« S’il a fallu que la papauté renonce insensiblement à la thèse du pouvoir direct, qui fait du chef de l’Église romaine le suzerain de l’orbis terrarum, et ne réclame qu’un pouvoir indirect […], la parole pontificale […] a cependant réussi à définir de manière irrévocable sa juridiction universelle, sa sollicitudo omnium Ecclesiarum [… ]. »[1]
La vocation de l’Église est universelle, elle est inscrite dans cette parole du Christ : « Allez donc vers tous les peuples, et faites de tous les hommes mes disciples »[2]. L’évangélisation touchant de plus en plus de peuples, il faut veiller à l’unité et comme l’évêque de Rome a reçu prééminence par la consécration « Tu es Pierre… »[3], celui-ci, surtout s’il est malade ou trop vieux ou que les distances sont trop grandes, va se faire représenter par des envoyés, des légats qui le remplaceront, par exemple, lors de conciles ou de synodes[4] et, à ce titre, réclameront la présidence de ces assemblées. A côté de ces légats nantis d’une mission déterminée et limitée, on trouve aussi des représentants permanents notamment à la cour impériale de Constantinople.[5] A la fin de l’antiquité et durant le moyen-âge, apparaîtront, dans l’Église latine d’occident, les vicaires apostoliques et les légats de mission dépendant d’un seul pontife. A l’époque carolingienne, dans l’union étroite de l’Empire et de l’Église, les légats envoyés auprès des cours d’Europe interviendront aussi dans les affaires politiques.[6] Durant la réforme grégorienne, les « legati romani » jouent les intermédiaires dans la lutte entre le pape et le roi et agissent sur un territoire déterminé avec préséance sur les évêques.[7] Par eux, le pape escompte une reconnaissance civile et ecclésiastique. Ils joueront aussi un grand rôle dans l’organisation et le contrôle des croisades.
Les nonciatures permanentes apparaissent en 1500 à Venise d’abord puis dans plusieurs grandes villes européennes pour organiser, dans un premier temps, la défense contre les Turcs puis face à la Réforme et « rechercher l’unité par les voies diplomatiques grâce à d’habiles négociations »[8] où se mêlent intérêts politiques et religieux. Progressivement, au XVIIe siècle, la mission des nonces sera de veiller au « respect de l’autorité et de la juridiction pontificales ».[9] La création par le pape Grégoire XV, le 6 janvier 1622, de la Congrégation romaine pour la propagation de la foi officialise structurellement l’idée que l’Église de Rome est une Église universelle et pas seulement européenne [10] dont le souci est avant tout pastoral et spirituel. Toutefois des difficultés surgirent ça et là mais surtout en Allemagne concernant la compétence des nonces par rapport aux évêques et il faudra attendre la chute des États pontificaux en 1870[11] pour que le Saint-Siège apparaisse uniquement comme une autorité spirituelle et non plus comme une puissance temporelle. Les nonciatures vont se multiplier à travers le monde, de nombreux concordats vont être conclus. Le pape réputé désormais « neutre » politiquement et désintéressé temporellement sera sollicité en personne ou par l’intermédiaire de ses nonces dans le règlement de conflits internationaux ou prendra l’initiative d’interventions pacificatrices.[12]
En 1917, le Code de droit canonique, confirmé pour l’essentiel en 1983, établit la structure juridique du corps des représentants du pape et précise bien qu’aucun des envoyés du pape, qu’il s’agisse de légats, de nonces ou de délégués apostoliques, n’a le droit d’exercer une juridiction recoupant celle de l’évêque.[13]
En 1929, les accords du Latran consacrent la fin des États de l’Église et créent la base juridique de l’État de la cité du Vatican, sur 0,44km et avec moins de 900 habitants. Les accords incluent également un concordat suivant lequel, dans son article 12, est reconnu le droit de représentation active et passive du Saint-Siège qui peut dès lors envoyer des représentants et accueillir les représentants accrédités des autres pays.[14]
Nonciatures et concordats[15] vont se multiplier. L’impartialité du pape déjà manifeste avec Benoît XV, s’affirme avec Pie XI dans les négociations avec les régimes totalitaires, l’Union soviétique ou l’Allemagne. L’Osservatore romano du 16 mai 1929 rapporte cette réflexion du Souverain Pontife: « Lorsqu’on traite pour le salut d’une âme, pour empêcher la damnation éternelle de cette âme, Nous nous sentons le courage de traiter avec le diable en personne »[16]. De même, Paul VI, vis-à-vis de l’Est, préférera « traiter plutôt que condamner ».[17]
La diplomatie est ainsi de plus en plus dirigée de Rome et par l’accroissement des nonciatures, délégations apostoliques, etc.. Elle va étendre son réseau à travers le monde entier, entretenant des relations diplomatiques avec 179 pays en 2003 auxquels il faut ajouter l’Union Européenne et l’Ordre Souverain Militaire de Malte. Le Saint-Siège entretient aussi des relations spéciales avec l’Organisation de Libération de la Palestine.[18] De plus, le Saint-Siège participe aux activités de 34 Organisations internationales intergouvernementales et 7 Organisations régionales intergouvernementales.
