Durant le pontificat de Jean-Paul II, le cardinal Joseph Ratzinger a développé toute une réflexion fort intéressante sur l’Europe, son état et les conditions de son unité. Une réflexion qui complète et approfondit certaines prises de position du Souverain Pontife.
qu’est-ce que l’Europe ?
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Pour le cardinal, l’idée d’Europe surgit « de manière plus accentuée aux moments où les peuples que l’on unissait sous ce vocable commun étaient menacés. »[2] Ce qui est vrai pour le XXe siècle marqué par deux guerres mais aussi, dans le passé, par la menace turque. Pour l’auteur, « ce n’est que dans le cas où le concept d’ « Europe » représente une synthèse de réalité politique et d’idéalisme éthique qu’il peut devenir une force déterminante pour l’avenir. »[3] Comment définir l’Europe ?
On peut dans un premier temps la définir négativement en disant ce qu’elle n’est pas, quelles sont les conceptions qui lui sont contraires. Tout d’abord, les conceptions qui prônent un retour en arrière, à un état qu’on pourrait appeler pré-européen et principalement l’Islam[4] ou encore une certaine nostalgie du « monde sauvage » d’avant la christianisation comme en témoigne aussi le national-socialisme préférant la « belle sauvagerie germanique » à « l’aliénation judéo-chrétienne ».[5] A l’opposé, des conceptions se présentent comme post-européennes : il s’agit surtout du rationalisme qui rejette Dieu dans le privé et qui l’a remplacé par la nation, puis par le prolétariat et aujourd’hui par le « ventre ». Cette voie conduit à la disparition de la « société de droit » et finalement à la tyrannie[6]. C’est contre cette Europe-là que l’Islam réagit. Enfin, le marxisme est la « troisième forme de refus (et la plus imposante) de la figure historique de l’Europe. » Le marxisme unit la raison moderne et le dynamisme d’Israël laïcisé et prétend mener l’Histoire à son accomplissement.[7].
Ceci dit, quelles sont alors les « composantes positives de la notion d’Europe » ? Le cardinal Ratzinger en cite quatre : les héritages grec, chrétien, latin et moderne, indissociables et nécessaires. De la Grèce, l’Europe a hérité de « la différence entre le bien et les biens, qui implique un droit de la conscience ainsi qu’un rapport mutuel entre ratio et religio. » A quoi s’ajoute la démocratie « liée à l’ « eunomie »[8], à la validité du droit juste » et qui « ne peut demeurer démocratie qu’au sein d’une telle relation. La démocratie n’est donc jamais uniquement une domination de la majorité. le mécanisme d’établissement des majorités doit se soumettre à la mesure du règne commun du nomos, de ce qui est intrinsèquement droit, c’est-à-dire des valeurs qui obligent la majorité elle-même. » S’appuyant ensuite sur l’évangile de Jean[9] et les Actes des apôtres[10], le cardinal met en exergue le cheminement des apôtres de Jérusalem à Rome et affirme que « le christianisme est […] la synthèse œuvrée en Jésus-Christ entre la foi d’Israël et l’esprit grec. » Rome va devenir le cœur d’une Europe qui coïncide « avec l’Occident, c’est-à-dire avec le domaine de la culture et de l’Église latine »[11].
A cela s’ajoute « l’esprit de l’époque moderne ». Même s’il comporte plus d’ambigüités que les héritages précédents, celui-ci ne peut « en aucun cas nous conduire à un refus de la modernité »[12]. Est à mettre en évidence « la séparation entre la foi et la loi ». « Dans ce fécond dualisme État-Église, les valeurs humaines fondamentales, selon la vision chrétienne du monde, rendent possible une société humaniste libre dans laquelle sont garantis le droit de la conscience aussi bien que les droits fondamentaux de l’homme », de même que « l’autonomie responsable de la raison. » Encore faut-il ne pas oublier « les racines et le fondement vital de l’idée de liberté » et « continuer à fonder la raison sur le respect de Dieu et des valeurs morales fondamentales qui proviennent de la foi chrétienne. »
En fonction de ces quatre héritages, l’Europe ne peut être réduite, sous peine de décadence, à « une simple centralisation des compétences économiques ou législatives », « à une technocratie dont l’unique règle serait l’accroissement de la consommation. » Tout d’abord, si l’on veut que l’Europe, en vue de la paix, non seulement dépasse le « culte de la nation », ait le sens du partage des biens et s’ouvre au monde, elle doit veiller au « contrôle du pouvoir par le droit », inviolable, régulé « d’après la morale ». Toutefois, et c’est le deuxième point, « il ne demeurera à la longue aucune possibilité de survie pour l’État fondé sur le droit, si le dogme athée évolue vers sa forme radicale » c’est-à-dire si « la foi est tolérée comme une opinion privée » car, « dans ce sens précisément, on ne la tolère pas dans ses éléments constitutifs. » En effet, « la démocratie ne peut fonctionner que si la conscience joue son rôle. Or, cette dernière devient absolument muette quand elle n’est pas orientée vers la mise en œuvre des valeurs morales fondamentales du christianisme, actualisables même sans confessionnalisme chrétien, et même dans le contexte d’une religion non chrétienne. » Il ne peut, , en effet, être question d’« une contrainte de foi. » Troisièmement, « la reconnaissance publique du respect de Dieu comme le fondement de l’ethos et du droit, impliquent que l’on se refuse à considérer la nation ou la révolution mondiale comme summum bonum. » Si des institutions supranationales sont nécessaires, il ne s’agit pas d’ériger une « super-nation » Doivent être exclus et le centralisme et le particularisme au profit d’une « unité dans la pluralité ». Cet objectif peut être atteint par « des institutions et des forces culturelles et religieuses qui ne soient pas des émanations de l’État. »[13] Quant au marxisme dur et pur, la leçon est claire, il instaure une tyrannie où « le droit et l’éthique sont manipulables et la liberté transformée en son contraire. »
Enfin, l’Europe se construira sur « la reconnaissance et la protection de la liberté de conscience, des droits de l’homme, de la liberté de la science » tels qu’ils ont été définis et fondés.
