers. »[7]

On se rend compte que face au credo du 'vivre-ensemble’, « les « belles actions » d’Aristote requièrent deux paramètres d’une autre qualité : la beauté, autrement dit la reconnaissance de la bonté intrinsèque des actions, leur conformité à un ordre de vérité objectif et aussi reconnu tel par tous, ce qu’implique l’éclat de l’idée de beauté ; et les actions belles, celles qui sont vertueuses, conformes au bien. La communauté politique ne peut donc se construire et partant subsister que si elle se détermine selon la participation à un agir commun vertueux. Rien de rêveur là-dedans, car nul n’est dupe des infractions individuelles ou structurelles qui affectent tout le corps social. la question n’est pas dans la pureté de l’idéal, mais dans la mise en place du possible. les actions belles sont collectivement possibles. Elles supposent un discours clair sur le bien et sur le mal et donc a fortiori sur le vrai et sur le faux. le paradoxe de notre société postmoderne est de jouer sur deux claviers contradictoires, donc mortifères. d’un côté, le nihilisme, déni des valeurs morales dû à la relativisation de tout principe métaphysique religieux et aussi éthique, avec la parcellisation des opinions et le respect proclamé des idées les plus destructrices, tout cela soutenu par des subventions culturelles non moins nihilistes ; de l’autre, une surveillance publique de plus en plus sourcilleuse des comportements, au plan financier, sur les changements de morale et même sur les normes de vocabulaire. »[8]

Aristote n’emploie pas l’expression « bien commun » mais elle trouve bien son origine dans les Politiques d’Aristote. On lit dans le Commentaire du traité de La Politique d’Aristote par saint Thomas d’Aquin que « le bien vivre, est la finalité la plus excellente d’une cité ou d’une constitution et cela à la fois pour l’ensemble de la population et en particulier pour chacun des individus. »[9] Et saint Thomas résumera ainsi cette partie de la pensée d’Aristote qui constitue le point de départ de sa réflexion sur la politique : « la cité est une communauté d’hommes libres dont la finalité est le bien commun auquel toute l’administration politique doit tendre ».⁠[10]

Toutefois, saint Thomas qui emploie constamment l’expression bonum commune[11], ne décrit jamais en quoi il consiste, comme si sa définition était claire pour tous.

L’expression « bonum commune » provient de la tradition chrétienne⁠[12] que saint Thomas va suivre ajoutant que si le bien commun a, comme l’a montré Aristote, une dimension naturelle⁠[13], il a aussi, en même temps une dimension surnaturelle comme l’évoque Paul⁠[14] pour qui notre vrai et ultime bien commun est le Christ lui-même, son Royaume et la béatitude, Dieu, « souverain bien » (summum bonum): « Dieu […] est lui-même le bien suprême et commun de tout l’univers. »[15] Voici comment saint Thomas articule les deux dimensions, l’une étant subordonnée à l’autre : « Si un tout n’est pas une fin ultime, mais est ordonné à une fin ultérieure, la fin ultime de l’une de ses parties ne peut pas être ce tout, mais quelque chose d’autre. or l’universalité des créatures, à laquelle l’homme se rapporte comme la partie au tout, n’est pas une fin ultime, mais elle est ordonnée à Dieu comme à sa fin ultime. Donc le bien que représente l’univers n’est pas l’ultime fin de l’homme, celle-ci est Dieu lui-même. »[16] « La fin de la vie et de la société humaine est Dieu ».⁠[17] « Dieu […] est lui-même le bien suprême et commun de tout l’univers. »[18] Dans un autre texte, il greffe sa réflexion de théologien chrétien sur la description du bien de la cité évoquée précédemment dans l’Ethique à Nicomaque, un bien « plus beau et plus divin » : « Le bien particulier est orienté vers le bien commun comme vers une fin : en effet l’être de la partie est pour l’être du tout ; c’est pourquoi aussi le bien du peuple est plus divin que le bien d’un seul homme.[19] Or le bien suprême, qui est Dieu, est le bien commun, puisque c’est de lui que dépend le bien de toutes les choses : en revanche, le bien en vertu duquel chaque chose est bonne est le bien particulier de celle-ci et des autres qui dépendent de lui. Toutes les choses sont donc orientées comme vers leur fin vers un seul bien, qui est Dieu. »[20] Plus clairement encore, il écrit dans le De regno : « Mais puisque l’homme, en vivant selon la vertu, est ordonné à une fin ultérieure, qui consiste dans la fruition de dieu, comme nous l’avons déjà dit plus haut, il faut que la multitude humaine ait la même fin que l’homme pris personnellement. la fin ultime de la multitude rassemblé en société n’est donc pas de vivre selon la vertu, mais, par la vertu, de parvenir à la fruition de Dieu. »[21] Et s’il y a, pour lui, au contraire d’Aristote, des biens communs divers, bien commun de la famille, bien commun de la cité, bien commun de l’univers, il précise que le bien divin « devance tout bien humain: dans les biens humains, le bien public devance le bien privé ; et là, le bien du corps l’emporte sur les biens extérieurs. »[22]

Il ne s’agit pas de consacrer une théocratie. L’affirmation de Dieu n’enlève rien à l’ordre politique naturel, à sa juste autonomie mais les perfectionne. Comme François Daguet le précise : « Dans l’approche thomasienne du politique, la cité terrestre n’est pas résorbée dans un ordre ecclésial, mais elle sera plus pleinement elle-même en s’ordonnant à Dieu, son bien commun séparé. La formule célèbre de Thomas trouve parfaitement à s’appliquer en matière politique : « Gratia non tollit sed perficit naturam. »[23] La cité chrétienne est plus cité que celle qui se clôt dans l’ordre naturel. »[24] La cité selon Aristote trouve son lien dans l’amitié alors que chez saint Thomas, c’est la charité qui crée le lien social mais la charité est une amitié. Et la cité n’est ni théocratique ni totalitaire car ordre naturel et ordre surnaturel ne se confondent pas : « L’homme n’est pas ordonné dans tout son être et dans tous ses biens à la communauté politique ; c’est pourquoi tous ses actes n’ont pas forcément mérite ou démérite envers cette communauté. mais tout ce qu’il est, tout ce qu’il a, et tout ce qu’il peut, l’homme doit l’ordonner à Dieu ; c’est pourquoi tout acte humain bon ou mauvais a un mérite ou un démérite devant Dieu, autant qu’il réalise la notion d’acte. »[25] Autrement encore : « Le bien de l’univers est plus grand que le bien d’un individu, s’il s’agit du même genre de bien. Mais le bien de la grâce, dans un seul individu, l’emporte sur le bien naturel de tout l’univers. »[26] Pour bien faire comprendre cette idée importante qui doit éclairer les rapports entre la personne et la communauté politique, et en même temps pour nous faire sentir l’enjeu du problème, Charles Journet⁠[27] écrit : « Les biens périssables de la personne individuelle sont moins importants, moins « divins » que les biens périssables de la communauté politique. […] Mais le bien périssable de la communauté politique est, à son tour, moins divin que le bien impérissable de la personne humaine, et, sous cet aspect, c’est la communauté politique qui doit être au service de la personne individuelle. Ainsi donc, l’homme en tant que mortel est partie de la cité mortelle, mais en tant qu’immortel il n’est pas une partie de la cité, il est un tout, et la cité doit être à son service. Telle est la solution chrétienne de ce problème des rapports de l’homme et de la communauté politique. Elle s’élève, comme un sommet difficile d’accès, entre deux erreurs opposées, qui semblent se disputer tour à tour les esprits des hommes, ou bien ils ne voient plus le caractère sacré des droits de la communauté sur la personne individuelle : c’est l’erreur appelée individualisme. […] Ou bien, au contraire, les hommes ne voient plus le caractère sacré des droits de la personne individuelle sur la communauté ; c’est l’erreur que, pour le plaisir, si l’ont veut, d’inventer des mots barbares, nous appellerons communautisme ou totalitarisme. »[28]


