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d. Les lieux d’engagement

La mission des laïcs dans l’Église

L’Église se définit comme une communion des chrétiens avec le Christ et communion des chrétiens entre eux. Cette Église-communion se construit et vit par l’écoute de la Parole et par les sacrements.⁠[1] Elle est le nouveau Peuple de Dieu en marche vers le Royaume sous la conduite de l’Esprit. Une Église-corps dont tous les membres sont divers et complémentaires mais toujours reliés entre eux par l’Esprit qui est l’âme de ce corps et qui distribue parmi les fidèles laïcs charismes, charges et ministères.⁠[2]

On pense d’abord aux ministres ordonnés c’est-à-dire qui ont reçu le sacrement de l’Ordre. C’est le ministère des prêtres qui sont ordonnés au service de tout le peuple de Dieu, service nécessaire à la vie et à la mission des fidèles laïcs. A côté des ministres ordonnés et sous leur direction, dans des situations de réelle nécessité, des fidèles laïcs peuvent recevoir, en suppléance, certaines fonctions qui ne relèvent pas du sacrement de l’Ordre et qui ne transforment certainement pas les laïcs en pasteurs.⁠[3] De plus, Jean-Paul II, à cet endroit, rappelle que ce n’est pas là la mission propre des laïcs.

L’Esprit accorde aussi des dons spéciaux, appelés charismes, à certains. Quels que soient ces dons, comme le don de prophétiser ou de guérir, pour autant qu’ils soient reconnus officiellement comme fruits de l’Esprit Saint, ils doivent être utilisés au service de la croissance de l’Église.⁠[4]

Au sein des Églises particulières qui sont à l’image de l’Église universelle, les fidèles laïcs peuvent participer aux synodes diocésains, aux conciles particuliers, collaborer, être consultés suivant les modalités fixées par l’autorité ecclésiastique locale.⁠[5]

C’est surtout au niveau de la paroisse, « maison ouverte à tous et au service de tous », que le fidèle laïc participe aux responsabilités pastorales en union étroite avec les prêtres. C’est là qu’ils feront croître « une authentique communion ecclésiale », c’est là qu’ils éveilleront « l’élan missionnaire vers les incroyants et aussi vers ceux, parmi les croyants, qui ont abandonné ou laissé s’affaiblir la pratique de la vie chrétienne. »[6] Cet apostolat nécessaire et irremplaçable peut être personnel ou collectif par le biais de diverses associations. Tous y sont appelés. L’apostolat personnel peut toucher dans la durée tous les milieux où les fidèles sont insérés.⁠[7] Par des associations variées anciennes ou nouvelles, l’apostolat peut avoir plus d’efficacité tout en étant signe de communion et d’unité dans le Christ. Les laïcs du simple fait de leur baptême ont le droit de fonder et de diriger librement des associations pour autant que leur ecclésialité soit respectée.⁠[8]

Jean-Paul II établit cinq critères à respecter:

  1. « Le primat donné à la vocation de tout chrétien à la sainteté »

  2. « L’engagement à professer la foi catholique en accueillant et proclamant la vérité sur le Christ, sur l’Église et sur l’homme, en conformité avec l’enseignement de l’Église, qui l’interprète de façon authentique. Toute association de fidèles laïcs devra donc être un lieu d’annonce et de proposition de la foi et d’éducation à cette même foi dans son contenu intégral. »

  3. La communion avec le pape et l’évêque, ce qui demande « une disponibilité loyale à recevoir leurs enseignements doctrinaux et leurs directives pastorales », en même temps que le « légitime pluralisme » et la « collaboration mutuelle ».

  4. « L’accord et la coopération avec le but apostolique de l’Église », ce qui implique un authentique « élan missionnaire ».

  5. « L’engagement à être présents dans la société humaine pour le service de la dignité intégrale de l’homme, conformément à la doctrine sociale de l’Église. »[9]

Le rôle des pasteurs est de discerner, guider et « surtout encourager »[10] les associations. Les associations et mouvements qui acquièrent une dimension nationale ou internationale ont intérêt à recevoir une reconnaissance officielle à l’instar des mouvements et associations d’Action catholique. Pasteurs et fidèles doivent entretenir des rapports de fraternité pour que tous les dons et charismes collaborent à « l’édification de la maison commune » sans « esprit d’antagonisme et de contestation », sans division ni opposition.⁠[11] Sans confusions non plus. Jean-Paul II n’a pas hésité à dénoncer des phénomènes fréquents de « laïcisation du clergé » et, parallèlement, de « cléricalisation du laïcat »[12].

