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ii. Karol Wojtyla et le Concile Vatican II

Nous avons accordé une grande place à l’enseignement du pape Pie XII parce que celui-ci, à partir de son approfondissement de la théologie du Corps mystique du Christ, a bien mis en évidence l’importance, au sein de l’Église, de tout baptisé, consacré ou laïc, et souligné le rôle irremplaçable du laïc dans l’Église et dans le monde. C’est sur cette base que le Concile va travailler⁠[1] et notamment sous l’impulsion du cardinal Wojtyla, le futur Jean-Paul II qui, durant tout son pontificat s’emploiera à développer et promouvoir les prises de position conciliaires. Il est donc important de s’attarder aux textes du Concile qui touchent au problème qui nous intéresse ici.

Le théologien allemand Bernhard Häring, expert au Concile Vatican II, écrit, en 1966, « que l’avenir verra en premier lieu, dans ce Concile, le concile qui a rendu aux laïcs le rôle qu’ils doivent remplir dans l’Église. »[2]

Pour la première fois dans l’histoire de l’Église, en effet, un concile va longuement se pencher sur la personne du laïc et son rôle dans l’Église et dans le monde. Dans la Constitution dogmatique sur l’Église Lumen gentium (LG), texte essentiel, tout le chapitre IV leur est consacré. Mais il est déjà question d’eux dès le chapitre II qui définit le peuple de Dieu⁠[3]. Ce n’est pas tout : leur est entièrement consacré le décret sur l’apostolat des laïcs Apostolicam actuositatem (AA) qui décrit longuement le pourquoi et le comment de l’engagement des laïcs. C’est à ces endroits précisément que le concile a repris, développé et approfondi les prises de position de Pie XII⁠[4]. Enfin, pour nourrir et orienter l’action des laïcs, le concile va leur offrir le texte le plus long de l’ensemble, la Constitution pastorale Gaudium et spes (GS) sur l’Église dans le monde de ce temps.

Quant au cardinal Wojtyla, il a déployé une « très intense activité »[5] dans ce concile et notamment pour orienter le schéma sur l’Église qui deviendra la constitution dogmatique Lumen gentium et le schéma sur l’apostolat des laïcs qui deviendra le décret Apostolicam actuositatem. On sait que le futur Jean-Paul II a milité pour que soit mise en évidence l’unité du peuple de Dieu, pour que le laïcat soit fortement valorisé et que lui soient reconnus « le droit et le devoir d’être un agent actif de l’apostolat, en vertu de son baptême, et non en raison d’un mandat particulier »[6]. Ses interventions seront déterminantes⁠[7] également dans la préparation de la constitution pastorale Gaudium et spes[8], non seulement au niveau de l’orientation générale mais aussi au niveau de la rédaction du texte au sein de la commission théologique chargée de ce travail. Le futur pape travailla en particulier sur le chapitre IV qui retiendra spécialement notre attention.⁠[9] Le texte qui, après avoir décrit, avec une acuité particulière, l’état du monde contemporain, les obscurités, les changements psychologiques, moraux et religieux, les déséquilibres, les aspirations et les interrogations, propose, face aux différentes formes d’athéisme, la vision chrétienne de l’homme et de la société et les services que l’Église peut leur offrir.⁠[10] C’est à cet endroit (chapitre IV) qu’est abordé « le rôle de l’Église dans le monde de ce temps. »[11]

Pour les Pères conciliaires, il s’agissait non seulement de répondre aux nécessités du temps mais aussi de revenir aux sources, aux Actes des Apôtres et aux épîtres qui montrent quelle place les laïcs occupèrent dans l’évangélisation aux premiers temps.


1. A la suite de Pie XI, Pie XII avait envisagé, dès 1948, la convocation d’un concile œcuménique et organisé différentes commissions préparatoires. En 1951, vu la longueur des préparatifs et son âge, il abandonna « laissant à son successeur la charge d’un nouveau concile. » En 1959, la nouvelle commission convoquée par Jean XXIII put prendre connaissance des documents qui avaient été préparés sous Pie XII et plusieurs membres de l’ancienne commission eurent un rôle important lors du concile Vatican II. (Cf. UGINET François-Charles, Les projets de concile général sous Pie XI et Pie XII, dans Le deuxième concile du Vatican (1959-1965), Actes du colloque organisé à Rome, 28-30 mai 1986, Rome, Ecole française de Rome, 1989, pp. 65-78.
2. HÄRING Bernard, Vatican II pour tous, Paris, Apostolat des éditions, 1966, p. 159.
3. « C’est vers les fidèles catholiques que le saint Concile tourne en premier lieu sa pensée. » (LG 14).
4. Dans le chapitre IV de Lumen gentium, comme dans le Décret Apostolicam actuositatem, l’auteur le plus cité en référence est Pie XII.
5. Pour approfondir cette question, on lira BUTTIGLIONE Rocco, La pensée de Karol Wojtyla, Fayard, 1982, p. 265. Tout le chapitre 6, Wojtyla et le Concile (pp. 251-321), est intéressant. On peut lire aussi WOJTYLA Karol, Aux sources du renouveau. Etude sur la mise en œuvre du concile Vatican II, Paris, Centurion, 1981 (publié en 1972 en polonais) ; CONGAR Yves, Mon journal du Concile, Paris, Cerf, 2002 ; et surtout LEBRUN Dominique, Interventions de Karol Wojtyla au Concile Vatican II, Paris, Parole et silence, 2012, où l’on trouve tous les textes des interventions de l’archevêque de Cracovie.
6. Id., p. 267.
7. Yves Congar note dans son Journal : « Wojtyla fait une forte impression. Sa personnalité s’impose. Il rayonne d’elle un fluide, une certaine force prophétique, très calme, mais irrécusable. » (op. cit., t. II, p. 312).
8. Il s’agit du schéma XIII auquel des laïcs apportèrent leur contribution.
9. BUTTIGLIONE, Rocco, op. cit., pp. 272 et svtes.
10. Ce sera l’occasion, dans une deuxième partie, d’éclairer des principes sociaux chrétiens quelques « problèmes plus urgents ».
11. Trois textes intéresseront aussi particulièrement les laïcs dans leur action : le décret Inter mirifica sur les moyens de communication sociale, et les déclarations Dignitatis humanae sur la liberté religieuse et Gravissimum educationis momentum sur l’éducation chrétienne. Il est aussi question des laïcs dans la Constitution sur la liturgie Sacrosanctum concilium (26-40), et dans les décrets Christus Dominus sur la charge pastorale des évêques dans l’Église (16-18), Presbyterorum ordinis sur le ministère et la vie des prêtres (art. 9) et Ad Gentes divinitus, sur l’activité missionnaire de l’Église.

