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Chapitre 4 : Le 'vivre-ensemble’ ?

Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères,
sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots.
— Martin Luther King

L’action culturelle à laquelle tous nous sommes invités, on va le voir, va bien au delà de ce que Monsieur tout-le-monde envisage quand d’aventure l’actualité l’inquiète ou le heurte. Il se confie à son voisin, laisse une protestation sur les réseaux sociaux, écrit au courrier des lecteurs de sa gazette préférée, au mieux lance une pétition ou, s’il se sent un surhomme, organise une manifestation…​ et le mensonge triomphant passe[1] et continue de passer.

L’obsession du résultat immédiat ou à court terme conduit ces réactions souvent épidermiques et qui ne semblent en rien changer le désordre établi[2] appelé aussi dissociété[3] ou encore « société « désintégrée »[4].

En tout cas, le chrétien ne peut se replier sur le passé, s’enfermer dans la nostalgie du « bon vieux temps » où tout le monde, croit-on, était chrétien. On se réunit entre nostalgiques entretenant le même fantasme et si possible à l’intérieur de la même chapelle, à l’abri du monde, de ses nouveautés pour se préserver des miasmes de la modernité ou de la post-modernité…​

A ceux qui ont la nostalgie d’une chrétienté mythique moyen-âgeuse, il est bien de rappeler que la seule chrétienté existant réellement est la chrétienté de conviction qui, dit Th.-D. Humbrecht, « n’a rien du repli sur soi de ceux qui sont encore chrétiens, repli sur le passé, sur un groupe et même sur un lieu. Le repli sur le passé est stérilisant pour trois raisons. la première : il se fonde sur ce qui n’est plus, oublie d’investir le présent et de construire l’avenir. la deuxième : il reconstruit le passé pour le rendre idéal, configuration imaginative insuffisamment réaliste pour féconder ce que le présent charrie de tradition. la troisième : il signe l’échec de ce qu’il représente, comme si le christianisme était nécessairement lié à une situation culturelle au lieu d’avoir reçu les promesses de la vie éternelle et de dépasser les conditionnements périssables des sociétés. »⁠[5]

Quelle voie d’action s’ouvre à ce christianisme de conviction ? « Celle qui consiste à renouer les liens entre le christianisme et la culture. »[6] C’est dit l’auteur « une carte maîtresse à jouer ».⁠[7] Une carte maîtresse à jouer dans un monde, il faut en être bien conscient, qui nous tend le piège anesthésiant du vivre ensemble.

Tâchons de bien comprendre le danger.

On peut accepter les définitions de la modernité et de la postmodernité données par Th.-D. Humbrecht lorsqu’il écrit que « La modernité entend régenter la foi par la raison ; la postmodernité, quant à elle, prétend ne plus accorder de crédit à la raison elle-même. »[8] Il continue en précisant que « Si la postmodernité déconstruit la raison et l’universel, elle n’a donc aucun motif de supporter une religion qui se prétend révélée par Dieu, porteuse d’une vérité réglée selon l’autorité et pourtant en harmonie avec la raison avec, bien entendu, la mémoire commune d’une société qui fut catholique, mémoire refoulée et honnie. »[9]

Cette description est, d’une certaine manière, corroborée par Guy Haarscher. A la recherche d’un fondement des droits de l’homme, il constate : « notre hédonisme de protégés ne garantit nullement notre engagement pour les droits de tous (nous sommes à maints égards des humanistes imaginaires) ; le machiavélisme des gouvernants ne « lâchera » des droits qu’au profit de ceux qui sont capables de les impose. dans les deux cas, le sort des véritables destinataires de cette morale - les humiliés et offensés incapables de peser par eux-mêmes sur les Realpolitiker, ou d’intéresser réellement les hédonistes assoupis de l’Occident tardif - est sans espoir. Et s’il fallait se porter au-delà du machiavélisme et d l’hédonisme pour fonder une morale de l’extrême urgence et garantir les droits de ceux qui se trouvent en deçà de tout combat possible, du moins dans l’immédiat, nous nous trouverions confrontés à la crise de la religion et à celle, tout aussi inéluctable, de la métaphysique rationaliste. Alors, que reste-t-il ? cette éducation, justement, cette volonté -sans appui, sans filet protecteur, sans Grand Cosmos accueillant pour la justifier - de transmettre l’héritage, de continuer. »[10]

Eduquer, vouloir, transmettre l’héritage, c’est bien le programme du chrétien engagé aujourd’hui. C’est-à-dire, ne rien sacrifier de ce qui a été acquis, reçu même si le monde n’en veut plus, s’en détourne ou le méprise.

Or, au nom du vivre ensemble, ceux qui se réfèrent à Dieu ou à la raison ou aux deux, sont priés de mettre une sourdine à leurs discours.

Le « vivre-ensemble »⁠[11] est devenu la norme suprême dans les pays occidentaux. mais que recouvre cette expression ?

