Comme le dit François Daguet, « La notion de bien commun est le point
focal de toute la pensée politique thomasienne, et la primauté du bien
commun le paradigme de cette pensée. » On ne sera donc pas étonné de retrouver cette notion de
bien commun au fondement de la doctrine sociale chrétienne. Et cela dès
son élaboration dans l’enseignement de Léon XIII qui avait remis à
l’honneur en l’étude de la pensée de saint Thomas par l’encyclique
Aeterni patris en 1879.
« Le 'Docteur angélique’, écrit une grande
spécialiste, est […] la
référence constante qui sous-tend les développements sur le bien commun
introduits par l’encyclique Rerum Novarum (1891), texte fondateur de la
'doctrine sociale de l’Église’. » Cette inspiration est notamment
perceptible dans la manière dont le pape aborde la question de la
propriété privée. Pour les marxistes auxquels il s’oppose, « les biens
de chacun doivent être communs à tous »
et donc « le bien commun prime sur les droits
personnels ». Droits
fondamentaux qui ne sont pas mieux respectés dans la conception libérale
qui favorise « la concentration, entre les mains de quelques-uns, de
l’industrie et du commerce devenus le partage d’un petit nombre d’hommes
opulents et de ploutocrates qui imposent ainsi un joug presque servile à
l’infinie multitude des prolétaires ». Quand donc Léon XIII déclare que si « Dieu a donné la terre au
genre humain tout entier pour qu’il l’utilise et en jouisse, […]
cela signifie non pas qu’ils doivent la posséder confusément, mais que
Dieu n’a assigné de part à aucun homme en particulier. il a abandonné la
délimitation des propriétés à la sagesse des hommes et aux institutions
des peuples. Au reste, quoique divisée en propriétés privées, la terre
ne laisse pas de servir à la commune utilité de tous, attendu qu’il
n’est personne parmi les mortels qui ne se nourrisse du produit des
champs. Qui en manque y supplée par le travail. » Le bien commun « terre » est là pour que chaque homme
puisse en jouir en accédant à la propriété privée ne serait-ce que par
le travail. Nul ne peut posséder en privant les autres de l’accès à la
propriété ou de l’accès au travail. Pour reprendre le vocabulaire de
saint Thomas, nous dirons que le bien périssable de la communauté est
moins important que le bien impérissable de la personne qui a besoin
pour s’épanouir d’une « part de la nature matérielle qu’il a cultivée et
où il a laissé comme une certaine empreinte de sa personne, si bien
qu’en toute justice il en devient propriétaire et qu’il n’est permis
d’aucune manière de violer son droit. » En tout
cas, Léon XIII s’est rendu compte que la justice sociale était une
exigence du bien commun.
Ces réflexions sur la propriété illustrent aussi la dialectique
personne-communauté que la référence au bien commun éclaire
harmonieusement. Il est bien entendu que « La fin de la société civile
embrasse universellement tous les citoyens. Elle réside dans le bien
commun, c’est-à-dire dans un bien auquel tous et chacun ont le droit de
participer dans une mesure proportionnelle ». d’une part, les dirigeants
« travaillent directement au bien commun ». De leur côté, « Ceux au
contraire qui s’appliquent aux choses de l’industrie ne peuvent
concourir à ce bien commun, ni dans la même mesure, ni par les mêmes
voies. Eux aussi cependant, quoique d’une manière moins directe,
servent grandement les intérêts de la société. Sans nul doute, le bien
commun dont. l’acquisition doit avoir pour effet de perfectionner les
hommes est principalement un bien moral. Mais, dans une société bien
constituée, il doit se trouver encore une certaine abondance de biens
extérieurs « dont l’usage est requis à l’exercice de la vertu » (Saint
Thomas, De regimine principum, I, 15) » Tous les citoyens donc travaillent pour le bien commun de la
société et en même temps, « Les droits doivent partout être
religieusement respectés. L’État doit les protéger chez tous les
citoyens en prévenant ou en vengeant leur violation. Toutefois, dans la
protection des droits privés, il doit se préoccuper d’une manière
spéciale des faibles et des indigents. » Et ce
qu’il faut viser avant tout, c’est « le perfectionnement moral et
religieux ». Par là, le bien de la personne dépasse
le bien de la société qui doit lui permettre de grandir en ce sens.