⁢a. qu’est-ce que l’Église ?

Comme le révèlent les Écritures, l’Église est « peuple de Dieu » et « Corps mystique du Christ ». En effet, « Par le baptême […] nous sommes rendus semblables au Christ »[1] et nous devenons tous, laïcs, religieux et clercs, « à titre égal »[2] et selon le célèbre passage de la 1re épître de Pierre, « une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu s’est acquis, ceux qui autrefois n’étaient pas un peuple étant maintenant le peuple de Dieu »[3]. Puisque par le baptême nous sommes rendus semblables au Christ, membres de son Corps, et que le Christ est prêtre, prophète et roi, prêtre car il est le chemin vers Dieu, prophète parce qu’il est Parole de Dieu, et roi par l’obéissance et le service, nous aussi nous participons, chacun à sa manière et selon son état, à cette triple mission. Tout baptisé, et donc tout laïc chrétien, est prêtre dans la mesure où toutes les activités de la vie sont autant d’offrandes à Dieu.⁠[4] Il est prophète dans la mesure où il témoigne par l’exemple et la parole de son espérance et l’exprime « à travers les structures de la vie du siècle » particulièrement dans le mariage et la famille qui est « le terrain d’exercice et l’école par excellence de l’apostolat des laïcs ».⁠[5] Il est roi dans la mesure où il étend partout le règne du Christ : « règne de vérité et de vie, règne de sainteté et de grâce, règne de justice, d’amour et de paix, règne où la création elle-même sera affranchie de l’esclavage de la corruption pour connaître la liberté glorieuse des fils de Dieu ».⁠[6]

Ainsi le Concile met en avant la commune égalité de dignité de tous les baptisés « du fait de leur régénération dans le Christ ». La conclusion est claire : « Il n’y a donc dans le Christ et dans l’Église, aucune inégalité qui viendrait de la race ou de la nation, de la condition sociale ou du sexe …​ ». Et le Concile insiste : « Si donc dans l’Église, tous ne marchent pas par le même chemin, tous, cependant sont appelés à la sainteté et ont reçu à titre égal la foi qui introduit dans la justice de Dieu […]. Quant à la dignité et à l’activité commune à tous les fidèles dans l’édification du Corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité. » Egalité et fraternité, pourrait-on dire, puisqu’il revient « aux pasteurs de l’Église qui suivent l’exemple du Seigneur, d’être au service les uns des autres et au service des autres fidèles ; à ceux-ci de leur côté d’apporter aux pasteurs et aux docteurs le concours empressé de leur aide. » Et même si tous ne suivent pas le même « chemin », si les fonctions et les rôles sont différents, « la diversité même des grâces, des ministères et des opérations contribue à lier les fils de Dieu en un tout. »[7] Car s’« il y a dans l’Église diversité de ministères », il y a « unité de mission. »[8]


1. LG 7.
2. LG 30.
3. 1 P 2, 9-10. Citation reprise dans LG 9.
4. LG 34.
5. LG 35.
6. LG 36.
7. LG 32.
8. AA 2.

⁢b. qu’est-ce qu’un laïc ?

Vu ce qui précède, la définition traditionnelle du laïc, celui qui n’est ni clerc ni religieux, va se compléter de manière positive : « Sous le nom de laïcs, on entend ici l’ensemble des chrétiens qui ne sont pas membres de l’ordre sacré et de l’état religieux sanctionné dans l’Église[1], c’est-à-dire les chrétiens qui, étant incorporés au Christ par le baptême, intégrés au peuple de Dieu, faits participants à leur manière de la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, exercent, pour leur part, dans l’Église et dans le monde, la mission qui est celle de tout le peuple chrétien. » ⁠[2]

Quant à « l’apostolat », il désigne désormais « toute activité du Corps mystique qui tend vers ce but : étendre le règne du Christ à toute la terre, pour la gloire de Dieu le Père »[3] .

A cet apostolat, tous sont conviés. Tous les fidèles « ont le droit et le devoir d’exercer l’apostolat ».⁠[4] Et le Concile insiste : « à cet apostolat, tous sont députés ». Cet apostolat « concerne tous les chrétiens sans exception ».⁠[5] « A tous s’impose le devoir de coopérer à l’extension et au progrès du règne du Christ dans le monde. »[6]

Autrement dit encore, tous les chrétiens sont missionnaires, envoyés⁠[7] pour annoncer l’Évangile.⁠[8]


1. Comme le note le P. Chantraine, « cette « définition » négative n’est nullement incompatible avec le caractère positif de la fonction du simple chrétien ». » En fait, « privé de sa caractéristique « négative », le laïc risque alors de se confondre avec prêtre et évêque. » (op. cit., pp. 127-128).
2. LG 31.
3. AA 2.
4. AA25.
5. LG 33.
6. LG 35.
7. « Apostolos » en grec.
8. Voir le développement donné par le Décret Ad gentes, sur l’activité missionnaire de l’Église. Les laïcs y sont inclus évidemment (21-22).