A l’attention des autochtones et des immigrés, un site officiel⁠[12] en Belgique pose la question : « qu’est-ce que 'vivre ensemble’ dans une société donnée, quand celle-ci évolue, sous la pression de toute  une série de facteurs socio-économiques et d’une réalité incontournable : une mixité culturelle toujours plus  importante de par l’arrivée de nombreuses personnes venant des quatre coins du monde, avec des  références, des modes de vie et des normes juridiques et sociales qui peuvent être très différentes ? » Pour répondre à cette question, le site, avec force développements, veut montrer « ce qui semble constituer les soubassements idéologiques dominants de notre société, au vu notamment d’analyses menées par divers sociologues » c’est-à-dire « les valeurs et les normes qui sont dominantes dans la société d’accueil à un moment donné », valeurs et normes, précise-t-on, susceptibles de varier suivant les milieux, l’éducation, l’âge et les convictions, ce qui peut dérouter celui qui n’est pas familier de la liberté individuelle et a vécu dans un cadre strict. Il n’empêche, est-il ajouté, que « tout n’est cependant pas relatif et le non-respect de certaines normes sociales est susceptible d’entraîner des sanctions sociales pouvant se manifester, par exemple, sous la forme de la réprobation ou du dédain. » L’objectif « n’est pas de convaincre du bien-fondé ou non des normes présentées mais bien d’informer de leur existence afin de limiter, autant que possible, les risques de malentendus et les tensions inutiles. » Il s’agit de « permettre au nouveau-venu de « décoder » les différentes situations auxquelles il est susceptible d’être confronté et de le  sensibiliser au caractère variable des codes en fonction de l’environnement social. Et ce, afin de lui permettre d’y évoluer le plus sereinement possible et de pouvoir agir en connaissance de cause, quel que soit son choix final de respect ou non des normes sociales présentées. » Le site va donc présenter les « normes et les valeurs » en clarifiant le sens de ces mots « au niveau sociologique » et en énonçant « les principales valeurs caractérisant (toujours au niveau sociologique) les sociétés occidentales actuelles, et donc notamment la société belge. » Valeurs qui inspirent les normes⁠[13] et qui sont définies comme des idéaux qui serviront de critères de référence, d’appréciation et de jugement. Ces critères portent sur certaines conceptions du bon, de l’agréable, du bien, du juste, du beau, du vrai. Elles changent suite à des « mutations importantes » (guerre, révolution, réformes institutionnelles ou religieuses, changement démographique, innovations techniques, initiatives relevant des défis posés par l’environnement, etc.) mais elles contribuent à maintenir la structure du groupe. Il est précisé qu’il n’est pas question « de procéder à un quelconque jugement (positif ou négatif) à l’égard des valeurs qui vont être citées mais bien de sensibiliser le lecteur à la place occupée par certaines de celles-ci dans la société et de les recontextualiser. De même, il importe de ne pas oublier qu’il s’agit ici de parler des valeurs centrales de sociétés en général et non d’individus en particulier. » Les auteurs précisent encore que " l’essentiel n’est pas tant dans le libellé de ces valeurs mais bien dans la façon dont elles vont être interprétées et se décliner concrètement au sein des sociétés par le biais des normes juridiques et des normes sociales. En effet, toutes les valeurs citées ne vont pas nécessairement se décliner de la même façon selon les époques ni les pays. Parmi les valeurs centrales dans les sociétés occidentales, on peut citer notamment celles de « liberté », d’« égalité », d’« efficacité », de « travail » et de « famille ». » qui, selon la présentation historique qui en est faite ont pris leur sens actuel - on a envie d’écrire 'leur vrai sens’- à partir du XVIIIe siècle seulement. Examinons quelques-unes de ces valeurs.

La liberté « implique le droit pour l’individu de diriger sa destinée, de régler ses affaires en toute indépendance, de prendre des initiatives (liberté d’entreprendre), d’exprimer ouvertement ses idées et de les défendre, d’aller où l’on veut, d’être maître chez soi, de fonder des groupes, d’y participer, de ne pouvoir être arrêté et poursuivi arbitrairement, de pouvoir être défendu en justice, d’être athée ou d’embrasser la religion de son choix, etc. » C’est la liberté ainsi décrite qui a « sous-tendu, au 20ième siècle, les luttes qui ont été menées dans le cadre de la contraception, de l’avortement et de l’euthanasie et qui ont débouché, dans un certain nombre de pays, sur une législation en la matière : la liberté de pouvoir disposer de son corps […]. Elle intervient également dans le choix du conjoint (liberté de choix), de même que dans celle de l’orientation sexuelle (liberté d’être hétérosexuel ou homosexuel). »

L’efficacité « a été à la fois la condition du progrès économique et technique et sa conséquence. C’est, en effet, avec le progrès technique que cette valeur a pris une importance de plus en plus grande. Elle implique la rationalité des moyens, la recherche d’un rendement maximum, d’une productivité toujours accrue. Elle implique aussi que le temps soit valorisé en terme économique.

Le travail. « C’est à partir du 18ième siècle que le travail, comme valeur, s’impose. On pense, à partir de cette époque, que l’homme se réalise lui-même et exprime sa pleine humanité par le travail. Activité conforme à la nature de l’homme, le travail est vu au 18ième siècle comme nécessaire à la santé et protégeant de l’ennui et de l’oisiveté. La société moderne a hérité de cette conception de l’homme pleinement humain en tant qu’Homo faber, homme industrieux. […] Toutefois si la valeur « travail » reste essentielle, on a vu, avec la réduction du temps de travail, les valeurs « hors travail » (loisirs) progresser et ce, depuis les années 1970.