1. ARISTOTE, Les politiques, III, 9, 1280 a 10-40, 5-40, , 1281, a 5-10. (Traduction de P. Pellegrin, GF Flammarion, 2015, pp. 246-250.
2. Id., VII, 8, id., pp. 480-481.
3. « Tout art et toute investigation et pareillement toute action et tout choix tendent vers quelque bien, à ce qu’il semble. Aussi a-t-on déclaré avec raison que le bien est ce à quoi toutes choses tendent. » (Ethique à Nicomaque, 1094a (Traduction de J. Tricot, Vrin, 2012).
4. Id., I, 6, 1098 a 16-18, p. 63.
5. Id., I, 1, 1094 a 24-b 10 (op. cit., pp. 36-38).
6. Il faut relire l’Ethique à Nicomaque, X, 6 et 7, (Traduction de J. Voilquin, Hatier, 1965, pp.273-277).
7. Id., I, 2, op. cit., p. 20.
8. HUMBRECHT, op. cit., pp. 62-63.
9. THOMAS d’AQUIN, Commentaire du traité de La Politique d’Aristote, traduction de Serge Pronovost, Docteur angélique, 2017, p. 266. Dans le De regno ad regem Cypri, il précise en bon élève d’Aristote : « La fin ultime d’une multitude rassemblée en société est de vivre selon la vertu. En effet, si les hommes s’assemblent c’est pour mener une vie bonne, ce à quoi chacun vivant isolément ne pourrait parvenir. Or une vie bonne est une vie selon la vertu ; la vie vertueuse est donc la fin du rassemblement des hommes en société. le signe en est dans le fait que ceux-là seuls sont parties de la multitude rassemblée en société, qui communient les uns avec les autres dans une vie bonne. En effet, si les hommes se rassemblaient pour le seul vivre, les animaux et les esclaves seraient une des parties de la société civile. Si c’était pour acquérir des richesses, tous ceux qui négocient ensemble se rattacheraient à une seule cité ; de même nous voyons ceux-là seuls sont comptés comme membre d’une seule multitude qui sont diroigés vers une vie bonne sous les mêmes lois et le même gouvernement. » (Op. cit., I, 15, traduction de M. Cottier, Egloff, 1946,n p. 118).
10. Commentaire du traité de La politique d’Aristote, Les citoyens, leçon 5, op.cit.,p.264.
11. DAGUET François, o.p., note que « selon les cas, le bien commun, c’est le bien vivre de la cité, Dieu lui-même, l’ordre de l’univers, la charité qui anime l’Église…​ ». (Le bien commun dans la théologie politique de saint Thomas d’Aquin, in Saint Thomas et la politique, Actes du Colloque, Toulouse, 28-29 janvier 2013, Revue thomiste, janvier-mars 2014, p. 115). Nous suivrons cet excellent article où François Daguet analyse les ressemblances et différences entre les conceptions du bien commun d’Aristote et de saint Thomas. Pour d’autres citations de saint Thomas prises à travers toute son œuvre concernant le bien commun, cf. Petite somme politique, Anthologie de textes politiques traduits et présentés par SUREAU Denis, Pierre Téqui, 1997, pp. 130-138.
12. de DAGUET François, op. cit., pp. 95-127.
13. Le gouvernant a comme mission d’ordonner la cité au bien commun qui est sa fin et la loi est bien « une ordonnance de la raison en vue du bien commun, promulguée par celui qui a la charge de la communauté » (Somme théologique, Ia IIae, q ; 90, a. 4, c.)
14. La Bible de Jérusalem traduit ainsi 1 Co 12, 7: « A chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien commun. » La TOB, elle traduit « …​en vue du bien de tous » et renvoie à 1 Co 14, 26: « Que faire alors, frères ? Quand vous êtes réunis, chacun de vous peut chanter un cantique, apporter un enseignement ou une révélation, parler en langues ou bien interpréter : que tout se fasse pour l’édification commune. » Et dans Ep 4, 11-12: « Et les dons qu’il a faits, ce sont des apôtres, des prophètes, des évangélistes, des pasteurs et catéchètes, afin de mettre les saints en état d’accomplir le ministère pour bâtir le corps du Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et dans la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’adultes, à la taille du Christ dans sa plénitude. »
15. Somme théologique, IIIa, q.46, a. 2, ad 3.
16. Id., Ia IIae, q. 2, a. 8, ad 2.
17. Id., Ia IIae, q. 100, a. 6, c.
18. Id., IIIa, q.46, a. 2-3.
19. C’est pourquoi, dans un passage célèbre, saint Thomas ose écrire : « Dans la nécessité tous les biens sont communs. il n’y a donc pas péché si quelqu’un prend le bien d’autrui, puisque la nécessité en a fait pour lui un bien commun. » (IIa IIae, q. 66, a.7, sed contra).
20. Somme contre les Gentils, III, 17.
21. De regno, I, 15, op. cit., pp. 118-119.
22. Somme théologique, IIa IIae, q. 117, a. 6, c. Le chanoine MODDE André distinguait, dans la pensée de saint Thomas, bien commun suprême et bien commun moyen : « L’homme a une fin, une destinée : le Bien commun intelligible et céleste par lequel il réalise autant qu’il est en son pouvoir le Bien commun universel. la fin de l’homme dépasse cette terre. C’est une fin individuelle, mais, dans son effort, l’homme n’est pas abandonné, il trouve aide et assistance. depuis la venue du Christ, une société spirituelle lui dispense secours et grâce. mais déjà pour la réalisation des fins terrestres les plus immédiates, il n’est pas non plus isolé et laissé à lui-même. Toute la vie sociale est là pour l’aider. l’Église et l’État ayant à lui procurer les moyens en vue de sa fin, sont eux-mêmes moyens pour obtenir sa fin. C’est le sens du Bien commun-moyen : les réalisations de l’Église et le bien commun temporel. » (Le Bien commun dans la philosophie de saint Thomas, in Revue philosophique de Louvain, tome 47, n° 14, 1949, pp. 246-247).
23. Somme théologique, Ia, q. 1, a. 8, ad 2.
24. DAGUET, op. cit., p. 117.
25. Somme théologique, Ia IIae, q. 21, a. 4, ad 3.
26. Id., q.113, a. 9, ad 2.
27. 1891-1975, théologien suisse créé cardinal par Paul VI.
28. JOURNET Cardinal, Exigences chrétiennes en politique, Egloff, 1946, pp. 13-14.