De quoi souffre l’Europe aujourd’hui ?
Le cardinal souligne « Les deux péchés de l’Europe à l’époque moderne ».[14]
d’une part, le nationalisme[15] et, d’autre part, le totalitarisme de la raison technique et la destruction de la conscience morale. Ce péché-ci, « déjà sous-jacent dans les formes extrêmes du nationalisme », lie « la foi dans le progrès, la domination absolue de la civilisation économique et technique et la promesse d’une humanité nouvelle, du royaume messianique » issu d’un messianisme politique s’entend.[16] Le marxisme a bien illustré cela mais « cette combinaison est réelle dans le monde occidental sous des formes moins rigoureuses. »[17] . L’Europe, « depuis le siècle de la Renaissance et de manière plus poussée depuis le siècle des Lumières, a développé cette rationalité scientifique qui, non seulement à l’époque des découvertes aboutit à l’unité géographique du monde, à la rencontre des continents et des cultures, mais qui, maintenant et plus profondément, grâce à la culture technique rendue possible par la science, imprime sa marque sur le monde entier, et même, en un certain sens, l’uniformise. Et dans le sillage de cette forme de rationalité, l’Europe a développé une culture qui, d’une manière jusque là inconnue de l’humanité, exclut Dieu de la conscience publique, soit en le niant purement et simplement, soit en jugeant son existence indémontrable, incertaine, et donc relevant du domaine des choix subjectifs, une donnée de toute façon sans pertinence pour la vie publique. »[18] Dieu absent ou exclu, disparaît avec lui la prééminence de l’éthique. Ainsi, « la prépondérance du progrès technique va de pair avec la destruction des grandes traditions morales sur lesquelles reposaient les sociétés anciennes ».[19]
En effet, « la morale appartient à une sphère tout à fait différente, elle disparaît en tant que catégorie en soi, et elle doit être retrouvée d’une autre façon, dans la mesure où, malgré tout, elle s’avère nécessaire sous une forme ou sous une autre. dans un monde fondé sur le calcul, c’est le calcul des conséquences qui détermine ce qu’il convient de considérer comme moral ou pas. Et ainsi disparaît la catégorie du bien, telle qu’elle a été clairement mise en évidence par Kant. Rien en soi n’est bien ou mal, tout dépend des conséquences que l’action peut laisser prévoir. » Cette conception est « la contradiction sans conteste la plus radicale non seulement du christianisme mais également des traditions religieuses et morales de l’humanité ». Cet affrontement entre deux cultures opposées donne « son caractère à l’Europe » et explique « la radicalité des tensions auxquelles notre continent doit faire face »[20] car, bousculant une culture inspirée par le christianisme, se lève « une civilisation de la mort » où règnent drogue et terrorisme. [21]
Quels remèdes ?
