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v. L’héritage de Jean-Paul II

En l’an 2000, trente-cinq ans après le Concile Vatican II, Jean-Paul II remettait symboliquement les documents du Concile aux représentants du Congrès mondial de l’apostolat des laïcs.⁠[1] A cette occasion, il rappelait que cet « immense patrimoine » était remis « précisément aux laïcs -responsables de gouvernements, hommes de pensée et de science, artistes, femmes, travailleurs, jeunes, pauvres, malades - […] à l’humanité tout entière. » Il les invitait à un engagement « encore plus intense et plus étendu », à approfondir la leçon du Concile, à assimiler son esprit, ses orientations pour y trouver « la lumière et la force pour témoigner de l’Évangile dans tous les domaines de l’existence humaine. »

A-t-il été entendu ?

Par l’ensemble des fidèles clercs et laïcs, rien n’est moins sûr comme nous le verrons plus loin.

Par ses successeurs, certainement et de manière éclatante. Ils ont élargi et consolidé le chemin tracé par le saint pontife et vont continuer, chacun dans son style mais avec insistance et force, à rallier les laïcs à la cause du Christ.


1. Angelus, 26 novembre 2000.

⁢a. Benoît XVI

Nous retrouvons dans son enseignement la définition de l’Église comme « mystère de communion », à la fois « Peuple de Dieu » et « Corps du Christ », deux notions qui « se complètent » car « dans le Christ, nous devenons réellement le Peuple de Dieu. Et « Peuple de Dieu » signifie donc « tous » : du pape jusqu’au dernier enfant baptisé. »[1] Et « tous les baptisés sont appelés à la perfection de la vie chrétienne, prêtres, religieux et laïcs, chacun selon son propre charisme et sa propre vocation spécifique. » La vocation et la mission de chacun sont « enracinées dans le Baptême et la Confirmation »[2] avant toute différenciation.⁠[3]

Et donc, une fois encore, « le mandat d’évangéliser ne concerne pas seulement quelques baptisés, mais chacun »[4] selon la voie qu’il a choisie. Tous, sans exception, nous sommes « sel de la terre » et « lumière du monde ».⁠[5]

Au sein de ce peuple d’égaux, « la tendance séculière […] est caractéristique des fidèles laïcs. Le monde, dans le tissu de la vie familiale, professionnelle, sociale, est le lieu théologique, le domaine et le moyen de réalisation de leur vocation et de leur mission. »[6] Hommes et femmes, « égaux en dignité, sont appelés à s’enrichir réciproquement en communion et collaboration, non seulement dans le mariage et dans la famille, mais aussi dans la société dans toutes ses dimensions. » C’est bien ce qu’avait développé l’« Exhortation apostolique Christifideles laÏci qualifiée de magna charta du laïcat catholique de notre temps » qui est « une révision organique des enseignements du Concile Vatican II à propos des laïcs ». Cette exhortation « aiguille le discernement, l’approfondissement et l’orientation de l’engagement laïc dans l’Église face aux changements sociaux de ces années. » Elle « encourage la « nouvelle saison d’association des fidèles laïcs » signe de la « richesse et de la variété des ressources de l’Esprit Saint dans le tissu ecclésial »[7] « . « Tout contexte, toute circonstance et toute activité où l’on s’attend à ce que puisse resplendir l’unité entre la foi et la vie est confié à la responsabilité des fidèles laïcs, mus par le désir de transmettre le don de la rencontre avec le Christ et la certitude de la dignité de la personne humaine. Il leur revient de prendre en charge le témoignage de la charité en particulier pour ceux qui sont les plus pauvres, qui souffrent et sont dans le besoin, ainsi que d’assumer tous les engagements chrétiens visant à édifier des conditions de justice et de paix toujours plus grandes dans la coexistence humaine, afin d’ouvrir de nouvelles frontières à l’Évangile ! » »[8]

Les chrétiens sont réellement le sel de la terre, la lumière du monde car, dans tous les aspects de la vie, seule « la foi permet de lire de manière nouvelle et approfondie la réalité et la transformer » ; de plus, « l’espérance chrétienne élargit l’horizon limité de l’homme et le projette vers l’élévation véritable de son être, vers Dieu » ; quant à l’Évangile, il « est une garantie de liberté et un message de libération ». Enfin, « la charité dans la vérité est la force la plus efficace en mesure de changer le monde ».⁠[9]

