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Chapitre 2 : Relations et organisations internationales
- 1: i. De la chrétienté à la chrétienté ?
- 2: ii. La diplomatie
- 3: iii. Les organisations internationales
- 4: iv. Une organisation mondiale
i. De la chrétienté à la chrétienté ?
Tous enfants d’un même Père, nous sommes appelés à l’unité et dès les premiers siècles l’Église ne cessera de le proclamer. Non seulement les croyants venus d’horizons divers et attachés à des pratiques variées sont invités à vivre en concorde mais cette concorde doit aussi être vécue avec tous les hommes car « tous les êtres selon leur nature, tiennent de [Dieu] la vie et la subsistance.. »[1] Et à propos du Notre Père où l’on dit bien « Notre Père » et non « Mon Père », saint Cyprien de Carthage souligne que « notre prière est publique et communautaire, et quand nous prions, ce n’est pas pour un seul, mais pour tout le peuple, car nous, le peuple entier, nous ne faisons qu’un. »[2] Pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité, le Concile Vatican II a bien précisé : « Nous ne pouvons invoquer Dieu, Père de tous les hommes, si nous refusons de nous conduire fraternellement envers certains hommes créés à l’image de Dieu. la relation de l’homme à Dieu le Père et la relation de l’homme à ses frères humains sont tellement liées que l’Écriture dit : « Qui n’aime pas ne connaît pas Dieu » (1 Jn 4, 8). Par là est sapé le fondement de toute théorie ou de toute pratique qui introduit entre homme et homme, entre peuple et peuple, une discrimination en ce qui concerne la dignité humaine et les droits qui en découlent. »[3]
Un temps, l’Église contemporaine a été hantée par la « chrétienté » entendue, par exemple, par Léon XIII, comme « comme une grande famille des nations chrétiennes et libres «[4]. Pie XI, en 1922 s’y réfère aussi avec nostalgie, semble-t-il : »…il n’est point d’institution humaine en mesure d’imposer à toutes les nations une sorte de code international, adapté à notre époque, analogue à celui qui régissait au moyen âge cette véritable Société des Nations qui s’appelait la chrétienté » [5]
Mais, cette « chrétienté » considérée comme une « grande famille » ou une « véritable Société des nations », a-t-elle vraiment existé ? [6]
Le mot « chrétienté » tel qu’il est employé ici par les souverains pontifes renvoie à la période la plus accomplie apparemment du christianisme médiéval. Mais a-t-on vraiment connu à cette époque des XIe, XIIe et surtout XIIIe siècles une parfaite harmonie doctrinale et sociale qui offrirait un modèle hélas disparu ?
Quand on pense à cette époque, on est bien sûr frappé par l’essor artistique, scientifique et technique à travers l’Europe occidentale surtout. On se rappelle les échanges culturels entre les diverses régions d’Europe mais aussi l’ouverture vers les cultures grecques arabes et juives qui a favorisé le développement de la philosophie et de la théologie spéculative. Les historiens mais aussi les simples observateurs remarquent qu’il y a à ce moment une certaine unité sans uniformité : « Le moyen âge, c’est une de ses constantes, est encyclopédique et ouvert à toutes les influences. Au XIIe et au XIIIe siècles plus encore qu’à d’autres moments. Il s’intéresse à tout et il accepte tout. Il veut une culture universelle et il l’alimente aux sources les plus diverses : Antiquité classique ou chrétienne, Orient byzantin ou arménien, monde arabe ou celtique. Il évite pourtant le double péril de la dispersion et de l’éclectisme. Puissamment constructif, doué pour l’analyse autant que pour la synthèse, il réussit à ordonner degré par degré et à construire une civilisation originale. » [7]
Le principe de cette unité c’est l’Église qui « intègre et plie à ses conceptions les nouveautés les plus diverses »[8]. Il ne faut pas oublier qu’elle a le monopole de l’enseignement, qu’elle est visible par ses innombrables bâtiments[9] et rythme toute la vie de la naissance à la mort et tout au long de la journée et de l’année par les innombrables fêtes religieuses chômées. Quant au prêtre, par la confession, il contrôle et oriente les consciences et par ce biais, moralise ou du moins tente de moraliser la société. L’Église ainsi « assure l’unité externe de la civilisation occidentale. si celle-ci ne connaît pas de frontières, c’est parce que l’Église lui sert de cadre et que l’Église est supra-nationale, qu’elle est la patrie de tous les chrétiens. C’est aussi l’Église qui fait l’unité profonde et l’originalité de la civilisation médiévale. C’est elle qui donne leur « vision du monde » aux artistes comme aux savants et leur permet de créer du neuf à partir d’éléments anciens « informés » par un nouvel esprit. C’est elle qui fonde cet équilibre caractéristique où chaque chose trouve sans difficulté sa place exacte dans un ensemble pensé par Dieu et révélé aux hommes. Cet équilibre où chaque être est à la fois lui-même et autre chose, a valeur personnelle et valeur de symbole. »[10]
Mais l’unité n’est pas absolue : « il existe des courants aberrants que l’Église a quelque peine à réduire, même en matière proprement religieuse ; les hérésies sont nombreuses et parfois puissantes. Et dès la seconde moitié du XIIIe siècle, les signes annonciateurs de profonds changements se précisent. L’Église accuse une baisse de son influence dans la vie publique comme dans le domaine de la culture. Elle voit échapper progressivement à son contrôle des États qui ont renforcé leur armature politique et administrative et s’appuient sur un sentiment national désormais conscient et des villes dont la bourgeoisie affiche une indépendance et un dynamisme croissants. Elle recule devant le réalisme grandissant des écrivains et des artistes. Elle donne d’ailleurs quelques marques de lassitude, trahit un certain épuisement, manifeste une tendance dangereuse à vivre de l’acquis. » [11]
L’unité intellectuelle soutenue par la langue latine va être mise à mal par la montée des littératures nationales et un certain dédain pour les modèles classiques. La théologie est alors comme à d’autres époques un lieu de débats et de querelles[12]. L’unité religieuse est rompue depuis 1054, date du grand schisme avec l’Église d’orient, et au sein même de l’Église d’occident, on déplore de nombreuses hérésies comme celles des Vaudois[13], en acceptant le poison des possessions temporelles ; que l’Église romaine était la grande prostituée décrite dans l’http://fr.wikipedia.org/wiki/Apocalypse[Apocalypse], la mère et la maîtresse de toutes les erreurs ; que les prélats étaient des Scribes, et les religieux des Pharisiens ; que le pontife romain et tous les évêques étaient des homicides ; que le clergé ne devait avoir ni dîme ni terres ; que c’était un péché de doter les églises et les couvents, et que tous les clercs devaient gagner leur vie du travail de leurs mains, à l’exemple des apôtres ; enfin que lui, Vaudès, venait rétablir sur ses fondements primitifs la vraie société des enfants de Dieu_. » (Vie de Saint Dominique, 1872, chapitre 1). ], des Amauriciens[14] ou encore des Cathares eux-mêmes influencés par les bogomiles ou encore les pauliciens venus de l’Est[15]. Toutes ces hérésies[16] sont combattues par les ordres mendiants mais aussi par la force.[17] C’est la force aussi qui finira par sévir lors de l’évangélisation des régions nordiques et orientales de l’Europe. Dans un premier temps, la mission est pacifique mais suite à la résistance puis à l’hostilité des peuples païens, l’ordre des Chevaliers teutoniques dont la vocation était de protéger les pèlerins en route vers la Terre sainte, se voit confier une croisade qui sera une guerre d’extermination et de conquête avec la collaboration de l’ordre des Porte-Glaive.[18]
Cette violence organisée à elle seule doit nous empêcher de faire de ce temps une sorte d’âge d’or du christianisme. Que vaut une unité toute relative par ailleurs si elle est acquise par la force ? Même si l’on peut caractériser le Moyen Age par « une tendance, une aspiration vers l’unité »[19], force est de constater que, même à la période la plus accomplie du christianisme médiéval, on n’a jamais connu une parfaite harmonie entre le spirituel et le temporel qui équivaudrait à un « modèle » de chrétienté. Cela a toujours été davantage un idéal vers lequel on a tendu avec plus ou moins de succès selon les époques qu’un moment où elle aurait été réalisée.[20] Mais examinons de plus près cette aspiration à l’unité qui se manifeste, à l’époque, dans l’idée qu’on se fait des rapports entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. On voudrait que l’empereur soit, à côté du pape, « comme le bras à côté du cœur »[21], que les intérêts de l’un soient les intérêts de l’autre, qu’ils collaborent dans une œuvre commune.[22] L’Église étant évidemment mère et maîtresse. Ainsi, au IVe concile de Latran, en 1215, elle convoque outre les patriarches, archevêques, évêques, ordres monastiques, chapitres des églises, cathédrales, collégiales, les autorités séculières -l’empereur Frédéric II, les rois de France, Angleterre, Hongrie- accompagnées de délégués des villes[23]. Mais, dans la réalité, que se passe-t-il ? Les princes chrétiens sont confrontés à des querelles intestines et rivalisent entre eux: Angleterre, Ecosse, France, Allemagne, Flandres se rencontrent sur les champs de bataille. Et l’Église elle-même se trouve confrontée aux oppositions des princes. Henri II Plantagenêt (1133-1189) entre en conflit avec l’Église et encourage l’assassinat de Thomas Becket (1170). Jean sans Terre (1167-1216) se querelle avec le pape Innocent III qui jette l’http://fr.vikidia.org/wiki/Interdit_(religion)[interdit] sur l’Angleterre et excommunie le roi qui devra se reconnaître vassal de la papauté en 1208. Le pape Urbain IV (1261-1264) excommunie Manfred roi de Naples et de Sicile, confisque ses terres pour les redistribuer au comte d’Anjou (frère de Luis IX), futur Charles Ier, roi de Sicile. Il rétablit l’ordre dans les Etas pontificaux, affaiblit l’influence germanique et noue des alliances avec les responsables des villes et des États importants. Il soutient Henri III d’Angleterre (1207-1272) dans son combat contre les barons opposés à sa centralisation. Rappelons-nous aussi les relations plus qu’houleuses entre Frédéric II et les papes Honorius III (1216-1227) Grégoire IX (1227-1241) Innocent IV (1243-1254)[24] ou encore la querelle entre Philippe le Bel et Boniface VIII (1294-1303)[25] pour se rendre compte que l’harmonie ne règne pas dans la chrétienté.
