Version imprimable multipages. Cliquer ici pour imprimer.

Retour à la vue standard.

iv. Quelques réponses à des problèmes précis.

L’encyclique Sollicitudo rei socialis, et d’autres documents pontificaux abordent quelques questions précises qui concernent le développement

Nous avons vu que Jean-Paul II cite le chômage parmi les manifestations du sous-développement sans s’attarder⁠[1], dans la mesure où il a bordé ce grave problème dans son encyclique sur le travail qu’il évoque d’ailleurs tout en soulignant le « caractère universel et, en un sens, multiplicateur » de ce phénomène⁠[2].

Mais il est d’autres aspects de sous-développement qui vont être étudiés sous ce pontificat : la démographie, la dette, le logement, l’accès à l’eau, le partage de la terre, de la mer et de l’espace.


1. SRS 18.
2. LE 18. Le 20 mars 2014, le pape François est revenu sur ce thème à l’occasion d’une visite aux aciéries de Terni où Jean-Paul II s’était rendu en 1991. Dans la continuité de la pensée de son illustre prédécesseur, il déclarait : « Face au développement actuel de l’économie et aux souffrances que traverse le monde professionnel, il faut réaffirmer que le travail est une réalité essentielle pour la société, pour les familles et pour les individus. le travail, en effet, concerne directement la personne, sa vie, sa liberté et son bonheur. la première valeur du travail est le bien de la personne humaine, parce qu’il lui permet de se réaliser en tant que telle, avec ses aptitudes et ses capacités intellectuelles, créatives et manuelles. Il s’ensuit que le travail n’a pas seulement une finalité économique et orientée vers le profit, mais surtout une finalité qui concerne l’homme et sa dignité. la dignité de l’homme est liée au travail. […​] Et lorsque le travail manque, cette dignité est blessée. Celui qui est au chômage ou qui est sous-employé risque, en effet, d’être mis en marge de la société, de devenir victime d’exclusion sociale. Il arrive si souvent que les personnes sans travail -je pense surtout aux nombreux jeunes, aujourd’hui au chômage- tombent dans une sorte de découragement chronique ou, pire, d’apathie.
   Que pouvons-nous dire devant le très grave problème du chômage qui touche un certain nombre de pays européens ? C’est la conséquence d’un système économique qui n’est plus capable de créer du travail, parce qu’il a mis au centre une idole qui s’appelle l’argent ! C’est pourquoi les différents responsables politiques, sociaux et économiques sont appelés à promouvoir une approche différente, basée sur la justice et sur la solidarité. […​] La solidarité est importante, mais ce système ne l’aime pas beaucoup et préfère l’exclure. Cette solidarité humaine qui assure çà tous la possibilité de mener une activité professionnelle digne. le travail est un bien qui appartient à tous, qui doit être disponible pour tous. Cette phase de graves difficultés et de chômage nécessite d’être affrontée avec les instruments de la créativité et de la solidarité. la créativité d’entrepreneurs et d’artisans courageux qui regardent vers l’avenir avec confiance et espérance. Et la solidarité entre toutes les composantes de la société, qui renoncent à quelque chose, adoptent un style de vie plus sobre, pour aider ceux qui se trouvent dans le besoin.
   Ce grand défi interpelle toute la communauté chrétienne. […​] Si chacun joue son rôle, si tous mettent toujours au centre la personne humaine, et non l’argent, avec sa dignité, si l’on consolide des comportements de solidarité et de partage fraternel inspirés de l’Évangile, il sera possible de sortir du marécage d’une saison économique et professionnelle éprouvante et difficile. » (Zenit, 20 mars 2014).

⁢a. La démographie

Jean XXIII en avait déjà parlé dans son encyclique Mater et magistra[1]. Rappelons-nous. Contestant l’injonction biblique « Croissez et multipliez », « Remplissez la terre et soumettez-la », certains estiment qu’il faut freiner la natalité dans la mesure où le développement économique étant plus lent que la croissance démographique, « le déséquilibre s’accentuera d’une manière aigüe entre population et moyens de subsistance ». De plus, le taux de mortalité infantile surtout se réduisant, « l’excédent des naissances sur les décès s’accroît sensiblement, et le rendement des régimes économiques ne croît pas en proportion ». Voilà deux raisons de contrôler la démographie.

Pour Jean XXIII, la situation décrite n’est pas vérifiée. En fait, de nombreux problèmes viennent d’une « organisation économique et sociale déficiente » et d’une « solidarité insuffisante » alors que la nature, créée par Dieu, a des « ressources inépuisables » et que les hommes créés par Dieu ont l’intelligence et le génie pour répondre à ce défi. Il faut, disait-il, « un nouvel effort scientifique » plutôt que de toucher à des règles morales.

La vraie solution consiste à d’abord respecter les vraies valeurs humaines et notamment la vie humaine qui est sacrée, la famille fondée sur le mariage. Dans le respect des « lois inviolables et immuables », il convient d’éduquer au sens des responsabilités notamment en ce qui concerne la fondation d’une famille. Par ailleurs, un tel problème requiert une collaboration mondiale pour que se mette en place une « circulation ordonnée et féconde des connaissances, des capitaux et des hommes ».

L’encyclique de Jean-Paul II⁠[2] renvoie d’abord à ce que disait Paul VI dans Populorum progressio[3]puis à ce qu’il a, lui-même, exposé dans l’exhortation apostolique Familiaris consortio[4].

Ceci rappelé, Jean-Paul II revient aux problèmes créés par le nombre de naissances dans le Sud mais il y ajoute ceux qui sont liés à la chute de la natalité dans le Nord car le vieillissement de la population est susceptible aussi de freiner le développement.⁠[5]

Pour Jean-Paul II, la croissance démographique n’est pas la seule cause du sous-développement.⁠[6] De même, ajoute-t-il, « il n’est nullement démontré que toute croissance démographique soit incompatible[7] avec un développement ordonné. »[8] Enfin, il dénonce à nouveau et avec énergie « le signe d’une conception erronée et perverse du vrai développement humain » que sont les campagnes gouvernementales systématiques contre la natalité où souvent l’aide économique et financière étrangère est l’objet d’un chantage dont sont victimes les populations les plus pauvres. Ces politiques, en opposition avec l’identité culturelle et religieuse des peuples concernés, finissent parfois par favoriser un certain racisme ou un eugénisme raciste. Elles sont contraires à la nature du vrai développement.⁠[9]

L’Église n’hésite pas à parler du « mythe de la crise démographique mondiale ».⁠[10] Il faut rejeter le mythe de la fin du monde dû à une crise démographique mondiale qui entraînerait une famine. Ebranlés dans leurs présomptions économiques et démographiques, les chercheurs et les fournisseurs de contraceptifs devraient désormais se demander s’ils ne sont pas en train de contribuer aux problèmes sociaux et économiques plutôt que les résoudre. Le mécontentement et l’opposition des populations soumises aux campagnes de contention devraient faire réfléchir les responsables. Il faut, en effet, considérer la croissance démographique dans le contexte du développement économique et envisager les différents problèmes non seulement de surpopulation dans des zones déterminées, mais aussi de sous-population.⁠[11] Ces différents problèmes doivent être affrontés à travers la promotion de la justice économique par le développement et la décentralisation et par la diffusion de la planification familiale naturelle.⁠[12]

Ce mythe est à la base d’une véritable idéologie qui fait fi de la réalité.