C’est à la charité politique que sont conviés les laïcs, qu’ils soient membres ou non de l’Action catholique⁠[10]. Si celle-ci « continue à demeurer fidèle à ses profondes racines de foi, nourries par une totale adhésion à la Parole de Dieu, par un amour inconditionné de l’Église, par une attention vigilante à la vie civile et par un engagement de formation permanent », elle est invitée à « servir de manière désintéressée la cause du bien commun, pour l’édification d’un ordre juste de la société et de l’État. »[11]

Quel que soit son engagement, le laïc doit travailler à ce bien commun: « C’est une exigence de la justice et de la charité que de vouloir le bien commun et de le rechercher. Œuvrer en vue du bien commun signifie d’une part, prendre soin et, d’autre part, se servir de l’ensemble des institutions qui structurent juridiquement, civilement, et culturellement la vie sociale qui prend ainsi la forme de la pólis, de la cité. On aime d’autant plus efficacement le prochain que l’on travaille davantage en faveur du bien commun qui répond également à ses besoins réels. Tout chrétien est appelé à vivre cette charité, selon sa vocation et selon ses possibilités d’influence au service de la pólis. C’est là la voie institutionnelle – politique peut-on dire aussi – de la charité, qui n’est pas moins qualifiée et déterminante que la charité qui est directement en rapport avec le prochain, hors des médiations institutionnelles de la cité. L’engagement pour le bien commun, quand la charité l’anime, a une valeur supérieure à celle de l’engagement purement séculier et politique. »[12]

L’instrument qui permet de mettre en œuvre cette charité politique, de travailler au bien commun, est la doctrine sociale de l’Église. Alors que, la plupart du temps, on propose, pour résoudre les problèmes sociaux, économiques et politiques, des solutions purement « scientifiques », le pape souligne que la doctrine sociale de l’Église a un immense avantage : elle a « une importante dimension interdisciplinaire »[13]. Pour répondre pleinement aux difficultés et aux injustices, « les évaluations morales et la recherche scientifique doivent croître ensemble et […] la charité doit les animer en un ensemble interdisciplinaire harmonieux, fait d’unité et de distinction ». C’est par cet heureuse conjonction que la doctrine sociale de l’Église « peut remplir, dans cette perspective, une fonction d’une efficacité extraordinaire. «⁠[14] En effet, « les principes fondamentaux de la doctrine sociale de l’Église - tels que la dignité de la personne humaine, la subsidiarité et la solidarité - sont d’une grande actualité et d’une grande valeur pour la promotion de nouvelles voies de développement au service de tout l’homme et de tous les hommes. »[15]

Benoît XVI, dans les multiples tâches qui attendent les laïcs, met en exergue le domaine politique au sens étroit et commun du terme sans doute parce que les chrétiens ont eu tendance, depuis au moins une génération, à déserter ce terrain pour diverses raisons ou en évitant toute référence à l’enseignement de l’Église et se livrant à diverses idéologies. Or, « la politique est un domaine très important de l’exercice de la charité » et « il y a besoin d’hommes politiques authentiquement chrétiens, mais plus encore de fidèles laïcs qui soient témoins du Christ et de l’Évangile dans la communauté civile et politique. » Et donc il revient « aux fidèles laïcs de participer activement à la vie politique, de manière toujours cohérente avec les enseignements de l’Église, en partageant les raisons bien fondées et les grands idéaux dans la dialectique démocratique et dans la recherche d’un large consensus avec tous ceux qui ont à cœur la défense de la vie et de la liberté, la protection de la vérité et du bien de la famille, la solidarité avec les plus indigents et la recherche nécessaire du bien commun. Les chrétiens ne cherchent pas l’hégémonie politique ou culturelle mais, partout où ils s’engagent, ils sont animés par la certitude que le Christ est la pierre angulaire de toute construction humaine. »[16] Le pape est bien conscient qu’« il s’agit d’un défi exigeant » mais comme « la diffusion d’un relativisme culturel confus et d’un individualisme utilitariste et hédoniste affaiblit la démocratie et favorise la domination des pouvoirs forts », les laïcs engagés y compris les jeunes⁠[17], doivent « retrouver et raviver une authentique sagesse politique ; être exigeants en ce qui concerne sa propre compétence ; se servir de manière critique des recherches des sciences humaines ; affronter la réalité sous tous ses aspects, en allant au-delà de toute réduction idéologique ou prétention utopique ; être ouverts à tout dialogue et toute collaboration véritables, en ayant à l’esprit que la politique est aussi un art complexe d’équilibre entre des idéaux et des intérêts, mais sans jamais oublier que la contribution des chrétiens est décisive uniquement si l’intelligence de la foi devient intelligence de la réalité, clé de jugement et de transformation. »