⁢ii. De Léon XIII à aujourd’hui

Comme le dit François Daguet, « La notion de bien commun est le point focal de toute la pensée politique thomasienne, et la primauté du bien commun le paradigme de cette pensée. »[1] On ne sera donc pas étonné de retrouver cette notion de bien commun au fondement de la doctrine sociale chrétienne. Et cela dès son élaboration dans l’enseignement de Léon XIII qui avait remis à l’honneur en l’étude de la pensée de saint Thomas par l’encyclique Aeterni patris en 1879.

« Le 'Docteur angélique’, écrit une grande spécialiste⁠[2], est […] la référence constante qui sous-tend les développements sur le bien commun introduits par l’encyclique Rerum Novarum (1891), texte fondateur de la 'doctrine sociale de l’Église’. » Cette inspiration est notamment perceptible dans la manière dont le pape aborde la question de la propriété privée. Pour les marxistes auxquels il s’oppose, « les biens de chacun doivent être communs à tous »[3] et donc « le bien commun prime sur les droits personnels »[4]. Droits fondamentaux qui ne sont pas mieux respectés dans la conception libérale qui favorise « la concentration, entre les mains de quelques-uns, de l’industrie et du commerce devenus le partage d’un petit nombre d’hommes opulents et de ploutocrates qui imposent ainsi un joug presque servile à l’infinie multitude des prolétaires ».⁠[5] Quand donc Léon XIII déclare que si « Dieu a donné la terre au genre humain tout entier pour qu’il l’utilise et en jouisse, […] cela signifie non pas qu’ils doivent la posséder confusément, mais que Dieu n’a assigné de part à aucun homme en particulier. il a abandonné la délimitation des propriétés à la sagesse des hommes et aux institutions des peuples. Au reste, quoique divisée en propriétés privées, la terre ne laisse pas de servir à la commune utilité de tous, attendu qu’il n’est personne parmi les mortels qui ne se nourrisse du produit des champs. Qui en manque y supplée par le travail. »[6] Le bien commun « terre » est là pour que chaque homme puisse en jouir en accédant à la propriété privée ne serait-ce que par le travail. Nul ne peut posséder en privant les autres de l’accès à la propriété ou de l’accès au travail. Pour reprendre le vocabulaire de saint Thomas, nous dirons que le bien périssable de la communauté est moins important que le bien impérissable de la personne qui a besoin pour s’épanouir d’une « part de la nature matérielle qu’il a cultivée et où il a laissé comme une certaine empreinte de sa personne, si bien qu’en toute justice il en devient propriétaire et qu’il n’est permis d’aucune manière de violer son droit. »[7] En tout cas, Léon XIII s’est rendu compte que la justice sociale était une exigence du bien commun.⁠[8]

Ces réflexions sur la propriété illustrent aussi la dialectique personne-communauté que la référence au bien commun éclaire harmonieusement. Il est bien entendu que « La fin de la société civile embrasse universellement tous les citoyens. Elle réside dans le bien commun, c’est-à-dire dans un bien auquel tous et chacun ont le droit de participer dans une mesure proportionnelle ». d’une part, les dirigeants « travaillent directement au bien commun ». De leur côté, « Ceux au contraire qui s’appliquent aux choses de l’industrie ne peuvent concourir à ce bien commun, ni dans la même mesure, ni par les mêmes voies. Eux aussi cependant, quoique d’une manière moins directe, servent grandement les intérêts de la société. Sans nul doute, le bien commun dont. l’acquisition doit avoir pour effet de perfectionner les hommes est principalement un bien moral. Mais, dans une société bien constituée, il doit se trouver encore une certaine abondance de biens extérieurs «  dont l’usage est requis à l’exercice de la vertu  » (Saint Thomas, De regimine principum, I, 15) »[9] Tous les citoyens donc travaillent pour le bien commun de la société et en même temps, « Les droits doivent partout être religieusement respectés. L’État doit les protéger chez tous les citoyens en prévenant ou en vengeant leur violation. Toutefois, dans la protection des droits privés, il doit se préoccuper d’une manière spéciale des faibles et des indigents. »[10] Et ce qu’il faut viser avant tout, c’est « le perfectionnement moral et religieux »[11]. Par là, le bien de la personne dépasse le bien de la société qui doit lui permettre de grandir en ce sens.