Face à cette idéologie, tout d’abord, « nous devons apprendre à nous séparer du mythe des eschatologies à l’intérieur de l’histoire », « le mythe du progrès […] gaspille les forces d’aujourd’hui pour un lendemain imaginaire et ne sert ainsi ni l’un ni l’autre. » Toute civilisation est mortelle, « personne ne peut construire la forme éternelle, parfaite de l’humanité. L’avenir reste toujours ouvert parce que la vie en commun des hommes est toujours placée sous le signe de la liberté humaine, toujours sujette aux défaillances. » Le rôle du politique n’est pas d’organiser « un monde meilleur qui adviendra un jour ou l’autre, il a la responsabilité de veiller à ce que le monde soit bon aujourd’hui, afin de pouvoir l’être aussi demain. » En somme, L’espoir d’une sorte de « paradis terrestre » « consiste à vouloir libérer l’homme de sa liberté et non pas pour la liberté ». « L’État n’est pas le Royaume de Dieu. »
Deuxièmement, il faut affirmer « la suprématie de l’éthique sur la politique ». « L’action politique, placée sous le signe du mythe du progrès méconnaît […] la liberté de l’homme » remplacée « par les lois de l’histoire » et « révèle en même temps son caractère amoral. » Le fondement d’une politique humaine ne peut être que la justice non pas définie par une majorité mais « par des critères moraux universels » qui ne sont pas engendrés par l’État mais qui nourrissent des convictions qui montrent « à l’État le chemin à suivre ». Autrement dit encore, la justice, fondement de l’État, « est plus que la régulation des intérêts particuliers », elle « doit se soumettre à un critère universel. » Concrètement, l’intérêt national doit être subordonné à l’intérêt de l’humanité : « une universalité européenne vraie ne peut se réaliser que si chaque État se dépasse lui-même », s’ouvre « à l’ensemble de l’humanité. »
Enfin, reste à définir ce qui est bon pour tous, le bien « derrière et au-dessus des biens. » L’idée d’un tel bien , l’Europe ne se l’est pas donnée mais elle l’a reçue « d’une plus ancienne tradition : les Dix Commandements » : « ils fondent la quintessence de ce qui, au début des temps modernes, a été formulé sous le concept des droits de l’homme, lesquels fondent la distinction entre un État qui accepte ses propres limites et un État totalitaire. » A cet endroit[22], le cardinal Ratzinger cite Robert Spaemann : « Si l’Europe n’exporte pas sa foi, la croyance que - pour citer Nietzsche - « Dieu est la vérité et que la vérité est divine », alors elle exporte inévitablement son incroyance, c’est-à-dire la conviction que la vérité, le droit et le bien n’existent pas… Sans l’idée de l’absolu, l’Europe n’est plus qu’un concept géographique. Un nom, du reste, pour désigner le lieu d’origine de l’abolition de l’homme. »[23] Et donc l’Europe doit continuer à « exporter sa technique et sa rationalité. mais si elle ne fait que cela, elle détruit les grandes traditions morales et religieuses de l’humanité, elle détruit les fondements de l’existence et soumet les autres à une légalité qui la détruira à son tour. […] Avec la rationalité elle doit également en transmettre l’origine intime, le fondement vrai - la reconnaissance du logos comme fondement de toutes choses, le regard sur la vérité qui est aussi critère du bien. » [24]
En somme, « la grandeur de l’Europe repose sur une sagesse dans laquelle la raison n’oublie pas, au-delà de toute quête et de toute science, son bien le plus haut : être la faculté du divin. »[25]
qu’a pensé le cardinal Ratzinger du débat sur le Préambule de la Constitution européenne[26] où finalement furent évoqués les « héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe ».
La formule noie l’héritage chrétien parmi un ensemble de traditions non identifiées alors que c’est historiquement et incontestablement le christianisme qui a formé l’essentiel de la culture européenne.[27]
Les rédacteurs du Préambule ont peut-être craint d’identifier l’Europe avec la religion chrétienne. A quoi le cardinal Ratzinger répond que « le christianisme n’est pas né en Europe, et par conséquent on ne peut pas qualifier de religion européenne la religion du milieu culturel européen. Mais c’est tout de même bien de l’Europe qu’il a, historiquement parlant, reçu sa marque culturelle et intellectuelle la plus féconde, et pour cette raison, il reste intimement lié à l’Europe de façon toute spéciale. »[28] Pour le cardinal, l’exclusion tout d’abord de toute référence à Dieu puis de toute reconnaissance des racines chrétiennes de l’Europe est le fait d’une idéologie laïciste.
Les partisans de l’exclusion ont estimé que, dans la mesure où l’article 52 de la Constitution garantissait les droits institutionnels des Églises, celles-ci pouvaient être rassurées. Position incohérente aux yeux du cardinal car, « …cela signifie que, dans la vie de l’Europe, celles-ci [les Églises] trouvent leur place dans un contexte de compromis politique, tandis que, dans le contexte des fondements de l’Europe, l’empreinte de leur contenu ne trouve aucunement place. »
Que répondre aussi à l’argument qui prétend que si les références évoquées n’avaient pas été effacées, elles auraient blesseraient la sensibilité des non-chrétiens. Le cardinal réaffirme que ces références renvoient avant tout à « un fait historique que personne ne peut sérieusement nier. » Mais « ce rappel historique fait également référence au présent, du fait que, par la mention des racines, sont indiquées les sources de l’orientation morale qui en dérive, et est donc mis en évidence un facteur d’identité de cette réalité qu’est l’Europe. » Ce facteur d’identité menacerait-il d’autres identités ? Non, ce ne sont pas les bases morales du christianisme qui menacent les Musulmans mais bien « le cynisme d’une culture sécularisée qui nie leurs propres bases religieuses. » Et les Juifs n’auraient-ils pas été blessés ? Non puisque « ces racines elles-mêmes proviennent du mont Sinaï ». Quant à la mention de Dieu, ce n’est pas elle « qui offenserait les fidèles d’autres religions, mais plutôt la tentative de construire la communauté humaine absolument sans Dieu. »
En définitive, « les raisons de ce double refus sont plus profondes que ne le laissent supposer les motifs avancés. Elles présupposent l’idée selon laquelle seule la culture des Lumières radicale, qui a atteint son plein développement dans notre temps, pourrait être constitutive de l’identité européenne. A côté d’elle différentes cultures religieuses avec leurs propres droits respectifs peuvent coexister, mais à condition et dans la mesure où elles respectent les critères de la culture des Lumières et lui soient subordonnées, et seulement dans la mesure où elles le font. »
Ce qui ne signifie pas que cette culture des Lumières ne comporte pas « des valeurs importantes. »[29]
Attardons-nous donc un peu à cette philosophie des Lumières à la fois donc négative et positive.