Pour se préparer à cette tâche, « l’appartenance des chrétiens aux associations de fidèles, aux mouvements ecclésiaux et aux nouvelles communautés, peut être une bonne école pour ces disciples et témoins, soutenus par la richesse charismatique, communautaire, éducative et missionnaire propre à ces institutions. »[18] d’un autre côté, « la formation technique des hommes politiques n’appartient pas à la mission de l’Église. […] Mais il appartient à sa mission de « porter un jugement moral même en des matières qui touchent le domaine politique, quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent, en utilisant tous les moyens, et ceux-là seulement, qui sont conformes à l’Évangile et en harmonie avec le bien de tous, selon la diversité des temps et des situations »[19]. L’Église se concentre en particulier sur l’éducation des disciples du Christ, afin qu’ils soient toujours davantage des témoins de sa Présence, partout. »[20]

Que les laïcs n’oublient pas non plus que, pour les aider dans leurs multiples tâches, le Conseil pontifical pour les laïcs

travaille toujours « dans l’accueil, l’accompagnement, le discernement, la reconnaissance et l’encouragement de ces réalités ecclésiales, en favorisant l’approfondissement de leur identité catholique, les aidant à s’insérer plus pleinement dans la grande tradition et dans le tissu vivant de l’Église, et en soutenant leur développement missionnaire. » La mission de ce Conseil pontifical est de « suivre avec une profonde attention pastorale la formation, le témoignage et la collaboration des fidèles laïcs dans les situations les plus diverses où est en jeu la qualité authentique de la vie dans la société. » Et, comme ses prédécesseurs, Benoît XVI rappelle « la nécessité et l’urgence de la formation évangélique et de l’accomplissement pastoral d’une nouvelle génération de catholiques engagés dans la politique qui soient cohérents avec la foi qu’ils professent, qui aient de la rigueur morale, la capacité de jugement culturel, la compétence professionnelle et la passion du service pour le bien commun. »[21]


