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d. La mer

Dans son encyclique, Jean-Paul II n’évoque pas cette question⁠[1] que la Commission pontificale « Iustitia et pax » a abordée dès1977.⁠[2]

Il s’agit d’y réfléchir à la lumière de la doctrine traditionnelle de l’Église sur la destination universelle des biens et le droit de propriété.

Face aux difficultés économiques du Nord et du Sud, l’espace marin offre, par ses richesses immenses, des perspectives intéressantes pour le développement. Mais pour éviter à l’avenir des conflits et des dévastations, on ne peut plus se contenter des réglementations mineures actuellement appliquées à la haute mer.

On ne peut pas non plus souhaiter l’extension des souverainetés des pays côtiers. En effet, cette solution élargirait le champ des rivalités, profiterait aux pays favorisés par la nature (accès à la côte et longueur du littoral) et serait préjudiciable à la recherche scientifique et à la solidarité entre les peuples.

Quelles solutions envisager ?

Les Nations-Unies en proposent une.

Dès les années 70, les Nations-Unies préconisèrent de déclarer la haute mer « patrimoine commun de l’humanité ». Cette solution implique que l’espace marin échappe aux affrontements des souverainetés nationales ; qu’il ne serve qu’à des usages pacifiques ; que les océans servent à tous et d’abord aux plus pauvres (par le partage des bénéfices financiers et autres) ; que l’on mette en place des structures régionales de solidarité internationale. Par le fait même, on préserverait, pour l’avenir, une richesse naturelle et le concept de « patrimoine commun » ainsi expérimenté pourrait s’étendre à d’autres domaines.

L’application de cette solution fut limitée par l’extension de la territorialité des pays côtiers sur la partie la plus utile de l’espace marin (1/3). Le principe du patrimoine commun ne fut retenu que pour le fond et le sous-sol des deux tiers restants, à l’exclusion de la colonne d’eau qui demeure sous le régime traditionnel de la liberté.

En fait, les structures et autorités nécessaires à la gestion du patrimoine commun n’étaient pas prêtes, car les problèmes sont complexes. En même temps, l’urgence des situations incite les intéressés à recourir aux anciennes solutions plus familières : souveraineté nationale et propriété exclusive.

Les pays développés y trouvent leur compte et les pays pauvres bordés par la mer aussi, dans la mesure où ils se réservent un patrimoine à exploiter plus tard et un moyen de négociation avec des nations plus avancées.

Devant ces obstacles, certains ont préconisé de remplacer la notion de souveraineté géographique par celle de souveraineté fonctionnelle couvrant telle ou telle activité. Mais cette perspective n’est guère convaincante et demande des études plus précises.

La proposition de l’Église.

La réflexion chrétienne n’estime pas nécessairement heureuse l’idée suivant laquelle la notion d’appropriation particulière devrait progressivement disparaître pour laisser place à la notion de patrimoine commun. En effet, le projet de planification et de gestion supranationales risque d’engendrer une technocratie internationale lourde et compliquée, et finalement de rendre inopérante la base démocratique sur laquelle il veut se fonder.

L’enseignement de l’Église, au lieu d’opposer les deux notions de patrimoine commun et d’appropriation particulière, les réconcilie grâce à une troisième notion qui les commande toutes les deux : il s’agit du principe de la « destination universelle des biens ». La mise en œuvre de ce principe s’opère à travers les voies complémentaires que sont l’appropriation particulière et la possession commune, toujours subordonnées au principe supérieur.

Chacune de ces deux voies est susceptible de formes multiples, toujours révisables en fonction des situations changeantes. Ainsi le principe de contiguïté géographique est-il utile mais non absolu, car il se base sur une situation et non sur des prémisses éthiques. Mais dans le même esprit, l’aspiration des pays pauvres, notamment à une appropriation particulière n’est pas incompatible avec la perspective d’un patrimoine géré en commun. L’équilibre entre les deux types ne peut évidemment résulter que de confrontations et d’engagements libres de pays reconnus dans leur personnalité propre et dotés d’un véritable pouvoir contractuel.


1. Il en a parlé ailleurs. Par exemple : Aux participants du Congrès mondial de l’apostolat de la mer, 27 octobre 1982, in OR 23 novembre 1982, p. 15 ; Discours aux gens de la mer, St jacques de Compostelle (Espagne), 9 novembre 1982, in OR, 30 novembre 1982, pp. 17-18 ; Avec le monde de la mer, 12 août 1984, in OR 21 août 1984, p. 5 ; Avec les pêcheurs, Flatrock (Canada), 12 septembre 1984, in OR 25 septembre 1984, pp. 1 et 4 ; A la cérémonie des « noces de la mer », Cervia (Italie), 11 mai 1986, in OR 3 juin 1986, p. 22 ; Aux travailleurs portuaires et aux marins, Civitavecchoia (Italie), 19 mars 1987, in OR 7 avril 1987, p.7. On peut aussi lire IZAN Michel, Rencontre régionale de l’apostolat de la mer, Abidjan (Côte-d’Ivoire), du 28 avril au 1er mai 1981, in OR 16 juin 1981.
2. La destination universelle des biens, A propos de la Conférence du droit de la mer, Cité du Vatican, 1977 et 1982.