Jean-Paul II avait aussi évoqué ce qu’il appelle « le drame des Lumières européennes. » « Dans leurs diverses expressions [françaises, puis anglaises et allemandes], les Lumières s’opposèrent à ce que l’Europe était devenue sous l’effet de l’évangélisation. » Elles s’efforcèrent d’exclure le « Dieu-homme, mort et ressuscité […] de l’histoire du continent. Il s’agit d’un effort auquel de nombreux penseurs et hommes politiques actuels continuent de rester obstinément fidèles. » A ce moment, « s’est ouverte la voie vers les expériences dévastatrices du mal qui devaient venir plus tard. »[30]. Il n’empêche que les Lumières européennes « ont eu des fruits positifs comme les idées de liberté, d’égalité et de fraternité, qui sont aussi des valeurs enracinées dans l’Évangile. Même si elles ont été proclamées indépendamment de lui, ces idées révélaient à elle seules leur origine. » Dès lors, « les chrétiens peuvent aller à la rencontre du monde contemporain et engager avec lui un dialogue constructif " d’autant plus nécessaire pour le monde, contrairement à ce que l’on croit aujourd’hui, que « seul le Crist par son humanité révèle totalement le mystère de l’homme. » En effet, comme le concile l’a montré (cf. GS), « la dignité propre de l’homme ne se fonde pas seulement sur le fait d’être homme, mais plus encore sur le fait que, en Jésus-Christ, Dieu s’est fait vrai homme. »[31]
Le cardinal Ratzinger renchérit[32] : « Cette culture des Lumières est définie en substance par les droits de la liberté ; elle part de la liberté comme de la valeur fondamentale à l’aune de quoi tout se mesure. » Dès lors, « ce canon de la culture des Lumières, bien que loin d’être complet, comporte des valeurs dont, en tant que chrétiens, nous ne pouvons pas et ne devons pas nous désolidariser : la liberté du choix religieux, ce qui inclut la neutralité religieuse de la part de l’État ; la liberté d’expression de ses opinions, à condition de ne pas mettre en doute ce principe même ; l’organisation démocratique de l’État, et donc le contrôle parlementaire sur les organismes d’État ; la liberté de formation des partis ; l’indépendance de la magistrature ; et enfin la tutelle des droits de l’homme et l’interdiction des discriminations. »
Où est le problème ? Le problème naît du fait que « la conception mal définie, voire non définie, de la liberté, qui est à la base de cette culture » entraîne des contradictions et limitations de la liberté[33]. « Une idéologie confuse de la liberté conduit à un dogmatisme que l’on découvre comme étant toujours plus hostile à la liberté. » Cette idéologie « affiche une prétention à l’universel, et une conception de soi comme étant complète par elle-même et ne nécessitant pas quelque complément apporté par d’autres facteurs culturels. » On peut citer en exemple le problème de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Voilà un milieu culturel sans racines chrétiennes, influencé par la culture islamique, et un État qui s’est voulu laïc (concept qui a mûri dans l’Europe chrétienne). Selon la culture des Lumières : « seules les normes et le contenu de ladite culture des Lumières peuvent déterminer l’identité de l’Europe, et, par conséquent, tout État qui fait siens de tels critères pourra appartenir à l’Europe. »
Cette attitude pose deux questions : peut-on considérer que « cette culture laïque des Lumières est vraiment la culture, finalement déclarée universelle, d’une raison commune à tous les hommes » ? Est-elle « complète par elle-même, au point de n’avoir besoin d’aucune racine en dehors de soi. » ?
Est-elle « universellement valide » ?
Il est acquis que « la religion ne peut pas être imposée par l’État mais ne peut être accueillie que dans la liberté ; le respect des droits fondamentaux de l’homme, qui sont les mêmes pour tous ; la séparation des pouvoirs et le contrôle du pouvoir. » Toutefois, il n’est pas pensable que « ces valeurs fondamentales, que nous considérons comme généralement valides puissent être réalisées de la même façon quel que soit le contexte historique ». Ainsi, « une totale neutralité religieuse de l’État est à considérer comme une illusion en ce qui concerne la plus grande partie des contextes historiques. »
Par ailleurs, les philosophies modernes des Lumières sont « positivistes, et par là anti-métaphysiques ». Elles ont donc exclu Dieu. Elles sont « basées sur une auto-limitation de la raison positive, qui est adaptée au milieu technique mais qui, au contraire, lorsqu’elle est généralisée, constitue une mutilation de l’homme. » Il ne peut plus y avoir de morale et « le concept même de liberté, qui, de prime abord, pourrait sembler indéfiniment extensible, mène finalement à l’auto-destruction de la liberté. »
N’empêche que « d’importants éléments de vérité » se trouvent dans ces philosophies mais « fondés sur une auto-limitation de la raison » typique de la situation culturelle occidentale moderne, « ils ne sont pas l’expression de cette philosophie qui un jour devrait être valide pour le monde entier. »
De plus, cette philosophie des Lumières « se coupe consciemment de ses propres racines historiques », elle n’a retenu que ce principe : « ce que l’on est capable de faire, on peut aussi le faire » au nom de la liberté « valeur suprême et absolue ». Or, sans norme morale, le « savoir-faire » devient « un pouvoir de destruction », une « oblitération de l’homme ». En témoignent les « magasins » d’organes, les bombes atomiques, le terrorisme.