L’année suivante, la question du régime politique qui agite toujours les catholiques de France, amène le pape à préciser sa position. En ce qui concerne les différentes formes de gouvernement, il écrit que « chacune d’elles est bonne, pourvu qu’elle sache marcher droit à sa fin, c’est-à-dire le bien commun, pour lequel l’autorité sociale est constituée. » Un pouvoir, explique-t-il, « considéré en lui-même […] continue d’être immuable et digne de respect ; car, envisagé dans sa nature, il est constitué et s’impose pour pourvoir au bien commun, but suprême qui donne son origine à la société humaine. » Le bien commun « est, après Dieu, dans la société, la loi première et dernière. » Ainsi, « la loi est une prescription ordonnée selon la raison et promulguée, pour le bien de la communauté, par ceux qui ont reçu à cette fin le dépôt du pouvoir. »[12] Tels sont les principes fondamentaux. Il faut d’une part « accepter sans arrière-pensée, avec cette loyauté parfaite qui convient au chrétien, le pouvoir civil dans la forme où, de fait, il existe.[…] Et la raison de cette acceptation, c’est que le bien commun de la société l’emporte sur tout autre intérêt ; car il est le principe créateur, il est l’élément conservateur de la société humaine ; d’où il suit que tout vrai citoyen doit le vouloir et le procurer à tout prix. Or, de cette nécessité d’assurer le bien commun dérive, comme de sa source propre et immédiate, la nécessité d’un pouvoir civil qui, s’orientant vers le but suprême, y dirige sagement et constamment les volontés multiples des sujets, groupés en faisceau dans sa main. Lors donc que, dans une société, il existe un pouvoir constitué et mis à l’œuvre, l’intérêt commun se trouve lié à ce pouvoir, et l’on doit, pour cette raison, l’accepter tel qu’il est. » Mais d’autre part « Après avoir solidement établi dans notre Encyclique cette vérité, Nous avons formulé la distinction entre le pouvoir politique et la législation, et Nous avons montré que l’acceptation de l’un n’impliquait nullement l’acceptation de l’autre ; dans les points où le législateur, oublieux de sa mission, se mettait en opposition avec la loi de Dieu et de l’Église. Et, que tous le remarquent bien, déployer son activité et user de son influence pour amener les gouvernements à changer en bien des lois iniques ou dépourvues de sagesse, c’est faire preuve d’un dévouement à la patrie aussi intelligent que courageux, sans accuser l’ombre d’une hostilité aux pouvoirs chargés de régir la chose publique. »[13]

De l’enseignement fondateur de Léon XIII, une grande leçon est à retenir, en tout cas pour l’avenir et l’action : « à qui veut régénérer une société quelconque en décadence, on prescrit avec raison de la ramener à ses origines. La perfection de toute société consiste, en effet, à poursuivre et à atteindre la fin en vue de laquelle elle a été fondée, en sorte que tous les mouvements et tous les actes de la vie sociale naissent du même principe d’où est née la société. Aussi, s’écarter de la fin, c’est aller à la mort ; y revenir, c’est reprendre vie. »[14]

Désormais, dans toutes les circonstances et face à diverses menaces, la réplique sera toujours de chercher le bien commun.

Méditant sur l’éducation chrétienne de la jeunesse, Pie XI définit ainsi le bien commun temporel : il « consiste dans la paix et la sécurité dont les familles et les citoyens jouissent dans l’exercice de leurs droits et en même temps dans le plus grand bien-être spirituel et matériel possible en cette vie, grâce à l’union et à la coordination des efforts de tous. » Il en conclut, sur le plan de l’éducation, que « la fonction de l’autorité civile qui réside dans l’État est donc double: protéger et faire progresser la famille et l’individu, mais sans les absorber ou s’y substituer. »⁠[15]

Face au libéralisme, nommé aussi individualisme⁠[16], qui oublie l’aspect social attaché à toute propriété, il rappelle que « l’autorité publique peut […], s’inspirant des véritables nécessités du bien commun, déterminer, à la lumière de la loi naturelle et divine, l’usage que les propriétaires pourront ou ne pourront pas faire de leurs biens. »[17] « Il importe […] d’attribuer à chacun ce qui lui revient et de ramener aux exigences du bien commun ou aux normes de la justice sociale la distribution des ressources de ce monde, dont le flagrant contraste entre une poignée de riches et une multitude d’indigents atteste de nos jours, aux yeux de l’homme de cœur, les graves dérèglements. »[18] Le libéralisme viole l’ordre « quand le capital n’engage les ouvriers ou la classe des prolétaires qu’en vue d’exploiter à son gré et à son profit personnel l’industrie et le régime économique tout entier, sans tenir compte ni de la dignité humaine des ouvriers, ni du caractère social de l’activité économique, ni même de la justice sociale et du bien commun. »[19] « Enfin les institutions des divers peuples doivent conformer tout l’ensemble des relations humaines aux exigences du bien commun, c’est-à-dire aux règles de la justice sociale. »[20] Plus exactement encore, « à la justice et à la charité sociales. »[21] « Car, explique Dominique Coatanea, si l’exercice de la charité ne peut jamais tenir lieu des devoirs de justice, la justice seule ne peut parvenir à l’union des volontés et au rapprochement des cœurs. » En effet, « pour Pie XI, continue-t-elle, la collaboration de tous en vue du bien commun ne s’obtient que si l’homme a l’intime conviction d’être membre d’un même corps, de sorte que la souffrance de l’un est la souffrance de tous. Cette -analogie fondatrice de la foi en Christ souligne la puissance de l’unité visée dans la charité comme fin pertinente de la genèse du bien commun. »[22]

Face au nazisme, Pie XI rappelle que l’État gardien du bien commun ne peut tout se permettre car le respect de la personne st un élément fondamental du bien commun : « l’homme, en tant que personne, possède des droits qu’il tient de Dieu et qui doivent demeurer vis-à-vis de la collectivité hoirs de toute atteinte qui tendrait à les nier, à les abolir ou à les négliger. Mépriser cette vérité, c’est oublier que le véritable bien commun est déterminé et reconnu, en dernière analyse, par la nature de l’homme, qui équilibre harmonieusement droits personnels et obligations sociales, et par le but de la société, déterminé aussi par cette même nature humaine. La société est voulue par le Créateur comme le moyen d’amener à leur plein développement les dispositions individuelles et les avantages sociaux que chacun, donnant et recevant tour à tour, doit faire valoir pour son bien et celui des autres. »[23]