Après la « querelle des investitures » qui a marqué les XIe et XIIe siècles[26], nous assistons aux XIIe et XIIIe siècles à la lutte du Sacerdoce et de l’Empire : à qui revient la domination universelle ? Au pape ou à l’empereur ? En somme, le Pape voudrait établir la suprématie de son pouvoir sur les pouvoirs temporels au nom de la théorie des deux glaives formulée par saint Bernard[27] et use, nous l’avons vu, de l’excommunication ou de la déposition lorsque les princes sont réticents à la croisade ou convoitent des terres relevant des États pontificaux. Mais les princes qui sont à l’intérieur de leurs frontières confrontés à des revendications de liberté et tentent d’asseoir leur autorité supportent de moins en moins la tutelle que le pape veut exercer sur leurs royaumes.[28] Comme l’écrit L. Génicot, « dans cette douleur, le monde moderne s’enfante. Au travers des crises suscitées par des faiblesses de quelques-uns d’entre eux et par la résistance des forces traditionnelles, les souverains poursuivent la réalisation du programme qu’ils se sont plus ou moins consciemment tracé dès le XIIe siècle et qu’au XIIIe siècle, les légistes et les philosophes ont précisé, amplifié et légitimé.[…] Un nouvel ordre s’élabore ainsi, fondé sur l’absolutisme monarchique et le capitalisme marchand. »[29]
Au rêve de théocratie d’une part et d’empire universel d’autre part, succède la conception moderne de l’État national centralisé et laïque.[30]
Il est difficile après ce rapide tour d’horizon de croire que la « grande famille », la « véritable Sociétés des nations » a été réalisée à un moment de l’histoire. Il n’empêche que l’Église, avec succès ou maladresse avec justesse ou partialité, ne sera jamais indifférente aux relations entre les hommes à travers le monde.
(Cf. http://cahiersdhistoire.net/seconde/histoire/la-chretiente-du-xieme-au-xiiieme-siecle/ ).
A propos des Juifs, ils seront aussi l’objet de mesures de répression non par anti-sémitisme mais par anti-judaïsme. Le IVe concile de Latran déjà cité légifèrera en la matière (port de la rouelle et autres discriminations vestimentaires. En 1244, Innocent IV ordonne de brûler le Talmud mais le même intervient de même que Clément VI (1265-1268) en faveur des Juifs faussement accusés de meurtres rituels ou de profanations des hosties. Il est interdit de les forcer au baptême ou de les mettre à mort sans jugement. l’inquisition vérifie la validité des conversions. N’empêche qu’un anti-sémitisme populaire continue à faire des ravages si bien que l’Angleterre (1290), la France (1306), l’Espagne (1492) les bannissent de leur territoire. Grégoire IX condamna, en 1236, les excès contre les Juifs lors de la cinquième croisade. (Cf. http://cahiersdhistoire.net/seconde/histoire/la-chretiente-du-xieme-au-xiiieme-siecle/ et Equipes Résurrection, 100 points chauds de l’histoire de l’Église, Desclée de Brouwer, 1979, pp. 120-123 et 126-127)
ii. La diplomatie
« S’il a fallu que la papauté renonce insensiblement à la thèse du pouvoir direct, qui fait du chef de l’Église romaine le suzerain de l’orbis terrarum, et ne réclame qu’un pouvoir indirect […], la parole pontificale […] a cependant réussi à définir de manière irrévocable sa juridiction universelle, sa sollicitudo omnium Ecclesiarum [… ]. »[1]
La vocation de l’Église est universelle, elle est inscrite dans cette parole du Christ : « Allez donc vers tous les peuples, et faites de tous les hommes mes disciples »[2]. L’évangélisation touchant de plus en plus de peuples, il faut veiller à l’unité et comme l’évêque de Rome a reçu prééminence par la consécration « Tu es Pierre… »[3], celui-ci, surtout s’il est malade ou trop vieux ou que les distances sont trop grandes, va se faire représenter par des envoyés, des légats qui le remplaceront, par exemple, lors de conciles ou de synodes[4] et, à ce titre, réclameront la présidence de ces assemblées. A côté de ces légats nantis d’une mission déterminée et limitée, on trouve aussi des représentants permanents notamment à la cour impériale de Constantinople.[5] A la fin de l’antiquité et durant le moyen-âge, apparaîtront, dans l’Église latine d’occident, les vicaires apostoliques et les légats de mission dépendant d’un seul pontife. A l’époque carolingienne, dans l’union étroite de l’Empire et de l’Église, les légats envoyés auprès des cours d’Europe interviendront aussi dans les affaires politiques.[6] Durant la réforme grégorienne, les « legati romani » jouent les intermédiaires dans la lutte entre le pape et le roi et agissent sur un territoire déterminé avec préséance sur les évêques.[7] Par eux, le pape escompte une reconnaissance civile et ecclésiastique. Ils joueront aussi un grand rôle dans l’organisation et le contrôle des croisades.
Les nonciatures permanentes apparaissent en 1500 à Venise d’abord puis dans plusieurs grandes villes européennes pour organiser, dans un premier temps, la défense contre les Turcs puis face à la Réforme et « rechercher l’unité par les voies diplomatiques grâce à d’habiles négociations »[8] où se mêlent intérêts politiques et religieux. Progressivement, au XVIIe siècle, la mission des nonces sera de veiller au « respect de l’autorité et de la juridiction pontificales ».[9] La création par le pape Grégoire XV, le 6 janvier 1622, de la Congrégation romaine pour la propagation de la foi officialise structurellement l’idée que l’Église de Rome est une Église universelle et pas seulement européenne [10] dont le souci est avant tout pastoral et spirituel. Toutefois des difficultés surgirent ça et là mais surtout en Allemagne concernant la compétence des nonces par rapport aux évêques et il faudra attendre la chute des États pontificaux en 1870[11] pour que le Saint-Siège apparaisse uniquement comme une autorité spirituelle et non plus comme une puissance temporelle. Les nonciatures vont se multiplier à travers le monde, de nombreux concordats vont être conclus. Le pape réputé désormais « neutre » politiquement et désintéressé temporellement sera sollicité en personne ou par l’intermédiaire de ses nonces dans le règlement de conflits internationaux ou prendra l’initiative d’interventions pacificatrices.[12]
En 1917, le Code de droit canonique, confirmé pour l’essentiel en 1983, établit la structure juridique du corps des représentants du pape et précise bien qu’aucun des envoyés du pape, qu’il s’agisse de légats, de nonces ou de délégués apostoliques, n’a le droit d’exercer une juridiction recoupant celle de l’évêque.[13]
En 1929, les accords du Latran consacrent la fin des États de l’Église et créent la base juridique de l’État de la cité du Vatican, sur 0,44km et avec moins de 900 habitants. Les accords incluent également un concordat suivant lequel, dans son article 12, est reconnu le droit de représentation active et passive du Saint-Siège qui peut dès lors envoyer des représentants et accueillir les représentants accrédités des autres pays.[14]
Nonciatures et concordats[15] vont se multiplier. L’impartialité du pape déjà manifeste avec Benoît XV, s’affirme avec Pie XI dans les négociations avec les régimes totalitaires, l’Union soviétique ou l’Allemagne. L’Osservatore romano du 16 mai 1929 rapporte cette réflexion du Souverain Pontife: « Lorsqu’on traite pour le salut d’une âme, pour empêcher la damnation éternelle de cette âme, Nous nous sentons le courage de traiter avec le diable en personne »[16]. De même, Paul VI, vis-à-vis de l’Est, préférera « traiter plutôt que condamner ».[17]
La diplomatie est ainsi de plus en plus dirigée de Rome et par l’accroissement des nonciatures, délégations apostoliques, etc.. Elle va étendre son réseau à travers le monde entier, entretenant des relations diplomatiques avec 179 pays en 2003 auxquels il faut ajouter l’Union Européenne et l’Ordre Souverain Militaire de Malte. Le Saint-Siège entretient aussi des relations spéciales avec l’Organisation de Libération de la Palestine.[18] De plus, le Saint-Siège participe aux activités de 34 Organisations internationales intergouvernementales et 7 Organisations régionales intergouvernementales.