Lors de la Conférence internationale des Nations-Unies sur la population à Mexico du 6 au 13 août 1984, la délégation du Saint-Siège a fait remarquer que « bien des projections pessimistes faites dans le passé ne se sont pas vérifiées et quelques tendances se sont manifestées qui, elles, n’étaient pas prévues ». Et le chef de la délégation, Mgr Jan Schotte tout en affirmant que « de façon générale le taux de croissance de la population mondiale est en baisse, de même que ceux de la fécondité et de la mortalité », ajouta que « l’expérience nous met en garde contre la complexité et les incertitudes des projections à long terme. »[13]


1. MM 186-200.
2. SRS 25. Jean-Paul II aborde encore la question dans son Message au Dr R.M. Salas en vue de la Conférence internationale sur la population, 7 juin 1984, O.R. 26 juin 1984, p. 2 et Aux délégués de la Commission économique pour l’Amérique latine et les caraïbes, Santiago (Chili), 3 avril 1987, O.R. 28 avril 1987, p. 6
3. PP 37: « Il est vrai que trop fréquemment une croissance démographique accélérée ajoute ses difficultés aux problèmes de développement : le volume de la population s’accroît plus rapidement que les ressources disponibles et l’on se trouve apparemment enfermé dans une impasse. La tentation, dès lors, est grande de freiner l’accroissement démographique par des mesures radicales. Il est certain que les pouvoirs publics, dans les limites de leur compétence, peuvent intervenir, en développant une information appropriée et en prenant les mesures adaptées, pourvu qu’elles soient conformes aux exigences de la loi morale et respectueuses de la juste liberté du couple. Sans droit inaliénable au mariage et à la procréation, il n’est plus de dignité humaine. C’est finalement aux parents de décider, en pleine connaissance de cause, du nombre de leurs enfants, en prenant leurs responsabilités devant Dieu, devant eux-mêmes, devant les enfants qu’ils ont déjà mis au monde, et devant la communauté à laquelle ils appartiennent, suivant les exigences de leur conscience instruite par la loi de Dieu, authentiquement interprétée et soutenue par la confiance en Lui. »
4. 22 novembre 1981. Il y dénonce « un esprit contraire à la vie » qui se manifeste chez les uns par la volonté d’imposer des moyens d’empêcher l’éclosion de nouvelles vies, chez d’autres par la priorité absolue accordée aux biens matériels. Cet esprit se retrouve dans « des études faites par les écologistes et les futurologues sur la démographie, qui parfois exagèrent le péril de la croissance démographique pesant sur la qualité de la vie. » L’Église, rappelle-t-il, refuse ce pessimisme et cet égoïsme parce qu’elle voit dans la vie un don de Dieu. C’est pourquoi elle condamne la violence exercée par les autorités publiques en faveur de la contraception, de la stérilisation ou de l’avortement ou encore par les instances internationales qui conditionnent l’aide économique par des programmes qui portent atteinte à la liberté des couples et à la vie. Jean-Paul II rappelle « la doctrine authentique sur la régulation des naissances, présentée à nouveau par le second Concile du Vatican et l’encyclique Humanae vitae » de même que la doctrine sur le mariage. (FC 28-35).
5. L’O.R. du 21 février 1989 (p. 15), rend compte d’un article du P. ROSA Giuseppe, s.j., publié dans la Civiltà cattolica du 21 janvier. Le P. Rosa y « déplore spécialement la situation italienne. L’Italie remporte, en effet, la première place dans le tableau du taux de la dénatalité dans le monde entier( 1,29 enfants par femme). Dans l’ensemble des pays, le baby boom de 1960 à 1965 a été suivi d’une chute spectaculaire. Las statistiques montrent, en particulier en Europe, qu’en un peu plus de vingt ans les naissances ont diminué pratiquement de moitié. Ainsi, alors qu’en 1965 la Hollande et l’Italie avaient respectivement une moyenne de fécondité de 3,04 et 2,55 enfants par femme, ces chiffres n’étaient plus, en 1987, que 1,50 et 1,29. ce dernier chiffre concernant donc l’Italie d’aujourd’hui, vient immédiatement avant celui de l’Allemagne (1,31) et la France arrive peu après (1,84), derrière la Hollande (1,50 déjà indiqués), la Grande-Bretagne (1,78) et la Suède (1,79). Le P. Rosa préconise alors une politique familiale qui puisse d’abord créer des conditions rendant réalisable pour les femmes la conjonction « travail-maternité-carrière’ ; qui supprime les pénalisations économiques que subissent, en fait, les couples prolifiques ; qui redonne à la maternité sa pleine valeur sociale. Il faut , dit-il, éliminer l’actuelle mentalité antinataliste, individualiste et hédoniste, en montrant, en particulier que « donner la vie, avant d’être un acte biologique, est un acte spirituel : c’est un don ». »
6. Rappelons : l’injustice économique, le sous-développement des ressources, la faible planification économique, etc.. Par ailleurs, tient-on suffisamment compte des réalisations générales de la production alimentaire et de toutes les possibilités offertes pour un développement ultérieur des ressources et de la technologie ?
7. La Documentation catholique n° 1968, p. 874, a laissé passer une grave coquille qui introduit un contresens dans cette citation de l’encyclique. C’est bien « incompatible » (abhorrere dans le texte latin) qu’il faut lire. La traduction était pourtant correcte dans le n° 1957, p. 242.
8. Le « toute » est en italiques dans le texte original. Certains pays, comme la France en 1986, la Bulgarie et Singapour en 1987, ont pressenti ou reconnu que la « croissance démographique 0 » correspondait à un désastre sur le plan social et économique et ont pris des mesures pour stimuler l’augmentation de la population.
9. Il y a certes, dans certains pays, des crises démographiques sérieuses mais le « boom » démographique qui doit, selon certains, conduire le mode à sa perte se révèle, de plus en plus, comme un mythe dont la fausseté a été dénoncée par de nombreux experts internationaux. Il n’empêche qu’à partir de ce mythe s’est forgée une idéologie répandue notamment dans certains organismes internationaux. selon cette idéologie, une population moins nombreuse permettrait une meilleur économie. Dès lors, il faut tenter par tous les moyens (contraception, stérilisation, avortement) de contenir la population du globe. est né ainsi un véritable « impérialisme contraceptif » qui impose ses vues sans égards pour les cultures, les traditions, l’éthique et la dignité des populations. (Cf. la très intéressante Communication de l’Église catholique à la XXIIe Conférence du Conseil des Organisations internationales des sciences médicales (CIOMS), 19-24 juin 1988, Pour une claire éthique de la planification familiale, in D.C. n° 1968, pp. 870-877.)
   On peut citer les travaux de SCHOOYANS M., Maîtrise de la vie, domination des hommes, Lethielleux, 1986 ; L’enjeu politique de l’avortement, OEIL, 1991 ; La dérive totalitaire du libéralisme, Mame, 1995 ; Bioéthique et population, Fayard, 1994 ; L’Évangile face au désordre mondial, Fayard, 1998 ; Le crash démographique, Le Sarment-Fayard, 1999 ; La face cachée de l’ONU, Le Sarment-Fayard, 2002 ; Le terrorisme à visage humain, François-Xavier de Guibert, 2008 ; La prophétie de Paul VI, François-Xavier de Guibert, 2008 ; Pour comprendre les évolutions démographiques, APRD, 2011. Face à ces travaux importants sur la constitution, la propagation, la nocivité du « mythe ».
   Le Pr DUMONT Gérard-François n’est pas en reste : La France ridée, en collaboration avec CHAUNU P., LEGRAND Jean et SAUVY Alfred, Livre de poche, Pluriel, 1979 ; Démographie. Analyse des populations et démographie économique, Dunod, 1992 ; De « l’explosion » à « l’implosion » démographique ? in Revue des Sciences morales et politiques, Institut de France, 1993, n° 4, pp. 583-603 ; Dossier démographie, en collaboration avec MONTENAY Yves et LECAILLON Jean-Didier, in Défense nationale, 1993, pp. 19-74: Le monde et les hommes, Les grandes évolutions démographiques, Litec, 1995 ; Les populations du monde, Armand Colin, 2004 ; Les territoires face au vieillissement en France et en Europe, Ellipses, 2006 ; Démographie politique, Les lois de la géopolitique des populations, Ellipses, 2007 ; Population et développement durable in WACKERMAN Gabriel, Le développement durable, Ellipses, 2008, pp. 154-174 ; Le principe de population de Malthus, annonçant une sous-alimentation, s’est-il appliqué ?, in WACKERMAN G., Nourrir les hommes, Ellipses, 2008, pp. 83-88 ; Population et développement : la tentation malthusienne, in Agir, revue de stratégie, n° 35, septembre 2008, pp. 51-66 ; Populations et territoires de France en 2030, Le scénario d’un futur choisi, L’Harmattan, 2008 ; La mondialisation s’applique-t-elle en démographie ? Tendances et perspectives pour le XXIe siècle, in Population et avenir, n° 691, janvier-février 2009, pp. 4-7 et 20 ; La géographie des migrations internationales au tournant des années 2010 et Les migrations climatiques internationales, in MOURIAUX V., Les mobilités, Sedes, 2010, pp. 37-54 ; 7 milliards d’hommes : la terre est-elle surpeuplée ou vieillissante ? in BRUNEL S. et PITTE J.-R., Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête, J.-Cl. Lattès, 2010, pp. 185-214.