⁢c. Rappel du rôle de l’Église

L’Église a pour mission d’annoncer l’Évangile à tout homme. Cet homme, n’est pas un être désincarné. Il est né dans un pays déterminé, a été nourri d’une culture particulière. Il travaille, subit ou exerce un pouvoir politique, etc.. C’est cet homme, tout entier, dans l’intégralité de sa nature spirituelle et corporelle, c’est cet être de relations, personnel et social que l’Église veut servir.⁠[1]

Eclairé par cette bonne nouvelle, l’homme, membre du « peuple de Dieu », laïc, prêtre ou religieux, s’efforce d’y conformer son cœur et son esprit mais aussi toutes ses actions, dans quelque situation qu’il soit. Il devient, dans toutes les circonstances de sa vie, témoin de l’Évangile, en pensée, en paroles et en acte.

Par ailleurs, comme toutes les choses créées dépendent de Dieu, l’homme ne peut en disposer sans référence au Créateur⁠[2]. Dès lors, il faut « construire le monde tel que Dieu le veut »[3]. Il faut que toute activité humaine « soit conforme au bien authentique de l’humanité, selon le dessein et la volonté de Dieu, et qu’elle permette à l’homme, considéré comme individu ou comme membre de la société, de s’épanouir selon la plénitude de sa vocation. »[4] L’homme, créé  »_ à l’image de Dieu », capable de connaître et d’aimer son Créateur,_ […] a été constitué seigneur de toutes les créatures terrestres, pour les dominer et pour s’en servir, en glorifiant Dieu. »[5]


1. Cf. LG 3 et GS 14.
2. Cf. Gn. 1, 1: « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ». Le Symbole de Nicée-Constantinople précise : « …​l’univers visible et invisible ». Cf. également GS, n° 36, par. 3, qui fait remarquer que cette idée n’est pas seulement chrétienne : « …​tous les croyants, à quelque religion qu’ils appartiennent, ont toujours entendu la voix de Dieu et sa manifestation, dans le langage des créatures ». Et le texte ajoute encore, peut-être à l’adresse des philosophes qui se penchent sur le mystère de l’homme, que « l’oubli de Dieu rend opaque la créature elle-même ».
3. PIE XII, Discours au rassemblement mondial de la JOC, Rome, 25-8-1957, cité par CARDIJN J., in Laïcs en premières lignes, Vie ouvrière, 1963, p. 11 et p. 189.
4. GS 35, 2.
5. GS 12, 3. Cf. Gn 1, 26 et Sg 2, 23.

⁢d. Ne pas séparer le spirituel et le temporel

[1]

Il serait donc absurde de rejeter, négliger, dévaloriser l’engagement temporel sous prétexte que le « Royaume n’est pas de ce monde »[2] ou que la foi suffit et il serait incohérent de s’engager sans tenir compte des exigences de sa foi. Le concile Vatican II n’a pas hésité à considérer ce « divorce » entre la foi et l’engagement temporel comme une des « plus graves erreurs de notre temps ». Il n’est pas inutile de relire ce texte⁠[3] qui s’adresse surtout aux laïcs (les précisions sur les « tâches terrestres » l’insinuent) : « Le Concile exhorte les chrétiens, citoyens de l’une et l’autre cité[4], à remplir avec zèle et fidélité leurs tâches terrestres, en se laissant conduire par l’esprit de l’Évangile. Ils s’éloignent de la vérité ceux qui, sachant que nous n’avons point ici-bas de cité permanente, mais que nous marchons vers la cité future (cf. He 13,14), croient pouvoir, pour cela, négliger leurs tâches humaines, sans s’apercevoir que la foi même, compte tenu de la vocation de chacun, leur en fait un devoir plus pressant (cf. 2 Th 3, 6-13 ; Ep 4, 28). Mais ils ne se trompent pas moins ceux qui, à l’inverse, croient pouvoir se livrer entièrement à des activités terrestres en agissant comme si elles étaient tout à fait étrangères à leur vie religieuse - celle-ci se limitant alors pour eux à l’exercice du culte et à quelques obligations morales déterminées. Ce divorce entre la foi dont ils se réclament et le comportement quotidien d’un grand nombre est à compter parmi les plus graves erreurs de notre temps. Ce scandale, déjà dans l’Ancien Testament, les prophètes le dénonçaient avec véhémence et, dans le Nouveau Testament avec plus de force encore, Jésus-Christ lui-même le menaçait de graves châtiments (cf. Mt. 23, 3-33 ; Mc. 7, 10-13). Que l’on ne crée donc pas d’opposition artificielle entre les activités professionnelles et sociales d’une part, la vie religieuse d’autre part. En manquant à ses obligations terrestres, le chrétien manque à ses obligations envers le prochain, bien plus envers Dieu lui-même, et il met en danger son salut éternel. A l’exemple du Christ qui mena la vie d’un artisan, que les chrétiens se réjouissent plutôt de pouvoir mener toutes leurs activités terrestres en unissant dans une synthèse vitale tous les efforts humains, familiaux, professionnels, scientifiques, techniques, avec les valeurs religieuses, sous la souveraine ordonnance desquelles tout se trouve coordonné à la gloire de Dieu ».