1. Discours à l’ouverture du Congrès ecclésial du diocèse de Rome, 26 mai 2009.
2. Angélus, 13 novembre 2005.
3. Autrement dit encore, « « sacerdoce commun, propre aux fidèles baptisés, et sacerdoce ordonné, plongent leurs racines dans l’unique sacerdoce du Christ, selon des modalités essentiellement différentes, mais ordonnées l’une à l’autre. » (Discours aux participants à la XXIVe Assemblée plénière du Conseil pontifical pour les laïcs, 21 mai 2010).
4. Discours à l’ouverture du Congrès ecclésial du diocèse de Rome, 26 mai 2009.
5. Mt 5, 13-14 in Message au Congrès panafricain des laïcs catholiques, 10 août 2012.
6. Cf. CL 15-17.
7. CL 29.
8. Discours aux participants de l’Assemblée plénière du Conseil pontifical pour les laïcs, 15 novembre 2008.
9. Discours aux participants à la XXIVe Assemblée plénière du Conseil pontifical pour les laïcs, 21mai 2010.
10. Cf. le Message à l’occasion de la VIe Assemblée ordinaire du Forum international d’Action catholique (10 août 2012) : Benoît XVI confirme que les laïcs « doivent être considérés non comme des « collaborateurs » du clergé, mais comme des personnes réellement « coresponsables » de l’existence et de l’action de l’Église. Il est par conséquent important que se renforce un laïcat mur et engagé, capable d’apporter sa contribution spécifique à la mission ecclésiale, dans le respect des ministères et des tâches que chacun a dans la vie de l’Église et toujours en communion cordiale avec les évêques. » Les pasteurs ont besoin des laïcs car « avec l’aide de l’expérience des laïcs, [ils] sont mis en état de juger plus distinctement et plus exactement en matière spirituelle aussi bien que temporelle, et c’est toute l’Église qui pourra ainsi, renforcée par tous ses membres, remplir pour la vie du monde plus efficacement sa mission » (LG 37). » Mais il est important que l’Action catholique travaille en « union intime avec le Successeur de Pierre » et « à la lumière du magistère social de l’Église. »
11. Discours lors de la Rencontre avec l’Action catholique italienne, 4mai 2008.
12. Encyclique Caritas in veritate, 29 juin 2009, 7.
13. Benoît XVI cite ici Jean-Paul II, Centesimus annus, 1er mai 1991, n. 59.
14. Caritas in veritate, n. 31.
15. Discours aux participants à la XXIVe Assemblée plénière du Conseil pontifical pour les laïcs, 21 mai 2010.
16. Benoît XVI renvoie à un document publié par la Congrégation pour la doctrine de la foi, Note doctrinale à propos de certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, 24 novembre 2002.
17. Les jeunes doivent songer à « l’engagement social et politique, un engagement fondé non sur des idéologies ou des intérêts de parti, mais sur le choix de servir l’homme et le bien commun, à la lumière de l’Évangile. »
18. Benoît XVI rappelle le décret sur l’apostolat des laïcs (AA) du 18 novembre 1965 qui « souligne avant tout que « la fécondité de l’apostolat des laïcs dépend de leur union vitale avec le Christ » (4), c’est-à-dire d’une spiritualité robuste, nourrie par la participation active à la Liturgie et exprimée dans le style des Béatitudes évangéliques. En outre, pour les laïcs, la compétence professionnelle, le sens de la famille, le sens civique et les vertus sociales sont d’une grande importance. S’il est vrai qu’ils sont appelés individuellement à apporter leur témoignage personnel, particulièrement précieux là où la liberté de l’Église se heurte à des obstacles, le Concile insiste toutefois sur l’importance de l’apostolat organisé, nécessaire pour influencer la mentalité générale, les conditions sociales et les Institutions (18). A ce propos, le Pères ont encouragé les multiples associations de laïcs, en insistant également sur leur formation à l’apostolat. » (Angélus, 13 novembre 2005).
19. Cf. GS 76.
20. Discours aux participants à la XXIVe Assemblée plénière du Conseil pontifical pour les laïcs, 21 mai 2010.
21. Discours aux participants de l’Assemblée plénière du Conseil pontifical pour les laïcs, 15 novembre 2008 ( à l’occasion du vingtième anniversaire de l’exhortation Christifideles laïci).

⁢b. François

Dans un autre style, souvent très imagé et parfois incisif, le pape François va reprendre et, à certains endroits, accentuer encore les invitations pressantes de ses prédécesseurs.

On n’est pas chrétien à mi-temps ou à temps partiel

[1]

On est chrétien à plein temps pour la raison simple et impérieuse que « le kérygme possède un contenu inévitablement social » et qu’il y a donc une « connexion intime entre évangélisation et promotion humaine, qui doit nécessairement s’exprimer et se développer dans toute l’action évangélisatrice » qui suppose « la priorité absolue de « la sortie vers le frère » »[2], « jusqu’aux périphéries existentielles »[3]. Il ne s’agit pas seulement d’annoncer aux personnes quelles qu’elles soient le Christ ressuscité mais bien de « devenir ferment de vie chrétienne dans toute la société »[4]. Citant le pape Jean-Paul II, François déclare nettement que « la conversion chrétienne exige de reconsidérer « spécialement tout ce qui concerne l’ordre social et la réalisation du bien commun. »[5]. » La conclusion s’impose, malgré l’opinion laïciste si répandue même parmi les chrétiens : « On ne peut plus affirmer que la religion doit se limiter à la sphère privée et qu’elle existe seulement pour préparer les âmes pour le ciel. »[6] On ne peut reléguer « la religion dans la secrète intimité des personnes, sans aucune influence sur la vie sociale et nationale, sans se préoccuper de la santé des institutions de la société civile, sans s’exprimer sur les événements qui intéressent les citoyens. » La charité doit donc bien avoir une dimension politique car « la proposition de l’Évangile ne consiste pas seulement en une relation personnelle avec Dieu. Et notre réponse d’amour ne devrait pas s’entendre non plus comme de petits gestes personnels en faveur de quelque individu dans le besoin, ce qui pourrait constituer une sorte de « charité à la carte », une suite d’actions tendant seulement à tranquilliser notre conscience. »[7] L’activité des laïcs « n’est pas épuisée par l’assistance caritative, mais elle doit s’étendre aussi à un engagement pour la croissance humaine. Non seulement l’assistance, mais aussi le développement de la personne. Assister les pauvres est une chose bonne et nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. »[8]