   En dehors de la sphère francophone, on peut encore évoquer du Pr. SIMON Julian L., L’homme notre dernière chance, Libre échange, PUF, 1981 ; Dr SASSONE Robert L., Handbook on Population, American Life League, 1994 ; du Pr. KASUN Jacqueline, The War against Population : The Economics and ideology on World Population Control, Ignatius Press, 1999 ; et d’autres encore : Dr Roger Revelle, Dr David Hopper, M. Carl Anderson, Dr Peter Bauer, Dr Basil Yamey, Dr Colin Clarke, etc..
10. Cf. la Communication de l’Église catholique à la XXIIe Conférence du Conseil des Organisations internationales des sciences médicales, op. cit..
   Le « mythe de la surpopulation » est l’objet de prises de positions nombreuses sur le web et pas seulement sur des sites catholiques qui répercuteraient simplement la voix de leur « maître » !
   Certes, on trouvera sur le site www.ichtus trois articles confirmant et prolongeant la position de l’Église (Surpopulation : mythe ou réalité ?, Idées reçues sur la surpopulation, Le dynamisme démographique est bien nécessaire à la croissance économique), de même sur celui de France catholique (KAINZ Howard, Le mythe de la surpopulation et la nouvelle moralité, 14 décembre 2012).
   Mais d’autres sites dénoncent de même le mythe.
   Sur le blog de Résistance 71 (71 par référence à la Commune de Paris en 1871) sont dénoncées, dans un style acide, « une poussée du bon vieux Malthus et ses fadaises sur la « surpopulation » de la planète » sous le titre « Sciences, eugénisme et Nouvel Ordre Mondial : Bill Gates, Rockefeller & Co planifient le génocide planétaire ». Il faut « mettre un coup d’arrêt et de balai dans toute cette fange pseudo-scientifique et véritablement criminelle ». On y lira « comment les 85 personnes les plus riches du monde voient les 3,5 milliards les plus pauvres ».
   Sur le site Reporterre, le quotidien de l’écologie, le Britannique MONBIOT George renchérit : « la plupart des obsédés de la surpopulation mondiale sont de vieux riches blancs ayant passé l’âge de la reproduction ». Il conclut crûment son analyse en écrivant que le problème « ce n’est pas le sexe, c’est l’argent ; ce n’est pas le pauvre, c’est le riche ». (La surpopulation, un mythe, 6 octobre 2009).
   Le grand soir du 27 octobre 2009, qui se définit comme un Journal militant à information alternative, publie ce même article de George Monbiot, précédé de ce « chapeau » : « Ceux qui prétendent que la croissance démographique est le gros problème environnemental sont en train de blâmer les pauvres pour les péchés des riches. »
   Contrepoints du 14 octobre 2010 et AgoraVox.fr publient le même article : « L’environnement s’avère être la dernière bouée de sauvetage du socialisme ». Si cette affirmation est contestable, l’article apporte toutefois des renseignements précieux. Tout d’abord, une citation de Tertullien (Notre population est si énorme [200 millions d’habitants] que la terre peut difficilement nous soutenir) que la peur de la surpopulation n’est pas récente ! Mais la suite est intéressante car elle se réfère aux travaux du professeur David Osterfeld et surtout à ceux de Bjorn Lomborg qui, en tant que militant de Greenpeace, avait lancé ses étudiants de l’université de Aarhus dans un exercice de vérification des thèses de Julian Simon. Il s’avéra que celles-ci étaient exactes. Il révisa donc sa position et celles d’écologistes catastrophistes comme Paul R. Ehrlich ou Lester Brown et publia The Skeptical Environmentalist (L’écologiste sceptique, Le Cherche Midi, 2004). On retiendra de ses conclusions quatre points importants cités dans l’article:
   « Actuellement, les ressources naturelles ne sont pas près de disparaître ; la principale limite à leur disponibilité est le coût associé à leur découverte et leur extraction […​] ».
   « L’explosion de population n’a jamais eu lieu et n’aura pas lieu ; la production agricole par tête s’est accrue de 52% dans les pays en voie de développement depuis 1961 et la proportion de ceux qui manquent de nourriture dans ces pays est passée de 45% en 1949 à 18% aujourd’hui ; le prix de la nourriture n’a pas cessé, depuis deux siècles, de baisser en termes réels ; la population humaine devrait de toute façon se stabiliser dans les prochaines décennies ».
   « Le problème des espèces menacées et d’une réduction de la biodiversité a été gravement exagéré, tout comme celui de la disparition des forêts ; si certaines forêts tropicales continuent d’être décimées, le reforestation augment ailleurs et la surface consacrée aux forêts dans le monde s’est accrue depuis un demi-siècle ».
   « La pollution est elle aussi un phénomène qui diminue constamment, en particulier dans les pays riches ; la qualité de l’air, de l’eau et de l’environnement en général est plus grande que jamais dans les grandes villes ; la pollution importante est un phénomène typique des périodes de début de croissance industrielle, alors que les populations sont prêtes à accepter un certain niveau de pollution en échange d’un enrichissement rapide ; plus un pays est riche, plus ses citoyens consacrent des ressources importantes à la qualité de l’environnement ; les innovations technologiques font également en sorte que les méthodes de production soient de moins en moins polluantes ».
11. Sur le site Les Observateurs.ch, le 16 août 2012, on peut lire une intéressante mise au point de Francis Richard sur le mythe de la surpopulation. Selon cet auteur, c’est la fameuse étude (Rapport Meadows présenté en français sous le titre Halte à la croissance ?) ) commandée par le Club de Rome en 1970 au MIT (Massachusetts Institute of Technology) et publiée en 1972 qui a lancé l’idée d’une pénurie des ressources à venir. Or, ce rapport s’est basé sur des hypothèses qui se sont avérées fausses. En effet, les rédacteurs supposent que les comportements humains ne changent pas, que l’homme est incapable de s’adapter aux circonstances nouvelles, que la nature évolue cers un épuisement des ressources non renouvelables et enfin que la population croît exponentiellement. S’appuyant sur l’article du Dictionnaire du libéralisme (sous la direction de LAINE Mathieu, Larousse, 2012) consacré par J. L. Simon, au malthusianisme, et sur le livre de FELDMAN Jean-Philippe, La famine menace-t-elle l’humanité ?, J.-C. Lattès, 2010, Francis Richard réplique que les humains ne sont pas des animaux comme les autres, ils peuvent modifier leur comportement y compris leur fécondité. De plus, on constate depuis 1961 que la production agricole a plus que doublé dans le monde et plus que triplé dans les pays en voie de développement. Parallèlement, le taux de croissance de la population mondiale qui était de 2,2% à l’époque n’a cessé de baisser et se situe aujourd’hui aux alentours de 1,1%. Même l’ONU reconnaît que la misère a reculé partout davantage au cours de la seconde moitié du XXe siècle que durant les cinq cents années précédentes. Enfin, quand on parle de ressources, il ne faut pas oublier que les ressources potentielles ne deviennent ressources économiques que transformées par les ressources humaines.
   La Croix du 24 mars 2014 publiait une interview de Jacques Vallin démographe à l’Institut national d’études démographiques (Ined) confirme cette analyse et refuse l’idée d’une « surpopulation » de la planète. Pour lui, « il y a assez de ressources pour nourrir tout un chacun ». Il croit en la capacité de l’homme à s’adapter à l’évolution des ressources, à condition que les progrès soient accessibles au plus grand nombre et que le risque environnemental soit pris au sérieux.
   Relevons encore sur le site lewebpedagogique.com, cette réflexion: « En démographie, et en particulier avec le développement durable et les prospectives pour 2050, on tombe facilement dans le catastrophisme. La surpopulation est une idée reçue et mal comprise. Elle est toujours entourée de la notion de malthusianisme, cette théorie démographique et socio-économique formulée au XIX° siècle par l’anglais Malthus qui consiste à expliquer que la croissance démographique (progression géométrique) est toujours supérieure à la croissance économique (progression arithmétique). Elle est à l’origine des politiques de limitation des naissances mais aussi d’un discours socio-politique très orienté vis-à-vis des pauvres (à quelque échelle que ce soit). »
12. La communication de l’Église catholique à la XXIIe Conférence du CIOMS, op. cit., en parle longuement.
13. Intervention de la délégation du Saint-Siège, Conférence internationale sur la population, Mexico, 8-8-1984, O.R. 14-8-1984, pp. 4-5.