On trouve dans l’enseignement de Pie XII plusieurs définitions du bien commun qui se recoupent et recoupent celles que nous avons déjà rencontrées. En 1941 pour le cinquantenaire de l’encyclique Rerum novarum, le Souverain pontife dira : « Sauvegarder le domaine intangible des droits de la personne humaine et lui faciliter l’accomplissement de ses devoirs, doit être le rôle essentiel de tout pouvoir public. N’est-ce pas là ce que comporte le sens authentique de ce bien commun que l’État est appelé à promouvoir ? d’où il suit que la charge de ce « bien commun » ne comporte pas un pouvoir si étendu sur les membres de la communauté qu’en vertu de ce pouvoir il soit permis à l’autorité publique d’entraver le développement de l’action individuelle […], de décider directement sur le commencement ou (en dehors du cas de légitime châtiment) sur le terme de la vie humaine, de fixer à son gré la manière dont il devra se conduire dans l’ordre physique, spirituel, religieux et moral, en opposition avec les devoirs et droits personnels de l’homme, et à telle fin d’abolir ou rendre inefficace le droit naturel aux biens matériels. Vouloir déduire une telle extension de pouvoir du soin de procurer le bien commun serait fausser le sens même du bien commun et tomber dans l’erreur d’affirmer que la fin propre de l’homme sur la terre est la société, que la société est à elle-même sa propre fin, que l’homme n’a pas d’autre vie qui l’attende après celle qui se termine ici-bas. »[24] Cette analyse met bien en évidence la conjonction entre les droits personnels et les devoirs sociaux tout en insistant sur l’ouverture à la transcendance. La société gardienne et artisan du bien commun ne peut être close sur elle-même. Et, faut-il encore le rappeler, peu importe le régime politique car « l’âme de tout État, quel qu’il soit, c’est kle sens intime, profond, du bien commun ; c’est le souci non seulement de se procurer à soi-même la place au soleil, mais de l’assurer aussi aux autres, chacun dans la mesure de ses obligations et de ses responsabilités personnelles. C’est à quoi vise, autant que la loyauté et la justice, une saine et profitable politique sociale, génératrice de paix et de prospérité. »[25] Le « bien commun est la fin et la règle de l’État et de ses organes. »[26] Non seulement l’État mais aussi tous les organismes sociaux et finalement tous les individus doivent promouvoir le bien commun. Ainsi, « toute organisation tendant à améliorer les conditions de vie des travailleurs serait un mécanisme sans âme et par là sans vie et sans fécondité, si sa charte ne proclame et ne prescrit efficacement en tout premier lieu, le respect de toute personne humaine, quelle que soit sa condition sociale ; deuxièmement la reconnaissance de la solidarité de tous pour former la vaste famille humaine, créée par la Toute-Puissance aimante de Dieu ; troisièmement l’exigence impérieuse qui impose à la société de placer le bien commun au-dessus de tout intérêt privé, le service de tous au profit de tous. »[27] Le bien commun repose sur 3 fondements : « la Vérité, la Justice et la Charité »[28] et ce remède aux maux du siècle demande « la coalition de tous les gens de bien du monde entier pour une action de grande envergure, loyalement comprise et en parfait accord […]. »⁠[29] Pie XI avait déjà pris position en faveur sur le plan universel d’« un ordre social où la prospérité matérielle résulte d’u ne collaboration sincère de tous au bien général et sert d’appui à des valeurs plus hautes, celles de la culture et, par-dessus tout, l’union indéfectible des esprits et des cœurs. »[30]

L’évolution des sociétés impose de plus en plus la nécessité d’un bien commun universel. Jean XXIII. Après avoir très brièvement rappelé que le bien commun « comporte l’ensemble des conditions sociales qui permettent et favorisent dans les hommes le développement intégral de leur personnalité »[31], il va détailler les droits et devoirs réciproques, souligner l’insuffisance de l’organisation des pouvoirs publics pour assurer le bien commun universel et saluer l’Organisation des nations unies qui, dans sa Déclaration universelle des droits de l’homme, malgré quelques points contestables, est « un pas vers l’établissement d’une organisation juridico-politique de la communauté mondiale » nécessaire à la promotion du bien commun universel tout en étant difficile à réaliser.⁠[32]

Le concile Vatican II, dans la Constitution pastorale Gaudium et spes, 1965, reprend la définition lapidaire de Jean XXIII mais l’élargit quelque peu : le bien commun est l’« ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée ». Et le concile reconnaît à la suite du saint pape que ce bien commun « prend aujourd’hui une extension de plus en plus universelle, et par suite recouvre des droits et des devoirs qui concerne tout le genre humain. Tout groupe doit tenir compte des besoins et des légitimes aspirations des autres groupes, et plus encore du bien commun de l’ensemble de la famille humaine. »[33]

Au passage, la constitution note que le souci du bien commun s’enracine dans la conscience de chaque homme où travaille l’Esprit de Dieu : c’est le « ferment évangélique […] qui a suscité et suscite dans le cœur humain une exigence incoercible de dignité »[34] et a fait grandir cette conscience.⁠[35] S’il faut « que chacun considère son prochain, sans aucune exception, comme 'un autre lui-même’ » et si « nous avons l’impérieux devoir de nous faire le prochain de n’importe quel homme »[36] et « de le servir activement »[37], si nous devons tous prendre « très à cœur de compter les solidarités sociales parmi les principaux devoirs de l’homme d’aujourd’hui et de les respecter »[38], ce ne peut être qu’au terme d’une conversion qui nous débarrasse de notre égoïsme naturel et de notre volonté de puissance. Autrement dit, s’il faut « entreprendre de vastes transformations sociales », « il faut travailler au renouvellement des mentalités »[39]. A défaut, l’ordre social ne pourra tourner au vrai bien des personnes, à leur complet épanouissement. Sans cette conversion, comment cet ordre pourrait-il « sans cesse se développer, avoir pour base la vérité, s’édifier sur la justice, et être vivifié par l’amour » ? Comment pourrait-il « trouver dans la liberté un équilibre toujours plus humain »[40].

Le bien commun apparaît donc de plus en plus comme le fruit de la solidarité et de la charité.

Solidarité et charité qui doivent s’étendre à la terre entière puisque, comme va le rappeler Paul VI à la suite de Jean XXIII⁠[41] : « la question sociale est devenue mondiale »[42] et elle réclame « une action concertée pour le développement intégral de l’homme et le développement solidaire de l’humanité »[43].

La solidarité devient, dans l’enseignement de Jean-Paul II, pour ainsi dire, une « vertu » (le pape met le mot entre guillemets), indispensable à la réalisation du bien commun Il explique qu’il est encourageant que de plus en plus de gens à travers le monde soient de plus en plus conscient de leur « interdépendance » : « quand l’interdépendance est ainsi reconnue, la réponse correspondante, comme attitude morale et sociale et comme « vertu », est la solidarité. Celle-ci n’est donc pas un sentiment de compassion vague ou d’attendrissement superficiel pour les maux subis par tant de personnes proches ou lointaines. Au contraire, c’est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun, c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que tous nous sommes vraiment responsables de tous. »[44] Cette vertu sociale doit faire barrage au « désir de profit » et à « la soif de pouvoir »[45], péchés qui engendrent des « structures de péché ».⁠[46] Cet appel à la solidarité est un appel à vivre, « avec l’aide de la grâce divine », l’Évangile, c’est-à-dire « se dépenser pour le bien du prochain en étant prêt, au sens évangélique du terme, à « se perdre » pour l’autre au lieu de l’exploiter, et à « le servir » au lieu de l’opprimer à son propre profit. »[47]