Le Saint-Siège ou Siège apostolique ne se confond pas avec l’État de la Cité du Vatican. Cet État a été constitué par le Traité du Latran[19], en 1929, « pour assurer de façon visible l’indépendance du Saint-Siège »[20] auquel il est subordonné[21].
Le Saint-Siège est aujourd’hui indépendant des pouvoirs politiques et le défenseur d’une certaine morale internationale. On doit le considérer comme une institution supranationale plus qu’internationale, « sujet souverain de droit international ».[22]
Ce statut n’est pas un statut consenti par la communauté internationale. Comme le reconnaît le Code de droit canonique : « L’Église catholique et le Siège apostolique ont qualité de personne morale de par l’ordre divin lui-même ».[23] Autrement dit, le Saint-Siège est « une réelle personne juridique créée et instituée par Jésus-Christ »[24] mais quand on parle de personne juridique ou de personne morale, on désigne en fait en langage juridique une réalité théologique qui s’est réalisée dans le temps et est liée à la conception juridique romaine puis européenne puis internationale. Si, au point de départ, il y a une ordinatio divina, la personnalité juridique postérieure, est « une création de l’organisation humaine, élaborée à travers les siècles en fonction des événements historiques » qui ne peut être considérée « comme un dogme de foi ».[25]
Que désigne exactement l’expression Saint-Siège ou Siège apostolique ? Ces expressions enveloppent le pape et les institutions qui l’aident dans le gouvernement de l’Église, principalement la Curie mais elles peuvent aussi plus simplement se référer au pape, à sa primauté [26].
Le Traité du Latran, en 1929, reconnaît la souveraineté du Saint-Siège, une souveraineté spirituelle inhérente à sa nature[27]. Et ce n’est pas seulement l’Italie qui reconnaît cette souveraineté car « le traité du Latran est un acte international qui concerne également les États tiers ».[28] Le Saint-Siège est dès lors en « position d’égalité par rapport aux États, au sein de la communauté internationale, sans réserves particulières (exception faites pour celles qui découlent de sa nature) »[29]. Il n’empêche que le Saint-Siège, « dans la conscience des peuples et des gouvernements, occupe réellement une position de prééminence dans la communauté internationale et exerce une fonction modératrice effective parmi les États. »[30] Une prééminence morale qui tient à son impartialité et à son indépendance.
Certes, certains contestent cette personnalité du Saint-Siège mais strictement du point de vue juridique le plus répandu, la reconnaissance dans l’ordre international, n’est « pas une création ou une constitution » mais une constatation[31].
Toutefois, cette personnalité internationale est spécifique puisque le Saint-Siège, comme il l’a rappelé à plusieurs reprises, ne peut agir, en fonction de sa nature propre, comme n’importe quel État[32]. Cette spécificité n’entraîne aucune limitation de la souveraineté et de la personnalité du Saint-Siège que la communauté internationale accepte telles quelles puisque le Saint-Siège respecte les normes du droit international[33] et n’agit pas « selon un droit « singulier » ou « spécial » »[34].
Fort de son statut international, le Saint-Siège signe donc toutes sortes d’accords bilatéraux, concordats, conventions, modus vivendi, échanges de notes, de lettres souveraines ou encore des protocoles, avec les États.[35] Le but est de régler juridiquement les rapports entre l’Église et l’État, « d’obtenir des conditions, même très restreintes, de fonctionnement ou de développement pour les institutions ecclésiastiques dans des situations historiques particulièrement complexes et difficiles ».[36] Ces accords concernent « l’organisation et les institutions de l’Église locale, le libre exercice de la juridiction ecclésiastique, la liberté de culte, la nomination des évêques, le service militaire du clergé, les écoles gérées par les autorités ecclésiastiques, l’enseignement de la religion dans les écoles publiques, l’assistance religieuse aux forces armées, la discipline juridique des institutions et leur traitement fiscal, les biens cultuels et culturels, la reconnaissance civile du mariage religieux ».[37] Certains de ces accords ont été enregistrés auprès des Nations-Unies.[38]
Au niveau international multilatéral, le Traité du Latran d’une part et d’autre part l’action politique et humanitaire de l’Église durant la seconde guerre mondiale et après, ont favorisé l’accueil du Saint-Siège dans les assemblées et conférences internationales alors que le laïcisme hérité des Lumières avaient marginalisé l’Église durant les deux siècles précédents.[39]
Le Traité du Latran[40] et toute l’histoire qui a suivi témoignent de la volonté d’impartialité du Saint-Siège ce qui ne signifie pas désengagement, abstention ou indifférence. Mais les interventions du Pape ne se situent pas au niveau des conflits humains qu’ils dépassent mais au niveau moral au nom du bien commun de l’humanité, comme en témoignent les discours annuels du pape au corps diplomatique.[41]
Toutefois, comme le prévoit le Traité du Latran, si les parties en conflit demandent unanimement une médiation, un arbitrage, une mission de bons offices, le Saint-Siège interviendra, fort de son impartialité.
Pour préserver la paix, la communauté internationale a dès le XIXe siècle établit des procédures en vue de solutions pacifiques des conflits[42]. Alors que l’Église avait été exclue des Conférences de la Haye, à cause de l’esprit du temps mais aussi parce que l’Italie craignait qu’elle n’internationalise la question romaine qui, à cette époque, n’était toujours pas réglée.[43] Léon XIII favorable à ces conférences avait protesté contre son exclusion.[44]
Il n’empêche c’est à partir de Léon XIII que le Saint-Siège va intervenir avec un total désintéressement pour éviter des conflits avec plus ou moins de succès.
Du 18 au 22 juillet 1870, Léon XIII offre, en vain, sa médiation pour éviter la guerre entre l’Allemagne et la France. Par contre, alors qu’entre 1875 et 1885, l’Allemagne et l’Espagne se disputent les îles Carolines (au N-E de la Nouvelle Guinée), Léon XIII va arbitrer ce conflit prévenant ainsi une guerre navale et tranchera en faveur de l’Espagne. Ses interventions vont se multiplier que les États en cause soient catholiques ou non ou parce que les protagonistes ont sollicité ses bons offices.[45] Nous avons montré par ailleurs comment les successeurs se sont investis face aux guerres qui ont marqué le XXe siècle. On peut toutefois épingler l’intervention du Saint-Siège pour régler le différend qui opposait l’Argentine et le Chili à propos du canal de Beagle, intervention qui aboutit en 1984 à un traité de paix et d’amitié signé au Vatican.[46] Ou encore, plus près de nous le rapprochement entre les USA et Cuba qui est le fruit d’une longue et discrète action de la diplomatie vaticane et, en particulier, du Pape François.[47]
Lors d’une conférence prononcée le 11 mars 2015, le cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin, résumait ainsi l’action diplomatique du Vatican[48] : « l’action diplomatique du Saint-Siège ne se contente pas d’observer ce qui se passe ou d’en évaluer la portée et ne peut pas non plus n’être qu’une voix critique : elle est appelée à agir pour faciliter la cohabitation entre différentes nations, pour promouvoir la fraternité entre les peuples, la véritable coopération […] la solidarité structurée au profit du bien commun et de celui des individus. […] Le Saint-Siège, en substance, œuvre sur la scène internationale non pas pour garantir une sécurité générique mais pour soutenir une idée de la paix comme fruit de relations justes, du respect des normes internationales, de la protection des droits fondamentaux de l’homme, à commencer par ceux des plus petits, des plus vulnérables. […] Sans l’action des représentations diplomatiques pontificales, combien d’institutions de l’Église resteraient sans ce contact vital avec son gouvernement central qui leur apporte un soutien et même une crédibilité ? Sur le plan de la société civile, de quelles orientations éthiques l’absence du Saint-Siège priverait-elle la mise en œuvre de la coopération, le désarmement, la lutte contre la pauvreté, l’éradication de la faim, le soin des maladies, l’alphabétisation ? » Ainsi, « ad intra », l’objectif est bien le salut des âmes et « ad extra » la poursuite de « la vraie paix sur terre » à partir du droit international. La fin poursuivie est de toute façon toujours « principalement religieuse » puisque la mission du chrétien est d’être « artisan de paix ».