⁢b. La dette

La question avait déjà été évoquée par Paul VI⁠[1] mais Jean-Paul II y revient car est de plus en plus grave. Certes, les capitaux empruntés parfois imprudemment ou précipitamment « peuvent être considérés comme une contribution au développement lui-même » mais l’instrument « s’est transformé en un mécanisme à effet contraire ». Il est devenu un frein et parfois a accentué le sous-développement. Pour deux raisons : les pays débiteurs « pour satisfaire le service de la dette, se voient dans l’obligation d’exporter des capitaux » qui leur seraient nécessaires et « ils ne peuvent obtenir de nouveaux financements également indispensables ».⁠[2] Pour un approfondissement du problème et des pistes de solution, Jean-Paul II renvoie au document de la Commission pontificale « Justice et paix » : « Au service de la communauté humaine : une approche éthique de l’endettement international » rendu public le 27 janvier 1987.⁠[3]

Résumons ce document.

Quelle est la situation ?

Les niveaux d’endettement des pays en voie de développement constituent, par leurs conséquences sociales, économiques et politiques, un problème grave, urgent et complexe. Le développement des pays endettés et même parfois leur indépendance sont compromis. Les conditions d’existence des plus pauvres sont aggravées ; le système financier international subit des secousses qui l’ébranlent. Certains pays sont au bord de la rupture, faute de pouvoir assurer le service de leurs dettes.