Cette philosophie se suffit-elle à elle-même ?
Est-elle complète ? Doit-elle rejeter ses racines ? Non ! Elle n’exprime qu’une partie de la raison et donc elle « ne peut être considérée comme entièrement rationnelle. » Elle est donc incomplète et doit être perfectionnée.
Refuser les racines chrétiennes : ce n’est pas « l’expression d’une tolérance qui respecterait de la même façon toutes les cultures » Au contraire, c’est « absolutiser un mode de penser et un mode de vivre qui, entre autres choses, s’opposent radicalement aux différentes cultures historiques de l’humanité. » Quand on parle de « choc des cultures », ce n’est pas « un choc des grandes religions » mais un choc entre « l’émancipation radicale de l’homme vis-à-vis de Dieu, des racines de la vie, et, d’autre part, les grandes cultures religieuses », « les grandes cultures historiques »
Refuser la référence à Dieu : ce n’est pas non plus « l’expression d’une tolérance qui veut protéger les religions non théistes et la dignité des athées et des agnostiques » mais la volonté d’effacer « définitivement Dieu de la vie publique de l’humanité », de le cantonner « au milieu subjectif des cultures résiduelles du passé. » A la source nous trouvons le relativisme qui « devient ainsi un dogmatisme qui croit être en possession de la connaissance définitive de la raison, et en droit de considérer tout le reste comme seulement un stade de l’humanité dépassé et, en conséquence, pouvant être relativisé. »
Le christianisme refuse-t-il en définitive les Lumières et la modernité ? Non. Le christianisme est une « religion selon la raison »[34] et lorsque, trahissant sa nature, elle est devenue « tradition et religion d’État », ce fut « le mérite des Lumières d’avoir proposé à nouveau ces valeurs du christianisme[35] et d’avoir redonné toute sa voix à la raison ».
Il est nécessaire que religion et modernité soient être « prêtes à se corriger » : « Le christianisme doit toujours se souvenir qu’il est la religion du logos », religion de « l’Esprit créateur, de qui provient tout le réel. » « le monde provient de la raison, et […] celle-ci est son critère et son but. » Le monde ne provient pas de l’irrationnel et la religion n’est pas un « sous-produit » comme beaucoup le pensent aujourd’hui. « une raison découlant de l’irrationnel, et qui donc, à la fin des fins, est-elle-même irrationnelle, ne constitue pas une solution à nos problèmes. » Il faut « vivre une foi qui provienne du logos, de la raison créatrice, et qui pour cela est ouverte aussi à tout ce qui est vraiment rationnel. »
« A l’époque des Lumières, on a essayé de comprendre et définir les normes morales essentielles, disant qu’elle seraient valides […] même dans le cas où Dieu n’'existerait pas. » Indépendamment donc des divisions philosophiques ou confessionnelles. C’était possible dans la mesure où subsistaient, résistaient quelques grandes certitudes chrétiennes, ce qui n’est plus le cas. La recherche d’une certitude incontestable « au-delà de toutes les différences, a échoué. » Même Kant n’a pu apporter cette certitude partagée. Au niveau de la raison pure, il nie que Dieu « puisse être connu » mais, en même temps, il présente « Dieu, la liberté et l’immortalité, comme autant de postulats de la raison pratique, sans laquelle, disait-il en toute cohérence avec lui-même, aucun acte moral n’est possible. » N’avait-il pas raison ? ne devrions-nous pas dire : « même qui ne réussit pas à trouver la voie de l’acceptation de Dieu devrait chercher à vivre et à diriger sa vie […] comme si Dieu existait. »[36]
Il est certain que la question européenne a hanté le cardinal Ratzinger. A preuve encore, la publication un peu remaniée, en 2004, en Italie, de deux conférences données l’une à Berlin en 2000 et l’autre à Côme en 2001: L’Europe, ses fondements spirituels, aujourd’hui et demain et Réflexions sur l’Europe[37] où il reprend une question à laquelle il avait déjà répondu précédemment : qu’est-ce que l’Europe ?