La mission des laïcs dans le monde

C’est ici surtout, en priorité, que les laïcs sont attendus. La communion au sein de l’Église est une communion missionnaire qui favorise, en même temps la communion d’une Église qui doit porter la bonne nouvelle au monde entier. L’Église-communion doit introduire à la mission : « celui qui ne porte pas de fruit ne reste pas dans la communion »[13] Cette mission n’est autre que l’évangélisation qui construit l’Église. Cette tâche dont aucun baptisé n’est exempt, dans le monde tel qu’il a été décrit, consiste à annoncer l’Évangile : « aucun ne peut refuser de donner sa réponse personnelle » à l’appel reçu.⁠[14]

Une nouvelle évangélisation est absolument nécessaire et urgente dans ce monde marqué de plus en plus par l’indifférence religieuse, la sécularisation et l’efflorescence de nombreuses sectes. Les fidèles laïcs doivent travailler à la « formation de communions ecclésiales mûres », en participant à cette vie communautaire, en vivant toutes leurs activités dans la lumière de l’Évangile et en allant vers « ceux qui n’ont pas encore la foi ou qui ne vivent pas selon la foi reçue au baptême. »[15]

La catéchèse exercée par les parents est fondamentale bien sûr mais l’évangélisation ne s’arrête pas là, elle doit s’étendre à tous les hommes à travers le monde entier⁠[16].

Comme il s’agit de servir les personnes puisque Jésus-Christ par son incarnation s’est, d’une certaine manière, uni à tout homme, les fidèles laïcs sont, par leur « caractère séculier » en première ligne pour évangéliser le monde c’est-à-dire pour témoigner de l’éminente et indestructible dignité de toute personne et dénoncer toute discrimination raciale, économique, sociale, culturelle, politique. En effet, créés à l’image et à la ressemblance de Dieu et rachetés par le sang du Christ, tous les hommes sont égaux en dignité, appelés à la participation et à la solidarité. Cette dignité « exige le respect, la défense et la promotion des droits naturels, universels et inviolables » de la personne à commencer par son droit à la vie quels que soient son âge et son état, droit menacé souvent par les pouvoirs politique et technologique. Le droit à la vie est le « droit premier, origine et condition de tous les autres droits de la personne »[17]. Autre droit fondamental à défendre, « mesure des autres droits fondamentaux » est « le droit à la liberté de conscience et à la liberté religieuse ». Le respect et le service de la personne implique le service de la société⁠[18] puisque l’homme est un être social et la première société fondement de toutes les autres est constituée par le couple, « expression première de la communion des personnes »[19] et la famille qui « constituent le premier espace pour l’engagement social des fidèles laïcs ». Couple et famille doivent être soutenus, culturellement, économiquement, politiquement puisque l’on peut dire que « l’avenir de l’humanité passe par la famille »[20]. C’est là que commence l’animation chrétienne de l’ordre temporel.⁠[21]

Cette animation se manifeste, depuis les origines et sous des formes variées, par le service de la charité envers le prochain à commencer par les plus pauvres et les plus faibles, sans oublier qu’il y a de nombreuses formes de pauvreté et de faiblesse. Le texte précise, en effet que la « la charité […] anime et soutient une solidarité active, très attentive à la totalité des besoins de l’être humain ».⁠[22]

Cette charité est personnelle mais aussi solidaire à travers des groupes, des communautés libres et informelles ou institutionnelles.⁠[23] Charité d’autant plus nécessaire que les institutions et initiatives publiques sont souvent « neutralisées par un fonctionnarisme impersonnel, une bureaucratie exagérée, des intérêts privés excessifs, un désintéressement facile et généralisé. »[24]