Le Saint-Siège ou Siège apostolique ne se confond pas avec l’État de la Cité du Vatican. Cet État a été constitué par le Traité du Latran[19], en 1929, « pour assurer de façon visible l’indépendance du Saint-Siège »[20] auquel il est subordonné[21].
Le Saint-Siège est aujourd’hui indépendant des pouvoirs politiques et le défenseur d’une certaine morale internationale. On doit le considérer comme une institution supranationale plus qu’internationale, « sujet souverain de droit international ».[22]
Ce statut n’est pas un statut consenti par la communauté internationale. Comme le reconnaît le Code de droit canonique : « L’Église catholique et le Siège apostolique ont qualité de personne morale de par l’ordre divin lui-même ».[23] Autrement dit, le Saint-Siège est « une réelle personne juridique créée et instituée par Jésus-Christ »[24] mais quand on parle de personne juridique ou de personne morale, on désigne en fait en langage juridique une réalité théologique qui s’est réalisée dans le temps et est liée à la conception juridique romaine puis européenne puis internationale. Si, au point de départ, il y a une ordinatio divina, la personnalité juridique postérieure, est « une création de l’organisation humaine, élaborée à travers les siècles en fonction des événements historiques » qui ne peut être considérée « comme un dogme de foi ».[25]
Que désigne exactement l’expression Saint-Siège ou Siège apostolique ? Ces expressions enveloppent le pape et les institutions qui l’aident dans le gouvernement de l’Église, principalement la Curie mais elles peuvent aussi plus simplement se référer au pape, à sa primauté [26].
Le Traité du Latran, en 1929, reconnaît la souveraineté du Saint-Siège, une souveraineté spirituelle inhérente à sa nature[27]. Et ce n’est pas seulement l’Italie qui reconnaît cette souveraineté car « le traité du Latran est un acte international qui concerne également les États tiers ».[28] Le Saint-Siège est dès lors en « position d’égalité par rapport aux États, au sein de la communauté internationale, sans réserves particulières (exception faites pour celles qui découlent de sa nature) »[29]. Il n’empêche que le Saint-Siège, « dans la conscience des peuples et des gouvernements, occupe réellement une position de prééminence dans la communauté internationale et exerce une fonction modératrice effective parmi les États. »[30] Une prééminence morale qui tient à son impartialité et à son indépendance.
Certes, certains contestent cette personnalité du Saint-Siège mais strictement du point de vue juridique le plus répandu, la reconnaissance dans l’ordre international, n’est « pas une création ou une constitution » mais une constatation[31].
Toutefois, cette personnalité internationale est spécifique puisque le Saint-Siège, comme il l’a rappelé à plusieurs reprises, ne peut agir, en fonction de sa nature propre, comme n’importe quel État[32]. Cette spécificité n’entraîne aucune limitation de la souveraineté et de la personnalité du Saint-Siège que la communauté internationale accepte telles quelles puisque le Saint-Siège respecte les normes du droit international[33] et n’agit pas « selon un droit « singulier » ou « spécial » »[34].