L’indifférence aux tâches terrestres qu’on peut appeler « surnaturalisme », risque d’être sanctionnée tôt ou tard dans les faits et, indépendamment de son égoïsme plus ou moins latent, ne peut se vivre, en définitive, sans quelque désagrément. Le Concile est clair : « aucune activité humaine, fût-elle d’ordre temporel, ne peut être soustraite à l’empire de Dieu. »⁠[5]

L’autre attitude qui consiste à vivre les activités profanes sans les pénétrer des exigences de la foi, en athée, pourrait-on dire, est très répandue. C’est la raison pour laquelle, sans doute, le texte s’y attarde davantage, et dans des termes très sévères, dans la mesure où les chrétiens qui vivent cette séparation portent un contre-témoignage scandaleux sans même s’en rendre compte la plupart du temps. C’est une déviation fréquente qu’il convient de dénoncer sans relâche car, outre sa propre inconsistance, elle favorise, dans bien des cas, l’injustice

Le chapitre IV place donc clairement les laïcs face à leurs responsabilités en condamnant aussi bien le surnaturalisme que l’activisme et refusant en même temps que l’on crée une « opposition artificielle entre les activités professionnelles et sociales d’une part, la vie religieuse d’autre part. »[6]


1. Le domaine temporel est celui du temps, des choses qui passent (vie matérielle). Chez saint Thomas, temporel est synonyme de séculier et s’oppose à éternel ou à spirituel (vie morale et religieuse) (cf. LALANDE A., op. cit.).
2. Jn 18, 36.
3. GS n° 43, par. 1.
4. La cité terrestre et la cité céleste.
5. LG 36.
6. GS 43.

⁢e. Distinguer le spirituel et le temporel

Mais si la séparation du spirituel et du temporel conduit à des aberrations, la confusion des deux domaines en produit tout autant.

Il ne suffit pas d’être un saint bien intentionné pour faire un bon chef d’entreprise ou un député efficace. Le Concile Vatican II l’a une fois de plus bien expliqué : « Si par autonomie des réalités terrestres, on veut dire que les choses créées et les sociétés elles-mêmes ont leurs lois et leurs valeurs propres, que l’homme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser et à organiser, une telle exigence d’autonomie est pleinement légitime : non seulement elle est revendiquée par les hommes de notre temps, mais elle correspond à la volonté du Créateur. C’est en vertu de la création même que toutes choses sont établies selon leur consistance, leur vérité et leur excellence propres, avec leur ordonnance et leurs lois spécifiques. L’homme doit respecter tout cela et reconnaître les méthodes particulières à chacune des sciences et techniques. C’est pourquoi la recherche méthodique, dans tous les domaines du savoir, si elle est menée d’une manière vraiment scientifique et si elle suit les normes de la morale, ne sera jamais réellement opposée à la foi : les réalités profanes et celles de la foi trouvent leur origine dans le même Dieu (Cf. Conc. Vat. I, Const. dogm. De fide cath., cap. III). Bien plus, celui qui s’efforce, avec persévérance et humilité, de pénétrer les secrets des choses, celui-là, même s’il n’en a pas conscience, est comme conduit par la main de Dieu, qui soutient tous les êtres et les fait ce qu’ils sont »[1].

Chaque domaine de l’activité terrestre a ses lois et ses méthodes. Il réclame, sous peine d’inefficacité, la compétence appropriée. Si certaines vertus morales sont absolument indispensables dans l’engagement social, politique, économique ou culturel, elles ne peuvent suffire : « L’action concrète dans le domaine des réalités temporelles, selon les indications du Magistère, est principalement la tâche des laïcs, qui doivent se laisser guider constamment par leur conscience chrétienne. il est donc juste qu’ils acquièrent, en même temps que la formation morale et spirituelle, les compétences nécessaires dans le domaine scientifique et politique qui les rendent aptes à mener une action efficace, mise en œuvre selon de justes critères moraux »[2].

Le concile proclame ainsi la fin du cléricalisme même si la tentation demeure comme nous le verrons. La prise de position du Concile enlève par le fait même aux laïcs et a fortiori aux laïcistes⁠[3] toute raison de verser dans l’anticléricalisme puisque il est clairement demandé aux clercs de cesser de rêver d’un pouvoir direct sur les affaires temporelles où ils n’ont pas, en principe, de responsabilités.


1. GS, n° 36, par. 2. Le texte ne manque pas de « déplorer certaines attitudes qui ont existé parmi les chrétiens eux-mêmes, insuffisamment avertis de la légitime autonomie de la science. Sources de tensions et de conflits, elles ont conduit beaucoup d’esprits jusqu’à penser que science et foi s’opposaient ».
2. Congrégation pour l’éducation catholique, Orientations pour l’étude et l’enseignement de la doctrine sociale de l’Église dans la formation sacerdotale, 1989, 58.
3. Ceux qui déclarent que la religion est une affaire strictement privée.

⁢f. La mission spécifique du laïcat

S’il faut distinguer mais non séparer les matières et les domaines d’action, il ne faut pas non plus confondre les rôles. En effet, la mission de tout chrétien ne s’exerce pas de manière unique mais selon l’état de vie de chacun⁠[1]. Ainsi, même si « les laïcs peuvent encore, de diverses manières, être appelés à coopérer plus immédiatement avec l’apostolat hiérarchique »[2], « les laïcs sont appelés tout spécialement à assurer la présence et l’action de l’Église dans les lieux et les circonstances où elle ne peut devenir autrement que par eux le sel de la terre »[3] C’est à eux que « reviennent en propre, quoique non exclusivement, les professions et les activités séculières. Lorsqu’ils agissent, soit individuellement, soit collectivement, comme citoyens du monde, ils auront donc à cœur, non seulement de respecter les lois propres à chaque discipline, mais d’y acquérir une véritable compétence. Ils aimeront collaborer avec ceux qui poursuivent les mêmes objectifs qu’eux. Conscients des exigences de leur foi et nourris de sa force, qu’ils n’hésitent pas, au moment opportun, à prendre de nouvelles initiatives et à en assurer la réalisation. C’est à leur conscience, préalablement formée, qu’il revient d’inscrire la loi divine dans la cité terrestre »[4].