La famille. C’est à son propos que l’on constate le mieux peut-être le caractère purement sociologique de l’approche. En effet, « Les structures familiales, les formes, les dimensions, les fonctions, les rapports entre ses membres, de même que les rapports entretenus avec l’extérieur varient avec le temps et les types de sociétés. » Aujourd’hui, « La fonction de protection a été relayée par des puissants substituts fonctionnels : les pensions de vieillesse, les allocations de chômage, les indemnités de maladie, les hospices, etc. Dans sa fonction d’éducation, elle a été secondée, de plus en plus tôt et de plus en plus longtemps, par l’école. Sur le plan affectif, par contre, la famille est devenue un élément essentiel. La famille garde également une influence primordiale sur la sélection et l’intériorisation des messages et des valeurs proposés par les mass media. d’une manière générale, les familles nucléaires (parents-enfants), de type conjugal, ont remplacé les familles étendues. L’enfant est considéré comme porteur de droits. L’autorité parentale n’est pas inconditionnelle. Sur le plan de sa structure interne, le contrôle social réciproque au sein de la famille tend à s’estomper. Chacun peut développer des horizons et des préoccupations distincts. La structure unifiée et hiérarchique tend à s’atténuer. Les rôles sont moins bien définis. Le partage des responsabilités entre époux s’intensifie, de nouveaux rapports dans le couple apparaissent. Les types de familles sont diversifiés (couples mariés, co-habitants, familles mono-parentales, familles recomposées,…). La gamme est beaucoup plus complexe qu’autrefois et varie selon les milieux sociaux mais aussi selon l’âge, les étapes de la vie familiale et certains traits culturels. La fécondité (avec le développement des moyens contraceptifs) est devenue un phénomène de volonté humaine qui varie selon les milieux sociaux et culturels. La classe sociale et l’appartenance religieuse jouent un grand rôle sur « le nombre idéal d’enfants ». L’enfant est souvent le véritable noyau de la famille et notamment son « agent socialisateur » en matière de pratiques culturelles nouvelles. La virginité n’est plus une norme sociale. Les taux de divorce sont en augmentation. Le lien du mariage n’est plus considéré comme inconditionnel. Les taux de divorce traduisent une nouvelle conception de la famille impliquant plus d’exigences quant à la qualité des liens affectifs. Le choix du conjoint n’est plus réglementé, prévu, organisé par la famille, comme autrefois. Les transformations de la famille sont inséparables des transformations de la société toute entière.

A la lecture de ces quelques extraits, on se rend aisément compte que les chrétiens ne peuvent se satisfaire de « valeurs » ainsi définies, évolutives, même si le document reconnaît qu’il y a « des valeurs qui concernent tous les humains, sans distinction aucune. » Ce sont les valeurs répertoriées dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui énumère « les libertés et les droits fondamentaux […] inhérents à tout être humain, […] inaliénables. » Cette référence est curieuse car elle contredit la définition sociologique des valeurs qui, nous dit-on, évoluent. Par ailleurs nous savons aussi qu’ils sont de plus en plus nombreux ceux qui contestent l’immuabilité de la Déclaration…​

Mais il est intéressant de poursuivre notre lecture car après avoir évoqué ces généralités, le document aborde au sein de la société belge le problème de la rencontre de cultures et de valeurs différentes : " au-delà de l’aspect interpersonnel et des sensibilités de chacun, tout l’enjeu est de savoir si « l’incident » pose ou non un problème de fond en terme de « vivre ensemble » au sein d’une même société régie par une base commune de normes et valeurs. […] En effet, si certains modes de vie et comportements sont facilement et couramment admis au niveau de la société et peuvent même parfois faire l’objet d’une curiosité et même d’ « emprunts » (au niveau musical, littéraire et artistique en général, culinaire, décoratif,…), ce n’est, par contre, pas le cas pour d’autres. Cette attitude de refus à l’égard de certains modes de vie et comportements est l’expression concrète de valeurs auxquelles une société donnée n’est pas prête à renoncer. La société belge ne fait pas exception. » A cet endroit, le site convoque le rapport final de « la Commission du dialogue interculturel mise en place par le gouvernement belge […] note : « On se trompe en réduisant la liberté de croyances, d’opinions et de comportements à la seule « liberté individuelle » de dire et de faire n’importe quoi. Il ne faut pas confondre la tolérance avec une forme de relativisme qui consiste à penser que toutes les opinions et croyances se valent. Notre pays ne saurait ainsi renoncer à l’idéal de l’égalité entre hommes et femmes, (…) croyants et non croyants, etc., ou à celui de liberté d’expression ou de mode d’existence, ou encore de progrès par la connaissance et par l’esprit critique. Le rappel des normes inhérentes à tout État de droit démocratique, et des valeurs qui font la dynamique de notre société, permet d’écarter d’emblée les pratiques culturelles ou autres qui portent atteinte à la dignité de la personne humaine. Une pratique ne devient pas respectable du seul fait qu’elle est inhérente à un groupe donné. » La conclusion de cette citation est particulièrement éclairante : « Il y a une limite au pluralisme démocratique, qui s’impose au nom du pluralisme démocratique lui-même et qui peut faire l’objet d’une sanction pénale. (…) les principes fondamentaux (…) doivent être protégés contre toute remise en cause. (…). ».

Ils sont protégés par les normes notamment juridiques (Constitution, Code civil, Code pénal) qui « ont pour point commun de toutes participer à la protection concrète de la valeur dont elles relèvent, une même valeur pouvant se décliner, parfois, de façon fort différente. […] De par leur caractère juridique, ces normes doivent être respectées par toutes les personnes vivant en Belgique, indépendamment de leur nationalité, culture d’origine, opinion,… De même, toutes les personnes vivant en Belgique peuvent les invoquer afin de protéger leurs droits.

Une rubrique intitulée « A la rencontre de certaines « valeurs » et « normes » existant en Belgique » reprend l’essentiel de ce qui a été dit précédemment mais apporte quelques précisons et compléments intéressants.

L’égalité, qui est « elle aussi fille du 18ième » , interdit toute discrimination directe et « Il y a discrimination directe si une différence de traitement qui manque de justification objective et raisonnable est directement fondée sur le sexe, une prétendue race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique, l’orientation sexuelle, l’état civil, la naissance, la fortune, l’âge, la conviction religieuse ou philosophique, l’état de santé actuel ou futur, un handicap ou une caractéristique physique. » Ainsi, un propriétaire peut être condamné pour homophobie s’il refuse de louer son logement à un couple homosexuel.