L’auteur répond de nouveau : « L’Europe n’est pas un continent que l’on peut nettement saisir en termes de géographie : il s’agit, en réalité, d’un concept culturel et historique. »[38]
Cette culture européenne dont il a déjà analysé précédemment les quatre composantes classiques (grecque, romaine, chrétienne) et moderne (« technico-séculière ») s’est universalisée et a atteint l’Amérique, l’Afrique et l’Asie mais elle semble, en même temps, avoir perdu son âme : « on a l’impression que l’ensemble des valeurs de l’Europe, sa culture, sa foi, tout ce sur quoi repose son identité, que tout cela arrive au bout, et soit mêle déjà sorti de scène. Nous sommes arrivés à l’heure des systèmes de valeurs d’autres mondes : Amérique précolombienne, Islam, mystique d’Asie. A l’heure de sa suprême réussite, l’Europe semble devenue intérieurement vide […]. » De plus, « à cette diminution de ses forces spirituelles fondamentales correspond le fait que, sur le plan ethnique, l’Europe semble en voie de disparition. »[39]
A cet endroit, le cardinal Ratzinger évoque deux diagnostics classiques: celui d’Oswald Spengler[40] et celui d’Arnold Toynbee[41]. Pour le premier, « l’Occident atteint sa période finale et court, inexorablement, vers la mort de ce continent culturel […]. » Pour le second,« l’Occident […] passe par une crise ». Cette crise est la sécularisation, le passage « de la religion au culte de la technique ».[42]
Rejoignant l’analyse de Toynbee, sans pour autant préjuger de l’avenir, le futur Benoît XVI affirme que « le destin d’une société dépend toujours d’une minorité capable de créer. » Quel serait, vis-à-vis de l’Europe, le rôle de cette minorité ? Inscrire dans la future Constitution européenne[43] trois « éléments fondamentaux » : la reconnaissance des droits humains et de la dignité de l’homme comme « valeurs précédant toute juridiction d’État » ; la reconnaissance de la famille basée sur le mariage monogame comme « cellule de formation pour la communauté sociale » ; et enfin, « le respect à l’égard de ce qui, pour l’autre, est sacré, et en particulier le respect pour le sacré au sens le plus élevé, pour Dieu »[44].
La multiculturalité que l’on encourage « passionnément » aujourd’hui, est parfois « abandon et rejet de ce qui est propre, fuite des réalités particulières à l’Europe. » Or, « la multiculturalité ne peut subsister si font défaut, à partir des valeurs propres, certaines constantes communes, certaines données permettant de s’orienter. Elle ne peut certainement pas subsister sans le respect de ce qui est sacré. »[45] Et « ce n’est possible que dans la mesure où le sacré, Dieu, ne nous est pas étranger à nous-mêmes. »[46]
Après la guerre, deux motivations paraissent essentielles à la construction de l’Europe : la recherche d’une identité commune pour établir la paix[47] et l’affirmation d’intérêts communs pour soutenir la concurrence économique des États-Unis, du Japon et de l’Union soviétique entourée de ses satellites et de nombre pays du tiers monde.
Mais, « dans l’essor de la puissance économique de l’Europe - après des orientations originelles, plus éthiques et religieuses - l’intérêt économique devint déterminant, de façon toujours plus exclusive. » Cette accentuation entraîne « une sorte de nouveau système de valeurs » qui ne sont plus absolues mais souvent ambigües qui entraînent de « nouvelles oppressions » de la part des décideurs : « les détenteurs du pouvoir scientifique, et ceux qui administrent les moyens. » Se trouvent menacés : la dignité de la personne humaine, la dignité particulière de l’union de l’homme et de la femme et le respect du sacré.[48]
Devenu pape, sous le nom de Benoît XVI, l’ancien cardinal va continuer de militer en faveur d’un renouveau européen.
Il n’hésitera pas à rappeler l’« Acte européen » de Compostelle[49] s’inscrivant ainsi d’emblée dans la ligne tracée par son prédécesseur.
Pour le Saint Père, la santé de l’Europe dépend de la revitalisation de son fond chrétien[50] qui exclut toutes les tentations laïcistes qui affectent les lois et les mœurs sur tout le vieux continent.
Lors d’un Congrès du Parti populaire européen[51], il déclarera que c’est « en tenant compte de ses racines chrétiennes, [que] l’Europe sera capable de donner une orientation sûre aux choix de ses citoyens et de ses peuples, elle renforcera sa conscience d’appartenir à une civilisation commune et elle consolidera l’engagement de tous dans le but de faire face aux défis du présent en vue d’un avenir meilleur.[…] L’héritage chrétien peut contribuer de manière significative à tenir en échec une culture aujourd’hui amplement diffusée en Europe qui relègue dans la sphère privée et subjective la manifestation des convictions religieuses de chacun. » Cette culture menace « la démocratie elle-même, dont la force dépend des valeurs qu’elle défend (cf. Evangelium vitae, 70). » Le pape n’hésite pas à dénoncer qu’« une certaine intransigeance séculière se révèle ennemie de la tolérance et d’une saine vision séculière de l’État et de la société. C’est pourquoi je me réjouis », ajoute-t-il, « que le Traité constitutionnel de l’Union européenne prévoie une relation organisée et permanente avec les communautés religieuses, en reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique. »[52]
Dans ce cadre, quelle est la mission des Églises ? « les Églises et les communautés ecclésiales interviennent dans le débat public, en exprimant des réserves ou en rappelant certains principes, cela ne constitue pas une forme d’intolérance ou une interférence, car ces interventions ne visant qu’à éclairer les consciences, en les rendant capables d’agir de manière libre et responsable, conformément aux exigences véritables de la justice même si cela peut entrer en conflit avec des situations de pouvoir et d’intérêt personnel. »
Pour l’Église catholique, en particulier, « certains principes qui ne sont pas négociables. parmi ceux-ci, les principes suivants apparaissent aujourd’hui de manière claire :
-la protection de la vie à toutes ses étapes, du premier moment de sa conception jusqu’à sa mort naturelle ;
-la reconnaissance et la promotion de la structure naturelle de la famille - comme union entre un homme et une femme fondée sur le mariage - et sa défense contre les tentatives de la rendre juridiquement équivalente à des formes d’union radicalement différentes qui, en réalité, lui portent préjudice et contribuent à sa déstabilisation, en obscurcissant son caractère spécifique et son rôle social irremplaçable ;
-la protection du droit des parents d’éduquer leurs enfants.