Et à propos de la position du Saint-Siège sur le droit international, le cardinal apporte une précision intéressante : « Il est aujourd’hui plus que jamais urgent de modifier le paradigme sur lequel se fonde le droit international. […] Il s’agit d’empêcher la guerre sous toutes ses formes, d’élaborer un « ius contra bellum », c’'est-à-dire des normes qui soient en mesure de développer et surtout d’imposer les instruments déjà prévus par l’ordre international pour résoudre pacifiquement les controverses et éviter le recours aux armes ». Ce ius contra bellum appuierait davantage « le dialogue, la négociation, les pourparlers, la médiation, la conciliation » qui, trop souvent aujourd’hui, sont considérés « comme de simples palliatifs privés de l’efficacité nécessaire ». En plus de ce ius contra bellum, le droit international devrait se doter d’un ius post-bellum, qui regrouperait des « instruments normatifs en mesure de gérer les périodes de post-conflits », c’est-à-dire qui aborderait, après la guerre, les questions « du retour des réfugiés et des personnes déplacées, du fonctionnement des institutions locales et centrales, de la reprise des activités économiques, de la sauvegarde du patrimoine artistique et culturel ».[49]
Notons aussi qu’« en général, ce sont les États qui souhaitent établir des relations diplomatiques avec le Saint-Siège » parce qu’ils le considèrent « comme un observateur privilégié et digne de foi de la politique internationale ». (Id., p. 162).
De plus, cet État n’est pas un État comme un autre notamment parce qu’il n’est pas au service d’une société et ne développe pas d’activité économique ou commerciale. (Cf. JEAN-PAUL II, Lettre au cardinal Casaroli, 20 novembre 1982). Cet État est neutre, ne participe à aucun conflit, n’entre en aucune alliance ou entente politico-militaire. (BARBERINI G., op. cit., p. 83).
L’État du Vatican est reconnu explicitement dans certains concordats, l’ensemble de son territoire est inscrit dans le Registre des biens culturels sous protection spéciale auprès de l’Unesco (Id. p. 84) et il participe à certaines organisations internationales, notamment en ce qui concerne la poste et les télécommunications (Id., p. 85). Cet État jouit du « ius contrahendi ». Sa neutralité et son inviolabilité doivent être respectés par les autres États. Le survol de son espace aérien est interdit et pendant la seconde guerre mondiale, Juifs et opposants politiques au fascisme et au nazisme ont profité dans ses immeubles de l’immunité diplomatique et de l’extraterritorialité : « les autorités fascistes et nazies n’ont jamais demandé l’extradition, que le Saint-Siège n’aurait pas accordée, car il aurait appliqué une norme du traité du Latran (article 22.3) qui prévoit une forme de « droit d’asile », étant donné que les délits imputés ne pouvaient pas être considérés comme tels par les lois de l’État du Vatican » (Id., ppp. 84-85).
Notons que l’Église catholique, comme peuple de Dieu et le Siège apostolique qui est « l’office de la primauté de l’Église de Rome et du pape », sont néanmoins deux entités différentes : « si l’Église de Rome est la première de toutes les Églises, elle n’est pas toute l’Église » (BARBERINI G., op. cit., pp. 25-26).
(http://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/Vatican-Latran.htm).
Ainsi l’article 11.2 de l'Accord fondamental entre le Saint-Siège et l’État d’Israël (30 décembre 1993) stipule : « Le Saint-Siège, tout en maintenant en toute circonstance le droit d’exercer son magistère moral et spirituel, saisit cette occasion pour rappeler qu’en raison de son caractère propre, il réaffirme solennellement qu’il s’engage à rester étranger à tous les conflits purement temporels ; étant entendu que ce principe s’applique spécifiquement aux territoires disputés et aux frontières non établies. » (Cf. DC, n° 2087, 6 février 1994, p. 118).
C’est pour défendre l’idéal de paix ou les droits de l’homme que le Saint-Siège participe à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, collabore à la rédaction de l’Acte final d’Helsinki (1975), aux négociations sur le désarmement à Stockholm (1983-1986) ou à Vienne (1986, 1989), négocie contre l’installation de missiles Cruise et Pershing en Europe occidentale (1979), affirme son opposition aux armes chimiques, soutient l’interdiction globale des expérimentations nucléaires (2001), s’oppose à l’intervention armée dans le Golfe (1991) en Irak (2003) ou négocie des aides humanitaires en faveur de la Corée du Nord (à partir de 1995), etc.. Les domaines où le Saint-Siège intervient systématiquement, outre les intérêts de l’Église et des Églises particulières, sont : la liberté religieuse et les droits de l’homme, la paix, l’ingérence humanitaire, le dialogue, la solidarité, la pauvreté, la famille, la dignité de toute personne, la liberté des nations, des groupes sociaux, des personnes, l’écologie et les ressources de la terre.
iii. Les organisations internationales
d’une manière générale, l’Église se réjouit de leur existence. Ainsi Paul VI écrit-il : « Le fort désir de tous les hommes de bonne volonté qu’il y ait une coexistence pacifique entre les nations et qu’elle donne lieu au développement des peuples, est désormais également exprimé par l’intermédiaire des organisations internationales, qui, en mettant à la disposition de tous leur science, leur expérience et leur prestige, ne ménageront pas leurs efforts pour un tel service en faveur de la paix et du progrès. Les relations entre le Saint-Siège et les organisations internationales sont nombreuses et de nature juridique variée ; avec chacune d’entre elles, nous avons établi des missions permanentes, qui témoignent de l’intérêt de l’Église pour les problèmes généraux de la vie civile et pour offrir l’aide de sa collaboration.[1]
iv. Une organisation mondiale
De la communauté politique mondiale chère à Vitoria à l’ethnarchie de Taparelli, lentement, très lentement, apparaît l’idée d’une organisation des peuples qui serait gardienne de la paix, une organisation super-étatique.
On se souvient qu’en 1899 fut convoquée la première Conférence de la paix, à l’initiative du Tsar Nicolas II afin de « rechercher les moyens les plus efficaces d’assurer à tous les peuples les bienfaits d’une paix réelle et durable et de mettre avant tout un terme au développement progressif des armements actuels »[1]. Le gouvernement italien qui craignait que la « question romaine » ne soit abordée, s’opposa à la présence du Saint-Siège. Il n’empêche que Léon XIII, blessé par ce refus, approuva le principe et le but de cette Conférence. Son Secrétaire d’État transmit quelques suggestions : « Il manque dans le consortium international des États un système de moyens légaux et moraux propres à déterminer, à faire prévaloir le droit de chacun. Il ne reste dès lors qu’à recourir immédiatement à la force ; de là l’émulation des États dans le développement de leur puissance militaire . A l’encontre d’un état de choses si funeste, l’institution de la médiation et de l’arbitrage apparaît comme le remède le plus opportun ; elle répond à tous égards aux aspirations du Saint-Siège. »[2]
Benoît XV, en 1920[3], peu après la naissance de la Société des Nations, expose ainsi sa conception de l’organisation internationale souhaitée : « Il est très désirable que l’ensemble des États, écartant tous les soupçons réciproques, s’unissent pour ne plus former qu’une société, ou mieux qu’une famille, tant pour la défense de leurs libertés particulières que pour le maintien de l’ordre social. Cette société des nations répond -sans faire état d’une foule d’autres considérations- à la nécessité universellement reconnue de faire tous les efforts pour supprimer ou réduire les budgets militaires dont les États ne peuvent plus maintenant porter l’écrasant fardeau, pour rendre impossibles dans l’avenir des guerres aussi désastreuses, ou du moins pour écarter la menace le plus possible et assurer à chaque peuple, dans les limites de ses frontières légitimes, son indépendance en même temps que l’intégrité de son territoire. Aux nations unies dans une ligue fondée sur la foi chrétienne l’Église sera fidèle à prêter son concours actif et empressé pour toutes leurs entreprises inspirées par la justice et par la charité. Aussi bien elle est le modèle le plus achevé de la société universelle, et elle dispose, de par sa constitution même et de ses institutions, d’une merveilleuse influence pour rapprocher les hommes non seulement en vue de leur salut éternel, mais même en vue de leur bonheur en cette vie ». Certes, l’évocation des « nations unies dans une ligue fondée sur la foi chrétienne » peut paraître utopique mais peut être aussi interprétée comme l’invitation à une évangélisation universelle indispensable à l’établissement d’une véritable paix. Il est intéressant aussi de remarquer que l’Église se propose comme modèle en fonction même de la supranationalité qui la caractérise et qui est un caractère indispensable à l’organisation superétatique souhaitée.
Alors que la Société des Nations va connaître de plus en plus d’échecs[4], Pie XI, pourfendeur des nationalismes et des idéologies mortifères, rappelle, en 1923, quels devraient être les fondements de la Société des Nations. Il souhaita qu’on prenne « toujours plus en considération les enseignements de Thomas d’Aquin, spécialement sur le droit des gens et les lois qui règlent les relations internationales, car on y trouve les bases de la véritable Société des Nations ».[5] Outre l’organisation politique, Pie XI pense aussi à l’organisation économique. En 1931, il déclare qu’« il convient que les diverses nations, si étroitement solidaires et interdépendantes dans l’ordre économique, mettent en commun leurs réflexions et leurs efforts pour hâter, à la faveur d’engagements et d’institutions sagement conçus, l’avènement d’une bienfaisante et heureuse collaboration économique internationale ».[6]
Après la guerre de 14-18, Don Sturzo, entre autres, appelle de ses vœux une telle organisation. Et Pie XII, dès le début de la seconde guerre mondiale, va se faire le champion de cette idée. Dès 1939, il estime que la création ou la reconstruction d’institutions internationales est un élément indispensable à l’établissement d’une vraie paix entre les peuples[7].