La valeur de solidarité, « qui tout comme celle de « l’égalité » implique le principe d’universalité des droits, va, nous dit-on, va se développer particulièrement à partir du 19ième siècle, siècle qui va connaître d’importants mouvements de lutte menés par la classe ouvrière afin d’acquérir des droits sociaux et politiques. »

L’autonomie est une valeur qui découle du fait que « l’individu naît libre » et donc « il lui est loisible de prendre des décisions, il devient indépendant et par là-même autonome » c’est-à-dire qu’il agit, décide par lui-même et sans être dépendant « à l’égard d’autrui ou des pouvoirs publics ». Nul ne peut y renoncer et comme « il y a égalité en droits, la loi ne peut pas par principe octroyer plus de capacité de décision à l’un qu’à l’autre. »

A la suite, est soulignée l’importance de l’individu. « L’individualisme croissant, tant dénoncé par l’Église comme par divers penseurs, correspond avant tout, nous dit-on, à l’affirmation de la primauté de la personne sur le groupe. Il ne doit cependant pas être assimilé purement et simplement à un repli sur soi ou à de l’égoïsme, ni à un rejet du lien social (nombreux sont ceux à s’engager dans la vie associative). » Le mot « personne », dans cette description, est donc synonyme d’« individu » qui est le terme dominant : « la société contemporaine est une société d’individus ». On nous explique qu’« on est progressivement (au fil de l’histoire) passé de la communauté (où le groupe prime sur l’individu) à la société, où la conscience de soi précède la conscience d’appartenir à un groupe. Ce qui prime désormais, c’est l’individu, le sujet qui se définit par son individualité, son historicité, et qui est responsable de son destin . »[14]

Enfin, un très long chapitre -et cette longueur est symptomatique- est consacré au « progrès par la connaissance et par l’esprit critique. […] Il s’agit-là d’un héritage de la Renaissance et du Siècle des Lumières. […] Cette valeur implique l’aspiration à la connaissance des possibilités humaines et la réflexion de l’homme sur lui-même, de même que le refus de tout ce qui fait obstacle au développement de l’esprit. Ainsi, la primauté de l’esprit scientifique sur la Providence (c’est-à-dire le gouvernement de Dieu) est affirmée. » Dans l’enseignement qui doit être neutre, est mis en exergue « l’enseignement des théories de l’évolution au cours de biologie ». Cet enseignement est conforme à une résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe⁠[15] longuement citée et prolongée. Le but est d’« empêcher que la croyance ne s’oppose à la science » et aussi d’insister sur l’ « importance capitale » de la science. C’est elle en effet qui « a permis une amélioration considérable des conditions de vie et de travail, et est un facteur non négligeable de développement économique, technologique et social. […] La science est une irremplaçable école de rigueur intellectuelle. Elle ne prétend pas expliquer le « pourquoi des choses » mais cherche à comprendre le « comment ».⁠[16] Et en particulier, « L’enseignement de l’ensemble des phénomènes concernant l’évolution en tant que théorie scientifique fondamentale est (…) essentiel pour l’avenir de nos sociétés et de nos démocraties. À ce titre, il doit occuper une place centrale dans les programmes d’enseignement, et notamment des programmes scientifiques, aussi longtemps qu’il résiste, comme toute autre théorie, à une critique scientifique rigoureuse. »[17]

Outre l’enseignement de la science et la théorie de l’évolution, il faut développer « l’esprit critique ». Et « Avoir un esprit critique, c’est être capable de saisir la relativité des différents savoirs et paradigmes par rapport à une problématique donnée (niveau abstrait), de faire jouer les savoirs les uns par rapport aux autres autour d’un objet donné (niveau plus concret) »

En conclusion, on peut dire que le « vivre-ensemble » s’appuie sur la légalité et un laïcisme à venir qui confine la religion à la sphère privée et qui, sur le plan des « valeurs », a banni définitivement toute référence à la vérité ou au bien en soi.

Le détour a été long mais il ,valait la peine car si énormément de livres, d’articles, de sites sont consacrés au « vivre-ensemble », il est rare, de la part d’une instance officielle, d’y consacrer tant d’attention et de précisions.⁠[18] Il est rare aussi de découvrir que cette « philosophie » du « vivre-ensemble » débouche sur un projet pédagogique comme c’est le cas en Fédération Wallonie-Bruxelles à travers le cours de philosophie et de citoyenneté. Sur le site www.enseignement.be, le lecteur trouvera tout le détail des démarches à suivre dans les enseignements fondamental et secondaire. Quel que soit le niveau, le but est « Etre et construire ensemble ». Les auteurs précisent : « Nous entendons par un « être et construire ensemble », la construction de l’individu en tant qu’être unique en interaction avec les autres […] face aux problèmes communs de l’existence (problèmes politiques, sociaux, économiques, environnementaux, culturels, etc.) ».⁠[19] Cette démarche⁠[20] est la base de ce « cours » qui n’a rien d’un cours ordinaire puisque l’enseignant est a comme mission d’amener « l’élève à mettre en œuvre ce rapport où le citoyen est l’individu qui se constitue, qui se construit au travers de l’autre, des autres, au travers de la société et du monde auquel il appartient. » Il faut apprendre à exprimer son opinion devant les autres et d’accepter la diversité. Philosopher c’est « s’intéresser au langage, aux idées d’autrui : c’est dialoguer, débattre […]. C’est comprendre et accepter que diverses représentations et interprétations du monde coexistent et peuvent être la source, le moteur d’enrichissements mutuels. » Dans le cadre de ce « cours », « il s’agit d’offrir à tous les élèves l’occasion de construire leur système autonome de valeurs personnelles.[21] Chacun est invité à examiner la concordance entre ses actions, ses pensées et ses sentiments dans un acte global et personnel de choix judicieux et positif. Pour arriver à déterminer si un choix ou une prise de décision est réellement autonome, les élèves sont amenés à comparer leur position avec celle des autres, en particulier celle de leurs proches, pour préciser s’ils les suivent ou s’ils ont exploré eux-mêmes la question. » Le but est d’entraîner à la démocratie en acceptant la diversité.⁠[22]