L’année suivante, la question du régime politique qui agite toujours les
catholiques de France, amène le pape à préciser sa position. En ce qui
concerne les différentes formes de gouvernement, il écrit que « chacune
d’elles est bonne, pourvu qu’elle sache marcher droit à sa fin,
c’est-à-dire le bien commun, pour lequel l’autorité sociale est
constituée. » Un pouvoir, explique-t-il, « considéré en lui-même […]
continue d’être immuable et digne de respect ; car, envisagé dans sa
nature, il est constitué et s’impose pour pourvoir au bien commun, but
suprême qui donne son origine à la société humaine. » Le bien commun
« est, après Dieu, dans la société, la loi première et dernière. »
Ainsi, « la loi est une prescription ordonnée selon la raison et
promulguée, pour le bien de la communauté, par ceux qui ont reçu à cette
fin le dépôt du pouvoir. » Tels sont les principes fondamentaux. Il faut d’une part
« accepter sans arrière-pensée, avec cette loyauté parfaite qui convient
au chrétien, le pouvoir civil dans la forme où, de fait, il existe.[…]
Et la raison de cette acceptation, c’est que le bien commun de la
société l’emporte sur tout autre intérêt ; car il est le principe
créateur, il est l’élément conservateur de la société humaine ; d’où il
suit que tout vrai citoyen doit le vouloir et le procurer à tout prix.
Or, de cette nécessité d’assurer le bien commun dérive, comme de sa
source propre et immédiate, la nécessité d’un pouvoir civil qui,
s’orientant vers le but suprême, y dirige sagement et constamment les
volontés multiples des sujets, groupés en faisceau dans sa main. Lors
donc que, dans une société, il existe un pouvoir constitué et mis à
l’œuvre, l’intérêt commun se trouve lié à ce pouvoir, et l’on doit, pour
cette raison, l’accepter tel qu’il est. » Mais d’autre part « Après
avoir solidement établi dans notre Encyclique cette vérité, Nous avons
formulé la distinction entre le pouvoir politique et la législation, et
Nous avons montré que l’acceptation de l’un n’impliquait nullement
l’acceptation de l’autre ; dans les points où le législateur, oublieux
de sa mission, se mettait en opposition avec la loi de Dieu et de
l’Église. Et, que tous le remarquent bien, déployer son activité et user
de son influence pour amener les gouvernements à changer en bien des
lois iniques ou dépourvues de sagesse, c’est faire preuve d’un
dévouement à la patrie aussi intelligent que courageux, sans accuser
l’ombre d’une hostilité aux pouvoirs chargés de régir la chose
publique. »
De l’enseignement fondateur de Léon XIII, une grande leçon est à
retenir, en tout cas pour l’avenir et l’action : « à qui veut régénérer
une société quelconque en décadence, on prescrit avec raison de la
ramener à ses origines. La perfection de toute société consiste, en
effet, à poursuivre et à atteindre la fin en vue de laquelle elle a été
fondée, en sorte que tous les mouvements et tous les actes de la vie
sociale naissent du même principe d’où est née la société. Aussi,
s’écarter de la fin, c’est aller à la mort ; y revenir, c’est reprendre
vie. »
Désormais, dans toutes les circonstances et face à diverses menaces, la
réplique sera toujours de chercher le bien commun.