Le pape Benoît XVI accentue encore cette dimension morale et spirituelle de l’action à entreprendre en vue du bien commun en reliant la solidarité à l’amour que nous devons, à l’image du Christ, nourrir non seulement pour le Père mais aussi pour nos frères, pour tous nos frères car « dans une société en voie de mondialisation, le bien commun et l’engagement en sa faveur ne peuvent pas ne pas assumer les dimensions de la famille humaine tout entière, c’est-à-dire de la communauté des peuples et des nations, au point de donner forme d’unité et de paix à la cité des hommes, et d’en faire, en quelque sorte, la préfiguration anticipée de la cité sans frontières de Dieu. »[48]

C’est l’amour qui nous commande de « prendre en grande considération le bien commun ». En effet, « aimer quelqu’un, c’est vouloir son bien et tout mettre en œuvre pour cela. » Et « à côté du bien individuel, il y a un bien lié à la vie en société : le bien commun. » Et voici comment Benoît XVI le définit : « c’est le bien du 'nous-tous’, constitué d’individus, de familles et d groupes intermédiaires qui forment une communauté sociale. » Le pape attire notre attention sur le fait qu’à la différence d’autres biens, le bien commun « n’est pas un bien recherché pour lui-même, mais pour les personnes qui font partie de la communauté sociale et qui, en elle seule, peuvent arriver réellement et plus efficacement à leur bien. »

Ceci dit, vouloir et rechercher ce bien commun, « c’est, dit le pape, une exigence de la justice et de la charité », inséparables comme nous l’avons déjà vu.⁠[49] « L’engagement pour le bien commun, quand la charité l’anime, a une valeur supérieure à celle de l’engagement purement séculier et politique. comme tout engagement en faveur de la justice, il s’inscrit dans le témoignage de la charité divine qui, agissant dans le temps, prépare l’éternité. Quand elle est inspirée et animée par la charité, l’action de l’homme contribue à l’édification de cette cité de dieu universelle vers laquelle avance l’histoire de la famille humaine. »[50] La responsabilité des chrétiens est donc grande et déterminante comme nous le verrons dans le chapitre suivant.

Toutes ces notions sont si importantes qu’elles sont entrées comme nous l’avons vu, dans le Catéchisme[51] et surtout dans le Compendium.

Que retenir ?

Que le principe du bien commun découle « de la dignité, de l’unité et de l’égalité de toutes les personnes ».

Que le bien commun « peut être compris comme la dimension sociale et communautaire du bien moral. »[52]

Si, bien entendu, « les exigences du bien commun dérivent des conditions sociales de chaque époque », elles « sont étroitement liées au respect et à la promotion intégrale de la personne et de ses droits fondamentaux »[53]. Le but est bien l’épanouissement des personnes et des groupes de personnes, un épanouissement intégral c’est-à-dire à la fois matériel, moral et spirituel.⁠[54]

Retenons aussi

Que « le bien commun ne consiste pas dans la simple somme des biens particuliers de chaque sujet du corps social » : il est « commun, car indivisible » et ce n’est qu’ensemble qu’on peut « l’atteindre, […] l’accroître et […] le conserver notamment en vue de l’avenir. » ⁠[55]

Et donc si tous ont « le droit de bénéficier des conditions de vie sociale qui résultent de la recherche du bien commun », « le bien commun engage tous les membres de la société : aucun n’est exempté de collaborer, selon ses propres capacités, à la réalisation et au développement de ce bien. »[56]

En effet, le bien commun est « un bien appartenant à tous les hommes et à tout l’homme. La personne ne peut pas trouver sa propre réalisation uniquement en elle-même, c’est-à-dire indépendamment de son être « avec » et « pour » les autres. »[57]

Si tous sont impliqués, « la responsabilité de poursuivre le bien commun revient non seulement aux individus, mais aussi à l’État, car le bien commun est la raison d’être de l’autorité politique » et chaque gouvernement doit « harmoniser avec justice les divers intérêts sectoriels. »[58] Et dans la mesure où il y a un bien commun mondial (paix, respect de la planète, commerce libre et équitable), il n’est pas étonnant que Jean XXIII, Benoît XVI et François aient insisté sur l’importance d’une autorité mondiale, surtout morale, réglée par le droit, qui puisse en avoir la charge. Il n’empêche qu’il serait contradictoire de s’en remettre uniquement à ces autorités supérieures, nationales ou supranationales, dans la promotion du bien commun : le bien commun est la responsabilité de tous et de chacun. Nous y reviendrons.

Enfin, il ne faut jamais oublier que « le bien commun de la société n’est pas une fin en soi ; il n’a de valeur qu’en référence à la poursuite des fins dernières de la personne et au bien commun universel de la création tout entière. Dieu est la fin dernière de ses créatures et en aucun cas on ne peut priver le bien commun de sa dimension transcendante, qui dépasse mais aussi achève la dimension historique. » ⁠[59]

Pour clore momentanément ce chapitre, veillons à bien faire la distinction entre le bien commun et un bien commun qui est un bien collectif, c’est-à-dire un bien « dont l’usage ne peut pas être privatisé » : « personne ne peut être exclu de son usage ».

Le bien commun ne peut être confondu avec l’intérêt général qui porte sur des questions matérielles, varie suivant les circonstances et « peut entraîner des conséquences négatives sur les personnes. »[60]