A cet endroit, Gaudium et spes reprend l’enseignement de Lumen gentium qui déclarait déjà que « la vocation propre des laïcs consiste à chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses temporelles qu’ils ordonnent selon Dieu. Ils vivent au milieu du siècle, c’est-à-dire engagés dans tous les divers devoirs de la vie familiale et sociale dont leur existence est comme tissée. A cette place, ils sont appelés par Dieu pour travailler comme du dedans à la sanctification du monde, à la façon d’un ferment, et en exerçant leurs propres charges sous la conduite de l’esprit évangélique, et pour manifester le Christ aux autres avant tout par le témoignage de leur vie, rayonnant de foi, d’espérance et de charité. C’est à eux qu’il revient, d’une manière particulière, d’éclairer et d’orienter toutes les réalités temporelles auxquelles ils sont étroitement unis, de telle sorte qu’elles se fassent et prospèrent constamment selon le Christ et soient à la louange du Créateur et Rédempteur »[5].

Le décret sur l’apostolat des laïcs le répétera encore une fois : « Les laïcs doivent assumer comme leur tâche propre le renouvellement de l’ordre temporel. Eclairés par la lumière de l’Évangile, conduits par l’esprit de l’Église, entraînés par la charité chrétienne, ils doivent en ce domaine agir par eux-mêmes d’une manière bien déterminée. membres de la cité, ils ont à coopérer avec les autres citoyens suivant leur compétence particulière en assumant leur propre responsabilité et à chercher partout et en tout la justice du royaume de Dieu. L’ordre temporel est à renouveler de telle manière que, dans le respect de ses lois propres et en conformité avec elles, il devienne plus conforme aux principes supérieurs de la vie chrétienne et soit adapté aux conditions diverses des lieux, des temps et des peuples. Parmi les tâches de cet apostolat l’action sociale chrétienne a un rôle éminent à jouer. le Concile désire la voir s’étendre aujourd’hui à tout le secteur temporel sans oublier le plan culturel. »⁠[6]

Telle est la tâche propre des laïcs⁠[7] qui se trouvent ainsi, selon le mot de Pie XII « aux premières lignes de la vie de l’Église »[8].

Tâche propre mais non exclusive⁠[9] précise GS. Les tâches d’enseignement et les œuvres caritatives sont effet dans le prolongement direct de la mission de l’Église tout entière, « mère et éducatrice des peuples ». Mais pour ce qui est des autres tâches temporelles, on ne peut guère admettre, pour les clercs, qu’un rôle supplétif et temporaire exceptionnel et toujours soumis à l’autorité supérieure.

Vis-à-vis des « activités séculières », la tâche ordinaire des clercs est peut-être d’éclairer, de former, de conseiller, quand ils sont seuls au courant de la doctrine sociale chrétienne⁠[10], mais surtout et toujours de nourrir et soutenir spirituellement les laïcs engagés. « qu’ils attendent des prêtres, souhaite le Concile, lumières et forces spirituelles. qu’ils ne pensent pas pour autant que leurs pasteurs aient une compétence telle qu’ils puissent leur fournir une solution concrète et immédiate à tout problème, même grave, qui se présente à eux, ou que telle soit leur mission. Mais, éclairés par la sagesse chrétienne, prêtant fidèlement attention à l’enseignement du magistère, qu’ils prennent eux-mêmes leurs responsabilités »[11].

Le texte précise encore : « Quant aux évêques, qui ont reçu la charge de diriger l’Église de Dieu, qu’ils prêchent avec leurs prêtres le message du Christ de telle façon que toutes les activités terrestres des fidèles puissent être baignées de la lumière de l’Évangile. En outre, que tous les pasteurs se souviennent que, par leur comportement quotidien et leur sollicitude, ils manifestent au monde un visage de l’Église d’après lequel les hommes jugent de la force et de la vérité du message chrétien. Par leur vie et par leur parole, unis aux religieux et à leurs fidèles, qu’ils fassent ainsi la preuve que l’Église, par sa seule présence, avec tous les dons qu’elle apporte, est une source inépuisable de ces énergies dont le monde d’aujourd’hui a le plus grand besoin. qu’ils se mettent assidûment à l’étude, pour être capables d’assumer leurs responsabilités dans le dialogue avec le monde et avec les hommes de toute opinion. Mais surtout, qu’ils gardent dans leur cœur ces paroles du Concile : « Parce que le genre humain, aujourd’hui de plus en plus, tend à l’unité civile, économique et sociale, il est d’autant plus nécessaire que les prêtres, unissant leurs préoccupations et leurs moyens sous la conduite des évêques et du Souverain Pontife, écartent tout motif de dispersion pour amener l’humanité entière à l’unité de la famille de Dieu » (LG 28). »⁠[12]