Au niveau de l’enseignement secondaire⁠[23], la pratique et l’objectif restent les mêmes à travers un parcours plus élaboré certes mais qui « a pour objectifs de former aux différents enjeux de la citoyenneté et d’amener les élèves : à reconnaitre la pluralité des formes de raisonnement, des conceptions du monde et de la pluralité des normes et des valeurs ; à pouvoir argumenter une position en la situant par rapport à d’autres positions possibles ; à expliciter et problématiser les grandes catégories et oppositions conceptuelles qui structurent et déterminent nos façons de penser, le plus souvent sans que nous en ayons conscience ou sans que nous y ayons réfléchi ; à penser par eux-mêmes tout en développant la part d’inventivité et de créativité que l’on attend du citoyen dans une société démocratique. »[24] Et, à nouveau, l’attitude de l’enseignant est déterminante « puisque, dans l’exercice de ses fonctions, il est tenu de « neutraliser » ses propres opinions religieuses, « philosophiques » ou politiques afin d’offrir à ses élèves un enseignement qui leur permette de s’orienter par eux-mêmes dans la complexité des faits et la diversité des idées.[25] _À cet endroit, on ne répètera jamais assez que la défense des libertés et des droits fondamentaux, notamment les droits humains que l’État belge a coulés dans sa Constitution, ne relève pas de l’opinion politique, mais bien du cadre juridique que tout enseignant est appelé à enseigner et à promouvoir. »

Donc, l’esprit critique s’arrête face ces « droits coulés dans la Constitution », quelque soit leur formulation et leur contenu, semble-t-il.

Très concrètement, pour exercer le « vivre-ensemble », on propose d’ « aborder les attentats en classe », de « lutter contre le radicalisme », de favoriser l’« ouverture aux langues et aux cultures » et de lutter « contre les discriminations, préjugés et stéréotypes ». Tout propos n’est donc pas acceptable.

Somme toute, d’entrée, le fond du programme est donné par l’entremise d’une citation de Nietzsche : la vérité en philosophie « n’est ni à trouver, ni à découvrir, elle est une chose à produire » .

Ces programmes n’ont pas rencontré de vives protestations. les syndicats se sont simplement inquiétés de l’organisation pratique de ces « cours ». La critique la plus pertinente, semble-t-il, est venue d’un doctorant et assistant en théorie politique de l’Université de Cambridge⁠[26] et membre du Groupe du vendredi⁠[27], plateforme politique pour jeunes d’horizons divers soutenue par la Fondation Roi Baudouin.⁠[28] Arthur Ghins rappelle opportunément qu’à l’origine, ce cours avait été baptisé « cours de rien » par la ministre Milquet qui en fut la promotrice. Quelques années plus tard, le projet mis en route, il s’agit toujours sous l’appellation pompeuse « Cours de philosophie et de citoyenneté », d’un « cours de rien ». Après examen des documents cités auxquels nous nous sommes aussi référés, l’auteur se demande si « l’on va faire des citoyens à coups d’énoncés creux du type 'think out the Box’ »[29]. Il dénonce la pédagogie qui « repose sur l’illusion qu’il suffit de mettre des adolescents autour de la table et de discuter d’un sujet vaguement défini pour que la lumière se fasse dans toutes les têtes. cette approche procède en fait d’un cruel déni de réalité : comme si une réflexion commune se construisait ex nihilo, sans connaissances préalables, mettant progressivement tout le monde d’accord, au-delà des divergences d’opinions et à l’abri des dynamiques de groupe. Elle est par ailleurs profondément élitiste : il ne faut pas avoir beaucoup enseigné pour se rendre compte que ce type de démarche va bénéficier aux fortes têtes ou aux élèves avancés, qui bien vite prendront la main sur les élèves ayant plus de difficultés ou une moins forte personnalité. » Comme nous le suggérions plus haut, Ghins accuse également « la fabrique du relativisme », bien que les auteurs de cette réforme s’en défendent: « ce cours est destiné à diffuser l’idée que tout se vaut, qu’il n’y a pas de mieux ou de moins bien, mais seulement une diversité de points de vue qu’il faut respecter. Sous couvert de neutralité, c’est bien une pensée relativiste -)qui est un vrai parti-pris philosophique - que l’on distille. »[30] dans ces conditions, l’auteur doute qu’on parvienne à « faire des citoyens engagés » car « pour s’engager en politique, il faut croire en quelque chose, adhérer à un corpus de valeurs, avoir envie de défendre un certain mode de vie. Or c’est précisément l’idée que tout se vaut qui finit par tarir la source de la ; participation citoyenne. Tolérer l’opinion des autres ne résume pas l’idée de citoyenneté qui est autrement plus exigeante. Tel qu’il est prévu, le cours de citoyenneté sape la participation politique à la base. A quoi bon débattre si tous les points de vue sont équivalents ? »[31] Toutefois, le relativisme n’est pas absolu : nous avons vu qu’il y a des lois, des valeurs avec lesquelles on ne transige pas : les lois et valeurs établies : la constitution d’une part et la construction de la vérité d’autre part. Enfin, l’auteur souhaite « que l’on donne de quoi penser aux élèves. Il est urgent de leur fournir des clés d’appartenance afin qu’ils puissent ensuite suivre leur propre route. l’histoire et la culture enthousiasmeront davantage les jeunes en demande de pensées fortes et donneront lieu à des débats en classe autrement plus stimulants et intéressants qu’une table ronde sur le 'vivre ensemble’. »[32]