Les laïcs en première ligne

[9]

Les laïcs sont donc bien en première ligne, « au sein des réalités terrestres pour servir le bien de l’homme […], imprégner de valeurs chrétiennes les domaines » où ils opèrent.⁠[10]

Dans cette position, ils ont besoin d’« une formation plus complète »[11] , une « formation humaine et spirituelle »[12] . L’exigence est forte car, espère François, ce seront des « laïcs bien formés, animés par une foi paisible et limpide, dont la vie a été touchée par la rencontre personnelle et miséricordieuse avec l’amour de Jésus-Christ, […] laïcs qui risquent, qui se salissent les mains, qui n’aient pas peur de se tromper, qui aillent de l’avant […] laïcs avec une vision de l’avenir, qui ne soient pas enfermés dans les broutilles de la vie, […] qui aient le goût de l’expérience de la vie, qui osent rêver. »[13]

Pour la formation intellectuelle, « nous disposons, rappelle François, d’un instrument très adapté dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église, dont je recommande vivement l’utilisation et l’étude. »[14]

Cette formation complète est indispensable pour entamer le dialogue avec la société : « Un tel dialogue est particulièrement important, car il favorise la compréhension mutuelle et encourage une plus grande coopération pour le bien commun. »[15] Depuis le concile Vatican II, « Le dialogue, et tout ce qu’il comporte, nous rappelle que personne ne peut se contenter d’être spectateur ni simple observateur. Tous, du plus petit au plus grand, sont des acteurs de la construction d’une société intégrée et réconciliée. Cette culture est possible si nous participons tous à son élaboration et à sa construction. La situation actuelle n’admet pas de simples observateurs des luttes d’autrui. Au contraire, c’est un appel fort à la responsabilité personnelle et sociale. »[16]

Les relations prêtre-laïc

De manière saisissante, François insiste, comme ses prédécesseurs, sur l’égale dignité de tous les membres du peuple de Dieu en fonction de leur seul baptême : « Personne n’a été baptisé prêtre ni évêque. Ils nous ont baptisés laïcs et c’est le signe indélébile que personne ne pourra effacer. […] L’Église n’est pas une élite de prêtres, de personnes consacrées, d’évêques, mais […] nous formons tous le saint peuple fidèle de Dieu. »[17] Tout pasteur est appelé à « servir »[18], à « chercher le moyen de pouvoir encourager, accompagner et stimuler toutes les tentatives et les efforts qui sont déjà faits aujourd’hui pour maintenir vivante l’espérance et la foi dans un monde plein de contradictions, spécialement pour les plus pauvres, spécialement avec les plus pauvres. »

A la lumière de ces vérités, très logiquement, François va particulièrement s’attaquer au cléricalisme qu’il considère comme un frein à la mission des laïcs » car il « annule non seulement la personnalité des chrétiens, mais tend également à diminuer et à sous-évaluer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a placée dans le cœur de notre peuple. Le cléricalisme conduit à une homologation du laïcat ; en le traitant comme un « mandataire », il limite les différentes initiatives et efforts et, si j’ose dire, les audaces nécessaires pour pouvoir apporter la Bonne Nouvelle de l’Évangile dans tous les domaines de l’activité sociale et surtout politique. Le cléricalisme, loin de donner une impulsion aux différentes contributions et propositions, éteint peu à peu le feu prophétique dont l’Église tout entière est appelée à rendre témoignage dans le cœur de ses peuples. Le cléricalisme oublie que la visibilité et la sacramentalité de l’Église appartiennent à tout le peuple de Dieu (cf. LG 9-14), et pas seulement à quelques élus et personnes éclairées. » La condamnation est radicale dans la mesure où le cléricalisme « tente de contrôler et de freiner l’onction de Dieu sur les siens. » Rappelons-nous la juste liberté des laïcs réclamée par Pie XII, la juste autonomie des réalités temporelles, comme disait le Concile et comme l’a bien développé Jean-Paul II. Rappelons-nous aussi que les laïcs ne sont pas des collaborateurs du clergé mais qu’ils sont coresponsables de l’Église. Et dans leur mission principale qui est l’animation chrétienne du monde, « ce n’est jamais au pasteur de dire au laïc ce qu’il doit faire ou dire, il le sait bien mieux que . Ce n’est pas au pasteur de devoir établir ce que les fidèles doivent dire dans les différents milieux. » Le rôle du pasteur est d’encourager, de promouvoir « la charité et la fraternité, le désir du bien, de la vérité et de la justice. »[19] Autrement dit encore si l’on n’a pas compris : « Les laïcs sont simplement l’immense majorité du peuple de Dieu. À leur service, il y a une minorité : les ministres ordonnés. »[20]