Ces principes ne sont pas des vérités de foi, même s’ils reçoivent !un éclairage et une confirmation de la foi : ils sont inscrits dans la nature humaine elle-même et sont donc commun à toute l’humanité. L’action de l’Église en vue de leur promotion n’est donc pas à caractère confessionnel, mais elle vise toutes les personnes, sans distinction religieuse. Inversement, une telle action est d’autant plus nécessaire que ces principes sont niés ou mal compris, parce que cela constitue une offense contre la vérité de la personne humaine, une blessure grave infligée à la justice elle-même. »[53]
Cette attention portée à l’évolution de l’Europe n’'est-elle pas à relativiser aujourd’hui qu’elle n’est plus qu’une partie d’un monde et non plus le centre du monde ?
Benoît XVI répond : « L’Europe est certainement devenue le cœur du christianisme et de son engagement missionnaire. Aujourd’hui, les autres continents, les autres cultures, entrent avec un poids égal dans le concert de l’histoire du monde. Ainsi s’accroît le nombre de voix de l’Église, et c’est une bonne chose. […] même si l’Europe n’est maintenant qu’une partie d’un tout plus grand, Nous avons encore une responsabilité à cet égard. Nos expériences, la science théologique qui a été développée ici, nos traditions, même les expériences œcuméniques que nous avons accumulées : tout cela est très important même pour les autres continents. »[54]
Et un peu plus tard, il rappellera que « l’Union européenne est devenue, dans le monde, une force économique de premier plan, ainsi qu’un signe d’espérance pour beaucoup. »[55]
Comme Jean-Paul II, Benoît XVI est bien conscient que l’Europe s’éloigne de ce qu’elle devrait être. Pour lui aussi, c’est une cause de grande tristesse. Ainsi, à propos de la dénatalité en Europe, il constate, amer, que « cette Europe semble lasse, elle semble même vouloir se congédier de l’histoire. » Et au fond, comme il le répétera, « le grand problème de l’Occident est l’oubli de Dieu… »[56]
Mais le chrétien ne désespère jamais. Même si, sur un plan purement temporel « l’unité reste encore en grande partie à réaliser dans l’esprit et dans le cœur des personnes » ; même si après la chute prometteuse du Rideau de fer, on connut une vive « déception » ; même s’il est « possible de formuler des critiques justifiées vis-à-vis de quelques institutions européennes », il ne faut pas oublier que « le processus d’unification est de toute façon une œuvre d’une grande portée » et « pour les pays d’Europe centrale et orientale un stimulant ultérieur pour consolider chez eux la liberté, l’état de droit et la démocratie.[…] On parle souvent aujourd’hui du modèle de vie européen. On entend par là un ordre social qui conjugue efficacité économique avec justice sociale, pluralité politique avec tolérance, libéralité et ouverture, mais qui signifie aussi maintien des valeurs qui donnent à ce continent sa position particulière. » L’Europe reste une valeur et une promesse mais il ne faut pas se leurrer : « la « maison Europe » […] sera pour tous un lieu agréable à habiter seulement si elle est construite sur une solide base culturelle et morale de valeurs communes que nous tirons de notre histoire et de nos traditions. L’Europe ne peut pas et ne doit pas renier ses racines chrétiennes. Elles sont une composante dynamique de notre civilisation pour avancer dans le troisième millénaire. »
A travers les erreurs et les errements voire les apostasies, quelques signes sont encourageants. « L’Europe, nous le savons, a certainement vécu et souffert aussi de terribles erreurs. Que l’on pense aux rétrécissements idéologiques de la philosophie, de la science et aussi de la foi, à l’abus de religion et de raison à des fond impérialistes, à la dégradation de l’homme par un matérialisme théorique et pratique, et enfin à la dégénérescence de la tolérance en une indifférence privée de références à des valeurs permanentes. Cependant, l’une des caractéristiques de l’Europe est la capacité d’autocritique qui, dans le vaste panorama des cultures mondiales, la distingue et la qualifie. »
Par ailleurs, des leçons de cohérence sont à tirer. Ainsi,« c’est en Europe qu’a été formulé, pour la première fois, le concept des droits humains. » Or, « le droit humain fondamental, le présupposé pour tous les autres droits, est le droit à la vie elle-même. »[57]
Ainsi aussi « fait partie enfin de l’héritage européen une tradition de pensée, pour laquelle un lien substantiel entre foi, vérité et raison est essentiel. »
A cet endroit, le pape cite Jürgen Habermas[58] « un philosophe qui n’adhère pas à la foi chrétienne : « Par l’autoconscience normative du temps moderne, le christianisme n’a pas été seulement un catalyseur. L’universalisme égalitaire, dont sont nées les idées de liberté et de solidarité, est un héritage immédiat de la justice juive et de l’éthique chrétienne de l’amour. Inchangé dans sa substance, cet héritage a toujours été de nouveau approprié de façon critique et de nouveau interprété. Jusqu’à aujourd’hui, il n’existe pas d’alternative à cela. »
