« Le juger est l’interprétation de la même réalité à la lumière des sources de la doctrine sociale qui déterminent le jugement prononcé sur les phénomènes sociaux et leurs implications éthiques. En cette phase intermédiaire se situe la fonction propre du magistère de l’Église qui consiste précisément dans l’interprétation de la réalité du point de vue de la foi
et dans la proposition « de ce qu’il a en propre : conception globale de l’homme et de l’humanité »[1]. Il est clair que dans le voir et le juger de la réalité, l’Église n’est pas ni ne peut être neutre, car elle ne peut pas ne pas se conformer à l’échelle des valeurs énoncées dans l’Évangile. Si, par hypothèse, elle se conformait à d’autres échelles de valeurs, son enseignement ne serait pas celui qui est effectivement donné, mais se réduirait à une philosophie ou à une idéologie de partie. »[2]
C’est donc à cet endroit que doivent être mobilisées les ressources de la doctrine sociale de l’Église, du moins les critères de jugement qu’elle offre. Essentiellement, il s’agit de mobiliser l’anthropologie qui sous-tend toute la construction sociale chrétienne et dont nous avons dit à maintes reprises, que cette vision de l’homme pouvait séduire un esprit rigoureux, sans préjugés.[3]
Face aux problèmes supposés rencontrés, demandons-nous si la dignité de la personne est reconnue, si la vie humaine est respectée, si la vie familiale est favorisée, si une plus grande fraternité entre les hommes est servie. Veille-t-on à la dignité du travail ? Quels sont nos devoirs envers la nature menacée ? L’autorité politique est-elle au service du bien commun ? Tous les hommes ont-ils accès à l’usage des biens ? Jouissent-ils de la liberté de circuler ? Favorise-t-on leur participation à la vie sociale, économique et politique ? Peuvent-ils s’associer ? Marie-t-on solidarité et subsidiarité ? Accorde-t-on une priorité aux pauvres de toutes sortes ? La liberté religieuse est-elle favorisée dans une juste distinction des pouvoirs temporel et spirituel ? Conjugue-t-on justice et amour, liberté, vérité et responsabilité ? L’idéal de non-violence est-il poursuivi ?
Bref, la référence à ces valeurs nous permettra de décider si telle situation doit être préservée, consolidée ou corrigée, voire combattue. Encore fait-il que soit organisée et répandue la formation, en priorité, nous y reviendrons, du laïcat chrétien et de toute personne de bonne volonté. Or force est de reconnaître que là le bât blesse.
Si la Conférence des évêques de France stimule à l’action dans le document précité, elle ne renvoie qu’à la constitution pastorale Gaudium et spes et à l’encyclique Laudato si’ mais pas, étonnamment, à un livre et à un DVD d’initiation à la doctrine sociale de l’Église qu’elle avait offerts au grand public en 2014.[4] Mais ces documents ont le mérite d’exister. Ailleurs, bien des évêques semblent interpréter la distinction des pouvoirs dans un sens minimaliste voire conforter la séparation des pouvoirs que prône le laïcisme. Ici et là, mais trop peu souvent encore, ce sont les laïcs qui prennent l’initiative grâce, par exemple, au Parcours Zachée, diffusé par la Communauté de l’Emmanuel.[5]