Jean-Paul II, à l’occasion du Congrès mondial du laïcat catholique,
déclarait : « avec le Concile, l’heure des laïcs a vraiment sonné dans
l’Église ». Un demi-siècle après la fin
du Concile, François constate : « il semble que l’horloge se soit
arrêtée ».
En 2009 déjà, Benoît XVI s’était interrogé sur les
raisons qui avaient poussé Jean-Paul II à convoquer un synode sur les
laïcs en 1987. Il y voyait deux raisons.
Tout d’abord, il constatait, en maints endroits, après le Concile, qu’
à une période de ferveur et d’initiative, a succédé un temps
d’affaiblissement de l’engagement, une situation de lassitude, parfois
même de stagnation, et également de résistance et de contradiction entre
la doctrine conciliaire et différents concepts formulés au nom du
Concile, mais en réalité opposés à son esprit et à sa lettre. »
Ensuite, il relevait que « les pages lumineuses consacrées par le
Concile au laïcat n’avaient pas encore été suffisamment traduites et
réalisées dans la conscience des catholiques et dans la pratique
pastorale. d’une part, il existe encore, ajoutait-il, la tendance à
identifier unilatéralement l’Église avec la hiérarchie, en oubliant la
responsabilité commune, la mission commune du Peuple de Dieu, que nous
sommes tous dans le Christ. De l’autre, persiste également la tendance à
concevoir le Peuple de Dieu, comme je l’ai déjà dit, selon une idée
purement sociologique ou politique, en oubliant la nouveauté et la
spécificité de ce peuple qui devient peuple uniquement dans la communion
avec le Christ. »
Benoît XVI rappelait que « le mandat d’évangéliser ne concerne pas
seulement quelques baptisés, mais chacun » et se demandait « dans quelle
mesure est reconnue et favorisée la coresponsabilité pastorale de tous,
en particulier des laïcs ? » Force était de souligner que « Trop de
baptisés ne se sentent pas appartenir à la communauté ecclésiale et
vivent en marge de celle-ci, ne s’adressant aux paroisses que dans
certaines circonstances, pour recevoir des services religieux. Il n’y a
encore que peu de laïcs, proportionnellement au nombre des habitants de
chaque paroisse, qui, bien que se professant catholiques, sont prêts à
offrir leur disponibilité pour travailler dans les différents domaines
apostoliques. »
A tous, de « promouvoir une formation plus attentive et fidèle à la
vision de l’Église , et cela aussi bien de la part des prêtres
que des religieux et des laïcs. »
Mais à ses yeux, les clercs avaient surtout à changer leur regard sur
les laïcs. Il souhaitait « que, dans le respect des vocations et des
rôles des personnes consacrées et des laïcs, l’on promeuve graduellement
la coresponsabilité de l’ensemble de tous les membres du Peuple de Dieu.
Cela exige un changement de mentalité concernant particulièrement les
laïcs, en ne les considérant plus seulement comme des « collaborateurs »
du clergé, mais en les reconnaissant réellement comme « coresponsables »
de l’être et de l’agir de l’Église, en favorisant la consolidation d’un
laïcat mûr et engagé. » Les curés doivent déjà à leur niveau,
« promouvoir la croissance spirituelle et apostolique de ceux qui sont
déjà assidus et engagés dans les paroisses : ils sont le noyau de la
communauté qui constituera un ferment pour les autres. »
Quant aux mouvements et aux communautés, ils devraient « toujours
prendre soin que leurs itinéraires de formation conduisent leurs membres
à développer un sens véritable d’appartenance à la communauté
paroissiale. »
Pour « reprendre le chemin avec une ardeur renouvelée », les deux
mots-clés à retenir sont bien : formation et coresponsabilité.
Quatre ans plus tard, François répond à notre question de savoir où sont
les laïcs, en précisant que « même si on note une plus grande
participation de beaucoup aux ministères laïcs, cet engagement ne se reflète pas dans la
pénétration des valeurs chrétiennes dans le monde social, politique et
économique. Il se limite bien des fois à des tâches internes à l’Église
sans un réel engagement pour la mise en œuvre de l’Évangile en vue de la
transformation de la société. La formation des laïcs et l’évangélisation
des catégories professionnelles et intellectuelles représentent un défi
pastoral important. »
Il semble, en effet que les laïcs, lorsqu’ils s’engagent, préfèrent la
sacristie à la rue, le confort de la chapelle aux risques que l’on
encourt nécessairement, aux contradictions auxquelles on se heurte
immanquablement lorsque les laïcs prennent conscience que, par la grâce
du baptême et de la confirmation, ils sont appelés à être missionnaires
et que « le champ de leur travail missionnaire est le monde vaste et
complexe de la politique, de l’économie, de l’industrie, de l’éducation,
des médias, de la science, de la technologie, de l’art et du
sport. »
Mais où sont les laïcs formés, fidèles, passionnés par le Christ et son
message, prêts à sacrifier leur réputation et leur confort pour que son
Règne arrive ?
Or, dès le début de l’Église, à la fin du IIe siècle, dans la célèbre
Epître à Diognète, un chrétien éclairé se rendait compte que « ce que
l’âme est dans le corps, il faut que les chrétiens le soient dans le
monde ».
Le Concile ne dit pas autre chose puisqu’il « adjure […] avec force
au nom du Seigneur tous les laïcs de répondre volontiers avec élan et
générosité à l’appel du Christ qui, en ce moment même, les invite avec
plus d’insistance, et à l’impulsion de l’Esprit-Saint. Que les jeunes
réalisent bien que cet appel s’adresse tout particulièrement à eux,
qu’ils le reçoivent avec joie et de grand cœur. C’est le Seigneur
lui-même qui, par le Concile, presse à nouveau tous les laïcs à s’unir
intimement à lui de jour en jour, et de prendre à cœur ses intérêts
comme leur propre affaire (cf. Ph 2, 5), de s’associer à sa mission de
Sauveur ; il les envoie encore une fois en toute ville et en tout lieu où
il doit aller lui-même (cf. Lc 10, 1) ; ainsi à travers la variété des
formes et des moyens du même et unique apostolat de l’Église, les laïcs
se montreront ses collaborateurs, toujours au fait des exigences du
moment présent, « se dépensant sans cesse au service du Seigneur, sachant
qu’en lui leur travail ne saurait être vain » (cf. 1 Co 15,
58).
Le fidèle laïc, sous peine d’incohérence, voire de schizophrénie, ne
peut être chrétien seulement à l’église le dimanche et agir n’importe
comment ou en fonction de n’importe quoi durant la semaine. Le synode
des laïcs l’avait bien affirmé, une fois encore : « L’unité de la vie des
fidèles laïcs est d’une importance extrême : ils doivent, en effet, se
sanctifier dans la vie ordinaire, professionnelle et sociale. Afin
qu’ils puissent répondre à leur vocation, les fidèles laïcs doivent donc
considérer leur vie quotidienne comme une occasion d’union à Dieu et
d’accomplissement de sa volonté, comme aussi un service envers les
autres hommes, en les portant jusqu’à la communion avec Dieu dans le
Christ. »
L’Église a donc besoin de laïcs bien formés, qui se sentent et sont
considérés, non pas simplement comme collaborateurs des prêtres, mais
comme coresponsables de l’Église.
Il faut donc restaurer le laïcat.