Méditant sur l’éducation chrétienne de la jeunesse, Pie XI définit ainsi
le bien commun temporel : il « consiste dans la paix et la sécurité
dont les familles et les citoyens jouissent dans l’exercice de leurs
droits et en même temps dans le plus grand bien-être spirituel et
matériel possible en cette vie, grâce à l’union et à la coordination des
efforts de tous. » Il en conclut, sur le plan de l’éducation, que « la
fonction de l’autorité civile qui réside dans l’État est donc double:
protéger et faire progresser la famille et l’individu, mais sans les
absorber ou s’y substituer. »
Face au libéralisme, nommé aussi individualisme, qui oublie l’aspect social attaché à toute
propriété, il rappelle que « l’autorité publique peut […],
s’inspirant des véritables nécessités du bien commun, déterminer, à la
lumière de la loi naturelle et divine, l’usage que les propriétaires
pourront ou ne pourront pas faire de leurs biens. » « Il importe […] d’attribuer à chacun ce qui lui revient et de
ramener aux exigences du bien commun ou aux normes de la justice sociale
la distribution des ressources de ce monde, dont le flagrant contraste
entre une poignée de riches et une multitude d’indigents atteste de nos
jours, aux yeux de l’homme de cœur, les graves
dérèglements. » Le libéralisme viole l’ordre
« quand le capital n’engage les ouvriers ou la classe des prolétaires
qu’en vue d’exploiter à son gré et à son profit personnel l’industrie et
le régime économique tout entier, sans tenir compte ni de la dignité
humaine des ouvriers, ni du caractère social de l’activité économique,
ni même de la justice sociale et du bien commun. »
« Enfin les institutions des divers peuples doivent conformer tout
l’ensemble des relations humaines aux exigences du bien commun,
c’est-à-dire aux règles de la justice sociale. » Plus exactement encore,
« à la justice et à la charité sociales. » « Car,
explique Dominique Coatanea, si l’exercice de la charité ne peut jamais
tenir lieu des devoirs de justice, la justice seule ne peut parvenir à
l’union des volontés et au rapprochement des cœurs. » En effet, « pour
Pie XI, continue-t-elle, la collaboration de tous en vue du bien
commun ne s’obtient que si l’homme a l’intime conviction d’être membre
d’un même corps, de sorte que la souffrance de l’un est la souffrance de
tous. Cette -analogie fondatrice de la foi en Christ souligne la
puissance de l’unité visée dans la charité comme fin pertinente de la
genèse du bien commun. »
Face au nazisme, Pie XI rappelle que l’État gardien du bien commun ne
peut tout se permettre car le respect de la personne st un élément
fondamental du bien commun : « l’homme, en tant que personne, possède des
droits qu’il tient de Dieu et qui doivent demeurer vis-à-vis de la
collectivité hoirs de toute atteinte qui tendrait à les nier, à les
abolir ou à les négliger. Mépriser cette vérité, c’est oublier que le
véritable bien commun est déterminé et reconnu, en dernière analyse, par
la nature de l’homme, qui équilibre harmonieusement droits personnels et
obligations sociales, et par le but de la société, déterminé aussi par
cette même nature humaine. La société est voulue par le Créateur comme
le moyen d’amener à leur plein développement les dispositions
individuelles et les avantages sociaux que chacun, donnant et recevant
tour à tour, doit faire valoir pour son bien et celui des
autres. »
On trouve dans l’enseignement de Pie XII plusieurs définitions du bien
commun qui se recoupent et recoupent celles que nous avons déjà
rencontrées. En 1941 pour le cinquantenaire de l’encyclique Rerum
novarum, le Souverain pontife dira : « Sauvegarder le domaine intangible
des droits de la personne humaine et lui faciliter l’accomplissement de
ses devoirs, doit être le rôle essentiel de tout pouvoir public.