Selon quels principes agir ?

L’interdépendance accrue des nations doit faire surgir des formes nouvelles et élargies de solidarité, qui respectent l’égale dignité de tous les peuples. La solidarité suppose la reconnaissance d’une coresponsabilité dans l’endettement international, dû conjointement aux comportements et décisions des pays développés et des pays pauvres. Cette coresponsabilité contribuera à créer ou à restaurer entre les divers acteurs des relations de confiance en vue d’une coopération dans la recherche de solutions. Les divers partenaires devront partager équitablement les efforts d’ajustement et les sacrifices nécessaires. Les besoins des populations démunies sont prioritaires et les pays mieux pourvus sont invités à accepter un partage plus large. La recherche de solutions réclame la participation de tous.

Il y a des mesures d’urgence à prendre.

Elles sont nécessaires pour des pays au bord de la faillite. Il faut susciter le dialogue et la coopération de tous ; éviter les défauts de paiement susceptibles d’ébranler le système financier international ; éviter les ruptures entre créanciers et débiteurs, ainsi que les dénonciations unilatérales des engagements antérieurs ; consentir des délais, remettre partiellement ou même totalement les dettes, aider le débiteur à retrouver sa solvabilité ; mettre en place des structures de coordination (créanciers, F.M.I., pays en voie de développement) pour prévoir, prévenir, atténuer les crises ; souhaiter que le F.M.I. soit guidé par le souci de dialoguer et de servir la collectivité ; discerner les mécanismes qui semblent échapper à tout contrôle ; veiller, en même temps, à créer les conditions d’un redressement économique et financier.

A long terme, il faut bien établir les responsabilités de tous les partenaires.

Et tout d’abord, quelle est la responsabilité des pays industrialisés ?

Elle est plus importante, car ils ont plus de pouvoirs économiques. Les rapports de force et d’intérêt doivent faire place à des relations de justice et de service réciproques. Le souci prévoyant des autres nations doit l’emporter sur l’égoïsme. Ce qui implique, non seulement l’évaluation des répercussions de leurs politiques et le courage de les modifier si elles sont préjudiciables aux autres, mais aussi le nécessaire prélèvement sur le luxe et le gaspillage, le partage, voire une certaine austérité.

Au niveau de la dette, il faut mettre en œuvre des politiques économiques qui relancent la croissance au profit de tous les peuples tout en maîtrisant l’inflation, source de nouvelles inégalités ; renoncer aux mesures de protectionnisme qui entraveraient les exportations des pays en voie de développement et abandonner la compétition technique et économique effrénée et meurtrière que nous connaissons. En même temps, il est nécessaire de coordonner les politiques financières et monétaires pour faire baisser raisonnablement les taux d’intérêt et éviter les fluctuations erratiques des taux de change. Enfin, on reverra en concertation et attentivement les conditions du commerce international et valoriser les matières premières.

Les pays en voie de développement ont aussi des responsabilités.

Il ne suffit pas de déceler les responsabilités extérieures, encore faut-il, en même temps, examiner les causes internes du sous-développement, envisager les politiques nécessaires et définir, avec clarté, la responsabilité propre de chacun dans l’endettement. En effet, l’amélioration de la situation passe par la réforme des structures et celle des mœurs, qui demande aux dirigeants politiques, économiques et sociaux, d’être au service du bien commun. En particulier, il faut veiller à la croissance économique pour assurer une plus large et plus juste répartition des richesses. (Concrètement, cela signifie : choisir les secteurs prioritaires, sélectionner rigoureusement les investissements, réduire les dépenses de l’État, gérer plus strictement les entreprises publiques,­ maîtriser l’inflation, soutenir la monnaie, réformer la fiscalité, réformer sainement l’agriculture, inciter les initiatives privées, créer des emplois.) Eviter le nationalisme est important car il isole, alors que les échanges sont nécessaires (spécialement entre pays en développement), à condition toutefois d’être sélectionnés, négociés équitablement et adaptés au niveau de développement et à la culture indigène. (C’est particulièrement vrai pour les technologies modernes.)

Les créanciers ont, bien sûr, leurs responsabilités vis-à-vis des débiteurs.

Sauf en cas d’abus justiciables, les contrats doivent être respectés. Toutefois, les créanciers ne peuvent en exiger l’exécution par tous les moyens, surtout si le débiteur se trouve dans une situation d’extrême nécessité. Les États créanciers examineront les conditions de remboursement compatibles avec la couverture des besoins essentiels de chaque débiteur ; il faut laisser à chaque pays une capacité suffisante de financement pour sa propre croissance, pour favoriser en même temps le remboursement ultérieur de la dette. La diminution des taux d’intérêt, la capitalisation des paiements au-dessus d’un taux d’intérêt minimum, un rééchelonnement de la dette sur un plus long terme, des facilités de paiement dans la monnaie nationale…​ sont autant de dispositions concrètes à négocier avec les pays endettés afin d’alléger le service de la dette et d’aider une reprise de la croissance. Créanciers et débiteurs s’accorderont sur les nouvelles conditions et sur les délais de paiement, dans un esprit de solidarité et de partage des efforts à consentir. En cas de désaccords sur ces modalités, une conciliation ou un arbitrage pourront être demandés et reconnus par les deux parties. Un code de conduite international serait utile pour guider, par quelques normes de valeur éthique, les négociations.

Les États créanciers accorderont une attention particulière aux pays les plus pauvres. En certains cas, ils pourront convertir les prêts en dons ; cette remise de dette ne doit cependant pas entamer la crédibilité financière, économique et politique des pays « les moins avancés » et tarir les nouveaux flux de capitaux venant des banques. Les flux de capitaux des pays industrialisés doivent retrouver le niveau des engagements consentis (aide publique au développement) par voie bilatérale ou multilatérale. Par des dispositions fiscales et financières, et par des garanties contre les risques éventuels, les États créanciers inciteront les banques commerciales à continuer leurs prêts aux pays en développement. Par des politiques concertées, monétaires, financières et commerciales, ils favoriseront l’équilibre des balances de paiement des pays en développement et, par là, le remboursement de leur dette. Les banques commerciales ont des créances directes sur les pays en développement (États et entreprises). Si leurs devoirs vis-à-vis de leurs déposants sont essentiels, et s’en acquitter est la condition pour garder leur confiance, ces devoirs ne sont pas les seuls et doivent se composer avec le respect des débiteurs, dont les besoins sont plus souvent urgents.