Fort de son statut international, le Saint-Siège signe donc toutes sortes d’accords bilatéraux, concordats, conventions, modus vivendi, échanges de notes, de lettres souveraines ou encore des protocoles, avec les États.[35] Le but est de régler juridiquement les rapports entre l’Église et l’État, « d’obtenir des conditions, même très restreintes, de fonctionnement ou de développement pour les institutions ecclésiastiques dans des situations historiques particulièrement complexes et difficiles ».[36] Ces accords concernent « l’organisation et les institutions de l’Église locale, le libre exercice de la juridiction ecclésiastique, la liberté de culte, la nomination des évêques, le service militaire du clergé, les écoles gérées par les autorités ecclésiastiques, l’enseignement de la religion dans les écoles publiques, l’assistance religieuse aux forces armées, la discipline juridique des institutions et leur traitement fiscal, les biens cultuels et culturels, la reconnaissance civile du mariage religieux ».[37] Certains de ces accords ont été enregistrés auprès des Nations-Unies.[38]
Au niveau international multilatéral, le Traité du Latran d’une part et d’autre part l’action politique et humanitaire de l’Église durant la seconde guerre mondiale et après, ont favorisé l’accueil du Saint-Siège dans les assemblées et conférences internationales alors que le laïcisme hérité des Lumières avaient marginalisé l’Église durant les deux siècles précédents.[39]
Le Traité du Latran[40] et toute l’histoire qui a suivi témoignent de la volonté d’impartialité du Saint-Siège ce qui ne signifie pas désengagement, abstention ou indifférence. Mais les interventions du Pape ne se situent pas au niveau des conflits humains qu’ils dépassent mais au niveau moral au nom du bien commun de l’humanité, comme en témoignent les discours annuels du pape au corps diplomatique.[41]
Toutefois, comme le prévoit le Traité du Latran, si les parties en conflit demandent unanimement une médiation, un arbitrage, une mission de bons offices, le Saint-Siège interviendra, fort de son impartialité.
Pour préserver la paix, la communauté internationale a dès le XIXe siècle établit des procédures en vue de solutions pacifiques des conflits[42]. Alors que l’Église avait été exclue des Conférences de la Haye, à cause de l’esprit du temps mais aussi parce que l’Italie craignait qu’elle n’internationalise la question romaine qui, à cette époque, n’était toujours pas réglée.[43] Léon XIII favorable à ces conférences avait protesté contre son exclusion.[44]
Il n’empêche c’est à partir de Léon XIII que le Saint-Siège va intervenir avec un total désintéressement pour éviter des conflits avec plus ou moins de succès.
Du 18 au 22 juillet 1870, Léon XIII offre, en vain, sa médiation pour éviter la guerre entre l’Allemagne et la France. Par contre, alors qu’entre 1875 et 1885, l’Allemagne et l’Espagne se disputent les îles Carolines (au N-E de la Nouvelle Guinée), Léon XIII va arbitrer ce conflit prévenant ainsi une guerre navale et tranchera en faveur de l’Espagne. Ses interventions vont se multiplier que les États en cause soient catholiques ou non ou parce que les protagonistes ont sollicité ses bons offices.[45] Nous avons montré par ailleurs comment les successeurs se sont investis face aux guerres qui ont marqué le XXe siècle. On peut toutefois épingler l’intervention du Saint-Siège pour régler le différend qui opposait l’Argentine et le Chili à propos du canal de Beagle, intervention qui aboutit en 1984 à un traité de paix et d’amitié signé au Vatican.[46] Ou encore, plus près de nous le rapprochement entre les USA et Cuba qui est le fruit d’une longue et discrète action de la diplomatie vaticane et, en particulier, du Pape François.[47]
Lors d’une conférence prononcée le 11 mars 2015, le cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin, résumait ainsi l’action diplomatique du Vatican[48] : « l’action diplomatique du Saint-Siège ne se contente pas d’observer ce qui se passe ou d’en évaluer la portée et ne peut pas non plus n’être qu’une voix critique : elle est appelée à agir pour faciliter la cohabitation entre différentes nations, pour promouvoir la fraternité entre les peuples, la véritable coopération […] la solidarité structurée au profit du bien commun et de celui des individus. […] Le Saint-Siège, en substance, œuvre sur la scène internationale non pas pour garantir une sécurité générique mais pour soutenir une idée de la paix comme fruit de relations justes, du respect des normes internationales, de la protection des droits fondamentaux de l’homme, à commencer par ceux des plus petits, des plus vulnérables. […] Sans l’action des représentations diplomatiques pontificales, combien d’institutions de l’Église resteraient sans ce contact vital avec son gouvernement central qui leur apporte un soutien et même une crédibilité ? Sur le plan de la société civile, de quelles orientations éthiques l’absence du Saint-Siège priverait-elle la mise en œuvre de la coopération, le désarmement, la lutte contre la pauvreté, l’éradication de la faim, le soin des maladies, l’alphabétisation ? » Ainsi, « ad intra », l’objectif est bien le salut des âmes et « ad extra » la poursuite de « la vraie paix sur terre » à partir du droit international. La fin poursuivie est de toute façon toujours « principalement religieuse » puisque la mission du chrétien est d’être « artisan de paix ».