Revenons à ce 'vivre-ensemble’ qui obsède nos princes et nos pédagogues, ce vivre-ensemble qui se présente, écrit un éditorialiste⁠[33], comme « le grand slogan censé incarner la paix sociale […] un appel, un mot d’ordre, une évidence, une règle d’or, une morale, […], un Graal démocratique et un combat. » Cette expression, continue-t-il, « pourtant ne veut rien dire. Le slogan qui tient lieu de projet, de vision du monde, d’éthique et de ligne de conduite est, en lui-même, d’une insondable vacuité. mais comme ça ne veut rien dire en particulier, ça veut dire en même temps : […] défendre l’œcuménisme, la tolérance et la mixité, lutter contre la solitude, l’indifférence, le racisme ou le communautarisme, et même, désormais, le terrorisme... » C’est une « auberge espagnole où bons sentiments et bonnes intentions ont enfin, exclusivement, droit de cité ». Mais « si creuse soit-elle (et peut-être même pour cette raison), l’invitation à vivre-ensemble résonne comme une obligation de vivre-ensemble et, à cette fin, d’éviter entre nous les sujets qui fâchent, ce qui en fait une forme sournoise d’intolérance qui prétend parvenir à la concorde entre les citoyens en bannissant tous les motifs de désaccord. la société que l’idole du 'vivre-ensemble’ appelle de ses vœux est une société tellement ouverte…​ qu’elle exclut tous ceux qui sont moins ouverts qu’elle ! »[34] Beaucoup pensent « que, pour obtenir la paix, il fallait lisser les aspérités, écraser les nuances et éviter les disputes, or c’est exactement l’inverse : une société qui redoute les désaccords ou les affrontements n’est pas une société en paix, c’est une société en danger, qui se censure elle-même. » Enfin, « sous des airs chaleureux, le 'vivre-ensemble’ n’est qu’une modalité coercitive de la volonté générale : quiconque refus d’y obéir 'y sera contraint par tout le corps [social] ; ce qui ne signifie autre chose sinon qu’on le forcera d’être libre’ (Rousseau). Gare aux mauvaises pensées ! Le 'vivre-ensemble’ veille au grain. Au pays du 'vivre-ensemble’, c’est la force qui fait l’union, et non l’inverse. le 'vivre-ensemble’, c’est le pire du Bien. »

« Ce vivre ensemble, déclare de son côté le Fr. Humbrecht, est aussi sur un volcan, celui d’une pratique politique sans vérité autre que décidée démocratiquement, et un comportement collectif de plus en plus garanti par les lois qui permettent ou interdisent. Cette figure de la vérité doit beaucoup à des choix philosophiques que l’on a le droit de contester, elle manifeste aussi une sorte de régression humaine. on en revient à une morale du permis et du défendu, puisque l’éthique n’a plus d’autre fondement commun. »[35]

Partons donc à la recherche d’un fondement commun.