1. On peut ici rappeler la doctrine de l’Église comme « Corps mystique du Christ », telle qu’elle est, par exemple, rappelée dans la Constitution dogmatique Lumen gentium au Concile Vatican II (n° 7) : « …​ comme tous les membres du corps humain, malgré leur multiplicité, ne forment cependant qu’un seul corps, ainsi les fidèles dans le Christ(cf. 1 Cor. 12,12) ». Mais, comme dans le corps, tous les membres n’ont pas le même rôle, « dans l’édification du Corps du Christ règne également une diversité de membres et de fonctions ». Sur la distinction entre clercs et laïcs, leurs rôles spécifiques et les dangers des interférences, on peut lire G. CHANTRAINE, op. cit..
2. LG 33. C’est le cas, lorsque leur action se déroule à l’intérieur de l’Église et non dans le monde.
3. LG 33.
4. GS, n° 43, par 2.
5. LG, 31.
6. AA 7.
7. C’est la tâche propre et prioritaire du laïcat. Ce n’est évidemment pas sa tâche unique : « les laïcs, qui doivent activement participer à la vie totale de l’Église, ne doivent pas seulement s’en tenir à l’animation chrétienne du monde, mais ils sont aussi appelés à être, en toute circonstance et au cœur même de la communauté humaine, les témoins du Christ » (GS 43, 4.).
8. Aux nouveaux cardinaux, 20-2-1946, cité par CHANTRAINE G. in Les laïcs, chrétiens dans le monde, op. cit., p. 7. C’est aussi le titre d’un livre de J. Cardijn, comme nous l’avons vu. Pie XI appelait les laïcs « apôtres premiers et immédiats » (QA).
9. La réserve (« non exclusivement ») peut s’entendre dans deux sens : les tâches temporelles ne sont pas exclusivement réservées au laïcat même si c’est leur première vocation (c’est le sens que nous avons retenu ici) et ces tâches ne sont pas les seules tâches du laïcat. GS, 43, 4 l’indique clairement (cf. n. 158).
10. « …​une doctrine que tous les fidèles sont appelés à connaître, à enseigner et à appliquer » Plus précisément encore, « le devoir du prêtre est d’aider les laïcs à prendre conscience de leur rôle, de les former tant spirituellement que doctrinalement, de les accompagner dans l’action sociale, de participer à leurs fatigues et à leurs souffrances, de reconnaître l’importante fonction de leurs organisations au plan apostolique comme au plan de l’engagement social, de leur donner le témoignage d’une profonde sensibilité sociale. L’efficacité du message chrétien dépend donc, outre l’action de l’Esprit Saint, du style de vie et du témoignage pastoral du prêtre qui, en servant les hommes de manière évangélique, révèle le visage authentique de l’Église ». Congrégation pour l’éducation catholique, Orientations pour l’étude et l’enseignement de la doctrine sociale de l’Église dans la formation sacerdotale, 1989, Préliminaires et p. 77.
11. GS 43, 2.
12. GS 43, 5.

⁢g. La doctrine et les programmes

Le rôle des prêtres est donc d’abord d’apporter aux laïcs « lumières et forces spirituelles ». Autrement dit, le rôle des clercs (pape, évêques, prêtres et religieux)⁠[1] est de soutenir l’action des laïcs, par le service sacramentel et par l’enseignement. Celui-ci, se limitant, si l’on peut dire, « au rappel de quelques vérités majeures dont [le Concile] expose les fondements à la lumière de la Révélation. [Le Concile] insiste ensuite sur quelques conséquences qui revêtent une importance particulière en notre temps. » ⁠[2] Il s’ensuit que « l’Église, gardienne du dépôt de la parole divine, où elle puise les principes de l’ordre religieux et moral, n’a pas toujours, pour autant, une réponse immédiate » aux questions que l’on peut se poser sur l’activité humaine, mais « elle désire toutefois joindre la lumière de la révélation à l’expérience de tous, pour éclairer le chemin où l’humanité vient de s’engager. »[3] C’est précisément aux laïcs de trouver comment appliquer concrètement cette doctrine suivant les situations particulières et changeantes dans lesquelles ils se trouvent. Leur revient donc la tâche d’élaborer des programmes, c’est-à-dire d’inventer les solutions techniques susceptibles de résoudre les problèmes qui se posent dans les différents domaines de l’activité temporelle. Si l’Église hiérarchique, « gardienne des mœurs et de la foi », est bien placée pour réfléchir aux conditions d’une économie conforme aux exigences évangéliques, nul n’est mieux placé que le chef d’entreprise pour appliquer concrètement, de la manière la plus adéquate, ces directives. C’est d’abord une question de compétence.

Il arrivera, tout naturellement, que la même doctrine puisse inspirer des programmes différents. Il n’y a là rien d’étonnant ni de scandaleux si tout se vit dans le dialogue, la charité et la recherche du bien commun. La vision chrétienne des choses inclinera les laïcs « à telle ou telle solution, selon les circonstances. mais d’autres fidèles, avec une égale sincérité, pourront en juger autrement, comme il advient souvent et à bon droit. S’il arrive que beaucoup lient facilement, même contre la volonté des intéressés, les options des uns ou des autres avec le message évangélique, on se souviendra en pareil cas que personne n’a le droit de revendiquer d’une manière exclusive pour son opinion l’autorité de l’Église. Que toujours, dans un dialogue sincère, ils cherchent à s’éclairer mutuellement, qu’ils gardent entre eux la charité et qu’ils aient avant tout le souci du bien commun »[4]. Ainsi, en s’appuyant sur le même droit à la liberté d’enseignement⁠[5], des chrétiens, suivant les circonstances, les opportunités, les traditions, peuvent penser faire vivre l’école catholique à travers un régime de subventions, par la technique du chèque scolaire, une utilisation appropriée de l’impôt ou une privatisation intégrale.⁠[6]


1. Le diacre a un statut un peu particulier: il fait partie du clergé mais conserve ses activités professionnelles, syndicales et associatives (cf. https://diaconat.catholique.fr/questions/questions-autour-du-diaconat/quest-ce-quun-diacre/. Le diacre est donc engagé à la fois comme clerc et comme laïc.
2. GS 23, 2. La doctrine, sociale en l’occurrence, est un ensemble de « principes de réflexion », de « normes de jugement » et de « directives d’action ». (PAUL VI, Lettre apostolique Octogesima adveniens anniversaria, 1971, n°4).
3. GS 33, 2.
4. GS, n°43, par. 3.
5. Cf. Déclaration Dignitatis humanae, n°3, 4, 5, 14 ; et surtout Déclaration Gravissimum educationis momentum, sur l’éducation chrétienne, Concile Vatican II.
6. Cet enseignement est traditionnel. Pie X expliquait déjà en son temps qu’« il est aujourd’hui impossible de rétablir sous la même forme toutes les institutions qui ont pu être utiles et même les seules efficaces dans les siècles passé, si nombreuses sont les modifications radicales que le cours des temps introduit dans la société et dans la vie publique, et si multiples les besoins nouveaux que les circonstances changeantes ne cessent de susciter. Mais l’Église, en sa longue histoire, a toujours et en toute occasion lumineusement démontré qu’elle possède une vertu merveilleuse d’adaptation aux conditions variables de la société civile : sans jamais porter atteinte à l’intégrité ou à l’immuabilité de la foi, de la morale, et en sauvegardant toujours ses droits sacrés, elle se plie et s’accommode facilement en tout ce qui est contingent et accidentel, aux vicissitudes des temps et aux nouvelles exigences de la société ». (Encyclique Il fermo proposito, sur l’Action catholique ou Action des catholiques, 11 juin 1905).