N’est-ce pas là ce que comporte le sens authentique de ce bien commun
que l’État est appelé à promouvoir ? d’où il suit que la charge de ce
« bien commun » ne comporte pas un pouvoir si étendu sur les membres de la
communauté qu’en vertu de ce pouvoir il soit permis à l’autorité
publique d’entraver le développement de l’action individuelle […],
de décider directement sur le commencement ou (en dehors du cas de
légitime châtiment) sur le terme de la vie humaine, de fixer à son gré
la manière dont il devra se conduire dans l’ordre physique, spirituel,
religieux et moral, en opposition avec les devoirs et droits personnels
de l’homme, et à telle fin d’abolir ou rendre inefficace le droit
naturel aux biens matériels. Vouloir déduire une telle extension de
pouvoir du soin de procurer le bien commun serait fausser le sens même
du bien commun et tomber dans l’erreur d’affirmer que la fin propre de
l’homme sur la terre est la société, que la société est à elle-même sa
propre fin, que l’homme n’a pas d’autre vie qui l’attende après celle
qui se termine ici-bas. » Cette
analyse met bien en évidence la conjonction entre les droits personnels
et les devoirs sociaux tout en insistant sur l’ouverture à la
transcendance. La société gardienne et artisan du bien commun ne peut
être close sur elle-même. Et, faut-il encore le rappeler, peu importe le
régime politique car « l’âme de tout État, quel qu’il soit, c’est kle
sens intime, profond, du bien commun ; c’est le souci non seulement de se
procurer à soi-même la place au soleil, mais de l’assurer aussi aux
autres, chacun dans la mesure de ses obligations et de ses
responsabilités personnelles. C’est à quoi vise, autant que la loyauté
et la justice, une saine et profitable politique sociale, génératrice de
paix et de prospérité. » Le « bien commun est la fin et la règle de
l’État et de ses organes. » Non seulement l’État mais aussi tous
les organismes sociaux et finalement tous les individus doivent
promouvoir le bien commun. Ainsi, « toute organisation tendant à
améliorer les conditions de vie des travailleurs serait un mécanisme
sans âme et par là sans vie et sans fécondité, si sa charte ne proclame
et ne prescrit efficacement en tout premier lieu, le respect de toute
personne humaine, quelle que soit sa condition sociale ; deuxièmement la
reconnaissance de la solidarité de tous pour former la vaste famille
humaine, créée par la Toute-Puissance aimante de Dieu ; troisièmement
l’exigence impérieuse qui impose à la société de placer le bien commun
au-dessus de tout intérêt privé, le service de tous au profit de
tous. » Le bien
commun repose sur 3 fondements : « la Vérité, la Justice et la
Charité » et ce remède aux maux du siècle demande « la coalition
de tous les gens de bien du monde entier pour une action de grande
envergure, loyalement comprise et en parfait accord
[…]. » Pie XI avait déjà pris position en faveur sur
le plan universel d’« un ordre social où la prospérité matérielle
résulte d’u ne collaboration sincère de tous au bien général et sert
d’appui à des valeurs plus hautes, celles de la culture et, par-dessus
tout, l’union indéfectible des esprits et des
cœurs. »
L’évolution des sociétés impose de plus en plus la nécessité d’un bien
commun universel. Jean XXIII. Après avoir très brièvement rappelé que le
bien commun « comporte l’ensemble des conditions sociales qui permettent
et favorisent dans les hommes le développement intégral de leur
personnalité », il va détailler les droits et devoirs
réciproques, souligner l’insuffisance de l’organisation des pouvoirs
publics pour assurer le bien commun universel et saluer l’Organisation
des nations unies qui, dans sa Déclaration universelle des droits de
l’homme, malgré quelques points contestables, est « un pas vers
l’établissement d’une organisation juridico-politique de la communauté
mondiale » nécessaire à la promotion du bien commun universel tout en
étant difficile à réaliser.
Le concile Vatican II, dans la Constitution pastorale Gaudium et spes,
1965, reprend la définition lapidaire de Jean XXIII mais l’élargit
quelque peu : le bien commun est l’« ensemble de conditions sociales qui
permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre
leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée ». Et le concile
reconnaît à la suite du saint pape que ce bien commun « prend
aujourd’hui une extension de plus en plus universelle, et par suite
recouvre des droits et des devoirs qui concerne tout le genre humain.