1. Allusion au discours prononcé par Jean Jaurès et adressé à la jeunesse à Albi (France) en 1903: « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. »
2. C’est le titre d’un ouvrage de RENOUVIN Bertrand, Le désordre établi, Stock, 2015. L’auteur (né en 1943), militant royaliste, y fustige les errements de la « droite » française. Toutefois Emmanuel Mounier (1905-1950) a été, semble-t-il, le premier à employer cette expression à propos de la crise de 1936.
3. C’est le titre d’un livre de GENEREUX Jacques, La dissociété, A la recherche du progrès humain, Essais/Points, 2011, mais le mot a été créé jadis par DE CORTE Marcel (1905-1994) et employé dans deux articles réunis dans un volume intitulé, De la dissociété, Perrin, 2002.
4. MARSEGUERRA Giovanni, coordinateur du Comité scientifique de la Fondation « Centesimus annus-Pro Pontifice », in La Croix, 19 mai 2017.
5. Op. cit., pp. 186-187.
6. Sur l’importance du lien religion-culture, on peut lire ROY Olivier, La sainte ignorance, Le temps de la religion sans culture, La couleur des idées, Seuil, 2008.
7. HUMBRECHT Th.-D., op. cit., p. 188.
8. Id., p. 184.
9. Id., p. 185. : « il y a connivence entre la grande ambition rationaliste et les religions monothéistes - entre les deux fondements évidents (et au moins partiellement concurrents) des droits de l’homme à l’époque des Déclarations. » (HAARSCHER Guy, Philosophie des droits de l’homme, Editions de l’Université de Bruxelles, 1993 p. 127.
10. Id., pp.127-130 et notamment p. 130.
11. Il ne s’agit évidemment pas ici de l’Action Vivre Ensemble qui est une association catholique de lutte contre l’exclusion sociale en Wallonie et à Bruxelles. Cette association veut « sensibiliser aux causes de l’exclusion sociale et de la pauvreté en Belgique francophone » et « encourager les chrétiens et tous les citoyens épris de justice sociale à s’engager aux côtés des plus précarisés, de Wallonie et de Bruxelles, pour construire une société plus solidaire et élaborer avec eux des alternatives au modèle néo-libéral dominant. Notre mission Nous promouvons la solidarité, la réduction des inégalités et la lutte contre la pauvreté ». cf. https://vivre-ensemble.be/-Action-Vivre-Ensemble-
13. Les normes « assurent la régularité de la vie sociale et comprennent, bien sûr, les règles fixées à l’avance, les lois, les procédures dont se dotent les groupes et les sociétés. » Elles « sont souvent assorties de sanctions […​] en cas de non-respect. » Sanctions qui peuvent être juridiques ou sociales (la réprobation, le dédain, l’exclusion d’un groupe, l’indifférence.)
14. L’exemple donné est significatif. Aujourd’hui la religion se vit « à la carte » : « À la religion héritée et transmise jusqu’alors de génération en génération se substitue une religion personnalisée. Le respect des valeurs normatives s’estompe au profit de la liberté individuelle de penser et d’agir. De plus en plus de croyants se « construisent » leur religion, empruntant même parfois à différentes traditions.
15. Dangers du créationnisme dans l’éducation - Résolution 1580 (2007) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, texte adopté par l’Assemblée le 4 octobre 2007 (35e séance).
16. Et le document insiste sur la nécessité de eiller « à défendre et à promouvoir le savoir scientifique ;
   à renforcer l’enseignement des fondements de la science, de son histoire, de son épistémologie et de ses méthodes, aux côtés de l’enseignement des connaissances scientifiques objectives ; à rendre la science plus compréhensible, plus attractive et plus proche des réalités du monde contemporain ; à s’opposer fermement à l’enseignement du créationnisme en tant que discipline scientifique au même titre que la théorie de l’évolution, et, en général, à ce que des thèses créationnistes soient présentées dans le cadre de toute discipline autre que celle de la religion ; à promouvoir l’enseignement de l’évolution en tant que théorie scientifique fondamentale dans les programmes généraux d’enseignement. »
17. Ici aussi, les auteurs s’attardent : « Jusqu’au début du 19ième siècle, la plus grande partie du monde occidental, prenant au pied de la lettre le récit biblique de la Genèse, pensait que les plantes, les animaux et l’homme avaient tous été créés par Dieu en six jours, sous la forme que nous leur connaissons aujourd’hui. Il a fallu attendre 1809 et les travaux du zoologiste français Jean-Baptiste Lamarck, puis cinquante ans plus tard ceux du naturaliste anglais, Charles Darwin, pour que l’idée de la transformation des espèces vivantes au cours du temps soit clairement formulée.
   L’évolutionnisme est une théorie matérialiste et scientifique. Matérialiste, parce qu’elle est entièrement basée sur des faits avérés ; scientifique parce qu’elle est construite sur un édifice de connaissances fondées sur l’observation, l’analyse rationnelle et la déduction de conclusions qui peuvent être sujettes à vérification voire même à réfutation.
   La science ne prétend pas énoncer des vérités. Elle progresse par essais et erreurs. La méthodologie scientifique exige le doute systématique. Il reste des questions ouvertes et même des controverses scientifiques concernant certains aspects de l’évolution. Ces questions font l’objet de débats scientifiques, mais, quelle que soit leur issue, elles ne mettent pas en question l’ensemble de la théorie.
   La théorie de l’évolution constitue indiscutablement le fil conducteur de la pensée biologique moderne. Bien que la biologie actuelle ne prétende pas répondre à toutes les questions concernant l’origine et l’évolution de la vie, la compréhension des mécanismes de l’évolution s’améliore continuellement et la théorie de l’évolution est considérée aujourd’hui comme solide. »
18. Souvent la présentation est plus sommaire. Ainsi, sur le site de l’Association belge francophone pour la formation, la recherche et l’intervention sociale (ABFRIS) (http://abfris.be/journees-detude/2014-2/penser-le-vivre-ensemble-quelques-reperes/), SCHMETZ Roland, le 30 mars 2014, se pose la question de savoir « comment amener chacun d’avoir une place dans la société, à en être ? ». Au XIXe siècle c’était la question des « classes laborieuses » aujourd’hui, il s’agit surtout des « surnuméraires », inutiles, « superfétatoires » donner une place aux exclus, leur permettre d’avoir des relations utiles avec les autres et principalement économiques. Pour certains, vivre ensemble « c’est d’abord partager un gâteau (en parts inégales) et assurer la police de ce partage, c’est-à-)dire faire savoir et faire respecter l’état du partage » . Mais aujourd’hui, pour l’auteur, le vivre ensemble « est certes l’expression d’un partage à l’intérieur d’un groupe mais aussi plus fondamentalement l’expression de la contestation du partage effectué » et « il n’est pas imaginable que certains n’aient pas part à la discussion ».
19. Programme d’études Cycles 2,3 et 4 (enseignement fondamental).