Les pasteurs doivent s’adapter à ce qui est dit et répété depuis plus d’un demi-siècle dans l’Église : les laïcs ont en priorité le devoir de s’engager dans le monde et leurs pasteurs, par le fait même, doivent éviter « la tentation de penser que le laïc engagé est celui qui travaille dans les œuvres de l’Église et/ou dans les affaires de la paroisse ou du diocèse, et nous avons peu réfléchi sur la façon d’accompagner un baptisé dans sa vie publique et quotidienne ; sur la façon dont, dans son activité quotidienne, avec les responsabilités qui lui incombent, il s’engage en tant que chrétien dans la vie publique. Sans nous en rendre compte, écrit François au cardinal Ouellet, nous avons généré une élite laïque en croyant que ne sont laïcs engagés que ceux qui travaillent dans les affaires « des prêtres », et nous avons oublié, en le négligeant, le croyant qui bien souvent brûle son espérance dans la lutte quotidienne pour vivre sa foi. Telles sont les situations que le cléricalisme ne peut voir, car il est plus préoccupé par le fait de dominer les espaces que de générer des processus. »[21]

Le cléricalisme est un mal qui vient d’un « aveuglement confortable et autosuffisant où tout finit par sembler licite »[22]. Il s’agit d’« une manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Église »[23], une attitude « qui annule non seulement la personnalité des chrétiens, mais tend également à diminuer et à sous-évaluer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a placée dans le cœur de notre peuple. »[24] Le cléricalisme, « favorisé par les prêtres eux-mêmes ou par les laïcs, engendre une scission dans le corps ecclésial qui encourage et aide à perpétuer beaucoup des maux que nous dénonçons aujourd’hui. »[25] Le cléricalisme, en somme, c’est « penser que l’Église est seulement représentée par des prêtres, constitués en une hiérarchie de pouvoir, et pas une communauté solidaire de croyants témoins de l’Évangile. »[26]

Mais qu’en est-il de l’orthodoxie, diront certains ? Les laïcs ne vont-ils pas faire n’importe quoi ? Non, s’ils sont formés comme on ne cesse d’y insister depuis Pie XII : « si la fidélité est vraiment vécue, d’autres liens [juridiques notamment] ne sont pas nécessaires. Par conséquent, dit François aux laïcs, votre forme de vie évangélique est à pratiquer dans un contexte de laïcité et de liberté. » Fidélité à l’Église, à son Pasteur suprême, à leur enseignement.⁠[27] L’important est que « l’ordre temporel soit imprégné et perfectionné par L’Esprit du Christ et ordonné à la venue de son Règne. »[28]

Si les laïcs « se croient incapables de remplir une telle tâche », les pasteurs ont la tâche de « leur communiquer une profonde reconnaissance de leur appel et […] leur offrir des expressions concrètes de soutien et d’orientation pour qu’ils puissent répondre à cet appel avec générosité et courage. »[29]

C’est aussi la mission du Conseil pontifical pour les laïcs⁠[30] qui doit être considéré « non pas comme un organe de contrôle mais comme centre de coordination, d’étude, de consultation, destiné à « inciter les laïcs à prendre part à la vie et à la mission de l’Église […] en tant que membres d’associations […] ou comme fidèles individuels »[31]. » Ce Conseil est là pour « inciter », « pousser »  »_ les fidèles laïcs à s’impliquer toujours davantage et mieux dans la mission évangélisatrice de l’Église, non par « délégation » de la hiérarchie mais dans la mesure où leur apostolat « est participation à la mission salvifique de l’Église, à laquelle tous sont désignés par le Seigneur par le moyen du baptême et de la confirmation » (LG 33). Et c’est la porte d’entrée. on entre dans l’Église par le baptême, non par l’ordination sacerdotale ou épiscopale, on entre par le baptême ! Et nous sommes tous entrés par la même porte. C’est le baptême qui fait de tous les fidèles laïcs des disciples missionnaires du Seigneur, sel de la terre, lumière du monde, levain qui transforme la réalité de l’intérieur_. »