Tout groupe doit tenir compte des besoins et des légitimes aspirations
des autres groupes, et plus encore du bien commun de l’ensemble de la
famille humaine. »
Au passage, la constitution note que le souci du bien commun s’enracine
dans la conscience de chaque homme où travaille l’Esprit de Dieu : c’est
le « ferment évangélique […] qui a suscité et suscite dans le cœur
humain une exigence incoercible de dignité » et
a fait grandir cette conscience. S’il faut « que
chacun considère son prochain, sans aucune exception, comme 'un autre
lui-même’ » et si « nous avons l’impérieux devoir de nous faire le
prochain de n’importe quel homme » et « de
le servir activement », si nous devons tous
prendre « très à cœur de compter les solidarités sociales parmi les
principaux devoirs de l’homme d’aujourd’hui et de les respecter »
, ce ne peut être qu’au terme d’une conversion
qui nous débarrasse de notre égoïsme naturel et de notre volonté de
puissance. Autrement dit, s’il faut « entreprendre de vastes
transformations sociales », « il faut travailler au renouvellement des
mentalités ». A défaut, l’ordre social ne pourra
tourner au vrai bien des personnes, à leur complet épanouissement. Sans
cette conversion, comment cet ordre pourrait-il « sans cesse se
développer, avoir pour base la vérité, s’édifier sur la justice, et être
vivifié par l’amour » ? Comment pourrait-il « trouver dans la liberté un
équilibre toujours plus humain ».
Le bien commun apparaît donc de plus en plus comme le fruit de la
solidarité et de la charité.
Solidarité et charité qui doivent s’étendre à la terre entière puisque,
comme va le rappeler Paul VI à la suite de Jean XXIII : « la question sociale est devenue
mondiale » et elle réclame « une
action concertée pour le développement intégral de l’homme et le
développement solidaire de l’humanité ».
La solidarité devient, dans l’enseignement de Jean-Paul II, pour ainsi
dire, une « vertu » (le pape met le mot entre guillemets), indispensable
à la réalisation du bien commun Il explique qu’il est encourageant que
de plus en plus de gens à travers le monde soient de plus en plus
conscient de leur « interdépendance » : « quand l’interdépendance est
ainsi reconnue, la réponse correspondante, comme attitude morale et
sociale et comme « vertu », est la solidarité. Celle-ci n’est donc pas un
sentiment de compassion vague ou d’attendrissement superficiel pour les
maux subis par tant de personnes proches ou lointaines. Au contraire,
c’est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien
commun, c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que tous
nous sommes vraiment responsables de tous. » Cette vertu sociale doit faire barrage au « désir de
profit » et à « la soif de pouvoir », péchés qui
engendrent des « structures de péché ». Cet appel à
la solidarité est un appel à vivre, « avec l’aide de la grâce divine »,
l’Évangile, c’est-à-dire « se dépenser pour le bien du prochain en étant
prêt, au sens évangélique du terme, à « se perdre » pour l’autre au lieu
de l’exploiter, et à « le servir » au lieu de l’opprimer à son propre
profit. »
Le pape Benoît XVI accentue encore cette dimension morale et spirituelle
de l’action à entreprendre en vue du bien commun en reliant la
solidarité à l’amour que nous devons, à l’image du Christ, nourrir non
seulement pour le Père mais aussi pour nos frères, pour tous nos frères
car « dans une société en voie de mondialisation, le bien commun et
l’engagement en sa faveur ne peuvent pas ne pas assumer les dimensions
de la famille humaine tout entière, c’est-à-dire de la communauté des
peuples et des nations, au point de donner forme d’unité et de paix à la
cité des hommes, et d’en faire, en quelque sorte, la préfiguration
anticipée de la cité sans frontières de Dieu. »
C’est l’amour qui nous commande de « prendre en grande considération le
bien commun ». En effet, « aimer quelqu’un, c’est vouloir son bien et
tout mettre en œuvre pour cela. » Et « à côté du bien individuel, il y a
un bien lié à la vie en société : le bien commun. » Et voici comment
Benoît XVI le définit : « c’est le bien du 'nous-tous’, constitué
d’individus, de familles et d groupes intermédiaires qui forment une
communauté sociale. » Le pape attire notre attention sur le fait qu’à la
différence d’autres biens, le bien commun « n’est pas un bien recherché
pour lui-même, mais pour les personnes qui font partie de la communauté
sociale et qui, en elle seule, peuvent arriver réellement et plus
efficacement à leur bien. »
Ceci dit, vouloir et rechercher ce bien commun, « c’est, dit le pape,
une exigence de la justice et de la charité », inséparables comme nous
l’avons déjà vu.