*


1. DAGUET François, op. cit., p. 106.
2. SERRA-COATANEA Dominique, Le défi actuel du Bien commun dans la doctrine sociale de l’Église, Etudes à partir de l’approche de Gaston Fessard s.j.,Etudes de théologie et d’éthique, volume 10, LIT Verlag, 2016, pp. 15-16. Cette thèse a été soutenue au Centre de Sèvres (Faculté jésuite). Née en 1963, docteur en théologie, D. Serra-Coatanea, a dirigé le Centre de Recherche en Entreprenariat social (CRESO) de l’Université catholique de Lyon (UCLy) de Lyon et est maître de conférences en théologie morale et éthique sociale à la Faculté de théologie de l’Université catholique de l’ouest (UCO) à Angers. Elle nous servira de guide en maints endroits.
3. RN, in Marmy, 435.
4. COATANEA D., op. cit., p. 19.
5. RN, in Marmy, n° 434.
6. RN, in Marmy 438-439.
7. Id., 440.
8. Dans le CEC, au n° 1807, on lit: « La justice est la vertu morale qui consiste dans la constante et ferme volonté de donner à Dieu et au prochain ce qui leur est dû. la justice envers Dieu est appelée « vertu de religion ». Envers les hommes, elle dispose à respecter les droits de chacun et à établir dans les relations humaines l’harmonie qui promeut l’équité à l’égard des personnes et du bien commun. L’homme juste, souvent évoqué dans les Livres saints, se distingue par la droiture habituelle de ses pensées et la rectitude de sa conduite envers le prochain. « Tu n’auras ni faveur pour le petit, ni complaisance pour le grand ; c’est avec justice que tu jugeras ton prochain » (Lv 19, 15). « Maîtres, accordez à vos esclaves le juste et l’équitable, sachant que, vous aussi, vous avez un Maître au ciel » (Col 4, 1). »
9. RN, in Marmy, 466-467.
10. Id., 471.
11. Id., 490.
12. Encyclique Inter sollicitudines, 1892.
13. Lettre aux cardinaux français Notre consolation 1892 (où le pape revient sur la thèse défendue dans l’encyclique précédente qui a été, semble-t-il, mal comprise par quelques-uns).
14. RN, in Marmy 459.
15. Pie XI, encyclique Divinis Illius Magistri, 1929, in Marmy 374.
16. Cf. par exemple QA, in Marmy, 589.
17. Id., 553.
18. Id., 561.
19. Id., 583.
20. Id., 589. Dans l’encyclique Divini redemptoris, consacrée, en 1937, au communisme, Pie XI précise ainsi le rapport entre la justice sociale et le bien commun : « outre la justice commutative, il y a aussi la justice sociale, qui impose des devoirs auxquels patrons et ouvriers n’ont pas le droit de se soustraire. C’est précisément la fonction de la justice sociale d’imposer aux membres de la communauté tout ce qui est nécessaire au bien commun. » (In Marmy 173).
21. QA, 577.
23. Encyclique Mit brennender Sorge, 1937, in Marmy, 272. Dans le manuel de GUERRY Mgr Emile, La Doctrine sociale de l’Église : son actualité, ses dimensions, son rayonnement, Bonne Presse, 1957, on lit : « La justice sociale élargit et dépasse la justice légale. Elle concerne les rapports des citoyens envers le bien commun, soit dans leurs devoirs, soit dans leurs droits. d’une part, elle tend à faire respecter les droits naturels des membres de la communauté pour que ceux-ci soient en mesure d’accomplir leurs devoirs sociaux. d’autre part, elle incline les citoyens à rendre à la société ce qu’ils lui doivent afin que celle-ci soit en mesure de remplir sa mission envers le bien commun. »
24. Radiomessage pour le cinquantenaire de l’encyclique Rerum novarum, 1er juin 1941.
25. Radiomessage aux catholiques suisses, 14 septembre 1946.
26. Discours au patriciat et à la noblesse de Rome, 8 janvier 1947.
27. Allocution à un groupe de délégués des États-Unis à la Conférence internationale du travail, 16 juillet 1947.
28. Radiomessage aux catholiques allemands, 4 septembre 1949.
29. Discours au Congrès international des études sociales, 3 juin 1950.
30. Allocution aux membres de l’Organisation internationale du travail, 19 novembre 1954.
31. Encyclique MM, 65. Jean XXIII sera plus précis dans PT (1963) en méditant le rôle de l’autorité : « Tous les individus et tous les corps intermédiaires sont tenus de concourir, chacun dans sa sphère, au bien de l’ensemble. Et c’est en harmonie avec celui-ci qu’ils doivent poursuivre leurs propres intérêts et suivre, dans leurs apports -en biens et en services- les orientations que fixent les pouvoirs publics selon les normes de la justice et dans les formes et limites de leur compétence. […​] La fonction gouvernementale n’ayant de sens qu’en vue du bien commun, les dispositions prises par ses titulaires doivent à la fois respecter la véritable nature de ce bien et tenir compte de la situation du moment. […​] Ce bien commun ne peut être défini doctrinalement dans ses aspects essentiels et les plus profonds, ni non plus être déterminé historiquement qu’en référence à l’homme ; il est, en effet, un éléments essentiellement relatif à la nature humaine. Ensuite, la nature même de c e bien impose que tous les citoyens y aient leur part, sous des modalités diverses d’après l’emploi, le mérite et la condition de chacun. C’est pourquoi l’effort des pouvoirs publics doit tendre à ,servir les intérêts de tous sans favoritisme à l’égard de tel particulier ou de telle classe de la société. […​] Mais des considérations de justice et d’équité dicteront parfois aux responsables de l’État une sollicitude particulière pour les membres les plus faibles du corps social, moins armés pour la défense de leurs droits et de leurs intérêts légitimes. Ici, Nous devons attirer l’attention sur le fait que le bien commun concerne l’homme tout entier, avec ses besoins tant spirituels que matériels. Conçu de la sorte, le bien commun réclame des gouvernements une politique appropriée, respectueuse de la hiérarchie des valeurs, ménageant en juste proportion au corps et à l’âme les ressources qui leurs conviennent. […​] Composé d’in corps et d’une âme immortelle, l’homme ne peut, au cours de cette existence mortelle, satisfaire à toutes les requêtes de sa nature ni atteindre le bonheur parfait. Aussi les moyens mis en œuvre au profit du bien commun ne peuvent-ils faire obstacle au salut éternel des hommes, mais encore doivent-ils y aider positivement. » Et le pape conclut : « Pour la pensée contemporaine, le bien commun réside surtout dans la sauvegarde des droits et des devoirs de la personne humaine ; dès lors le rôle des gouvernants consiste surtout à garantir la reconnaissance et le respect des droits, leur conciliation mutuelle, leur défense et leur expansion, et en conséquence à faciliter à chaque citoyen l’accomplissement de ses devoirs. » (PT, 54-61).
32. PT, 141.
33. GS 26, 1.
34. Id., 26, 4.
35. Id, 26, 2.
36. Id., 27,1.
37. Id., 27, 2.
38. Id., 30, 2.
39. Id., 26, 3.
40. Id., 26, 3.
41. « On peut dire que tout problème humain de quelque importance, quel qu’en soit le contenu, scientifique, technique, économique, social, politique, culturel, revêt aujourd’hui des dimensions supranationales et souvent mondiales. » (MM, 202).