Les banques commerciales participeront aux efforts des États créanciers et des organisations internationales pour la solution des problèmes de l’endettement : rééchelonnement de la dette, révision des taux d’intérêt, relance des investissements vers les pays en développement, financement des projets en fonction de leur impact sur la croissance, de préférence aux projets dont la rentabilité est plus immédiate et plus assurée et à ceux dont l’utilité est contestable (équipements de prestige, armements…​). Sans doute cette attitude déborde-t-elle la fonction traditionnelle des banques commerciales, en les invitant à un discernement qui dépasse les critères de rentabilité et de sécurité des capitaux prêtés. Mais pourquoi n’accepteraient-elles pas de prendre ainsi une part de responsabilité face au défi majeur de notre temps: promouvoir le développement solidaire de tous les peuples et contribuer ainsi à la paix internationale ? Tous les hommes de bonne volonté sont conviés à cette œuvre, chacun selon sa compétence, son engagement professionnel et son sens de la solidarité.

Les entreprises multinationales participent aux flux internationaux de capitaux, sous forme d’investissements productifs et aussi de rapatriement de capitaux (bénéfices et amortissements). Leurs politiques économiques et financières influent ainsi sur la balance de paiements des pays en développement, en positif ou en négatif (investissements nouveaux, réinvestissements sur place, ou rapatriement des bénéfices et vente des actifs). Tout en orientant les activités de ces entreprises pour les faire participer aux plans de développement (code national d’investissement), les pouvoirs publics des pays en développement établiront des conventions avec les entreprises pour préciser leurs obligations réciproques, spécialement en ce qui concerne les flux de capitaux et la fiscalité. Les entreprises multinationales disposent d’un large pouvoir économique, financier, technologique. Leurs stratégies débordent et traversent les nations. Elles doivent participer aux solutions d’allégement de la dette des pays en développement. Acteurs économiques et financiers dans le champ international, elles sont appelées à la coresponsabilité et à la solidarité, par-delà leurs intérêts propres.

Enfin, il faut aussi parler des responsabilités des organisations financières multilatérales.

Les organisations internationales doivent contribuer à résoudre la crise de l’endettement ; éviter un effondrement généralisé du système financier international ; aider les peuples, spécialement les plus démunis, à lutter contre l’extension de la pauvreté et ainsi promouvoir la paix.

Les organisations financières multilatérales (F.M.I., Banque mondiale, banques régionales) soutenues, en particulier, par les États membres puissants économiquement et financièrement, doivent être animées d’un esprit de justice, de solidarité au service de tous et de compréhension réciproque ; accorder la priorité aux hommes et à leurs besoins, par-delà les contraintes et les techniques financières ; respecter la dignité et la souveraineté de chaque nation au sein de l’interdépendance économique et dans un esprit de solidarité consentie ; intensifier la représentation des pays en voie de développement et leur participation aux grandes décisions économiques internationales qui les concernent ; coordonner leurs efforts et leurs pratiques ; se concerter avec les autres acteurs financiers internationaux et les pays endettés.

Elles doivent prendre en considération ces quelques points particuliers: examiner, de façon ouverte et adaptée à chaque pays en développement, les « conditions » posées par le F.M.I. pour les prêts, intégrer la composante humaine dans la « surveillance accrue » sur la mise en œuvre des mesures d’ajustement et sur les résultats obtenus ; encourager de nouveaux capitaux, publics et privés, à financer les projets prioritaires pour les pays en développement ; favoriser le dialogue entre créanciers et débiteurs pour un rééchelonnement des dettes et un allégement des montants portant sur une et, si possible, sur plusieurs années ; prévoir des dispositions spéciales pour remédier aux difficultés financières venant de catastrophes naturelles, de variations excessives des prix des matières premières indispensables (agricoles, énergétiques, minières), de fluctuations brusques des taux de change ; susciter une meilleure coordination des politiques économiques et monétaires des pays industrialisés, en favorisant celles qui auront des incidences plus favorables aux pays en développement ; explorer les problèmes nouveaux, d’aujourd’hui et de demain, pour envisager déjà des solutions qui tiennent compte des évolutions très diversifiées des économies nationales et des chances d’avenir de chaque pays. Cette prévision, difficile et nécessaire, est une responsabilité de tous à l’égard des générations futures mais elle permettra de prévenir la montée de situations conflictuelles graves.

Enfin, il sera indispensable de veiller au choix et à la formation de tous ceux qui travaillent dans les organisations multilatérales et participent aux analyses des situations, aux décisions et à leur exécution. Ils ont, collectivement et individuellement, une responsabilité importante. Le danger existe d’en rester aux approches et à des solutions trop théoriques et techniques, voire bureaucratiques, alors que sont en jeu des existences humaines, le développement des peuples, la solidarité entre les nations. La compétence économique est indispensable, ainsi que la sensibilité aux autres cultures et une expérience concrète et vécue des hommes et de leurs besoins. A ces qualités humaines s’ajoutera, pour mieux les fonder, une conscience vive de la solidarité et de la justice internationale à promouvoir.

Pour remplir ce programme, il est indispensable que les populations concernées aient confiance. La confiance est nécessaire pour susciter le consensus national, accepter le partage des sacrifices et assurer, par là, la réussite des programmes de redressement. La confiance sera renforcée si l’on réorganise quelque peu l’aide internationale (adaptation et élargissement des missions, accroissement des moyens d’action, participation effective de tous aux décisions, contribution aux objectifs de développement, priorité aux besoins des populations les plus pauvres) et si les motifs de décisions sont bien le désintéressement et le service des autres.

En conclusion, il est urgent et indispensable, dans l’intérêt de tous et surtout de ceux qui souffrent, de susciter un nouveau et vaste plan de coopération et d’assistance des pays industrialisés au profit des pays en voie de développement.


1. PP 54. Paul VI insiste pour qu’un dialogue s’établisse entre tous les partenaires : « Ce dialogue entre ceux qui apportent les moyens et ceux qui en bénéficient permettra de mesurer les apports, non seulement selon la générosité et les disponibilités des uns, mais aussi en fonction des besoins réels et des possibilités d’emploi des autres. les pays en voie de développement ne risqueront plus dès lors d’être accablés de dettes dont le service absorbe le plus clair de leurs gains. Taux d’intérêt et durée des prêts pourront être aménagés de manière supportable pour les uns et pour les autres, équilibrant les dons gratuits, les prêts sans intérêt ou à intérêt minime et la durée des amortissements. Des garanties pourront être données à ceux qui fournissent les moyens financiers, sur l’emploi qui en sera fait selon le plan convenu et avec une efficacité raisonnable, car il ne s’agit pas de favoriser paresseux et parasites. Et les bénéficiaires pourront exiger qu’on ne s’ingère pas dans leur politique, qu’on ne perturbe pas leur structure sociale. »
2. SRS 19.
3. DC, n° 1934, 15 février 1987, pp. 197-205.