Même si, avant Pie XII, Rome fut attentive à certaines institutions internationales existantes[8] et souhaita une vraie organisation super-étatique, c’est incontestablement Pie XII qui milita le plus pour que se réalise ce rêve. Les accords du Latran, la triste expérience de deux guerres mondiales et sa formation de diplomate expliquent l’insistance du Souverain Pontife qui espérait que l’autorité d’une société des peuples soit « réelle et effective sur les États qui en sont membres, de manière pourtant que chacun d’entre eux conserve un droit égal à se souveraineté relative ». Il s’agirait d’« d’un organisme investi de commun accord d’une autorité suprême et qui aurait aussi dans ses attributions d’étouffer dans son germe toute menace d’agression isolée ou collective »[9]. « Une organisation politique efficace du monde », est-ce un projet révolutionnaire ? Non. Selon Pie XII, « rien n’est plus conforme à la doctrine traditionnelle de l’Église, ni plus adapté à son enseignement sur la guerre légitime ou illégitime, surtout dans les conjonctures présentes. Il faut donc en venir à une organisation de cette nature, quand ce ne serait que pour en finir avec une course aux armements où, depuis des dizaines d’années, les peuples se ruinent et s’épuisent en pure perte ».[10] Rien n’est plus conforme à la nature : « L’union indissoluble des États est un postulat naturel ; c’est un fait qui s’impose à eux et auquel, quoique parfois avec hésitation, ils se soumettent comme à la voix de la nature, en s’efforçant, par ailleurs, de donner à leur union un règlement extérieur stable, une organisation. L’État et la Société des États avec son organisation -par leur nature, selon le caractère social de l’homme et malgré toutes les ombres, comme l’atteste l’histoire- sont donc des formes de l’unité et de l’ordre entre les hommes, nécessaires à la vie humaine et coopérant à son perfectionnement ».[11] Et n’est-ce pas finalement la volonté de Dieu ? « Le chemin qui mène à la communauté des peuples et à sa constitution n’a pas, comme norme unique et ultime, la volonté des États, mais plutôt la nature, ou bien le Créateur. »[12]
Peut-on affirmer que l’ONU a répondu aux attentes du Souverain Pontife ?
La réponse à cette question est nuancée : « Dans l’aréopage mondial des Nations-Unies et à côté de grandes puissances, a été érigée, même pour les nations plus petites, une tribune publique d’orateurs (que les anciens romains auraient appelée « rostra »), laquelle, par sa vaste résonance, mériterait bien d 'être mise au service d’une digne et juste paix.
Il est vrai que, après les désillusions et les expériences souvent humiliantes de l’après-guerre, aucune intelligence clairvoyante et raisonnable, se sentira poussée à donner plus de valeur qu’il ne faut aux immédiates et palpables possibilités de cette tribune mondiale.
Cependant, il ne reste pas moins vrai qu’aucun de ceux qui ont pris à cœur, comme un devoir sacré, de lutter pour une paix digne, doive renoncer à se servir de cette possibilité, si limitée qu’elle soit, pour secouer la conscience du monde à partir d’un lieu si haut placé et si en évidence, même dans le cas où d’innombrables indices sembleraient démontrer que leurs raisons risquent de n’être - pour un temps plus ou moins long - qu’une simple « voix dans le désert ». »[13]
Le point positif est donc qu’à partir de la tribune offerte même aux plus petits, la conscience du monde puisse être secouée. Mais le pape doute de l’efficacité des discours tenus du haut de ce qui n’est qu’une tribune et non une organisation politique internationale gardienne du bien commun international et capable « de mettre en œuvre des moyens de contrainte »[14]
Il n’empêche que le 1er septembre 1948[15], Pie XII exprime sa confiance en l’Assemblée des nations Unies qui doit tenir sa prochaine session à Paris à partir du 21 septembre 1948: « prochainement […] l’Assemblée des Nations Unies reprendra ses sessions, dûment autorisées à affronter les problèmes de la paix du monde et de la sécurité. Des hommes de science et d’expérience, de grand caractère et de noble idéal, pleinement conscients de leurs graves responsabilités envers la civilisation et la culture, mettront tout en œuvre, déploieront tous leurs efforts pour faire revenir la confiance au sein de la famille des nations, et non seulement comme Nous en avons la profonde confiance, pour en écarter un cataclysme que l’esprit se refuse à imaginer, mais pour la mettre sur la voie qui conduit au bonheur, dans la justice pour tous,, ouvriers et patrons, eut qui conduit à la moralité dans le vie nationale et individuelle, dont l’unique base possible est la foi religieuse en Dieu. » Et le pape d’inviter, de manière pressante, le monde entier à prier pour le succès de cette assemblée.[16] En 1956, après l’insurrection hongroise réprimée par l’armée soviétique, dénonçant le « faux réalisme » de certains membres des Nations Unies, Pie XII estime que l’ONU aurait dû pouvoir envoyer des observateurs et, devant le refus des États, ne pas autoriser ces mêmes États à exercer leurs droits de membres de l’Organisation. Pie XII ajoutait que l’OINU « devrait aussi avoir le droit et le pouvoir de prévenir toute intervention militaire d’un État dans un autre, sous quelque prétexte qu’on entende le faire, non moins que d’assurer par des forces de police suffisantes la protection de l’ordre dans l’État menacé. » A la suite de ces remarques, il déclarait : « Si Nous faisons allusion à ces aspects défectueux, c’est parce que Nous désirons voir renforcer l’autorité de l’ONU, surtout pour l’obtention du désarmement général, qui Nous tient tant à cœur […] ».[17]
Pie XII encouragea les institutions spécialisées des Nations Unies, comme l’Organisation internationale des réfugiés (OIR)[18], l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), et surtout l’OIT[19] et la FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture)[20].
Le Saint-Siège, représentant la Cité de l’État du Vatican n’est pas, en raison de sa neutralité dans les questions politiques, membre de l’ONU mais, depuis 1957, fait partie des deux « États non membres auxquels a été adressée une invitation permanente à participer en qualité d’observateur aux sessions et aux travaux de l’Assemblée générale et ayant une mission permanente d’observation au Siège de l’ONU »[21]
Avec une telle préparation, on ne s’étonnera pas que le pape Jean XXIII consacre toute la quatrième partie de son encyclique Pacem in terris[22] au « Rapport des individus et des communautés politiques avec la communauté mondiale ». Indépendamment du fait que tous les hommes constituent une même famille, force est de constater que le monde rétrécit, que les échanges se multiplient, que les communautés deviennent de plus en plus interdépendantes et que bien des problèmes ne peuvent plus trouver de solution au niveau local. Les États ne peuvent plus vivre juxtaposés et dans de nombreux cas, les accords locaux ne suffisent pas à garantir le bien commun universel. Nous savons que « l’ordre moral, qui postule une autorité publique pour servir le bien commun dans la société civile, réclame en même temps pour cette autorité les moyens nécessaires à sa tâche ». Eh bien, « de nos jours, le bien commun universel pose des problèmes de dimensions mondiales. Ils ne peuvent être résolus que par une autorité publique dont le pouvoir, la constitution et les moyens d’action prennent eux aussi des dimensions mondiales et qui puisse exercer son action sur toute l’étendue de la terre ». Et comme ses prédécesseurs, Jean XXIII réaffirme que « c’est donc l’ordre moral lui-même qui exige la constitution d’une autorité publique de compétence universelle. » Cet organisme, « ce pouvoir supra-national ou mondial », « doit être constitué par un accord unanime et non pas imposé par la force » pour exercer son autorité de manière « impartiale », au service des « exigences objectives du bien commun universel » et « des droits de la personne humaine ». Dans cette société universelle, comme dans la société nationale, l’autorité s’exercera de manière subsidiaire pour résoudre les problèmes économiques, sociaux politiques et culturels auxquels les États ne peuvent apporter de solution.
Dans cette perspective, que pense Jean XXIII de l’ONU, des organismes internationaux qui y sont attachés, et de la Déclaration universelle des droits de l’homme ? Sa position est nuancée car il reconnaît que « certains points de cette Déclaration ont soulevé des objections et font l’objet de réserves justifiées ». Mais, il considère, comme Pie XII, que « cette déclaration est comme un pas vers l’établissement d’une organisation juridico-politique de la communauté mondiale ». C’est pourquoi il souhaite « vivement que l’Organisation des nations Unies puisse de plus en plus adapter ses structures et ses moyens d’action à l’étendue et à la haute valeur de sa mission ». « Puisse-t-il arriver bientôt, ajoute-t-il, le moment où cette Organisation garantira efficacement les droits de la personne humaine : ces droits qui ,dérivent directement de notre dignité naturelle, et qui, pour cette raison, sont universels, inviolables et inaliénables. »
Pie XII et Jean XXIII voyaient bien sûr les déficiences de l’institution[23] mais estimaient qu’il valait mieux l’encourager au lieu de la dénigrer.