42. Encyclique PP, 1967, 3.
43. Id., 5. Ainsi, Paul VI, abordant le problème posé par certaines grandes propriétés dans le tiers-monde, reprend l’enseignement de Léon XIII sur la propriété privée et rappelle que « la propriété privée ne constitue pour personne un droit inconditionnel et absolu. Nul n’est fondé à réserver à son droit exclusif ce qui passe son besoin, quand les autres manquent du nécessaire. » Il conclut : « le bien commun exige donc parfois l’expropriation si, du fait de leur étendue, de leur exploitation faible ou nulle, de la misère qui en résulte pour les populations, du dommage considérable porté aux intérêts du pays, certains domaines font obstacle à la prospérité collective. » (PP, 23-24)
44. Encyclique SRS, 1987, n° 38.
45. Id..
46. Id., 36.
47. Id., 38. Le pape nous renvoie à Mt 10, 40-42 ; 20, 25 ; Mc 10, 42-45 ; Lc 22, 25-27. JEAN-PAUL II rappelle aussi, en évoquant le principe de subsidiarité, qu’« une société d’ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la vie interne d’une société d’ordre inférieur en lui enlevant ses compétences, mais elle doit plutôt la soutenir en cas de nécessité et l’aider à coordonner son action avec celle des autres éléments qui composent la société en vue du bien commun. » (CA 48).
48. Encyclique CV, 2009, n° 7.
49. BENOÎT XVI écrit : « Toute société élabore un système propre de justice. la charité dépasse la justice, parce qu’aimer c’est donner, offrir du mien à l’autre ; mais elle n’existe jamais sans la justice qui amène à donner à l’autre ce qui est sien, c’est-à-dire ce qui lui revient en raison de son être et de son agir. Je ne peux pas 'donner’ à l’autre du mien, sans lui avoir donné tout d’abord ce qui lui revient selon la justice. Qui aime les autres avec charité est d’abord juste envers eux. Non seulement la justice n’est pas étrangère à la charité, non seulement elle n’est pas une voie alternative ou parallèle à la charité : la justice est 'inséparable de al charité' (Pp, 22), elle lui, est intrinsèque. la justice est la première voie de la charité ou, comme le disait Paul VI, son 'minimum’ (23-8-1968), une partie intégrante de cet amour en 'actes et en vérité' (1 Jn 3, 18) auquel l’apôtre saint Jean exhorte. d’une part, la charité exige la justice : la reconnaissance et le respect des droits légitimes des individus et des peuples. Elle s’efforce de construire la cité de l’homme selon le droit et la justice. d’autre part, la charité dépasse la justice et la complète dans la logique du don et du pardon. La cité de l’homme n’est pas uniquement constituée par des rapports de droits et de devoirs, mais plus encore, et d’abord, par des relations de gratuité, de miséricorde et de communion. La charité manifeste toujours l’amour de Dieu, y compris dans les relations humaines. Elle donne une valeur théologale et salvifique à tout engagement pour la justice dans le monde. » (CV 6)
50. CV 7.
51. Le CEC dit : « Une société est un ensemble de personnes liées de façon organique par un principe d’unité qui dépasse chacune d’elles. Assemblée à la fois visible et spirituelle, une société perdure dans le temps: elle recueille le passé et prépare l’avenir. Par elle, chaque homme est constitué « héritier », reçoit des « talents » qui enrichissent son identité et dont il doit développer les fruits. A juste titre, chacun doit le dévouement aux communautés dont il fait partie et le respect aux autorités en charge du bien commun. » (n° 1880) Le CEC précise que: « Conformément à la nature sociale de l’homme, le bien de chacun est nécessairement en rapport avec le bien commun. Celui-ci ne peut être défini qu’en référence à la personne humaine. » (1905) et donc « Par bien commun il faut entendre « l’ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection, d’une façon plus totale et plus aisée » (GS 26, § 1 ; cf. GS 74, § 1). » (n° 1906) . Il comporte trois éléments essentiels: « Il suppose en premier lieu le respect de la personne en tant que telle Au nom du bien commun, les pouvoirs publics sont tenus des respecter les droits fondamentaux et inaliénables de la personne humaine. » (n° 1907) « En second lieu, le bien commun demande le bien-être social et le développement du groupe lui-même. […​] Certes il revient à l’autorité d’arbitrer, au nom du bien commun, entre les divers intérêts particuliers. mais elle doit rendre accessible à chacun ce dont il a besoin pour mener une vie vraiment humaine : nourriture, vêtement, santé, travail, éducation et culture, information convenable, droit de fronder une famille, etc.. » (n° 1908) « Le bien commun implique enfin la paix, c’est-à-dire la durée et la sécurité d’un ordre juste. » (n° 1909) « Si chaque communauté humaine possède un bien commun qui lui permet de se reconnaître en tant que telle, c’est dans la communauté politique qu’on trouve sa réalisation la plus complète. Il revient à l’État de défendre et de promouvoir le bien commun de la société civile, des citoyens et des corps intermédiaires. » (n° 1910) Sans oublier que « l’unité de la famille humaine rassemblant des êtres jouissant d’une dignité naturelle égale, implique un bien commun universel. Celui-ci appelle une organisation de la communauté des nations […​]. » (n° 1911.).
   Le bien commun est donc la fin de la société, de toute société.
52. CDSE 164.
53. CDSE 166.
54. NAUDET Jean-Yves, qu’est-ce que le bien commun ? sur https://questions.aleteia.org/articles/167/
55. CDSE 164.
56. CDSE 167.
57. CDSE 165. BENOÎT XVI précise : « la solidarité sans la subsidiarité tombe dans l’assistanat qui humilie celui qui est dans le besoin. » (CV 58).
58. CDSE 168-169.
59. CDSE 170. La religion a « droit de cité » disait Jean-Paul II (CA, 5). Benoît XVI l’explique : « La négation du droit de professer publiquement sa religion et d’œuvrer pour que les vérités de la foi inspirent aussi la vie publique a des conséquences négatives sur le développement véritable. L’exclusion de la religion du domaine public, comme, par ailleurs, le fondamentalisme religieux, empêchent la rencontre entre les personnes et leur collaboration en vue du progrès de l’humanité. la vie publique s’appauvrit et la politique devient opprimante et agressive. les droits humains risquent de ne pas être respectés soit parce qu’ils sont privés de leur fondement transcendant soit parce que la liberté personnelle n’est pas reconnue. Dans le laïcisme et dans le fondamentalisme, la possibilité d’un dialogue fécond et d’une collaboration efficace entre la raison et la foi s’évanouit.. la raison a toujours besoin d’être purifiée par la foi, et ceci vaut également pour la raison politique, qui ne doit pas se croire toute puissante. A son tour, la religion a toujours besoin d’être purifiée par la raison afin qu’apparaisse son visage humain authentique. la rupture de ce dialogue a un prix très lourd au regard du développement de l’humanité. » (CV 56).
60. NAUDET Jean-Yves, op cit..