Cette certitude fait de l’Église une « communauté évangélisatrice » une « Église qui sort en permanence », avec un « laïcat en sortie »[32], bref, une Église qui sait prendre sans peur l’initiative, aller à la rencontre, chercher ceux qui sont loin et arriver aux carrefours des routes pour inviter les exclus ».[33]


1. « Nous ne pouvons être chrétiens seulement à temps partiel ! Cherchons à vivre notre foi à chaque instant, chaque jour » (Tweet du pape François publié le 16 mai 2013 su @Pontifex_fr).
2. Exhortation apostolique Evangelii gaudium, 24 novembre 2013, n. 177, 178,179.
3. Homélie de la messe de clôture de la XXVIIIe journée mondiale de la jeunesse, Rio de Janeiro, 28 juillet 2013. Déjà en 1974, PAUL VI s’adressant aux jésuites, les invitait à aller « partout dans l’Église, même dans les champs d’activité de pointe et les plus difficiles, aux carrefours des idéologies, dans les secteurs sociaux, là où les exigences brûlantes de l’homme et le message permanent de l’Évangile ont été ou sont confrontés » (Discours à la XXXIIe Congrégation générale, 3 décembre 1974). Aux mêmes jésuites, BENOÎT XVI faisait remarquer que « les obstacles qui défient les annonciateurs de l’Évangile ne sont pas tant les mers ou les grandes distances, mais les frontières qui, en raison d’une vision de Dieu et de l’homme erronée ou superficielle, viennent s’interposer entre la foi et le savoir humain, la foi et la science moderne, la foi et l’engagement pour la justice. » Il invitait ses interlocuteurs à se tenir sur ces frontières « pour témoigner et aider à comprendre qu’il y a en revanche une harmonie profonde entre foi et raison, entre esprit évangélique, soif de justice et action pour la paix. » . (Discours à la Congrégation générale, le 21 février 2008). « Partout », « sur les frontières » : l’appel a été entendu par le Pape FRANCOIS qui fait sienne cette nécessité: « Quand j’insiste sur la frontière, je me réfère à la nécessité pour l’homme de culture d’être inséré dans le contexte dans lequel il travaille et sur lequel il réfléchit. Il y a toujours en embuscade le danger de vivre dans un laboratoire. Notre foi n’est pas une foi-laboratoire mais une foi-chemin, une foi historique. Dieu s’est révélé comme histoire, non pas comme une collection de vérités abstraites. Je crains le laboratoire car on y prend les problèmes et on les transporte chez soi pour les domestiquer et les vernir, en dehors de leur contexte. Il ne faut pas transporter chez soi la frontière mais vivre sur la frontière et être audacieux. » (Entretien avec le P. Antonio Spadaro sj, in Osservatore romano, 26 septembre 2013 ; ou dans Interviews et conférences de presse, Pape François Paroles en liberté, Presses de la renaissance, Plon, 2016). Ces lieux lointains, les « périphéries » dans le langage souvent employé par François, appellent non seulement les jésuites mais tous les fidèles à sortir de leurs « espaces » familiers, « des territoires habituels pour fréquenter les périphéries géographiques, culturelles et morales de notre temps. » Il s’agit donc de sortir « de soi au service d’autrui, surtout de celui qui est le plus loin […​]. Au lieu d’être seulement une Église qui accueille et qui reçoit en tenant les portes ouvertes, le pape inviterait à chercher plutôt à être une Église qui trouve de nouvelles routes, qui est capable de sortir d’elle-même et d’aller vers celui qui ne la fréquente pas, qui s’en est allé ou qui est indifférent. » (Les « périphéries » selon le pape François, sur https://www.catho-bruxelles.be/wp-content/uploads/2017/10/Les-pe%CC%81riphe%CC%81ries-Pastoralia-2015-2p-Lichtert.pdf
4. Tweet du 26 mars 2015 sur @Pontifex_fr
5. JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in America, 22 janvier 1999, n° 27.
6. Evangelii gaudium , 182