La concile Vatican II lui aussi, mais est-ce étonnant ?, évoquera la nécessité d’une « autorité internationale compétente et disposant de forces suffisantes » pour réduire le risque de guerre[24], « une autorité publique universelle, reconnue par tous, qui jouisse d’une puissance efficace, susceptible d’assurer à tous la sécurité, le respect de la justice et la garantie des droits. »[25] En attendant, « les institutions internationales déjà existantes, tant mondiales que régionales, ont certes bien mérité du genre humain. Elles apparaissent comme les premières esquisses des bases internationales de la communauté humaine tout entière pour résoudre les questions les plus importantes de notre époque : promouvoir le progrès en tout lieu de la terre et prévenir la guerre sous toutes ses formes. »[26]
Alors que se déroule le Concile Vatican II, Paul VI, à l’invitation du Secrétaire général Thant, se rend à l’ONU à l’occasion de son vingtième anniversaire. Paul VI y fait l’éloge de l’institution qui a failli sombrer[27] : « Notre message veut être tout d’abord une ratification morale et solennelle de cette haute Institution. Ce message vient de Notre expérience historique. C’est comme « expert en humanité » que Nous apportons à cette Organisation le suffrage de Nos derniers prédécesseurs, celui de tout l’Episcopat catholique et le Nôtre, convaincu comme Nous le sommes que cette Organisation représente le chemin obligé de la civilisation moderne et de la paix mondiale ». En effet, « les peuples se tournent vers les nations-Unies comme vers l’ultime espoir de la concorde et de la paix ». Et si « l’édifice […] ne doit plus jamais tomber en ruines », il doit néanmoins « être perfectionné et adapté aux exigences que l’histoire du monde présentera. » Paul VI énumère les services rendus: « bien définir et honorer les sujets nationaux de la communauté mondiale ; les établir dans une condition juridique qui leur vaut la reconnaissance et le respect de tous, et d’où peut dériver un système ordonné et sable de vie internationale ». Autres points positifs : la lutte contre l’analphabétisme, la diffusion de la culture, l’assistance sanitaire, la diffusions des ressources de la science, de la technique, de l’organisation. Mais il faut aller plus loin, comme le souhaitent ses prédécesseurs : « arriver […] progressivement à instaurer une autorité mondiale en mesure d’agir efficacement sur le plan juridique et politique ». Encore faut-il que tous ceux qui se sont éloignés de l’Institution ou qui n’y sont pas encore entrés rejoignent les États membres et que soit respecté le principe d’égalité ce qui réclame des plus grands États un acte d’humilité. Cet effort est nécessaire pour condamner la guerre et établir la paix, combattre le particularisme et le bellicisme en commençant par le désarmement, en ayant le souci de la solidarité internationale et du respect de la vie[28]. Tout ce travail demande une « conversion » : « repenser à notre commune origine, à notre histoire, à notre destin commun. […] En un mot, l’édifice de la civilisation moderne doit se construire sur des principes spirituels, […] sur la foi en Dieu ».[29] Comme quoi l’organisation mondiale rêvée depuis Vitoria ne peut faire l’économie de l’évangélisation.
Pour Paul VI donc, l’institution est indispensable, elle doit instaurer une autorité mondiale efficace, et pour cela réunir tous les pays sur un pied d’égalité sans négliger les fondements spirituels et en fidélité avec la Charte originelle.
Jean-Paul II se rendra deux fois au siège de l’ONU à l’invitation du Secrétaire général. Si, du temps de Paul VI, l’ONU a risqué la dislocation, durant le pontificat de Jean-Paul II, c’est la crédibilité même de l’Organisation qui sera souvent mise en cause[30]. Comme ses prédécesseurs, il reconnaîtra la valeur de l’institution. Ainsi, en 1979, il déclare: « Le Siège apostolique, depuis la naissance de l’Organisation, a toujours exprimé son estime, en même temps que son accord, pour la signification historique de cette instance suprême de la vie internationale et de l’humanité contemporaine. » Il loue l’Organisation parce qu’« elle recherche les voies de l’entente et de la collaboration pacifique, elle exclut la guerre et la division, elle lutte contre les théories et les stratégies de destructions réciproques. Elle doit en premier lieu, servir l’homme en lui offrant sa protection et en lui garantissant ses droits, assurant à chacun la justice et défendant l’égalité des hommes ». Et c’est précisément cette défense et cette promotion des droits de l’homme que retiendra Jean-Paul II qui mettra en exergue la Déclaration de 1948 dont il dira qu’elle est « comme une pierre milliaire placée sur la route longue et difficile du genre humain […], sur le chemin du progrès moral de l’humanité ». « C’est une question extrêmement importante que, dans la vie sociale interne comme dans la vie internationale, tous les hommes en toute nation et en tout pays, dans tout régime et dans tout système politique puissent jouir d’une plénitude effective de leurs droits ». De plus, « là où les hommes vivent et sont aux prises avec les exigences d’une vie commune, les questions relatives à la justice et aux Droits fondamentaux de l’homme sont liées les unes aux autres. »[31]
Le5 octobre 1995, devant l’Assemblée générale des Nations-Unies, Jean-Paul II redira « l’estime » et « l’intérêt que portent le Siège apostolique et l’Église catholique à cette Institution » car on peut trouver « dans l’ONU l’espérance d’un avenir meilleur pour la société des hommes ». Il rappellera que le Saint-Siège « a soutenu avec conviction les idéaux et les objectifs de l’Organisation des Nations Unies dès sa fondation ». Il revient aussi sur la Déclaration des droits de l’homme, « l’une des expressions les plus hautes de la conscience humaine en notre temps. » Ainsi l’ONU a « allumé un flambeau dont la lumière peut dissiper les ténèbres provoquées par la tyrannie, une lumière qui peut montrer la voie de la liberté, de la paix et de la solidarité. » Le pape regrette toutefois qu’« il n’existe pas encore d’accord international analogue qui traite des droits des nations dans leur ensemble ».[32] Ceci dit, quel regard Jean-Paul II porte-t-il sur l’Institution elle-même, indépendamment de sa nécessité et de ses objectifs proclamés ? L’efficacité de l’Organisation a été souvent et est encore souvent mise en cause. A ce point de vue, Jean-Paul II estime que « l’efficacité de ce plus grand des instruments de synthèse et de coordination de la vie internationale dépend de la culture et de l’éthique internationale qu’il anime et qu’il exprime. » En effet, l’Organisation ne peut se contenter d’être une administration : elle doit être un « centre moral où toutes les nations du monde se sentent chez elles » et pour qu’elles forment une « famille », « fondée sur la confiance réciproque, sur le soutien mutuel, sur le respect sincère ». L’ONU doit être non seulement un « centre efficace de médiation pour la solution des conflits » mais elle doit aussi promouvoir des « valeurs, des attitudes et des initiatives concrètes de solidarité qui soient capables d’élever les rapports entre les nations du niveau de leur « organisation » au niveau, pour ainsi dire, « organique », de la simple « coexistence » à l’existence pour les autres, dans un échange fécond de dons, d’abord à l’avantage des nations les plus faibles, mais finalement positif pour le bien-être de tous. ». Comme Paul VI, Jean-Paul II rappelle la Charte des Nations-Unies et « le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres » (art. 2,1) et la nécessité de « développer entre les nations des relations amicales, fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes » (art. 1,2). Enfin, toujours comme son prédécesseur, Jean-Paul II insiste sur le fait que les actions politiques « impliquent toujours la dimension transcendante et spirituelle de l’expérience humaine ». Si on veut l’ignorer, on porte « préjudice à la cause de l’homme et de la liberté humaine ».
Le discours de Jean-Paul II vise donc principalement la « culture », l’ « éthique » de l’Organisation, sa conception des droits de l’homme et des droits des nations. C’est le respect des valeurs humaines fondamentales qui seul peut assurer la paix. Mais c’est clairement là qu’au niveau de l’ONU et de ses satellites, que le bât blesse. Si globalement, le Saint-Siège approuve les initiatives et les efforts des nations Unies pour promouvoir les droits de l’homme, il relève néanmoins « des lacunes et des insuffisances dans la mise en œuvre des droits de l’homme dans les différents secteurs de l’activité de l’ONU »[33]. Qui plus est, « les représentants du Saint-Siège ont pu observer et dénoncer une certaine dérive par rapport à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 ».[34] Non seulement les violations des droits de l’homme sont de plus en plus nombreuses mais des contradictions apparaissent entre les principes et leur mise en œuvre. Notamment en ce qui concerne la liberté religieuse, les violences contre les femmes, l’éducation des femmes et des jeunes filles, les droits des enfants, la famille et le mariage, la liberté d’avoir des enfants, le droit au développement intégral, le racisme, l’antisémitisme, les réfugiés, la santé. Pire encore, on déplore de la part d’organismes dépendant de l’ONU la diffusion de « programmes drastiques de réduction de l’accroissement de la population, en utilisant ou préconisant des méthodes considérées comme totalement inacceptables » comme l’avortement, la stérilisation, « parfois imposées aux populations du Tiers Monde par des organismes internationaux. » On évoque même un « droit à l’avortement ». Le catalogue n’est pas exhaustif.[35]
Michel Schooyans a, à plusieurs reprises[36], dénoncé la dérive des institutions internationales qui s’appuient sur de « nouveaux droits de l’homme » qui ne découlent pas de la nature même de l’homme mais du « positivisme juridique : seules valent les règles du droit positif, émanant de la volonté du législateur […]. L’ONU et certaines de ses agences se comportent en effet de plus en plus ouvertement comme si elles avaient reçu mandat pour élaborer une conception des droits de l’homme radicalement différente de celle qui s’exprimait en 1948.