⁢h. Au service du seul Royaume

Comment l’unité peut-elle être vécue à travers la diversité des engagements et dans la mesure où les laïcs jouissent d’une certaine autonomie ? La « juste autonomie », comme l’avait déjà indiqué Pie XII, ne peut être l’effet que d’une formation sérieuse et continue.

Tout d’abord, rappelons-nous que par les sacrements tous les fidèles reçoivent des dons qu’ils ont « le droit et le devoir d’exercer […] dans l’Église et dans le monde, pour le bien des hommes et l’édification de l’Église. »[1] Par leur vie spirituelle, les fidèles, à l’image de Marie, doivent vivre et agir constamment et partout unis au Christ , guidés par l’Esprit-Saint pour répandre la charité divine.⁠[2] Pour cela, « les laïcs doivent chercher à connaître toujours plus profondément la vérité révélée, et demander instamment à Dieu le don de sagesse. »⁠[3]

L’efficacité de l’apostolat nécessite « une formation à la fois différenciée et complète »[4] dès le plus jeune âge par les parents, les prêtres, les catéchistes, les enseignants, les groupements et associations. Ils doivent assurer cette formation en vue de l’action : « leurs membres réunis en petits groupes[5] avec leurs compagnons ou leurs amis, examinent les méthodes et les résultats de leur action apostolique et cherchent ensemble dans l’Évangile à juger leur vie quotidienne »[6]

Une formation complète puisque l’apostolat des laïcs peut et doit s’exercer dans l’Église et dans le monde. Cela signifie que le laïc doit veiller à sa formation et sa vie spirituelles, acquérir une bonne connaissance du monde actuel, une solide connaissance doctrinale, théologique, morale et philosophique adaptée aux circonstances et à sa personnalité, cultiver les valeurs humaines pour voir, juger et surtout agir.⁠[7]

Une formation différenciée suivant le type d’apostolat. Si le laïc se consacre à l’évangélisation au sens premier du terme, il doit entrer en dialogue avec d’autres croyants et avec des incroyants. A cet effet, il est nécessaire qu’il étudie les différents points remis en cause par ces personnes. S’il se consacre à la transformation chrétienne du temporel, il doit comprendre la valeur et la signification des biens temporels en eux-mêmes et par rapport à la fin de l’homme en étant attentif « au bien commun suivant les principes de la doctrine morale et sociale de l’Église. Les laïcs doivent assimiler tout particulièrement les principes et les conclusions de cette doctrine sociale, de sorte qu’ils deviennent capables de travailler pour leur part à son développement aussi bien que de l’appliquer correctement aux cas particuliers. » S’il veut se consacrer aux œuvres de charité et de miséricorde, il faut que dès l’enfance il ait été entraîné à compatir et « pourvoir avec générosité » aux besoins de ceux qui souffrent.⁠[8]

Quant aux moyens de formation, il sont nombreux : sessions, congrès, récollections, exercices spirituels, rencontres, conférences, livres, textes du concile⁠[9], centres d’études, instituts supérieurs, centres de documentation et d’études en toutes matières théologiques et humaines.⁠[10]


1. AA 3.
2. AA 4.
3. LG 35.
4. AA 28.
5. On pense à la « cellule » dont parlait Pie XII.
6. AA 30.
7. AA 29.
8. AA 31.
9. Doivent particulièrement intéresser les laïcs : l’incontournable Constitution pastorale Gaudium et spes sur l’Église dans le monde de ce temps mais aussi le décret Ad gentes divinitus sur l’activité missionnaire de l’Église, le décret Inter mirifica sur les moyens de communication sociale, la déclaration Dignitatis humanae sur la liberté religieuse et la déclaration Gravissimum educationis momentum sur l’éducation chrétienne.
10. AA 32.

⁢i. L’action est partout nécessaire et urgente.

Les laïcs ont un « rôle propre et absolument nécessaire dans la mission de l’Église. L’apostolat des laïcs, en effet, ne peut jamais manquer à l’Église, car il est une conséquence de leur vocation chrétienne. » De plus, « les circonstances actuelles réclament d’eux […] un apostolat toujours plus intense et plus étendu. » Leur engagement est d’une « urgente nécessité »[1] en tous lieux : l’Église et le monde, deux ordres distincts mais liés comme nous avons vu.⁠[2]

Il s’agit globalement de lutter contre toutes les formes de pauvreté spirituelle, morale, intellectuelle, sociale, politique, culturelle et surtout contre leurs causes. Pour cela, les laïcs s’engageront dans la communauté ecclésiale, avec les prêtres⁠[3], au sein de leur famille⁠[4], auprès des jeunes⁠[5], dans leur milieu social qui « est tellement le travail propre et la charge des laïcs que personne ne peut l’assumer comme il faut à leur place » par la vie et la parole⁠[6]. Il n’est pas jusqu’aux secteurs national et international où ils doivent « promouvoir le vrai bien commun », « collaborer avec tous les hommes de bonne volonté pour promouvoir tout ce qui est vrai, juste, saint, digne d’être aimé », développer la solidarité et la « transformer en un désir sincère et effectif de fraternité ».⁠[7]


1. AA 1.
2. AA 5.
3. AA 10.
4. AA 11.
5. AA 12.
6. AA13.
7. AA 14.

⁢j. L’action est multiforme

Les modes d’apostolat sont eux-mêmes divers.