Alors que l’on a cru longtemps que l’aumône était le tout de la charité, Jean-Paul II rappelle, tout au long du n° 42 et à la suite de ses prédécesseurs, que la charité est inséparable de la justice. Charité et justice « exigent la reconnaissance totale et effective des droits de la personne, à laquelle est ordonnée la société avec ses structures et ses institutions »[25] et donc les fidèles laïcs « ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la « politique », à savoir l’action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien commun. » Etant bien entendu le sens large ou étroit que le mot politique peut prendre, en tout cas, il s’ensuit que « tous et chacun ont le droit et le devoir de participer à la politique ». Et les fidèles laïcs n’ont aucune excuse pour s’abstenir car « cette participation peut prendre une grande diversité et complémentarité de formes, de niveaux, de tâches et de responsabilités. Les accusations d’arrivisme, d’idolâtrie du pouvoir, d’égoïsme et de corruption, qui bien souvent sont lancées contre les hommes du gouvernement, du parlement, de la classe dominante, des partis politiques, comme aussi l’opinion assez répandue que la politique est nécessairement un lieu de danger moral, tout cela ne justifie pas le moins du monde ni le scepticisme ni l’absentéisme des chrétiens pour la chose publique. »[26] S’engager politiquement, c’est servir la personne et la société, c’est « poursuivre le bien commun, en tant que bien de tous les hommes et bien de tout homme « . Le bien commun désigne « l’ensemble des conditions de vie sociale qui permettent aux hommes, aux familles et aux groupements de s’accomplir plus complètement et plus efficacement. »[27]

Dès lors, les missions imparties aux laïcs sont nombreuses et diverses. Ils doivent défendre et promouvoir en permanence la justice comme vertu et comme force morale à développer en faveur des droits et devoirs « de tous et de chacun sur la base de la dignité personnelle de l’être humain ». Ils doivent manifester un « esprit de service qui, joint à la compétence et à l’efficacité nécessaires, est indispensable pour rendre « transparente » et « propre » l’activité des hommes politiques », c’est-à-dire résister « aux manœuvres déloyales, au mensonge, [au] détournement des fonds publics au profit de quelques-uns ou à des fins de « clientélisme », [à] l’usage de procédés équivoques et illicites pour conquérir, maintenir, élargir le pouvoir à tout prix. » Ils doivent respecter la distinction des pouvoirs⁠[28], l’action citoyenne guidée par leur conscience chrétienne et l’action menée au nom de l’Église avec les pasteurs. L’Église, en effet, ne se confond avec aucune communauté ou système politique puisqu’elle est « le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine »[29]. Les laïcs seront en politique les témoins « des valeurs humaines et évangéliques » comme « la liberté et la justice, la solidarité, le dévouement fidèle et désintéressé au bien de tous, le style de vie simple, l’amour préférentiel pour les pauvres et les plus petits. » Cet engagement demande « toujours plus d’élan spirituel grâce à une participation réelle à la vie de l’Église et qu’ils soient éclairés par sa doctrine sociale. En cette tâche, ils pourront être accompagnés et aidés par les communautés chrétiennes et leurs pasteurs. »⁠[30] Cette action doit être solidaire et « la solidarité requiert la participation active et responsable de tous à la vie politique, de la part de chaque citoyen et des groupements les plus variés, depuis les syndicats jusqu’aux partis ; ensemble tous et chacun, nous sommes à la fois destinataires et participants actifs de la politique. » Cette action solidaire en faveur « de la vérité, de la justice et de la charité qui sont les fondements de la paix » doit se manifester non seulement sur le plan local ou national mais aussi international : « Les fidèles laïcs ne peuvent rester indifférents, étrangers ou paresseux devant tout ce qui est négation et compromission de la paix : violence et guerre, torture et terrorisme, camps de concentration, militarisation de la politique, course aux armements, menace nucléaire. » Dans cette optique, ils collaboreront avec tous ceux qui recherchent la paix et utiliseront « les organismes spécifiques et les institutions ». Il est capital d’éduquer à la paix, au dialogue et à la solidarité pour vaincre l’égoïsme, la haine, la vengeance, l’inimitié.⁠[31]

Bien d’autres chantiers attendent les fidèles laïcs. Ils ont à placer la personne au centre de la vie économico-sociale : les biens de la terre sont destinés à tous car ils sont nécessaires au développement de la personne. Tous ont le droit et le devoir de travailler pour développer la vie économique et acquérir une propriété privée qui a « une fonction sociale intrinsèque ». Encore faut-il bien organiser le travail pour éviter le chômage et en combattant les injustices : le lieu de travail est « un lieu où vit une communauté de personnes respectées dans leur particularité et dans leur droit à la participation ». C’est pourquoi il est nécessaire de « développer de nouvelles solidarités entre ceux qui participent au travail commun, de susciter de nouvelles formes d’entreprise et de provoquer une révision des systèmes de commerce, de finance et d’échanges technologiques ».⁠[32] De plus, il faut veiller au respect de la création et se servir intelligemment et respectueusement de ce don de manière responsable et mesurée en pensant aux générations futures.⁠[33]