La Déclaration universelle était anthropocentrique. Elle reconnaît qu’au centre du monde et au cœur du temps, il y a l’homme raisonnable, libre, responsable, capable de solidarité et d’amour. Désormais -selon l’ONU- l’homme est une parcelle éphémère dans le cosmos. […] Les hommes ne sont plus capables de reconnaître la vérité et d’y accorder leur conduite ; ils négocient, décident selon une arithmétique des intérêts et des jouissances. Triomphe éphémère de consensus toujours renégociables et dès lors perpétuellement en sursis.
Telle est la source principale des soi-disant « nouveaux droits de l’homme ». Ils ne sont plus reconnus ou déclarés ; ils sont négociés ou imposés. Marchandés. Ils sont l’expression de la volonté des plus forts. Les valeurs elles-mêmes sont le simple reflet des préférences, de la fréquence des choix. »[37]
Bref, on assiste à un envahissement du relativisme et de l’individualisme qui vont amener le cardinal Angelo Sodano, secrétaire d’État de 1990 à 2006, à indiquer le chemin de la cohérence et de l’efficacité.
En 1990, tout d’abord, en parlant des droits de l’homme, il déclare qu’« il faut affermir ceux-ci en leur donnant une solide base éthique, car autrement ils demeureront fragiles et sans fondations. A ce propos, on doit réaffirmer que les droits de l’homme ne sont créés ou octroyés par personne, mais qu’ils sont inhérents à la nature humaine. Selon le Saint-Siège, la loi naturelle, inscrite par Dieu dans le cœur de chaque être humain, est un dénominateur commun à tous les hommes et à tous les peuples. C’est un langage universel, que tous peuvent connaître et sur la base duquel ils peuvent s’entendre. » Ensuite, il rappelle à l’ONU ce qui était prévu dans la Charte des Nations Unies : « Il faut […] que l’ONU soit pleinement représentative de la communauté internationale et n’apparaisse pas comme dominée par quelques-uns. L’écoute et le respect de chacun est impératif lorsqu’il s’agit de prendre des décisions communes, mais plus particulièrement encore lorsque l’on s’attache à définir des orientations qui touchent à des valeurs morales et culturelles fondamentales. En ce domaine, il n’est pas légitime de prétendre imposer, au nom d’une conception subjective du progrès, certains modes de vie minoritaires. « Les Peuples des Nations Unies », mentionnés dans le Préambule de la Charte, ont droit au respect de leur dignité et de leurs traditions. »[38]
Cinq ans plus tard, au nom de Benoît XVI, cette fois, le cardinal interpelle les chefs d’État et de gouvernement et rappelle l’ONU à ses devoirs. Une « réforme » courageuse de l’institution est nécessaire car elle « a montré des signes d’usure ». Les peuples attendent « une institution moderne, capable de prendre des résolutions et de les faire respecter. C’est là, ajoute le cardinal, un appel qui nous est adressé par des hommes et des femmes découragés par tant de promesses faites et non tenues, par des résolutions adoptées et que l’on n’a pas fait respecter. » Or « « la responsabilité de protéger » […] renvoie […] à la prééminence de la dignité de tout homme ou de toute femme en tant que personne sur l’État et sur tout système idéologique. » Abordant des problèmes particuliers, le cardinal estime, notamment, qu’« il faut encore beaucoup travailler pour arriver à une mobilisation économique et financière solidaire » et, sur le plan de la santé, on ne peut « pas offrir une vision ambigüe, réductrice ou pire encore idéologique […]. Par exemple, ne vaudrait-il pas mieux parler clairement de la « santé des femmes et des enfants », que d’utiliser le terme de « santé de la reproduction » ? Peut-être voudrait-on reparler d’un droit à l’avortement ? ».[39]
Face à cette dégradation de la « philosophie » de l’ONU, à ses dérives, à ses manquements, quelle va être la réaction de Benoît XVI invité à son tour, le 18 avril 2008, à la tribune de l’Assemblée, à l’occasion du 60e anniversaire de la déclaration des Droits de l’homme ?
Il va offrir à ses auditeurs une réflexion dense mais fondamentale
En premier lieu, Benoît XVI dit, comme ses prédécesseurs, son « estime pour les Nations Unies » et reprend certaines expressions qu’ils ont, à l’occasion, employées. Ainsi, les Nations Unies sont estimables car elles constituent un « lieu privilégié », un « centre moral » et « concrétisent l’aspiration à « un degré supérieur d’organisation à l’échelle internationale »[40] » en respectant le principe de subsidiarité.
Benoît XVI reconnaît l’importance des « objectifs universels » comme « le désir de paix, le sens de la justice, le respect de la dignité de la personne, la coopération et l’assistance humanitaires. » Le but de l’ONU est de servir la liberté, la solidarité le bien commun pour lutter contre le sous-développement, l’insécurité, les inégalités et les menaces qui planent sur l’environnement, les ressources le climat. Au niveau de la méthode, Benoît XVI voit dans l’activité de l’ONU « un exemple de la manière dont les problèmes et les conflits qui concernent la communauté mondiale peuvent bénéficier d’une régulation commune. " Par le dialogue.
Toutefois, comme ses prédécesseurs, le pape relève aussi quelques faiblesses. Les « objectifs universels » « ne coïncident pas avec la totalité du bien commun de la famille humaine » mais ils « n’en représentent pas moins une part fondamentale ». Pour ce qui est des moyens, Benoît XVI exprime « le souhait que l’Organisation puisse être toujours davantage un signe d’unité entre les États et un instrument au service de toute la famille humaine ». En effet, « un consensus multilatéral […] continue à être en crise parce qu’il est encore subordonné aux décisions d’un petit nombre ».
Il n’empêche qu’en ce « lieu privilégié », « l’Église s’efforce de partager son expérience « en humanité » », universelle et multiséculaire.
A quelles conditions, l’ONU peut-elle remplir sa mission, pourrait-elle mieux la remplir ? d’une manière globale, en étant toujours plus fidèle à sa Charte, à sa Déclaration et à un nouveau principe reconnu par l’Organisation : « la responsabilité de protéger », « fondement de toute action entreprise par l’autorité envers ceux qui sont gouvernés par elle ».
Toute la réflexion du Souverain pontife va se référer à ces trois éléments et aux « impératifs éthiques » qu’ils comportent et qui doivent être respectés d’autant plus que certains progrès scientifiques et technologiques « représentent une violation évidente de l’ordre de la création, au point non seulement d’être en contradiction avec le caractère sacré de la vie, mais d’arriver à priver la personne humaine et la famille de leur identité naturelle ».
Comme à l’origine, l’ONU doit continuer à reconnaître « l’unité de la famille humaine » et la « dignité innée » de toute personne. Elle ne doit pas oublier qu’elle a été crée parce qu’avant sa naissance, « la référence au sens de la transcendance et à la raison naturelle a été abandonnée et que, par conséquent, la liberté et la dignité humaine furent massivement violés ». une telle attitude « menace les fondements objectifs des valeurs qui inspirent et régulent l’ordre international et cela mine les principes intangibles et coercitifs formulés et consolidés par les Nations Unies ». Et donc, « c’est une erreur de se retrancher derrière une approche pragmatique, limitée à mettre en place des « bases communes », dont le contenu est minimal et dont l’efficacité est faible ».
En ce qui concerne donc les droits de l’homme, il faut être particulièrement vigilant et maintenir la « corrélation entre droits et devoirs ». En effet, les droits de l’homme sont « la mesure du bien commun, utilisée pour apprécier le rapport entre justice et injustice, développement et pauvreté, sécurité et conflits ». Ils constituent « la stratégie la plus efficace » pour le développement et la paix
Encore faut-il ne pas se tromper sur leur vraie nature. « Les droits de l’homme sont toujours plus présentés comme le langage commun et le substrat éthique des relations internationales. Tout comme leur universalité, leur indivisibilité et leur interdépendance sont autant de garanties de protection de la dignité humaine, cela en vertu de l’origine commune des personnes, qui demeure le point central du dessein créateur de Dieu pour le monde et pour l’histoire ? Ces droits trouvent leur fondement dans la loi naturelle inscrite au cœur de l’homme et présente dans les diverses cultures et civilisations. Détacher les droits humains de ce contexte signifierait restreindre leur portée et céder à une conception relativiste, pour laquelle le sens et l’interprétation des droits pourraient varier et leur universalité pourrait être niée au nom des différentes conceptions culturelles, politiques, sociales et même religieuses. la grande variété des points de vue ne peut pas être un motif pour oublier que ce ne sont pas les droits seulement qui sont universels, mais également la personne humaine, sujet de ces droits. » Il en ressort que « les droits de l’homme exigent […] d’être respectés parce qu’ils sont l’expression de la justice et non simplement en raison de la force coercitive liée à la volonté des législateurs ».