20. Voici les étapes de cette démarches : « 1. Construire une pensée autonome et critique 1 Élaborer un questionnement philosophique 2 Assurer la cohérence de sa pensée 3 Prendre position de manière argumentée Chapitre 2. Se connaitre soi-même et s’ouvrir à l’autre 4 Développer son autonomie affective 5 Se décentrer par la discussion 6 S’ouvrir à la pluralité des cultures et des convictions Chapitre 3. Construire la citoyenneté dans l’égalité en droits et en dignité 7 Comprendre les principes de la démocratie 8 Se reconnaitre, soi et tous les autres, comme sujets de droits Chapitre 4. S’engager dans la vie sociale et l’espace démocratique 9 Participer au processus démocratique 10 Contribuer à la vie sociale et politique. »
21. Pour permettre aux élèves de choisir leurs valeurs propres, le professeur -animateur, serait plus correct- demande, par exemple : « - d’où tiens-tu cette idée ? De qui ? - d’autres pensent-ils comme toi ? - qu’en disent tes parents et tes amis ? - prends-tu cette décision pour toi ou pour faire plaisir à quelqu’un ? - te sens-tu obligé(e) d’agir comme cela ? - pourquoi agis-tu ainsi ? - qu’arriverait-il si tout le monde agissait de cette façon ? » Et pour que l’élève apprécie son choix, il s’entendra demander : « - veux-tu communiquer ton point de vue à la classe ? - te sens-tu fier(ère) de ton choix ? - te sens-tu à l’aise face à ce choix ? - veux-tu faire partie des délégués de classe et aller voir le directeur pour lui exposer cette idée ? - as-tu parlé de cette décision à une personne de confiance ? " Enfin, pour qu’il agisse selon ce choix, d’autres questions viendront: « - veux-tu passer à l’action ? - souhaites-tu agir en fonction de ton choix ? - es-tu prêt(e) à t’engager pour cette idée ? - as-tu envie de faire partie d’un groupe qui agit pour améliorer cette situation ? »
22. Un exemple proposé dans les « situations mobilisatrices » : on demande aux enfants de réagir face à une série de photos présentant différents « portraits de famille » où toutes les types de familles sont représentés y compris avec deux pères ou deux mères. On apprend ainsi aux enfants à découvrir différents modes de vie et il n’est évidemment pas question d’établir une hiérarchie. Chaque enfant choisit son modèle et se rend compte qu’il n’y a pas qu’une forme à privilégier en soi.
23. Cours de philosophie et de citoyenneté, 2e et 3e degré de l’enseignement secondaire.
24. On explique que « Le questionnement désigne la démarche à travers laquelle l’élève pose ses propres questions à tout champ du savoir et de l’action, mais aussi celle à travers laquelle il identifie et traite les questions des autres, qu’il s’agisse des autres élèves, de l’enseignant ou d’auteurs de référence. Le questionnement philosophique est intimement lié à l’étonnement entendu comme posture (non comme émotion) : s’étonner, c’est être prêt à questionner tout sujet, du plus inattendu au plus convenu ; toute affirmation, de la plus étonnante à la plus évidente ; tout support, du texte philosophique à l’objet du quotidien. Objectifs ? En entraînant les deux dimensions du questionnement (poser ses propres questions et identifier celles des autres), on favorise le développement intellectuel et relationnel de l’élève en tant qu’individu autonome et en tant qu’être social. En prenant le questionnement philosophique comme fil conducteur méthodologique, on aide l’élève à sortir des évidences et des lieux communs, à se décentrer par rapport à ses propres opinions, à prendre position en tenant compte d’autres positions possibles. »
25. « Avec le cours de citoyenneté, explique CONSTANT Fanny, Secrétaire générale du CECP (Conseil de l’Enseignement des Communes et des Provinces), le prof n’est plus celui qui enseigne une norme. Il devient un coach qui aide les élèves à construire une réflexion commune. » (www.levif.be , 9/5/2017).
26. Departement of Politics and International Studies (POLIS).
27. www.groupeduvendredi.be.
28. GHINS Arthur, Les cours de citoyenneté, un cache-misère !, sur le site www.lecho.be, 17 novembre 2017.
29. Cette expression venue des États-Unis peut se traduire par « sortir des sentiers battus, penser sans idées préconçues et examiner toutes les possibilités, penser différemment ».
30. Comme nous l’avons vu précédemment, en confrontant certaines positions à l’opinion du groupe, il est aisément possible d’influencer dans tel ou tel sens l’enfant pour qu’il renonce, sous la pression du groupe, à la position qu’il adoptait spontanément.
31. A moins que l’intention soit en définitive de faire des citoyens dociles prêts à obéir aux lois quelles qu’elles soient qu’une majorité, quelle qu’elle soit, aura choisies.
32. A. Ghins explique que l’important est de « défendre un certain idéal ». Celui-ci « naît de l’apprentissage de l’histoire, qui est de la politique appliquée. Il naît d l’émerveillement face à la culture, qui développe le goût du beau et du bon. Il se développe à la lecture d’auteurs belges et étrangers, qui éveillent à la complexité du monde. Ce sont ces matières, déjà enseignées mais dont on ne parle jamais assez, qui constituent les véritables semences de la citoyenneté. Ceux qui permettent de les faire germer sont ces professeurs marquants qui portent des convictions tout en permettant la critique et en respectant les personnes.
   Il ne s’agit pas d 'imposer un prêt-à-porter intellectuel aux élèves, mais bien de leur donner le vrai goût des idées. pour exercer son jugement individuel, il faut d’abord connaître des choix, afin d’avoir une position. Le couts de citoyenneté tel qu’il existe actuellement n’apporte aucune de ces connaissances et ne donne pas, de surcroît, l’envie de s’engager pour des valeurs assumées. Il ne constitue qu’une diversion à l’heure où la transmission est devenue un gros mot et où l’on est davantage préoccupé de ménager ce qu’on appelle les sensibilités plurielles que de former les jeunes à la rigueur intellectuelle.
   […​] Si l’enjeu est bien de faire des citoyens libres et responsables, il faut remplacer le cours de citoyenneté par une heure supplémentaire d’histoire, dans ses dimensions politiques, artistiques et religieuses. »
33. Le vivre(-)ensemble. Le pire du bien, in Philosophie Magazine, n° 96, février 2016 (ou sur philomag.com).
34. L’auteur (non identifié) cite à cet endroit TOCQUEVILLE Alexis de : « Vous êtes libre de ne point penser ainsi que moi ; votre vie, vos biens, tout vous reste ; mais de ce jour vous êtes un étranger parmi nous. Vous garderez vos privilèges à la cité, mais ils vous deviendront inutiles ; car si vous briguez le choix de vos concitoyens, ils ne vous l’accorderont point, et si vous ne demandez que leur estime, ils feindront encore de vous la refuser. Vous resterez parmi les hommes, mais vous perdrez vos droits à l’humanité. » (De la démocratie en Amérique, Louis Hauman, 1835, tome second, chapitre VII, p. 174).
35. HUMBRECHT, op. cit, p. 62.