Politique et économie doivent être réinvestis de même que le domaine de la culture : la « création et [la] transmission de la culture » sont « l’une des tâches les plus graves » à entreprendre surtout à une époque où la culture se détache de la foi et même des valeurs humaines et face à une culture scientifique et technologique incapable de répondre aux questions fondamentales que l’homme se pose.⁠[34] Il faut donc que les fidèles chrétiens soient présents dans l’école, l’université, les centres de recherche scientifique et technique, les lieux de création artistique et de réflexion humaniste. Cette tâche urgente s’impose : « évangéliser, […] en profondeur et jusque dans leurs racines, la culture et les cultures de l’homme. » Comme les instruments de communication sociale ont une grande influence, il s’agira aussi d’éduquer au sens critique, de « défendre la liberté et le respect de la dignité de la personne, et [de] favoriser la culture authentique des peuples, par un refus ferme et courageux de toute forme de monopolisation et de manipulation. » L’Évangile doit être annoncé partout : dans la presse, le cinéma, la radio, la télévision, le théâtre. ⁠[35]


1. CL 19.
2. CL 20.
3. CL 23.
4. CL 24.
5. CL 25.
6. CL 27.
7. CL 28.
8. CL 29.
9. Cf. CL 30. Le résumé repris ici est emprunté à Forestier, P. Luc, op. cit., p. 55.
10. CL 31.
11. CL 31.
12. Allocution aux évêques suisses à Einsiedeln, le 14 juin 1984.
13. CL 32. Cf. Jn 15, 2: « Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, [mon Père] l’enlève ».
14. CL 33.
15. CL 34.
16. CL 35.
17. CL 36-38.
18. CL 39.
19. GS 12.
20. CL 40. Jean-Paul II renvoie à cet endroit à son Exhortation apostolique Familiaris consortio, 1981 et à la Charte des Droits de la famille présentée en 1983 par le Saint-Siège à toutes les personnes, institutions et autorités intéressées à la mission de la famille dans le monde d’aujourd’hui. Cette charte « constitue un programme d’action complet et organique pour tous les fidèles laïcs qui, à des titres divers, sont intéressés à la promotion des valeurs et des exigences de la famille […​]. » (CL 40).
21. Familiaris consortio, 85.
22. CL 41.
23. « Différentes formes de bénévolat », service désintéressé, expression importante d’apostolat CL 41.
24. CL 41.
25. Jean-Paul II l’explique dans son encyclique Dives in misericordia, 30 novembre 1980, 12.
26. CL 42.
27. Jean-Paul II reprend ici la définition de GS 74.
28. Rien qu’entre 1981 et 1990, Jean-Paul II a abordé la question dans près de 70 discours, lettres ou homélies (Cf. CALLENS Claude, Un sens à la société, Essai de synthèse de la doctrine sociale de l’Église sous le pontificat de Jean-Paul II (de 1978 à 1991), ASOFAC, 1993, pp.52-54. Chaque fois, Jean-Paul II évoque précisément cette nécessaire distinction entre temporel et spirituel, le rôle du clerc et le rôle du laïc. Ce ne sont que des échos de textes plus officiels qui, à la fin du XXe siècle, ont donné plus de solennité encore à ces principes. Citons le Document de la Sacrée Congrégation pour les religieux et les Instituts séculiers (12 août 1980), la Déclaration de la Sacrée Congrégation pour le clergé (8 mars 1982), le Code de droit canonique (1983, cf. canons 285 et surtout 287), le Catéchisme de l’Église catholique (Cf. articles 898 et 899) et le Directoire pour le ministère et la vie des prêtres (1994).
29. Cf. GS 76.
30. Il s’agit de la proposition 28 des Pères synodaux.
31. CL 42.
32. CL 43. C’est ce que développe Benoît XVI dans l’encyclique Caritas in veritate, 2009.
33. François développera cela dans l’encyclique Laudato si’, 2015.
34. Jean-Paul II reprend à cet endroit la définition de GS 53: « tout ce par quoi l’homme affine et développe les multiples capacités de son esprit et de son corps ; s’efforce de soumettre l’univers par la connaissance et le travail ; humanise la vie sociale, aussi bien la vie familiale que l’ensemble de la vie civile, grâce au progrès des mœurs et des institutions ; traduit, communique et conserve enfin dans ses œuvres, au cours du temps, les grandes expériences spirituelles et les aspirations majeures de l’homme, afin qu’elles servent au progrès d’un grand nombre et même de tout le genre humain. » La question culturelle est développée dans le Discours prononcé par Jean-Paul II à l’UNESCO le 2 juin 1980.
35. CL 44.