Ces droits humains sont bien innés et non concédés car « le bien commun que les droits de l’homme aident à réaliser ne peut pas être atteint en se contentant d’appliquer des procédures correctes ni même en pondérant des droits en opposition ». Il faut les soutenir « face à des instances qui cherchent à réinterpréter les fondements de la Déclaration et à compromettre son unité interne pour favoriser le passage de la protection de la dignité humaine à la satisfaction de simples intérêts, souvent particuliers. La Déclaration a été adoptée comme « un idéal commun qui est à atteindre » (Préambule) et elle ne peut pas être utilisée de manière partielle, en suivant des tendances ou en opérant des choix sélectifs qui risquent de contredire l’unité de la personne et donc l’indivisibilité de ses droits ». Or souvent on doit regretter la « prédominance de la légalité par rapport à la justice quand se manifeste une attention à la revendication des droits qui va jusqu’à les faire apparaître comme le résultat exclusif de dispositions législatives ou de décisions normatives prises par les diverses instances des autorités en charge. Quand ils sont présentés sous une forme de pure légalité, les droits risquent de devenir des propositions de faible portée, séparés de la dimension éthique et rationnelle qui constitue leur fondement et leur fin. La Déclaration universelle a en effet réaffirmé avec force la conviction que le respect des droits de l’homme s’enracine avant tout sur une justice immuable[41], sur laquelle la force contraignante des proclamations internationales est aussi fondée. » Si l’on a simplement « une perspective utilitariste étroite », on prive « les droits de leur vraie fonction ». Certes, de « nouvelles situations » peuvent suggérer de « nouveaux droits » mais il faut discerner, il faut « distinguer le bien du mal ». Si on laisse ce discernement aux États en fonction de leurs lois et de leurs institutions, le risque est de rendre « impossible un ordre social respectueux de la dignité de la personne et de ses droits. » Seule « une vision de la vie solidement ancrée dans la dimension religieuse peut permettre d’y parvenir, car la reconnaissance de la valeur transcendante de tout homme et de toute femme favorise la conversion du cœur, ce qui conduit alors à un engagement contre la violence, le terrorisme ou la guerre, et à la promotion de la justice et de la paix. »
Benoît XVI, revivifie par ces réflexions les principes et fondements des Nations-Unies bien conscient des dérives et trahisons actuelles. Il invite aussi les représentants des nations à prendre toute la mesure de « la responsabilité de protéger »[42] énoncée plus récemment et dont les trois piliers ont été définis dans le Document final du Sommet mondial de 2005[43] et que le Secrétaire général a formulés dans le rapport présenté en 2009[44]. Benoît XVI rappelle ici que ce principe, dans la pensée chrétienne, n’est pas nouveau : il « était considéré par l’antique ius gentium comme le fondement de toute action entreprise par l’autorité envers ceux qui sont gouvernés par elle ; à l’époque où le concept national souverain commençait à se développer, le religieux dominicain Francisco de Vitoria, considéré à juste titre comme un précurseur de l’idée des Nations Unies, décrivait cette responsabilité comme un aspect de la raison naturelle partagé par toutes les nations, et le fruit d’un droit international dont la tâche était de réguler les relations entre les peuples ». Le respect de ce principe est important car bien des dommages sont causés par « l’indifférence ou la non-intervention ».
Enfin, l’ONU, lieu de « dialogue » a la tâche de confronter les points de vue et de « réaliser un consensus autour de la vérité concernant des valeurs ou des fins particulières ». A ce point de vue, Benoît XVI insiste sur le fait qu’il est important que « la sphère religieuse » soit « séparée de l’action politique ». Les religions peuvent « mettre leur expérience au service du bien commun » à condition que leur vision de la foi ne s’exprime pas « en termes d’intolérance, de discrimination ou de conflit, mais en terme de respect absolu de la vérité, de la coexistence, des droits et de la réconciliation ». Les instances internationales doivent porter une attention particulière au droit à la liberté religieuse, y compris à ses manifestations publiques. Pour être des « citoyens actifs », engagés dans « la construction de l’ordre social », les croyants n’ont pas à « se priver d’une partie d’eux-mêmes - de leur foi […] » cela « reviendrait à privilégier une approche individualiste et, ce faisant, à fragmenter l’unité de la personne ». « Il est d’autant plus nécessaire de protéger les droits liés à la religion, s’ils sont considérés comme opposés à une idéologie séculière dominante ou à des positions religieuses majoritaires, de nature exclusive. »
Droit naturel et statut des religions, voilà deux axes qu’il était indispensable de rappeler face au relativisme et au laïcisme qui ont envahi progressivement l’hémicycle de Manhattan et qui menacent la paix du monde.[45]
Par ailleurs, nous avons vu que Benoît XV, dès 1917, souhaitait que la « force morale du droit » remplace la « force matérielle des armes » (Message aux peuples belligérants et à leurs chefs, 1er août 1917) et qu’il estimait « très désirable que l’ensemble des États, écartant tous les soupçons réciproques, s’unissent pour ne plus former qu’une société, ou mieux, qu’une famille, tant pour la défense de leurs libertés particulières que pour le maintien de l’ordre social. […] Aux Nations unies dans une Ligue fondée sur la foi chrétienne, l’Église sera fidèle à prêter son concours actif et empressé pour toutes leurs entreprises inspirées par la justice et la charité. » (Encyclique Pacem Dei munus pulcherrimum, 23 mai 1920). Mais, en même temps, il déplorait que la SDN soit incapable d’« imposer à toutes les nations une sorte de code international, adapté à notre époque, analogue à celui qui régissait la Chrétienté » (Encyclique Ubi arcano Dei, 23 décembre 1922).
MACHELON Jean-Pierre, op. cit., p. 204, fait remarquer que « toute forme de collaboration entre le Saint-Siège et la SDN aurait supposé aplanis des obstacles juridiques considérables, et des obstacles psychologiques qui ne l’étaient pas moins ; les milieux catholiques manifestaient souvent de la réticence à l’endroit d’une organisation qui leur semblait d’inspiration socialiste ou maçonnique ».
Aussi, vous demandons-Nous de prier, Nous vous le demandons à vous, vénérables Frères dans l’épiscopat, à vous, Nos chers fils dans le sacerdoce, à vous, Nos bien-aimés enfants dans le Christ-Jésus. Et permettez que par vous, Notre voix suppliante parvienne à tous vos frères catholiques en Amérique, et même à tous les catholiques de tous les pays de la terre, auxquels, Nous l’espérons bien, s’uniront tous les hommes de bonne volonté. »
Par contre, le Saint-Siège ou l’État de la Cité du Vatican collabore plus facilement avec les organisations internationales à but technique ou scientifique. Le Saint-Siège est un des membres fondateurs de l’Agence internationale pour l’Energie atomique, L’État de la Cité du Vatican est membre à part entière, par exemple, de l’Union postale universelle, de l’Union internationale des télécommunications, de l’Union internationale pour la protection de la propriété littéraire et artistique, de l’Union internationale pour la protection de la propriété industrielle, de l’Organisation météorologique mondiale, de l’Organisation de l’aviation civile internationale, etc..
En 2004, le Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, institué par le Secrétaire général Kofi Annan, a entériné la norme nouvelle d’une responsabilité de protéger – souvent appelée « R2P » –, affirmant qu’il existe une responsabilité internationale collective, que doit exercer le Conseil de sécurité en autorisant une intervention militaire en dernier ressort, dans l’éventualité où se produiraient un génocide ou d’autres massacres à grande échelle, un nettoyage ethnique et de graves violations du droit humanitaire que les gouvernements souverains se sont révélés impuissants ou non disposés à prévenir. Le Groupe de personnalités a proposé des critères de base qui légitimeraient l’autorisation du recours à la force par le Conseil de sécurité des Nations Unies, notamment la gravité de la menace, le fait qu’il doit s’agir d’un dernier ressort, et la proportionnalité de la réponse. »
(http://www.un.org/fr/preventgenocide/rwanda/pdf/responsablility.pdfhttp://www.un.org/fr/preventgenocide/rwanda/pdf/responsablility.pdf).
Cf. également : CIISE, La responsabilité de protéger, Rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États, décembre 2001. Texte disponible sur:
http://diplomatie.belgium.be/fr/binaries/rapport%20intern%20comm%20inzake%20interv%20en%20soev%20staat%20over%20beschermingsver_fr_tcm313-70467.pdf
1. Il incombe au premier chef à l’État de protéger les populations contre le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le nettoyage ethnique, ainsi que contre les incitations à les commettre ;
2.Il incombe à la communauté internationale d’encourager et d’aider les États à s’acquitter de cette responsabilité ;
3.Il incombe à la communauté internationale de mettre en œuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres de protéger les populations contre ces crimes. Si un État n’assure manifestement pas la protection de ses populations, la communauté internationale doit être prête à mener une action collective destinée à protéger ces populations, conformément à la Charte des Nations Unies.
(http://www.un.org/fr/preventgenocide/adviser/responsibility.shtml)