L’Europe a donc « une responsabilité unique dans le monde.[…] L’Europe acquerra une meilleure conscience d’elle-même, si elle assume une responsabilité dans le monde qui corresponde à sa tradition spirituelle particulière, à ses capacités extraordinaires et à sa grande force économique. L’Union européenne devrait par conséquent jouer un rôle de meneur dans la lutte contre la pauvreté dans le monde, et dans l’engagement en faveur de la paix. »[59]
En conclusion de ce pontificat, retenons l’idée fondamentale : « L’Europe doit s’ouvrir à Dieu, aller sans peur à sa rencontre, travailler avec sa grâce pour la dignité de l’homme que les meilleures traditions ont découverte : la tradition biblique, fondement d’où sont nées les traditions, classique, médiévale et moderne, les grandes œuvres philosophiques et littéraires, culturelles et sociales de l’Europe.[…] L’Europe de la science et des technologies, l’Europe de la civilisation et de la culture, doit être en même temps l’Europe ouverte à la transcendance et à la fraternité avec les autres continents, ouverte au Dieu vivant et vrai à partir de l’homme vivant et vrai. »[60]
« S’inspirant des héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe, à partir desquels se sont développées les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la démocratie, l’égalité, la liberté et l’État de droit,
Convaincus que l’Europe, désormais réunie au terme d’expériences amères, entend poursuivre cette trajectoire de civilisation, de progrès et de prospérité, pour le bien de tous ses habitants, y compris les plus fragiles et les plus démunis ; qu’elle veut demeurer un continent ouvert sur la culture, sur le savoir, et sur le progrès social ; et qu’elle souhaite approfondir le caractère démocratique et transparent de sa vie publique, et œuvrer pour la paix, la justice et la solidarité dans le monde,
Persuadés que les peuples de l’Europe, tout en restant fiers de leur identité et de leur histoire nationale, sont résolus à dépasser leurs anciennes divisions, et, unis d’une manière sans cesse plus étroite, à forger leur destin commun,
Assurés que, 'Unie dans sa diversité' l’Europe leur offre les meilleures chances de poursuivre, dans le respect des droits de chacun, et dans la conscience de leurs responsabilités à l’égard des générations futures et de la Terre, la grande aventure qui en fait un espace privilégié de l’espérance humaine,
Résolus à poursuivre l’œuvre accomplie dans le cadre des traités instituant les Communautés européennes et du traité sur l’Union européenne, en assurant la continuité de l’acquis communautaire.
Reconnaissants aux membres de la Convention européenne d’avoir élaboré le projet de cette Constitution au nom des citoyennes et des citoyens et des États d’Europe, Lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs reconnus en bonne et due forme, sont convenus des dispositions qui suivent : « etc..
L’homme, créé à part des autres animaux, 'fait à l’image et à la ressemblance de Dieu’ (Gn 1, 26), est supposé jouir des dotes ingeneratae que lui vaut cette ressemblance, à savoir : l’intelligence, la volonté, la puissance, l’autonomie, la responsabilité, la liberté. En d’autres termes, il est considéré comme un être adulte ou, à tout le moins, comme en pouvoir et espérance de le devenir. Il est une personne. A ce titre il a droit au respect de sa dignité et jouit de la possibilité de connaître la vérité et de la dire. C’est là en germe, la doctrine des Droits de l’homme, et l’on comprend pourquoi elle ne pouvait naître et se développer qu’en Europe.
L’égalité est une autre valeur fondamentale du message judéo-chrétien. Combinée avec les notions de dignité et de liberté, elle mène (encore qu’à long terme) à l’apparition de l’idéal démocratique. » Léo Moulin considère aussi, par exemple, comme un « apport, décisif, du christianisme à la formation de l’Europe : la distinction entre Dieu et César ». Même si « elle n’a pas toujours été observée, tant s’en faut ; mais elle a mis l’Occident, tant bien que mal, à l’abri des systèmes théocratiques et des césaro-papismes, ancêtre des totalitarismes modernes. » (L’Occident n’est pas un accident, in Géopolitique, Hiver 1987-1988, n° 20, pp. 59- 60). Mieux encore, dans son ouvrage Le monde vivant des religieux, Dominicains, Jésuites, Bénédictins… Calmann-Lévy, 1964, Léo Moulin montre que les ordres religieux et leurs pratiques constitutionnelles sont à la base de la démocratie moderne, qu’ils ont influencé la rédaction de la Magna Carta (1215) du Bill of Rights (1689) ou encore du Code électoral de 1789.
1. L’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres.
2. L’Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles.
3. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations.
Ce traité aurait dû entrer en vigueur le 1er novembre 2006, à condition d’avoir été ratifié par chacun des vingt-cinq États signataires, ce qui n’a pas été le cas. En raison de cet échec, il a été remplacé par un traité modificatif dont le texte a été approuvé par le Conseil européen de Lisbonne le 19 octobre 2007, d’où son nom de traité de Lisbonne.