⁢c. Le logement

Brièvement, Jean-Paul II attire notre attention sur ce « grave problème » dû, en partie à l’urbanisation. « Il doit être considéré, écrit-il, comme le signe et la synthèse de toute une série d’insuffisances économiques, sociales, culturelles ou simplement humaines ». Lui aussi porte préjudice au développement des peuples.⁠[1]

Le Saint Père nous renvoie de nouveau à la Commission pontificale « Iustitia et pax » qui, à l’occasion de l’année internationale du logement pour les sans-abri, a publié le document « qu’as-tu fait de ton frère sans abri ? L’Église et le problème de l’habitat ».⁠[2]

Que nous dit-il ?

Il s’agit d’une une situation universelle dramatique. En 1988, on estimait que mille millions de personnes n’avaient pas un logement digne et que cent millions manquaient littéralement de toit, soit qu’elles n’aient pas les moyens d’acquérir ou de louer un logement existant, soit qu’il n’y ait pas de logement disponible ou digne.

Il faut donc analyser ce phénomène.

On distingue trois sortes de sans-abri ou de mal logés : les victimes de problèmes personnels, pour qui la solution ne réside pas dans le seul octroi d’un refuge ou d’un logement ; les couples de fiancés qui voudraient se marier et ne peuvent rapidement et facilement trouver un logement digne, ce qui est préjudiciable à l’engagement matrimonial, à la natalité et à la vie commune dans son ensemble ; enfin, les marginalisés installés dans des demeures précaires et improvisées. C’est le problème le plus urgent et le plus grave.

Cette situation n’est pas un phénomène isolé.

Certes, le manque de logement peut être le fruit d’une conjoncture due à un problème personnel ou à un échec familial, mais il doit surtout être envisagé comme une crise structurelle aux causes multiples.

Parmi les causes immédiates, on peut citer le chômage, les salaires trop bas et les prix élevés du marché de l’habitation, l’accroissement de la population ou son vieillissement, l’exode rural et l’urbanisation accélérée, qui créent des mégapoles dépourvues de l’infrastructure nécessaire.

Epinglons aussi les politiques inadéquates ou insuffisantes : les véritables priorités n’ont pas toujours été respectées, l’instabilité politique a provoqué l’exode de réfugiés qui vivent dans des camps ; des populations entières sont déplacées pour servir des projets économiques et politiques d’une inspiration idéologique douteuse ; des villes ont été découpées de force en zones raciales.

Mais on ne peut passer sous silence une cause plus radicale. Il s’agit de la distribution injuste des biens et de la faille qui s’installe entre les riches et les pauvres dans une société ou entre nations.

Ici aussi, quels sont les principes en cause ?

La « maison » est une condition nécessaire pour que l’être humain puisse venir au monde, grandir, se développer, pour qu’il puisse travailler, éduquer et s’éduquer, pour que puisse se bâtir cette union plus profonde et fondamentale que l’on nomme la « famille ». La « maison » n’est donc pas un bien purement matériel, mais un bien qui concerne la personne humaine dans ses dimensions sociales, affectives, culturelles et religieuses⁠[3].

Dans la mesure où sans un « toit », il est impossible de mener une vie digne, et même parfois de subsister, il s’agit d’un bien fondamental qui découle d’un besoin primaire, auquel se joignent d’autres besoins qui en découlent.

Un tel bien social primaire ne peut être considéré simplement comme une affaire de « marché » et l’on peut affirmer un droit universel au logement décent.

Dès lors, sans faute directe, toute personne ou famille sans logement est victime d’une déficience juridique, d’une injustice structurelle introduite et entretenue par des injustices personnelles. Mais cette injustice est aussi en elle-même un phénomène autonome et indépendant, possédant un dynamisme intérieur désordonné et injuste qui lui est propre.

Quelles solutions envisager ?

Dans certaines grandes villes, le nombre de logements inoccupés suffirait à accueillir la plupart des sans-abri. Les autorités publiques doivent établir des normes réglant une juste distribution des logements. Ce qui ne signifie pas que l’État peut se réserver le monopole exclusif de la construction et de la distribution des logements. Une telle pratique laisserait subsister de graves problèmes de logement.

Toute pratique spéculative, qui détourne l’usage de la propriété de sa fonction au service de la personne humaine, doit être considérée comme un abus.

Dans le cas de logements vétustes ou délabrés qui portent préjudice au locataire et que le propriétaire n’arrive pas à valoriser, une politique est nécessaire pour promouvoir le droit d’une des parties sans créer de dommage disproportionné à l’autre.

Dans les grandes mégapoles, des gens, souvent poussés par le désespoir, établissent des logements abusifs sur les terrains d’autrui. Le déplacement forcé ou la destruction des campements ne sont pas des solutions adéquates. Chacun a droit à un logement décent et il s’agit d’étudier sérieusement les racines mêmes de toute migration interne.

Légitime en droit, le recours à l’expulsion judiciaire pose une série d’interrogations éthiques lorsqu’il touche des personnes qui n’ont vraiment pas d’autre logement.

Chaque famille a besoin de la garantie d’une certaine sécurité, même en matière de logement.

Il faut mettre en œuvre des mesures audacieuses de politique des loyers et des programmes de planification locale qui garantissent à la population un milieu favorable au développement éducatif, sanitaire, culturel et religieux de tous.

Tout le monde est invité à participer à cet effort même sans attendre l’autorité publique. Les gens dépourvus de logement ont intérêt à défendre eux-mêmes leurs droits dans des associations de base.

Quant aux nomades traditionnels, ils ont le droit de disposer de lieux adaptés à leurs circonstances de vie, où ils puissent jouir de certains services primaires et assurer le développement intégral de leurs enfants.

Il s’agit donc de nouer avec ces personnes itinérantes des liens d’amitié et de solidarité, et de mettre en œuvre une plus grande compréhension de leur culture et de leurs problèmes spécifiques.

En fin de compte, le problème des sans-abri et la crise du logement ne sont que la conséquence d’une cause plus profonde, à laquelle il faut porter remède par une transformation économique, politique et sociale, qui permette à chacun d’accéder à un logement décent, principal facteur du progrès humain.


1. SRS 17.
2. OR, 9 février 1988, pp. 8-11.
3. De même, il est injuste d’éliminer dans certaines planifications urbaines la possibilité d’établir un lieu de culte, où les groupes religieux puissent se réunir.

⁢d. La mer

Dans son encyclique, Jean-Paul II n’évoque pas cette question⁠[1] que la Commission pontificale « Iustitia et pax » a abordée dès1977.⁠[2]

Il s’agit d’y réfléchir à la lumière de la doctrine traditionnelle de l’Église sur la destination universelle des biens et le droit de propriété.