Il peut s’exercer de manière individuelle, par l’exemple, la parole, la charité. Ce type d’apostolat est nécessaire et urgent, il est parfois le seul possible et il est accessible à tous. Peu nombreux ou dispersés, les fidèles « peuvent se rassembler utilement par petits groupes, sans aucune forme rigide d’institution ou d’organisation » pour se former ou s’entraider comme nous l’avons vu plus haut.⁠[1]

Il peut être organisé et cette modalité d’action est « souverainement nécessaire »[2]. Ici aussi, les formes peuvent en être multiples et « le lien nécessaire avec l’autorité ecclésiastique étant assuré, les laïcs ont le droit de fonder des associations, de les diriger et d’adhérer à celles qui existent. »[3]

Enfin, rappelons que subsistent les institutions d’Action catholique « en union particulièrement étroite avec la hiérarchie » puisqu’elles « poursuivent des buts proprement apostoliques ».⁠[4]


1. AA 16-17.
2. AA 18.
3. AA 19.
4. AA 20.

⁢k. Les rapports entre laïcs et clercs

Certes « comme tous les fidèles, les laïcs doivent embrasser, dans la promptitude de l’obéissance chrétienne, ce que les pasteurs sacrés en tant que représentants du Christ, décident au nom de leur magistère et de leur autorité dans l’Église »[1]. C’est évidemment la référence à la même foi et aux mêmes principes moraux fondamentaux qui doit assurer la cohérence des actions entreprises par le peuple de Dieu.

Toutefois, les pasteurs sacrés savent qu’ils ne peuvent, sans les laïcs, accomplir l’ensemble de la mission. Ils ont une « mission à l’égard des fidèles » et doivent en même temps « reconnaître les ministères et les grâces propres à ceux-ci ».⁠[2] Il leur revient d’offrir aux laïcs « les ressources qui viennent des trésors spirituels de l’Église », parole de Dieu et sacrements. Ils ont à « reconnaître et promouvoir la dignité et la responsabilité des laïcs dans l’Église ». Ils doivent leur faire confiance « leur laissant la liberté et la marge d’action, stimulant même leur courage pour entreprendre de leur propre mouvement. » Ils accorderont « attention et considération dans le Christ aux essais, vœux et désirs proposés par les laïcs », ils respecteront et reconnaîtront « la juste liberté qui appartient à tous dans la cité terrestre. » Les laïcs sont aussi utiles à l’apostolat des prêtres car « avec l’aide de l’expérience des laïcs », ils seront « mis en état de juger plus distinctement et plus exactement en matière spirituelle aussi bien que temporelle » pour que toute l’Église ainsi remplisse « plus efficacement sa mission pour la vie du monde ». Qui plus est, les laïcs sont invités à confier aux pasteurs leurs besoins et leurs vœux « avec toute la liberté et la confiance qui conviennent à des fils de Dieu et à des frères dans le Christ ». Ils ont aussi « la faculté et même parfois le devoir de manifester leur sentiment en ce qui concerne le bien de l’Église. »[3]

Quant à la hiérarchie, il lui appartient « de favoriser l’apostolat des laïcs, de lui donner principes et assistance spirituelle, d’ordonner son exercice au bien commun de l’Église, et de veiller à ce que la doctrine et les dispositions fondamentales soient respectées. »[4]

Concrètement, les liens varieront selon les formes et les buts de l’apostolat. Le Concile envisage trois grands cas.

Il y a tout d’abord l’apostolat libre. Il s’agit d’« un certain nombre d’initiatives apostoliques qui doivent leur origine au libre choix des laïcs et dont la gestion relève de leur propre jugement prudentiel. » Il peut arriver « que la hiérarchie les loue et les recommande ». Mais ces initiatives n’ont pas besoin du consentement de l’Église à condition qu’elles ne s’arrogent pas le nom « catholique » réservé aux œuvres officiellement reconnues.

Ces œuvres reconnues explicitement par la hiérarchie ou qui ont reçu d’elle un « mandat » opèrent « sans enlever aux laïcs la nécessaire faculté d’agir de leur propre initiative. »

Enfin, existe aussi un apostolat pleinement soumis lorsque les laïcs reçoivent de la hiérarchie des charges étroitement liées aux devoirs des pasteurs : l’enseignement de la doctrine chrétienne, l’intervention dans certains actes liturgiques ou dans le soin des âmes.

A côté des initiatives apostoliques, il y a aussi des œuvres et institutions d’ordre temporel : ceux qui s’y engagent doivent écouter l’enseignement et l’interprétation donnés par la hiérarchie des principes moraux à suivre en la matière. La hiérarchie peut porter un jugement sur l’orientation choisie.⁠[5]

Dans son souci manifeste de favoriser l’engagement des laïcs, le concile a souhaité la création d’« un secrétariat spécial pour le service et la promotion de l’apostolat des laïcs » auprès du Saint-Siège , secrétariat d’information, de conseil et de recherche auquel les laïcs participeraient.⁠[6]


1. LG 37.
2. LG 30.
3. LG 37.
4. AA 24. Le même document, au n° 25, répète que les clercs doivent soutenir les laïcs, les nourrir spirituellement, les conseiller, les aider. Au n° 26, il recommande de veiller à la coordination de toutes les initiatives et associations « en respectant la nature propre et l’autonomie de chacune ».
5. AA 24.
6. AA 26. Ce vœu fut exaucé rapidement par Paul VI qui, en 1967, créa le Conseil pontifical pour les laïcs. En 2016, François remplaça ce Conseil pontifical et le Conseil pontifical pour la famille par le Dicastère pour les laïcs et la famille.