Et à propos de la position du Saint-Siège sur le droit international, le cardinal apporte une précision intéressante : « Il est aujourd’hui plus que jamais urgent de modifier le paradigme sur lequel se fonde le droit international. […] Il s’agit d’empêcher la guerre sous toutes ses formes, d’élaborer un « ius contra bellum », c’'est-à-dire des normes qui soient en mesure de développer et surtout d’imposer les instruments déjà prévus par l’ordre international pour résoudre pacifiquement les controverses et éviter le recours aux armes ». Ce ius contra bellum appuierait davantage « le dialogue, la négociation, les pourparlers, la médiation, la conciliation » qui, trop souvent aujourd’hui, sont considérés « comme de simples palliatifs privés de l’efficacité nécessaire ». En plus de ce ius contra bellum, le droit international devrait se doter d’un ius post-bellum, qui regrouperait des « instruments normatifs en mesure de gérer les périodes de post-conflits », c’est-à-dire qui aborderait, après la guerre, les questions « du retour des réfugiés et des personnes déplacées, du fonctionnement des institutions locales et centrales, de la reprise des activités économiques, de la sauvegarde du patrimoine artistique et culturel ».[49]
Notons aussi qu’« en général, ce sont les États qui souhaitent établir des relations diplomatiques avec le Saint-Siège » parce qu’ils le considèrent « comme un observateur privilégié et digne de foi de la politique internationale ». (Id., p. 162).
De plus, cet État n’est pas un État comme un autre notamment parce qu’il n’est pas au service d’une société et ne développe pas d’activité économique ou commerciale. (Cf. JEAN-PAUL II, Lettre au cardinal Casaroli, 20 novembre 1982). Cet État est neutre, ne participe à aucun conflit, n’entre en aucune alliance ou entente politico-militaire. (BARBERINI G., op. cit., p. 83).
L’État du Vatican est reconnu explicitement dans certains concordats, l’ensemble de son territoire est inscrit dans le Registre des biens culturels sous protection spéciale auprès de l’Unesco (Id. p. 84) et il participe à certaines organisations internationales, notamment en ce qui concerne la poste et les télécommunications (Id., p. 85). Cet État jouit du « ius contrahendi ». Sa neutralité et son inviolabilité doivent être respectés par les autres États. Le survol de son espace aérien est interdit et pendant la seconde guerre mondiale, Juifs et opposants politiques au fascisme et au nazisme ont profité dans ses immeubles de l’immunité diplomatique et de l’extraterritorialité : « les autorités fascistes et nazies n’ont jamais demandé l’extradition, que le Saint-Siège n’aurait pas accordée, car il aurait appliqué une norme du traité du Latran (article 22.3) qui prévoit une forme de « droit d’asile », étant donné que les délits imputés ne pouvaient pas être considérés comme tels par les lois de l’État du Vatican » (Id., ppp. 84-85).
Notons que l’Église catholique, comme peuple de Dieu et le Siège apostolique qui est « l’office de la primauté de l’Église de Rome et du pape », sont néanmoins deux entités différentes : « si l’Église de Rome est la première de toutes les Églises, elle n’est pas toute l’Église » (BARBERINI G., op. cit., pp. 25-26).
(http://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/Vatican-Latran.htm).
Ainsi l’article 11.2 de l'Accord fondamental entre le Saint-Siège et l’État d’Israël (30 décembre 1993) stipule : « Le Saint-Siège, tout en maintenant en toute circonstance le droit d’exercer son magistère moral et spirituel, saisit cette occasion pour rappeler qu’en raison de son caractère propre, il réaffirme solennellement qu’il s’engage à rester étranger à tous les conflits purement temporels ; étant entendu que ce principe s’applique spécifiquement aux territoires disputés et aux frontières non établies. » (Cf. DC, n° 2087, 6 février 1994, p. 118).
C’est pour défendre l’idéal de paix ou les droits de l’homme que le Saint-Siège participe à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, collabore à la rédaction de l’Acte final d’Helsinki (1975), aux négociations sur le désarmement à Stockholm (1983-1986) ou à Vienne (1986, 1989), négocie contre l’installation de missiles Cruise et Pershing en Europe occidentale (1979), affirme son opposition aux armes chimiques, soutient l’interdiction globale des expérimentations nucléaires (2001), s’oppose à l’intervention armée dans le Golfe (1991) en Irak (2003) ou négocie des aides humanitaires en faveur de la Corée du Nord (à partir de 1995), etc.. Les domaines où le Saint-Siège intervient systématiquement, outre les intérêts de l’Église et des Églises particulières, sont : la liberté religieuse et les droits de l’homme, la paix, l’ingérence humanitaire, le dialogue, la solidarité, la pauvreté, la famille, la dignité de toute personne, la liberté des nations, des groupes sociaux, des personnes, l’écologie et les ressources de la terre.