Face aux difficultés économiques du Nord et du Sud, l’espace marin offre, par ses richesses immenses, des perspectives intéressantes pour le développement. Mais pour éviter à l’avenir des conflits et des dévastations, on ne peut plus se contenter des réglementations mineures actuellement appliquées à la haute mer.

On ne peut pas non plus souhaiter l’extension des souverainetés des pays côtiers. En effet, cette solution élargirait le champ des rivalités, profiterait aux pays favorisés par la nature (accès à la côte et longueur du littoral) et serait préjudiciable à la recherche scientifique et à la solidarité entre les peuples.

Quelles solutions envisager ?

Les Nations-Unies en proposent une.

Dès les années 70, les Nations-Unies préconisèrent de déclarer la haute mer « patrimoine commun de l’humanité ». Cette solution implique que l’espace marin échappe aux affrontements des souverainetés nationales ; qu’il ne serve qu’à des usages pacifiques ; que les océans servent à tous et d’abord aux plus pauvres (par le partage des bénéfices financiers et autres) ; que l’on mette en place des structures régionales de solidarité internationale. Par le fait même, on préserverait, pour l’avenir, une richesse naturelle et le concept de « patrimoine commun » ainsi expérimenté pourrait s’étendre à d’autres domaines.

L’application de cette solution fut limitée par l’extension de la territorialité des pays côtiers sur la partie la plus utile de l’espace marin (1/3). Le principe du patrimoine commun ne fut retenu que pour le fond et le sous-sol des deux tiers restants, à l’exclusion de la colonne d’eau qui demeure sous le régime traditionnel de la liberté.

En fait, les structures et autorités nécessaires à la gestion du patrimoine commun n’étaient pas prêtes, car les problèmes sont complexes. En même temps, l’urgence des situations incite les intéressés à recourir aux anciennes solutions plus familières : souveraineté nationale et propriété exclusive.

Les pays développés y trouvent leur compte et les pays pauvres bordés par la mer aussi, dans la mesure où ils se réservent un patrimoine à exploiter plus tard et un moyen de négociation avec des nations plus avancées.

Devant ces obstacles, certains ont préconisé de remplacer la notion de souveraineté géographique par celle de souveraineté fonctionnelle couvrant telle ou telle activité. Mais cette perspective n’est guère convaincante et demande des études plus précises.

La proposition de l’Église.

La réflexion chrétienne n’estime pas nécessairement heureuse l’idée suivant laquelle la notion d’appropriation particulière devrait progressivement disparaître pour laisser place à la notion de patrimoine commun. En effet, le projet de planification et de gestion supranationales risque d’engendrer une technocratie internationale lourde et compliquée, et finalement de rendre inopérante la base démocratique sur laquelle il veut se fonder.

L’enseignement de l’Église, au lieu d’opposer les deux notions de patrimoine commun et d’appropriation particulière, les réconcilie grâce à une troisième notion qui les commande toutes les deux : il s’agit du principe de la « destination universelle des biens ». La mise en œuvre de ce principe s’opère à travers les voies complémentaires que sont l’appropriation particulière et la possession commune, toujours subordonnées au principe supérieur.

Chacune de ces deux voies est susceptible de formes multiples, toujours révisables en fonction des situations changeantes. Ainsi le principe de contiguïté géographique est-il utile mais non absolu, car il se base sur une situation et non sur des prémisses éthiques. Mais dans le même esprit, l’aspiration des pays pauvres, notamment à une appropriation particulière n’est pas incompatible avec la perspective d’un patrimoine géré en commun. L’équilibre entre les deux types ne peut évidemment résulter que de confrontations et d’engagements libres de pays reconnus dans leur personnalité propre et dotés d’un véritable pouvoir contractuel.


1. Il en a parlé ailleurs. Par exemple : Aux participants du Congrès mondial de l’apostolat de la mer, 27 octobre 1982, in OR 23 novembre 1982, p. 15 ; Discours aux gens de la mer, St jacques de Compostelle (Espagne), 9 novembre 1982, in OR, 30 novembre 1982, pp. 17-18 ; Avec le monde de la mer, 12 août 1984, in OR 21 août 1984, p. 5 ; Avec les pêcheurs, Flatrock (Canada), 12 septembre 1984, in OR 25 septembre 1984, pp. 1 et 4 ; A la cérémonie des « noces de la mer », Cervia (Italie), 11 mai 1986, in OR 3 juin 1986, p. 22 ; Aux travailleurs portuaires et aux marins, Civitavecchoia (Italie), 19 mars 1987, in OR 7 avril 1987, p.7. On peut aussi lire IZAN Michel, Rencontre régionale de l’apostolat de la mer, Abidjan (Côte-d’Ivoire), du 28 avril au 1er mai 1981, in OR 16 juin 1981.
2. La destination universelle des biens, A propos de la Conférence du droit de la mer, Cité du Vatican, 1977 et 1982.

⁢e. L’espace

De même, à qui l’espace appartient-il ?

Le principe de la « destination universelle des biens » est applicable ici aussi. L’espace appartient à toute l’humanité, pour le profit de tous.⁠[1]

De même que la propriété privée doit être distribuée de telle sorte que les êtres humains reçoivent une part adéquate des biens de la terre, de même l’occupation de l’espace par des satellites et d’autres appareils doit être réglée par de justes accords et des pactes internationaux qui permettront à toute la famille humaine d’en jouir et d’en user.

Exactement comme les biens de la terre ne sont pas seulement réservés à l’usage privé, mais doivent être aussi utilisés pour le bien du voisin, de même l’espace ne doit jamais être réservé au bénéfice exclusif d’un pays ou d’un groupe social. Les questions inhérentes à l’utilisation de l’espace doivent être étudiées par les juristes et recevoir une solution correcte des gouvernements.

A quoi peut servir l’espace ?

Grâce à l’emploi des satellites, on pourra travailler à éliminer l’analphabétisme et à diffuser une culture qui favorisera vraiment partout le développement de l’homme, dans le respect des traditions, en évitant tout colonialisme culturel ou idéologique et dans un esprit de dialogue.

La technologie spatiale peut également fournir des informations utiles pour le développement de l’agriculture, le contrôle de la situation forestière, l’évaluation de l’état de certaines zones ou de la terre entière. Elle permet la mise au point de programmes particuliers ou globaux pour résoudre des situations concrètes.


1. Cf. JEAN-PAUL II, Aux savants réunis à l’Académie pontificale des sciences, 2 octobre 1984, in OR 16 octobre 1984, p. 2 et OR 27 novembre 1984, pp. 4-5.