« L’engagement pour le bien commun, quand la charité l’anime, a une
valeur supérieure à celle de l’engagement purement séculier et
politique. comme tout engagement en faveur de la justice, il s’inscrit
dans le témoignage de la charité divine qui, agissant dans le temps,
prépare l’éternité. Quand elle est inspirée et animée par la charité,
l’action de l’homme contribue à l’édification de cette cité de dieu
universelle vers laquelle avance l’histoire de la famille
humaine. » La responsabilité des chrétiens est donc
grande et déterminante comme nous le verrons dans le chapitre suivant.
Toutes ces notions sont si importantes qu’elles sont entrées comme nous
l’avons vu, dans le Catéchisme et
surtout dans le Compendium.
Que le principe du bien commun découle « de la dignité, de l’unité et de
l’égalité de toutes les personnes ».
Que le bien commun « peut être compris comme la dimension sociale et
communautaire du bien moral. »
Si, bien entendu, « les exigences du bien commun dérivent des conditions
sociales de chaque époque », elles « sont étroitement liées au respect
et à la promotion intégrale de la personne et de ses droits
fondamentaux ». Le but est bien l’épanouissement
des personnes et des groupes de personnes, un épanouissement intégral
c’est-à-dire à la fois matériel, moral et spirituel.
Que « le bien commun ne consiste pas dans la simple somme des biens
particuliers de chaque sujet du corps social » : il est « commun, car
indivisible » et ce n’est qu’ensemble qu’on peut « l’atteindre, […]
l’accroître et […] le conserver notamment en vue de l’avenir. »
Et donc si tous ont « le droit de bénéficier des conditions de vie
sociale qui résultent de la recherche du bien commun », « le bien commun
engage tous les membres de la société : aucun n’est exempté de
collaborer, selon ses propres capacités, à la réalisation et au
développement de ce bien. »
En effet, le bien commun est « un bien appartenant à tous les hommes et
à tout l’homme. La personne ne peut pas trouver sa propre réalisation
uniquement en elle-même, c’est-à-dire indépendamment de son être « avec »
et « pour » les autres. »
Si tous sont impliqués, « la responsabilité de poursuivre le bien commun
revient non seulement aux individus, mais aussi à l’État, car le bien
commun est la raison d’être de l’autorité politique » et chaque
gouvernement doit « harmoniser avec justice les divers intérêts
sectoriels. » Et dans la mesure où il y a un
bien commun mondial (paix, respect de la planète, commerce libre et
équitable), il n’est pas étonnant que Jean XXIII, Benoît XVI et François
aient insisté sur l’importance d’une autorité mondiale, surtout morale,
réglée par le droit, qui puisse en avoir la charge. Il n’empêche qu’il
serait contradictoire de s’en remettre uniquement à ces autorités
supérieures, nationales ou supranationales, dans la promotion du bien
commun : le bien commun est la responsabilité de tous et de chacun. Nous
y reviendrons.
Enfin, il ne faut jamais oublier que « le bien commun de la société
n’est pas une fin en soi ; il n’a de valeur qu’en référence à la
poursuite des fins dernières de la personne et au bien commun universel
de la création tout entière. Dieu est la fin dernière de ses créatures
et en aucun cas on ne peut priver le bien commun de sa dimension
transcendante, qui dépasse mais aussi achève la dimension historique. »
Pour clore momentanément ce chapitre, veillons à bien faire la
distinction entre le bien commun et un bien commun qui est un bien
collectif, c’est-à-dire un bien « dont l’usage ne peut pas être
privatisé » : « personne ne peut être exclu de son usage ».
Le bien commun ne peut être confondu avec l’intérêt général qui porte
sur des questions matérielles, varie suivant les circonstances et « peut
entraîner des conséquences négatives sur les
personnes. »