7. Id., 183. François cite aussi dans le même document (n. 181) la Conférence générale de l’Episcopat latino-américain des Caraïbes, Document d’Aparecida, 29 juin 2007, N° 380: Le « commandement de charité embrasse toutes les dimensions de l’existence, tous les secteurs de la vie sociale et tous les peuples. »
8. Rencontre avec les responsables de l’apostolat des laïcs, Corée, 16 août 2014.
9. Discours aux membres de la Communauté « Seguimi » (association laïque), 14 mars 2015 . Les laïcs doivent se « sentir partie active dans la mission de l’Église ». Ils doivent vivre leur « sécularité en [se] consacrant aux réalités propres de la cité terrestre : la famille, les professions, la vie sociale dans ses différentes expressions. »
10. Id..
11. Rencontre avec les responsables de l’apostolat des laïcs, Corée, op. cit..
12. Discours aux Prélats de la Conférence épiscopale du Japon en visite ad limina apostolorum, 20 mars 2015.
13. Discours devant l’Assemblée du Conseil pontifical pour les laïcs, 17 juin 2016.
14. Evangelii gaudium, 184.
15. Discours aux Prélats de la Conférence épiscopale du Japon en visite ad limina apostolorum, 20 mars 2015.
16. Discours à l’occasion de la remise du Prix Charlemagne, 6 mai 2016.
17. Lettre au Cardinal Ouellet, Président de la Commission pontificale pour l’Amérique latine, 19 mars 2016. Le cardinal canadien Marc Ouellet est aussi Préfet de la Congrégation pour les évêques.
18. Jésus (Jn 13) en lavant les pieds de ses disciples leur enseigna d’être serviteurs. Paul se nomme « serviteur de Jésus-Christ » (Rm 1, 1) ou « serviteur de Dieu » (Tt 1, 1). Il semble que ce soit le pape Grégoire Ier (590-604) qui inaugura pour les souverains pontifes le titre de « serviteur des serviteurs de Dieu » qui n’a pas été systématiquement employé mais qui a été remis à l’honneur par Paul VI et rappelé régulièrement par Jean-Paul II (cf. Constitution apostolique Universi Dominici gregis, 22 février 1996). Cette expression est importante car elle révèle le vrai sens de la hiérarchie dans l’Église qui n’a rien à voir avec quelque idée de domination mais qui, au contraire, révèle le vrai sens de l’autorité considérée comme un service.
19. Lettre au Cardinal Ouellet, op. cit..
20. Evangelii gaudium, 102.
21. Lettre au Cardinal Ouellet, op.cit..
22. EG 165.
23. FRANCOIS, Lettre au Peuple de Dieu, 20 août 2018. Jésus est pourtant clair avec ses apôtres : « Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles et que les grands les tiennent sous leur pouvoir. ce ne sera pas le cas au milieu de vous. Mais si quelqu’un veut être grand parmi vous, il sera votre serviteur ; et si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit votre esclave. C’est ainsi que le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. » (Mt 20, 20-28).
24. François, Lettre au Cardinal Marc Ouellet, op. cit..
25. FRANCOIS, Lettre au Peuple de Dieu, op. cit.. Dans cette lettre, le pape vise principalement la pédophilie dont sont coupables de nombreux prêtres en maints endroits.
26. SCARAFFIA Lucetta, A la racine spirituelle de la crise, in Osservatore romano, 21 août 2018. Le P. Stéphane Joulain, psychothérapeute, explique que « le cléricalisme est une composante de la crise des abus sexuels dans l’Église ». Dans les affaires de pédophilie, le cléricalisme commence lorsque la culture que partage les prêtres « dérive en corporatisme: lorsque les prêtres s’accordent des privilèges, et lorsque la protection des intérêts de leur groupe prend le pas sur celle de l’intégrité physique et psychologique des enfants. » (Interview sur www.la-croix.com, 17 août 2018).
27. Discours aux membres de la Communauté « Seguimi », 14 mars 2015.
28. Rencontre avec les responsables de l’apostolat des laïcs en Corée, 16 août 2014.
29. Discours aux Prélats de la Conférence épiscopale du Japon en visite ad limina apostolorum, op. cit..
30. « Un des meilleurs fruits du Concile » disait Paul VI, in Motu proprio Apostolatus peragendi, 10 décembre 1976
31. Id..
32. Discours devant l’Assemblée du Conseil pontifical pour les laïcs, op. cit..
33. EG 24.